Wikipédia, la plus grande encyclopédie en ligne

Wikipédia est classé parmi les sites Web les plus consultés au monde. Les clés de son succès ? Son caractère collaboratif, multilingue et gratuit. Créée en 2001 par Jimmy Wales,  le nom « Wikipédia » provient du mot « encyclopédie » combiné avec le mot wiki. Wiki est dérivé de l’hawaïen « wikiwiki » qui signifie rapide. Dans le mot Wikipédia, wiki désigne un site web collaboratif où chaque internaute visiteur peut donc participer à la rédaction du contenu. L’idée derrière Wikipédia est celle de l’intelligence collective : le savoir et les pouvoirs y sont décentralisés et les individus deviennent des créateurs autonomes de contenus en interagissant mutuellement et continuellement à propos de tout. Cette activité renforce ainsi l’image de l’Homo Communicans, cet « être communiquant », terme créé en 1942 par Norbert Wiener et repris par Philippe Breton dans son ouvrage L’utopie de la communication.

Qui sont les auteurs et utilisateurs de Wikipédia ?
Pour ses défenseurs, Wikipédia a ôté le pouvoir de diffusion du savoir des mains d’une élite de spécialistes pour le remettre à un public plus large. La diffusion du savoir ne serait plus le fait d’une élite archaïque, de spécialistes qui jusque là choisissaient ce que le « peuple » devait apprendre et ce qui ne méritait pas qu’on s’y attarde. En effet, sur l’encyclopédie Wikipédia, rien ne nous indique si les contributeurs sont experts ou non en la matière. La qualité de l’information peut varier d’un article à l’autre. Selon David Monniaux, ex représentant de Wikimédia France,

« il est évident que pour certains sujets comme les mathématiques, les contributeurs sont des spécialistes du domaine ou des personnes ayant fait des études assez poussées dans le domaine ».

Des statistiques faites sur Wikipédia montrent que le niveau d’études de ses rédacteurs est  largement supérieur (doctorats) à celui de la population moyenne. Les contributeurs de Wikipédia font donc partie d’une majorité très éduquée. Wikipédia nous propose une page expliquant comment obtenir la liste des auteurs d’un article ou comment les contacter.

L’utilisation de Wikipédia est quant à elle inégale de par le monde en raison de connexions Internet difficiles dans certains pays, ou en raison d’accès règlementés (Turquie) ou interdits (Corée du Nord, Iran). Une majorité de ses utilisateurs vient d’Amérique du Nord, d’Europe et du Japon. Wikipédia présente donc un enjeu politique important. L’évolution du nombre de pages Wikipédia dans chaque langue depuis la création du site en 2001 illustre bien l’enjeu de l’accessibilité : la croissance des pages en anglais est spectaculaire (aujourd’hui 4 675 000)  alors que le nombre de pages dans les autres langues reste largement sous la barre des 2 millions. La capacité à comprendre l’anglais semble donc un critère déterminant pour l’accès au contenu de Wikipédia. Si la langue peut, pour certains sujets, être une barrière à la connaissance, Wikipédia présente d’autres avantages.

Avantages de Wikipédia
Les avantages de Wikipédia sont nombreux  et connus :

  • La contribution à l’encyclopédie est simple ;
  • Wikipédia est une encyclopédie universelle, multilingue et gratuite ;
  • L’information peut être mise à jour à tout moment, contrairement aux encyclopédies papier où il faut attendre les nouvelles éditions pour obtenir les informations corrigées et à jour ;
  • Lorsque l’on est inscrit sur Wikipédia et que l’on y contribue considérablement, on peut se voir attribuer différents statuts tel que le statut d’arbitre, chargé de gérer les conflits entre les contributeurs ; celui d’administrateur (ou sysop – system operator), qui peut (dé)bloquer des pages, des utilisateurs, ou des images en cas d’utilisation injustifiée ; ou encore le statut de patrouilleur de modifications récentes qui sont chargés de lutter contre le vandalisme. Ces différents statuts permettent un bon fonctionnement de l’encyclopédie Wikipédia et en limitent les abus ;
  • Un historique des documents est disponible, ce qui permet de mieux surveiller chaque modification et de valider ou non les ajouts. Ainsi, la neutralité des informations peut être garantie au mieux.

 En revanche,  si la simplicité, la gratuité et l’universalité de Wikipédia sont souvent prônés, peu d’entre nous connaissent les avis des détracteurs de cette encyclopédie. Je vous propose, à travers ce qui suit, d’en faire un bref panorama.

