Haïti : rencontre avec « Barbecue », le seigneur du chaos
Sa fausse bonhomie ne trompe personne. Car le père modèle est aussi le caïd le plus sanguinaire de l’ancienne « perle des Antilles ». Son surnom, Jimmy Chérizier le doit à la rumeur selon laquelle il brûlerait systématiquement le corps de ses ennemis. À la tête d’une armée du crime baptisée, macabre ironie, « Vivre ensemble », cet ex-flic contrôle plus de 80 % de la capitale haïtienne.
Il faut attendre sur des chaises en plastique, dans une ruelle poussiéreuse et sous une chaleur de plomb, devant une maison anonyme de Port-au-Prince, aussi défraîchie que toutes les autres. Jimmy Chérizier, surnommé « Barbecue », va bientôt nous recevoir. Une audience décrochée de haute lutte. On l’a vu l’avant-veille, au même endroit, en chef de guerre, torse nu devant ses hommes armés jusqu’aux dents. Il nous a congédiés. Ce n’était pas le moment. Les forces de police haïtiennes l’attaquaient depuis deux jours. Talkie-walkie en main et flingue à la ceinture, il organisait la défense. Qui est cet homme de tout juste 47 ans, ancien policier devenu gangster, qui a uni tous les gangs du pays autrefois en guerre, libéré près de 4 000 prisonniers et obtenu la démission du Premier ministre Ariel Henry ? Un criminel sans foi ni loi ? Le Che Guevara d’Haïti ? Les deux ? Rien de tout cela ?
Pour le retrouver dans les dédales de son quartier, à Delmas, il a fallu entrer clandestinement dans un pays en état de siège et dont les frontières et les aéroports sont fermés, allongés au fond d’une barque de pêcheur, puis traverser les montagnes haïtiennes à moto, découvrir le chaos du quartier de Martissant, en banlieue sud de Port-au-Prince, martyrisé par les combats entre les gangs et la police, aux rues inondées, couvertes d’immondices, aux murs constellés d’impacts, « Mad Max » en pire, puis s’approcher du centre-ville presque entièrement aux mains de coupe-jarrets. En chemin, on a rencontré un jeune chef de gang habillé aux couleurs de l’équipe de basket des Lakers de Los Angeles. Krèk Satan, « Le clitoris de Satan », 25 ans, autrefois ennemi de Barbecue, aujourd’hui son allié, avait le visage caché sous une cagoule jaune, de grands yeux tristes et un filet de voix mélancolique. Il règne sur un tas de ruines, comme tous les chefs de gang du pays, et nous a parlé dans sa maison du quartier de Mariani, déserté par la population après les combats de décembre. Dehors, un gamin de 14 ans aux ongles vernis de bleu se roulait un joint, son portable et un fusil posés sur les genoux.
Ce n’est pas ma vocation de tuer. Gangster, ce n’est pas un métier. J’ai même honte parfois
« Je ne suis pas né avec une arme, a dit Krèk Satan. Ce n’est pas ma vocation de tuer. Gangster, ce n’est pas un métier. J’ai même honte parfois, pour ma famille, mes parents. Mais j’ai pris les armes pour me défendre des riches, parce que je n’avais pas le choix. Les bourgeois ici paient des gangs pour récupérer des territoires pour leur business. Ils nous tuent au passage. Il fallait que je me défende. » Krèk Satan a arrêté l’école juste avant le bac, il a intégré une institution de protection de l’environnement. Puis a glissé dans la guérilla urbaine : « Si un jour cette guerre s’arrête, j’aimerais retourner à l’école. Ici, pour les jeunes il n’y a rien. Il n’y a plus de pays. » Krèk Satan est rappeur à ses heures. Ses vidéos sont regardées par des milliers de fans sur les réseaux sociaux : « C’est ma passion, la plus belle arme que j’ai jamais utilisée. C’est avec le rap que je me suis libéré, que j’ai pu m’exprimer. Dites-le en Europe : ce ne sont pas les gens qui ont des armes qui écrasent le pays. Ce sont les gens qui ont l’argent pour nous les acheter et nous les donner. Les gens de pouvoir. »
Après Mariani, en attendant Barbecue, nous nous sommes rendus à Delmas 18, devant un poste de police et une banque détruits quelques jours plus tôt par les hommes du désormais incontesté chef des gangs. Des combats se tenaient 300 mètres plus bas. Quelques balles sifflaient dans ce paysage urbain anéanti, fait de murs crevés, d’épaves de voitures entassées les unes sur les autres, de débris de toutes sortes. Un fémur et un bassin humains, nettoyés par les chiens errants, gisaient sur le sol. On a croisé Jolène Louis tout habillée de blanc avec ses deux amies. Son père venait de mourir et elles se rendaient à son enterrement, des anges incongrus dans les décombres : « C’est la guerre. J’ai du mal à trouver de la nourriture pour mes enfants », a-t-elle soufflé, alors qu’au loin un blindé de police tirait régulièrement sur des ombres insaisissables.
