Victor Hugo et Napoléon III : les dessous d'une haine historique - Ça m'intéresse
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HISTOIRE

Victor Hugo et Napoléon III : les dessous d'une haine historique

Louis-Napoléon Bonaparte et Victor Hugo.
Écrit par Bertrand Rocher
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Louis-Napoléon Bonaparte admire et courtise le géant des lettres. Mais Victor Hugo, déçu de le voir tourner le dos à la République, lui opposera une guerre sans merci depuis son exil de Guernesey.

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Ce soir-là, Louis-Napoléon Bonaparte n’a pas vraiment fait un carton. Le 23 décembre 1848, Victor Hugo est convié à dîner au palais de l’Élysée – alors nommé Élysée national – par celui qui vient d’être élu premier président de la République française quelques jours auparavant. Quoi de plus logique que de choyer l’auguste personnalité qui a soutenu sa candidature ? Cette réception en petit comité aurait dû consacrer le ralliement de l’écrivain-député au neveu de Napoléon Ier. Mais pour Hugo, la soirée tourne au camouflet. Dès le début, tout va de travers : envoyé pour le soir même, le bristol qui lui est destiné parvient à un autre destinataire ; puis dès qu’il reçoit son invitation, il s’y rend mais arrive en retard. Quand l’écrivain débarque rue du faubourg Saint-Honoré, un huissier lui signifie que le souper a commencé sans lui. Bonaparte aura beau se lever pour l’accueillir chaleureusement et suspendre le service, rien n’y fera. Hugo est vexé. Il trouve la compagnie médiocre, la chère insipide, la décoration vulgaire. Et l’entretien privé que sollicite son hôte après le départ des invités n’y changera rien. Les deux hommes ne se reverront jamais. Le futur empereur s’apprête à perdre un supporter de poids. Et la suite des événements, culminant avec le coup d’État du 2 décembre 1851 qui sacrera Napoléon III, ne fera que cristalliser ce désamour.

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Une enfance pleine d’espérances

  • Victor Hugo rêve d’être le nouveau Chateaubriand
  • Louis-Napoléon a pour modèle Napoléon Ier

Au départ, le parcours de ces deux figures romanesques n’est pas sans ressemblance. En particulier parce que plane sur elles l’ombre de Napoléon Ier. Victor Hugo naît à Besançon le 26 février 1802 au hasard d’une garnison de son père, général d’Empire. Enfant fragile, dernier d’une fratrie de trois garçons, il le suit à Naples et à Madrid jusqu’à ce que la séparation de ses parents l’ancre à Paris, auprès de sa mère. Victor n’a pas 14 ans quand il commence à versifier. Il déclare dans son journal : "Je veux être Chateaubriand ou rien." À 17 ans, le jeune prodige fonde une revue ultraroyaliste, s’attirant les bonnes grâces de Louis XVIII qui lui octroie une pension.

Charles Louis Napoléon Bonaparte voit le jour le 20 avril 1808 à Paris. Il est le troisième fils de Louis Bonaparte, petit frère de Napoléon Ier et roi de Hollande. La chute de l’empereur – qui surnommait son docile neveu "monsieur Oui Oui" – condamne le clan à l’exil. Séparée de son mari, sa mère, Hortense de Beauharnais, s’installe en Suisse alémanique en 1817. Le garçon peaufine son éducation et se persuade d’un destin dynastique. Lui aurait pu s’exclamer : "Je veux être Napoléon ou rien"… La révolution de 1830 lui laisse entrevoir un espoir, vite déçu quand le régime de Louis-Philippe confirme l’interdiction de séjour de l’ex-famille impériale en France.

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Gloire et insuccès

  • Hugo tutoie les sommets
  • Bonaparte enchaîne les échecs

Victor Hugo se consacre au théâtre. Un an après le tumulte provoqué par Hernani, avec la fameuse bataille entre anciens et modernes en 1830, son roman Notre-Dame de Paris est un succès. Il retrouve son père et, à son contact, s’imprègne d’une certaine nostalgie napoléonienne qui trouble ses positions royalistes. Récompensé de son intimité avec le roi Louis-Philippe par un siège à l’Académie française (1841) et un titre de pair de France (1845), le chef de file des romantiques se prononce néanmoins pour le retour des Bonaparte. Charmé par les sirènes républicaines, il s’affiche en progressiste, contre la peine de mort ou l’exploitation des enfants. "Reste qu’à l’époque, Louis-Napoléon est sans doute plus à gauche qu’Hugo", diagnostique Éric Anceau, auteur de Napoléon III (éd. Tallandier).