Détracteurs de Wikipédia
Chaque page de Wikipédia comporte d’innombrables liens qui créent une nouvelle façon d’appréhender le savoir. Sans une qualité de discernement, nous pouvons facilement être assomés par l’énorme quantité d’information disponible. L’auteur Andrew Keen nous dit en 2008 :

« My biggest problem with Wikipedia, is it doesn’t create a hierarchy of knowledge. There is no one at the heart of Wikipedia – and maybe Jimmy [Wales] should be that person – saying that the entry on Pamela Anderson should be shorter or longer than that on Hannah Arendt. Ultimately, for those people who go to Wikipedia who have no media literacy, who lack the scepticism, the education which we all have, I am fearful that in this open-source free-knowledge universe, we are going to be educating people who are not able to evaluate not so much the accuracy of information but the importance of information. » :  « Mon plus grand problème avec Wikipédia, c’est qu’il ne crée pas de hiérarchie des savoirs. Il n’y a personne au cœur de Wikipédia – et peut-être que Jimmy [Wales] devrait être cette personne – pour nous dire si l’article sur Pamela Anderson devrait être plus court ou plus long que celui sur Hannah Arendt.  En fin de compte, je crains que dans ce monde open source de libre information, nous n’éduquions des personnes qui n’ont pas notre culture numérique, notre scepticisme ou notre éducation et qui ne seront pas capables d’évaluer non pas tant l’exactitude des informations mais l’importance de celles-ci. »

D’autres détracteurs de Wikipédia sont gênés par le fait que cette encyclopédie se présente comme un ensemble de textes sans auteurs. Nous l’avons évoqué précédemment, n’importe qui peut contribuer à Wikipédia, et si différents statuts sont attribués aux rédacteurs du site, le statut d’auteur n’existe pas. Pour certains intellectuels, ceci est une aberration puisque, si Wikipédia est considérée comme une œuvre de l’esprit, il ne peut exister d’œuvre de l’esprit sans auteur. Serge Pouts-Lajus, éditeur et chercheur au sein de l’observatoire des technologies pour l’éducation en Europe, nous indique, dans son article Wikipédia, une encyclopédie sans auteurs ?

« [qu’en] réalité, Wikipédia a bien des auteurs : ce sont toutes les personnes qui contribuent à sa construction en écrivant des articles, en les modifiant ou en participant au processus de régulation qui est un processus d’édition. Mais les règles de rédaction instituées dans Wikipédia mettent ses auteurs et ses éditeurs en position de ne pas assumer eux-mêmes la responsabilité des contenus qu’ils mettent en ligne. Ils ne peuvent revendiquer, en leur nom, aucun droit ni aucun devoir sur l’œuvre dans son ensemble ou sur l’une de ses parties. Ils sont donc de faux auteurs et de faux éditeurs et c’est cette ambivalence qui me conduit à assimiler les textes de Wikipédia à des textes anonymes. »

En effet, cette ambivalence peut générer un certain nombre de complications, notamment lorsque Wikipédia, est mis entre de mauvaises mains… Prenons un exemple : en 2009, Anh ?ào Traxel, « fille de cœur » recueillie par Jacques et Bernadette Chirac à l’âge de 21 ans, a été victime de fausses informations publiées par un auteur anonyme sur sa page Wikipédia. Après avoir été retrouvé, l’auteur, récidiviste, a été condamné à 2 mois d’emprisonnement avec sursis. Wikipédia, quant à elle, n’a pas été entendue par la justice dans cette affaire. Pouquoi cela ? Yassine Bouzrou, avocat, nous explique en quoi Wikipédia diffère de la presse :

« La différence avec la presse c’est que lorsqu’un article de presse est diffamatoire, non seulement la personne qui a écrit l’article pourra être poursuivie mais le directeur de publication du journal en question sera également poursuivit. On estime qu’à partir du moment où on accepte de publier un élément diffamatoire, on doit rendre des comptes à la justice. Wikipédia, c’est totalement différent : Wikipédia est totalement irresponsable de ce que les gens pourront écrire sur leur page, donc ça pose un problème. »

En France, Wikipédia est difficilement attaquable puisque c’est une communauté de contributeurs sans dirigeant…

Parmi les « wiki-sceptiques » on compte également le chercheur en histoire contemporaine Jean-François Sirinelli. Il pose un regard critique sur l’encyclopédie, l’accusant de manquer de l’essentiel : la réflexion. Selon lui, on trouve sur Wikipédia des informations factuelles de bonne qualité, mais aucune proposition de réflexion. Certains professeurs ont même tenté des expériences : glisser des erreurs sur des pages Wikipédia afin de mesurer le nombre d’élèves utilisant l’information erronée. Cela a été le cas 2010, au lycée Chaptal de Paris, lorsque le professeur de lettre Loys Bonod glisse une erreur dans la page d’un poète. Le résultat ? 2/3 des élèves d’une de ses classes ont repris l’erreur dans leur devoir.