70 % des médecins ont fui à l’étranger. Ceux qui restent sont des héros.
Plus près des tirs, Junior, un très vieux cireur de chaussures, claudiquait au milieu du cauchemar avec sa boîte en bois pleine de brosses tandis qu’une entêtante odeur de cadavre empuantissait l’atmosphère : « Je voulais descendre plus bas, mais c’est trop dangereux là-bas. Il n’y a plus personne de toute façon. Plus de chaussures à cirer. » Dans les murs vert pomme de l’hôpital central de Port-au-Prince, abandonné à cause de l’insécurité, on a encore croisé cinq fantômes, parmi lesquels Bob Anténor, 34 ans, et son pied gonflé, énorme, à peine recouvert de pansements. D’une voix douce et dans une langue élégante, il a expliqué son errance : « J’ai une blessure mystique et ma famille m’a abandonné. Je n’ai pas vu de médecin depuis au moins un mois. Je me fais mes pansements tout seul. J’ai des calmants, mais pas assez. Il n’y a plus de médicaments. »
Kidnappé le 11 janvier dernier et séquestré pendant deux jours, sans dormir, sans nourriture, libéré contre caution, Berthony François, gynécologue, directeur de la clinique Elohim, où les lits sont vides faute de patients qui osent braver les risques pour venir, a confirmé la crise à venir : « 70 % des médecins ont fui à l’étranger. Ceux qui restent sont des héros. Ma mère, ma famille vivent ici, je ne vais pas partir. Une crise majeure s’annonce. Il n’y a plus d’oxygène, pas de carburant, pas d’électricité. On a encore deux ou trois semaines de réserve. On manque de sérum, de soluté, d’antidouleur, de gaz. Il faut s’asseoir autour d’une table. S’il faut éliminer tous les membres des gangs pour avoir la paix, il va falloir tuer beaucoup de monde. Nombre d’entre eux sont des enfants. Ce sont des gamins de moins de 20 ans qui m’ont kidnappé. »
Dans les hauteurs de la ville, on a encore suivi des policiers surarmés en train de pourchasser un gang qui semait le chaos : « On mourra les armes à la main, on n’abandonnera jamais », a affirmé un commissaire remonté. Dans le quartier Sylvio-Cator, des citoyens ont organisé leur propre défense en installant une barrière à l’entrée de la rue. On appelle le mouvement les « Bwa Kale ». Pierre Alfred, 37 ans, est le responsable : « Il y avait beaucoup de kidnappings, on a d’abord mis un conteneur, mais ça bloquait complètement la circulation. S’il y avait une urgence médicale, ce n’était pas bon. Tout le quartier s’est cotisé pour installer cette barrière. Moi, je suis propriétaire d’un petit lavomatique. Tout le monde dort avec ses chaussures ici. Tout Haïtien peut mourir à n’importe quelle minute. »
Dans la ruelle où nous attendons, sur nos chaises en plastique, un 4 x 4 blanc sans plaque d’immatriculation se gare. Voilà enfin Barbecue. L’homme qui a fait tomber le Premier ministre grogne, accepte cinq questions, pas de photos, puis s’adoucit peu à peu en déroulant un laïus millimétré. « Je dors deux ou trois heures par jour », révèle-t-il pour expliquer sa fatigue. Il caresse son chien puis se lance : « Pour nous, ce qui compte, c’est d’avoir un pays où la richesse est partagée entre tous. La prochaine étape, c’est de trouver les politiciens, les ministres et de les emmener devant les tribunaux. » Il refuse toutes les tentatives de la Communauté caribéenne, des États-Unis, du Canada ou de la France de trouver une solution de transition : « Ils veulent mettre Haïti sous tutelle. Je dis non. C’est Haïti qui doit décider. On n’acceptera aucune ingérence extérieure. Si les soldats du Kenya viennent ici, on les considérera comme des envahisseurs. »
Barbecue est habitué aux médias et sait revêtir la cape du révolutionnaire.