Interdit de séjour par Louis-Philippe, le jeune Bonaparte se replie sur l’Italie où il ferraille aux côtés des partisans de l’unité du pays. Une cause également chère à Hugo. La mort de son frère aîné en 1831 puis celle de l’Aiglon, le fils de Napoléon Ier, en 1832, font de lui l’héritier putatif du trône impérial bien qu’il ait obtenu la nationalité helvétique. Longtemps souffrant, il profite de sa convalescence pour dévorer Notre-Dame de Paris, "une lecture propre à donner la fièvre plus qu’à distraire un malade". Ce conspirateur invétéré fomente le soulèvement de la garnison de Strasbourg le 30 octobre 1836, qui va s’avérer calamiteux. Arrêté, Louis-Napoléon Bonaparte est expédié aux États-Unis d’où il rejoint la Suisse pour assister au décès de sa mère en 1837. Mais Paris obtient qu’il s’éloigne à Londres. Pas découragé pour autant, l’impérial aventurier ourdit un nouveau coup d’État, qui s’avère aussi désastreux que le premier. À Boulogne-sur-Mer, le 5 août 1840, il est blessé puis condamné à la réclusion à perpétuité par la Chambre des pairs. Son incarcération douillette au fort de Ham (Somme) est mise à profit pour étudier, réfléchir et écrire. Mais la rumination a son temps. Le 25 mai 1846, il s’évade, déguisé en peintre, et gagne l’Angleterre.

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Aux armes et cætera

  • Louis-Napoléon fomente son coup d’État
  • Victor Hugo en appelle à la résistance armée

Après quarante-quatre ans de régimes autocratiques, la révolution de 1848 chasse Louis-Philippe du pouvoir en février, ramenant Louis-Napoléon en France dans la foulée de la proclamation de la République. Elle plébiscite aussi Hugo, nommé maire du 8e arrondissement de Paris puis élu député en juin. Sensible aux discours de l’héritier des Bonaparte, son collègue d’hémicycle, l’écrivain le soutient à l’élection présidentielle de décembre. "Ce n’est pas un homme qui revient, c’est une idée", proclame-t-il. "Nous lui faisons confiance, il porte un grand nom […] Ce nom ne peut pas se rapetisser", dit-il aussi. Le pays entier semble céder à ce revival napoléonien puisque Louis-Napoléon est élu premier président de la République avec 74 % des suffrages. Trop à gauche pour sa majorité, trop à droite pour l’opposition, il est contraint à louvoyer et s’achète des soutiens. Farouchement anticlérical, Hugo est outré de se voir préférer le dévot Falloux au ministère de l’Instruction. Il est aussi choqué de voir restreindre le droit de vote, déçu du soutien militaire apporté au pape contre les patriotes italiens et préoccupé par les atteintes aux libertés publiques. Surfant sur une vague de popularité inouïe, le président n’en a cure et assume un bras de fer avec l’Assemblée qui culmine en juillet 1851 : la réforme constitutionnelle qui lui aurait permis d’effectuer un deuxième mandat est retoquée. Le coup d’État du 2 décembre qui amène le Second Empire ne surprend guère. Victor Hugo en appelle aux armes et s’exile en Belgique le 11 décembre. Ce qui lui vaudra son inscription sur la liste des proscrits du 9 janvier 1852.

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Un homme à abattre

  • Victor Hugo rédige un brûlot contre l’empereur
  • Napoléon III est contraint à l’exil

Alors qu’il aurait pu être à Napoléon III ce que Malraux sera à de Gaulle, l’écrivain devient pour le nouvel empereur ce que Chateaubriand fut pour Napoléon Ier. Son empêcheur de régner en rond. "À la différence que l’auteur des Mémoires d’outre-tombe n’a pas été aussi loin dans son hostilité, note Éric Anceau. Il semble qu’Hugo ait voulu faire oublier sa connivence passée. Plus que chagriné, Napoléon III paraît avoir été décontenancé par son attitude. Ne se propose-t-il pas de promouvoir les réformes sociales dont tous deux s’accordaient à reconnaître l’urgence ?"

Hugo fulmine, rédige un brûlot intitulé Napoléon le Petit où il va jusqu’à mettre en doute la naissance légitime de celui qu’il appelle Naboléon, Césarion ou Augustule. Il s’abaisse aux moqueries physiques, le traitant de pygmée ou de pourceau, si bien que, quelques mois après son arrivée, les Belges le prient de trouver refuge ailleurs (sa colère se vendra ensuite en poésie, avec Les Châtiments). Ce sera Jersey puis Guernesey, à partir de 1855. En 1859, une loi d’amnistie aurait pu abréger son exil anglo-normand. "Napoléon III a une qualité : il n’est pas rancunier et n’a pas peur du retour des opposants. Orgueilleux, Hugo préfère sculpter sa légende", constate notre historien. "S’il n’en reste qu’un, je serai celui-là", plastronne toutefois l’écrivain sur son rocher d’où il savoure le triomphe des Misérables (1862) et prévient : "Quand la liberté rentrera, je rentrerai."

