Sommet de la Francophonie le 19 novembre 2022, dans l'île tunisienne de Djerba, avec, notamment, la secrétaire générale de l'OIF Louise Mushikiwabo (première rangée-2e à gauche), le président tunisien Kais Saied (C), le président français Emmanuel Macron (2e d), le président ivoirien Alassane Dramane Ouattara (D), le Premier ministre canadien Justin Trudeau (2e rangée-C), le président du Conseil européen Charles Michel (2e rangée-2e d)

Les dirigeants réunis lors du sommet de la Francophonie le 19 novembre 2022.

afp.com/FETHI BELAID

Pendant les quatre prochaines semaines, le monde tournera autour du Qatar. Si l'organisation de la Coupe du monde par Doha a suscité de nombreuses controverses, elle a aussi permis de mettre en évidence une notion centrale de la politique qatarie : le soft power. Un demi-siècle après son indépendance, le Qatar récolte les fruits d'un patient travail pour faire naître et développer son influence à l'extérieur de ses frontières. Un tel dynamisme a pu surprendre voire inquiéter en France. Il est vrai que nos dirigeants ont longtemps préféré se reposer sur les acquis de l'Histoire plutôt que de mettre en oeuvre des politiques volontaristes.

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La tenue du XVIIIe sommet de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) les 19 et 20 novembre à Djerba, en Tunisie, nous offre l'occasion de tirer les conclusions de notre inaction... Bien que la francophonie rassemble près de 320 millions de locuteurs, le silence médiatique autour de l'évènement est assourdissant. A vrai dire, la francophonie n'intéresse tout au plus qu'une fois dans l'année, lors de la Journée internationale qui lui est dédiée le 20 mars. L'occasion alors de se satisfaire d'un état de fait en oubliant trop rapidement que la majorité des francophones sont en réalité plurilingues et que l'usage du français est, pour eux, un choix parmi d'autres.

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D'ailleurs, en Afrique francophone, l'avenir s'écrit d'ores et déjà en anglais... Le Togo et le Gabon ont rejoint le Commonwealth ; les investissements chinois en République démocratique du Congo se multiplient et l'anglais des affaires avec. En dehors de l'OIF, l'Algérie mise désormais sur l'apprentissage de l'anglais dès l'école primaire. "Les frontières de ma langue sont les frontières de mon monde", écrivait le philosophe Ludwig Wittgenstein. Force est de constater que ce monde que nous avons en partage se réduit considérablement. C'est une tournure particulièrement inquiétante. Et si l'OIF prévoit 600 millions de locuteurs francophones sur le continent africain d'ici à 2050, ces projections en trompe-l'oeil, dues en grande partie à des variables démographiques, ne doivent pas nous empêcher de voir la vérité en face.

La richesse de la francophonie : ses cultures

Ce constat a été partagé par Emmanuel Macron qui, dès le premier jour du Sommet, a promis la "résistance" et la "reconquête" de la langue française dans l'espace francophone. Alors que le président de la République n'avait pas jugé utile de nommer un secrétaire d'Etat en charge de la Francophonie entre 2017 et 2020, cette prise de conscience est salutaire. Dans les prochains mois, elle se concrétisera : il inaugurera la Cité internationale de la langue française dans le château de Villers-Cotterêts. Château de la "renaissance" ou dernier bastion du français, le qualificatif que revêtira l'édifice dans notre imaginaire dépendra en réalité des actions concrètes qui accompagneront la promesse présidentielle.

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L'Elysée a déjà annoncé la signature d'un accord pour renforcer l'enseignement du français en Tunisie. C'est une bonne nouvelle mais inutile de dire que, compte tenu des évolutions démographiques africaines, il est urgent de multiplier ce genre d'initiatives avec nos partenaires francophones si l'on veut pérenniser l'apprentissage du français. Qui plus est, de telles mesures doivent impérativement se conjuguer avec des politiques qui encourageront son usage au quotidien. Pour faire en sorte que le français ne se limite à l'enceinte des salles de classe, appuyons-nous sur ce qui fait la richesse de la francophonie : ses cultures. Et sur ce sujet, il est grand temps d'allier la parole aux actes. Car déjà en 2014 Jacques Attali proposait au président Hollande d'accompagner la construction de salles de cinéma en Afrique de l'Ouest en contrepartie de la programmation d'un quota de films francophones.

S'agissant de la littérature, l'attribution en 2021 des prix Renaudot et Goncourt respectivement à une Belge et à un Sénégalais a mis en lumière la francophonie. Pourtant, les principales maisons d'édition francophones se trouvent à Paris. Encourageons leur développement sur tous les continents afin que les auteurs francophones puissent être bien édités, et le français diffusé, sans qu'ils aient besoin de faire un passage obligé par Paris. Dans une francophonie laissée trop longtemps en jachère par ses prédécesseurs, les chantiers ne manquent pas pour le chef de l'Etat. A lui désormais de trouver la traduction française de l'expression soft power.

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