Veut-il prendre le pouvoir, lui qui lance chaque jour, ou presque, ses hommes à l’assaut du palais national ? « En ce moment, ce qui m’intéresse, ce n’est pas le pouvoir, mais c’est de gommer ce système en place, donner de la nourriture aux pauvres, la sécurité, les écoles gratuites, arrêter les kidnappings, faire revenir les touristes. On peut vivre ensemble, être fiers de notre pays. Avec ces gens au pouvoir, ce n’est pas possible. Ce sont des corrompus, des voleurs. Tant qu’on n’a pas détruit ce pouvoir, on n’arrivera à rien. N’importe quelle personne dans le système actuel échouera à cause de la corruption. »
Barbecue est habitué aux médias et sait revêtir la cape du révolutionnaire. Il répond du tac au tac, en créole, même s’il parle parfaitement français. Pourquoi la police continue-t-elle de se battre alors que l’État s’est effondré ? « Les oligarques utilisent les derniers volontaires pour tirer sur le peuple, ils ont promis de l’argent, des privilèges, de faux espoirs, ce sont des mercenaires qui font de la résistance. Ce n’est pas contre moi qu’ils se battent, mais contre le peuple. Un peuple affamé, sans écoles, sans sécurité, sans eau, sans électricité, épuisé. C’est assez ! Ils résistent, mais ils ne pourront pas tenir. C’est la police contre un peuple révolté. Plus que jamais nous sommes déterminés à achever cette révolution. »
On va détruire les quelques familles riches du pays pour sortir de ce système.
Il caresse son chien, prend dans ses bras sa fille adoptive qu’il a prénommée Chance – il a payé sa mère mourante 10 euros pour la garder et la soigner –, traverse le quartier avec ses hommes vers la ligne de front, inspecte la position d’un blindé de la police. En chemin, il raconte comment il a obtenu l’union des gangs en créant un groupe sur WhatsApp : « Voir tous les groupes armés ensemble pour trouver une solution est très important pour moi. Les armes des quartiers populaires, ce n’est pas nous qui sommes allés les chercher. Ce sont les bourgeois qui nous ont armés. On a été utilisé pour déstabiliser le gouvernement ou l’opposition politique, pour empêcher une compétition dans un business. Maintenant, on se libère. On est sortis des griffes des colons français en 1804, on est devenus un pays indépendant. On va détruire les quelques familles riches du pays pour sortir de ce système. »
Barbecue se présente presque en Frankenstein qui échappe à son créateur. Le massacre de 71 personnes en 2018 dans le quartier de la Saline et dont l’Onu et les États-Unis l’accusent, sanctions à la clé ? Une invention pour lui nuire. Son surnom Barbecue ? Ce n’est pas qu’il brûle ses victimes et leur maison, c’est que sa mère vendait des poulets grillés. « Mon rêve, ça a toujours été de réunir les groupes armés, ça a pris beaucoup de temps, mais aujourd’hui, on a des résultats, ça s’appelle “Vivre ensemble” ; on se parle entre nous, car ce n’est pas nous le vrai ennemi. J’ai commis des horreurs. Les autres aussi. Pourquoi on ne pouvait pas être ensemble ? S’asseoir ensemble ? Le peuple souffre, on doit trouver une solution. On arrête la guerre des gangs. Même si on a beaucoup d’argent, on est coincés chez nous. Le pays tombe en ruine, en faillite. Si tu arrives dans n’importe quel endroit, tu as honte de dire que tu es haïtien. C’est une prise de conscience. »