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Il faudra la débâcle de 1870 et la chute de Napoléon III pour convaincre l’entêté. "Vous me payez en une heure vingt ans d’exil", déclare-t-il à la foule venue l’acclamer gare du Nord. Captif des Prussiens, l’empereur déchu prend bientôt le chemin inverse et mourra à Londres, honni puis oublié de tous, le 9 janvier 1873. "C’eût été un bonheur il y a trois ans. Ce n’est même plus un malheur aujourd’hui", soldera, cruel, Hugo. "Les obsèques extraordinaires auxquelles l’écrivain aura droit en 1885 semblent lui donner raison", constate Éric Anceau. "C’est lui qui est au Panthéon tandis que la sépulture de Napoléon III demeure en Angleterre. Victor Hugo a desservi l’empereur en alimentant sa légende noire. Mais l’Histoire tend désormais à rendre justice au bilan considérable et à la nature visionnaire de ce dernier qui a mis la France sur les rails de la modernité. Aujourd’hui, ils apparaissent comme deux géants de ce siècle extraordinaire."

L’empereur Napoléon III et le diktat de la dictée

Afin d’égayer les réceptions de son mari, l’impératrice Eugénie demande en 1857 à l’érudit Prosper Mérimée de concocter un texte truffé de difficultés orthographiques pour le soumettre oralement à la sagacité de leurs invités. Napoléon III bute sur 75 mots, son épouse sur 62 et Alexandre Dumas fils, pourtant calé, sur 24… Suprême humiliation, le concours est remporté par l’ambassadeur d’Autriche avec trois fautes. La dictée devient tant à la mode que l’empereur aurait demandé à son ministre de l’Instruction de faire plancher les écoliers sur cet exercice.

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Victor Hugo, le sauveur de Notre-Dame

Le triomphe de Notre-Dame de Paris en 1832 a attiré l’attention du public sur le triste état de la cathédrale, passablement délabrée depuis 1789. "Il est difficile de ne pas soupirer, de ne pas s’indigner devant des dégradations, des mutilations sans nombre que simultanément le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument, sans respect pour Charlemagne qui avait posé la première pierre, pour Philippe-Auguste qui en avait posé la dernière", écrit Hugo. En 1830, est nommé un inspecteur général des Monuments historiques. Et en 1844, un concours désigne le projet de réhabilitation de Roger Viollet-le-Duc et Jean-Baptiste Lassus.

Notre-Dame de Paris. ISTOCK
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Victor Hugo et Louis-Napoléon Bonaparte, deux amateurs de femmes

Victor Hugo et Louis-Napoléon Bonaparte ont en commun la "galanterie". Longtemps célibataire, l’empereur collectionna les maîtresses. Victor Hugo, polygame décomplexé, manifesta quant à lui un pathologique besoin de compter fredaine jusqu’au soir de sa vie. À leur tableau de chasse, figure une conquête commune : Alice Ozy (1820-1893), comédienne en vogue, que l’écrivain n’eut aucun scrupule à contester à son fils Charles qui en était éperdument amoureux.

Alice Ozy par Amaury-Duval, 1852. Amaury-Duval / Musée Carnavalet – Histoire de Paris

Les restos de l’empereur Napoléon III

On a pu qualifier Louis-Napoléon Bonaparte de socialiste pour son souci des plus démunis, notamment développé dans son ouvrage L’Extinction du paupérisme. Aussi, une fois empereur, il est à l’initiative des Fourneaux économiques, une organisation qui sert des millions de repas aux indigents des villes, où la misère fait rage. Une œuvre de charité qui n’est pas sans rappeler la Soupe populaire (1894) et les Restos du cœur (1985).

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Un adieu en grandes pompes funèbres

Dans un laconique et sobre testament, Hugo demande à être porté en terre dans le corbillard des pauvres, sans cérémonie religieuse. Des vœux honorés à la lettre mais pas dans l’esprit ! La République organise des funérailles XXL pour celui auquel elle a déjà dédié une avenue de son vivant, celle de son domicile, dans le 16e arrondissement de Paris. Catafalque géant sous l’Arc de Triomphe entouré de mâts portant des oriflammes, veillée funèbre par de jeunes poètes, procession suivie par deux millions de personnes jusqu’au Panthéon rendu au culte des grands Français pour l’occasion. On est loin de Johnny Hallyday et de ses 500 000 fans.

FONDS PHOTOGRAPHIQUE LÉON ET LÉVY/DR
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