Il revint � grands pas, gagna le boulevard ext�rieur, et le suivit jusqu�� la rue Boursault qu�il habitait. Sa maison, haute de six �tages, �tait peupl�e par vingt petits m�nages ouvriers et bourgeois, et il �prouva, en montant l�escalier, dont il �clairait avec des allumettes-bougies les marches sales o� tra�naient des bouts de papiers, des bouts de cigarettes, des �pluchures de cuisine, une �c�urante sensation de d�go�t et une h�te de sortir de l�, de loger comme les hommes riches, en des demeures propres, avec des tapis. Une odeur lourde de nourriture, de fosse d�aisances et d�humanit�, une odeur stagnante de crasse et de vieille muraille, qu�aucun courant d�air n�e�t pu chasser de ce logis, l�emplissait du haut en bas.
Duroy, qui se sentait le coeur gai, ce soir-l�, dit, en souriant : "Vous avez du noir, aujourd'hui, cher ma�tre."
Le po�te r�pondit : "J'en ai toujours, mon enfant, et vous en aurez autant que moi dans quelques ann�es. La vie est une c�te. Tant qu'on monte, on regarde le sommet, et on se sent heureux ; mais, lorsqu'on arrive en haut, on aper�oit tout d'un coup la descente, et la fin, qui est la mort. Ca va lentement quand on monte, mais �a va vite quand on descend. A votre �ge, on est joyeux. On esp�re tant de choses, qui n'arrivent jamais, d'ailleurs. Au mien, on n'attend plus rien ... que la mort."
Duroy se mit � rire : "Bigre, vous me donnez froid dans le dos."
Norbert de Varenne reprit : "Non, vous ne me comprenez pas aujourd'hui, mais vous vous rappelerez plus tard ce que je vous dit en ce moment. Il arrive un jour, voyez-vous, et il arrive de bonne heure pour beaucoup, o� c'est fini de rire, comme on dit, parce que derri�re tout ce qu'on regarde c'est la mort qu'on aper�oit. Oh ! vous ne comprenez m�me pas ce mot-l�, vous, la mort. A votre �ge, �a ne signifie rien. Au mien, il est terrible. Oui, on le comprend tout d'un coup, on ne sait pas pourquoi ni � propos de quoi, et alors tout change d'aspect, dans la vie. Moi, depuis quinze ans, je la sens qui me travaille comme si je portais en moi une b�te rongeuse. Je l'ai sentie peu � peu, mois par mois, heure par heure, me d�grader ainsi qu'une maison qui s'�croule. Elle m'a d�figur� si compl�tement que je ne me reconnais pas : Je n'ai plus rien de moi, de moi l'homme radieux, frais et fort, que j'�tais � trente ans. Je l'ai vue teindre en blanc mes cheveux noirs, et avec quelle lenteur savante et m�chante ! Elle m'a pris ma peau ferme, mes muscles, mes dents, tout mon corps de jadis, ne me laissant qu'une �me d�sesp�r�e qu'elle enl�vera bient�t aussi. Oui, elle m'a �miett�, la gueuse, elle a accompli doucement et terriblement la longue destruction de mon �tre, seconde par seconde. Et maintenant je me sens mourir en tout ce que je fais. Chaque pas m'approche d'elle, chaque mouvement, chaque souffle h�te son odieuse besogne. Respirer, dormir, boire, manger, travailler, r�ver, tout ce que nous faisons, c'est mourir. Vivre enfin, c'est mourir !
... Moi, maintenant, je la vois de si pr�s que j'ai souvent envie d'�tendre les bras pour la repousser. Elle couvre la terre et emplit l'espace. Je la d�couvre partout. Les petites b�tes �cras�es sur les routes, les feuilles qui tombent, le poil blanc aper�u dans la barbe d'un ami, me ravagent le coeur et me crient : "La voil� ! "
Elle me g�te tout ce que je fais, tout ce que je vois, ce que je mange et ce que je bois, tout ce que j'aime, les clairs de lune, les levers de soleil, la grande mer, les belles rivi�res, et l'air des soirs d'�t�, si doux � respirer ! "
Il allait doucement, un peu essouffl�, r�vant tout haut, oubliant presque qu'on l'�coutait.
Il reprit : "Et jamais un �tre ne revient, jamais ... On garde les moules des statues, les empreintes qui refont toujours des objets pareils ; mais mon corps, mon visage, mes pens�es, mes d�sirs ne repara�tront jamais. Et pourtant il na�tra des millions, des milliards d'�tres qui auront dans quelques centim�tres carr�s un nez, des yeux, un front, des joues et une bouche comme moi, et aussi une �me comme moi, sans que jamais je revienne, moi, sans que jamais m�me quelque chose de moi reconnaissable reparaisse dans ces cr�atures innombrables et diff�rentes, ind�finiment diff�rentes, bien que pareilles � peu pr�s.
A quoi se rattacher ? Vers qui jeter des cris de d�tresse ? A quoi pouvons-nous croire ?
Toutes les religions sont stupides, avec leur morale pu�rile et leurs promesses �go�stes, monstrueusement b�tes.
La mort seule est certaine."
Je suis comme vous d'ailleurs et j'aime beaucoup lire dans les �chos de Paris le d�c�s d'un acad�micien. Je me demande tout de suite : " Qui va le remplacer ? " Et je fais ma liste. C'est un jeu, un petit jeu tr�s gentil auquel on joue dans tous les salons parisiens � chaque tr�pas d'immortel...
Il riait en pensant � ce rendez-vous. � Les �glises lui sont bonnes � tous les usages, se disait-il. Elles la consolent d'avoir �pous� un juif, lui donnent une attitude de protestation dans le monde politique, une allure comme il faut dans le monde distingu�, et un abri pour ses rencontres galantes. Ce que c'est que l'habitude de se servir de la religion comme on se sert d'un en-tout-cas. S'il fait beau, c'est une canne, s'il fait du soleil, c'est une ombrelle, s'il pleut, c'est un parapluie, et, si on ne sort pas, on le laisse dans l'antichambre. Et elles sont des centaines comme �a, qui se fichent du bon Dieu comme d'une guigne, mais qui ne veulent pas qu'on en dise du mal et qui le prennent � l'occasion pour entremetteur. Si on leur proposait d'entrer dans un h�tel meubl�, elles trouveraient �a une infamie, et il leur semble tout simple de filer l'amour au pied des autels. �
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