Quand on lui demande qui il est vraiment, Barbecue déroule d’un ton monocorde sa biographie à la manière d’une fiche Wikipédia : « Nom : Chérizier. Prénom : Jimmy. Naît le 30 mars 1977 à Port-au-Prince, à l’hôpital général. Fait ses études primaires à l’école nationale du Mexique, puis entre au lycée Alexandre-Pétion et passe le bac au lycée Firmin. » Il omet de dire qu’il est né dans une famille de huit enfants et qu’il a perdu son père à l’âge de 8 ans. Il entre à l’École supérieure d’infotronique, section administration, abandonne ses études pour l’académie de police. Le 19 décembre 2004, il intègre la police nationale d’Haïti. Le 26 août, la même année, il se marie avec son amour de jeunesse. Il a une fille, aujourd’hui âgée de 18 ans et qu’il ne voit plus, pour sa sécurité : « On a essayé de l’enlever deux fois et on a essayé de me tuer une dizaine de fois. On a même tenté de m’empoisonner. »
Barbecue parle d’une voix calme, mais l’on peut percevoir la violence et l’agressivité dont il peut être capable
Il est initié en franc-maçonnerie le 5 décembre 2004. Il commence alors à travailler au commissariat de Delmas 33. En mars 2006, il entre à l’Udmo, une unité spéciale. Participe à des formations avec les polices canadienne, française et américaine. « J’ai encore les certificats. J’ai été formé au maintien de l’ordre, à la pénétration, au combat en milieu urbain. » En 2018, accusé d’avoir participé au massacre de la Saline, il quitte l’uniforme et prend les armes plutôt que d’aller en prison : « Je ne suis pas un saint, mais l’image qu’on vend de moi, que je suis un assassin, c’est faux. Quand on ose dénoncer les oligarques qui détiennent 95 % des richesses du pays, un système corrompu, un système qui pue, on dit que tu es un tueur. Ils ont payé pour détruire ma réputation sur les réseaux sociaux. »
Barbecue parle d’une voix calme, mais l’on peut percevoir la violence et l’agressivité dont il peut être capable, avant de retrouver le contrôle presque instantanément : « J’ai une vie simple, comme tout le monde, j’aime le football, j’ai des amis, j’aime parler avec eux, j’aime les blagues, je n’aime pas la solitude, je me sens mieux avec des gens autour de moi, je suis triste de cette image qui me colle à la peau. La situation m’a obligé à divorcer, mais je suis resté attaché à la mère de mon enfant, on se parle toujours, elle a donné à sa fille une très bonne éducation. Je suis là. Je veux que tout le monde m’entende. Je ne suis pas l’homme qu’ils décrivent. Je ne tue pas des gens pour le plaisir. Je me défends. Si on arrête les gangs, il faut arrêter les gens qui nous ont donné des armes, Ceux qui nous ont utilisés et ont volé l’argent du PetroCaribe. Soit la justice pour tout le monde, soit pour personne. Soit Haïti paradis pour tous, sinon, l’enfer pour tous. Maintenant tout le monde doit participer à la nouvelle Haïti. On doit se réconcilier, avec notre conscience. On est coupables. On doit recommencer de zéro. Il faut avancer. Oublier et recommencer. »
L’entretien s’achève. Il a duré deux heures. Barbecue dit qu’un bon chef doit être attentif à ses subalternes, savoir se rendre disponible, « c’est un dialogue permanent » ; il s’occupe des familles du quartier, paie pour l’école de l’un, la santé de l’autre. « Être à l’écoute, l’harmonie, c’est ce qui compte, on n’est pas seulement un groupe armé, on est une famille. » Il avoue que c’est épuisant et l’on dirait presque un cours de management mélancolique en entreprise dispensé par le Parrain joué par Marlon Brando dans le film de Coppola, dans une version haïtienne. Avant de partir, il montre le tatouage sur son bras, un fusil d’assaut israélien Galil Ace 22, son arme préférée, avec un sourire carnassier. Barbecue n’est pas un chef d’entreprise comme les autres.
Le soir de notre rencontre, les gangs unis ont organisé une manifestation au cœur de Port-au-Prince. Entre 300 et 500 personnes masquées, portant un tee-shirt floqué du slogan « Viv Ansanm », (Vivre ensemble), beaucoup équipées d’armes de guerre, ont défilé dans les rues, au son de la musique vaudoue des Rara. Dans un buggy, entouré de ses hommes, Barbecue a mené la danse : « C’est le peuple qui est dans la rue », a-t-il crié.
Dans un quartier riche jusque-là épargné par le conflit, quatorze personnes ont été assassinées en fin de soirée
Jimmy Chérizier veut se débarrasser des oligarques, mais qui sont les premières victimes du chaos qu’il organise ? « Robin des bois s’en prenait aux riches et donnait aux pauvres, mais la principale victime des gangs sont les pauvres, des gens de la même classe qu’eux », remarque un intellectuel haïtien qui préfère garder l’anonymat. Des petites gens, gamins enrôlés de force dans les gangs, vendeurs à la criée victimes de balles perdues, pauvres types suspectés par une foule devenue parano par nécessité, brûlés sans procès et sans que l’on sache de quoi ils sont coupables, petites vieilles ou bambins tiraillés par la faim. Le 16 mars, à Pétion-Ville, quartier riche jusque-là épargné par le conflit, quatorze personnes ont été assassinées en fin de soirée : un massacre. Une femme qui dormait sous un porche, un SDF fauché, lui aussi, dans son sommeil, deux adolescents jouant aux cartes, un mécanicien qui vendait du mauvais rhum pour se faire un peu de beurre, un laveur de pare-brise surnommé Ti Blanc, père de quatre enfants, et dont la femme hurlait de douleur au petit matin devant le corps de son époux et la foule sidérée : « Je peux pas supporter, c’était mon mari, il lavait les voitures pour nourrir nos enfants, il n’a rien fait de mal. Doudou, chéri, je peux pas supporter ma douleur ! »
Des petites gens comme Jean Daniel Pierre, rencontré au Gymnasium Vincent, qui accueille plus de 1 500 personnes ayant perdu leur maison, la plupart du temps brûlée par les groupes armés. Jean Daniel a perdu son fils de 21 ans, en quatrième année de médecine fauché par une balle : « J’ai construit trois maisons, j’ai perdu les trois. Les bandits ont tout brûlé, tout pris. Mon fils est mort. On attend. Qu’est-ce qu’il va nous arriver ? » Ou Barbara Petithomme, 23 ans et ses deux fils de 1 an et 3 ans, qui ne mangent qu’une fois par jour, comme la plupart des déplacés et qui a cette phrase étrange : « Je n’ai plus d’espoir, mais je suis vivante. »
La liste des gens tués ou blessés en Haïti est longue. Plus de 806, seulement pour le mois de janvier. Celle de ceux qui meurent de faim est interminable : selon le Programme alimentaire mondial, 4,97 millions de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë. Plus de 360 000 ont été déplacées depuis le début de l’année, affectées par la violence, et se battent pour avoir accès à un minimum de nourriture. Les prix du carburant et des denrées de première nécessité ne cessent d’augmenter. Entre août 2023 et février 2024, le coût d’un panier alimentaire a augmenté de 22 %, rendant la nourriture inaccessible pour des millions d’Haïtiens. Ils sont contraints de recourir à des stratégies désespérées pour survivre. Ce sont eux les héros du pays, ces gens qui continuent d’oser respirer, sortir, qui savent que tout peut s’arrêter à chaque instant, une balle perdue, une mauvaise rencontre, quand les rafales des fusils d’assaut déchirent les rares instants de quiétude du centre-ville et qui tentent de vivre, crânement, même si la mort les attend partout.