Enfin, Wikimedia (nom qui regroupe différents projets de la Wikimedia Foundation dont Wikipédia) publie le 26 octobre 2011 sur son blog (http://goo.gl/tyCZLE), un graphique répondant à la question « What is the main reason you choose Wikipedia over other sources of online information? » :  « Quelle est la raison principale pour laquelle vous choisissez Wikipédia plutôt que d’autres sources d’informations en ligne ? ». Parmi les deux propositions de réponse suivantes : « Wikipédia est en haut des résultats », et « Je fais confiance à Wikipédia », c’est la première qui est en tête… Si Wikipédia n’était pas aussi bien placé par les algorithmes de recherche de Google, aurait-il réellement autant de succès ? Les internautes iraient-ils tout de même chercher l’information dans cette encyclopédie même, ou la choisissent-elle uniquement par défaut ? Les étudiants varierez-t-ils davantage leurs sources ?

Finalement, ces exemples ainsi que les visions des « wiki-sceptiques » mettent en garde les lecteurs de Wikipédia afin qu’ils utilisent et cultivent leur esprit critique pour être capable de penser par eux-mêmes et trier l’information. Wikipédia donne ainsi une nouvelle responsabilité au lecteur.  Le dernier point que nous allons aborder est celui des enjeux cognitifs liés à Wikipédia. Cette encyclopédie, comme tout support en fonction d’un contexte donné, possède des avantages et des inconvénients au niveau de son utilisation « pratique ». Qu’en est-il au niveau de son utilisation intellectuelle ?

Enjeux cognitifs
La classification sur Wikipédia est bien différente de celle des anciennes encyclopédies (Britannica, World Book Encyclopedia), où les savoirs sont classés par ordre alphabétique ou par thématique. Wikipédia, grâce aux hyperliens présents sur chacune de ses pages, est un système de réseaux et de liens sans centre fixe, qui relie tous les articles entre eux. Ainsi, l’organisation de Wikipédia est bien plus proche de celle du cerveau humain où les informations ne sont pas hiérarchisées mais reliées les unes aux autres.

Dans une encyclopédie traditionnelle, le lecteur est habitué à voir tous les sujets organisés par ordre alphabétique, sans interconnexion. Il sait donc à quelle page se référer pour obtenir directement une information. Lors d’une recherche sur Wikipédia en revanche, l’internaute balaie un panel d’informations plus large grâce aux hyperliens disponibles. Certains penseurs et scientifiques estiment que cette quantité d’informations a des implications directes sur le fonctionnement du cerveau. Nicholas Carr, écrivain américain, dans son ouvrage Is Google making us stupid?, nous dit :

«we can expect that the circuits woven by our use of the Internet will be different from those woven by our reading of books and other printed works.” : « On peut s’attendre à ce que les circuits créés par notre utilisation d’Internet soient différents de ceux créés par notre lecture de livres ».  

En effet, ce phénomène s’appelle la neuroplasticité : notre cerveau est capable de se « transformer » pour s’adapter à des situations nouvelles. Lorsque nous lisons une encyclopédie, notre cerveau se concentre sur un article en particulier et le lit attentivement. Sur Wikipédia en revanche, la lecture est beaucoup plus rapide, souvent en diagonale, nous scannons l’article en quête d’informations clés et nous cliquons rapidement sur un  autre lien…favorisant la sérendipité ! Lire sur Wikipédia activerait donc de nouvelles zones du cerveau. Un cerveau qui, à force de s’exercer, deviendrait de plus en plus apte à utiliser cette nouvelle source d’information. Le neuroscientifique Gary Small l’affirme :

« The brain is very specialized in its circuity and if you repeat mental tasks over and over it will strengthen certain neural circuits and ignore others. » , « Si on répète les mêmes tâches mentales d’innombrables fois, alors cela aura pour effet de renforcer les circuits de certains neurones et d’ignorer ceux qui ne sont pas utilisés ».

De plus, selon des études menées au University College de Londres, le cerveau serait davantage stimulé par la recherche d’informations sur le Web plutôt que par la lecture d’un livre.

Finalement, notre cerveau ne serait-il pas plus adapté à l’utilisation de Wikipédia, plutôt qu’à celle d’une encyclopédie normale… ?

Sources et prolongements
L’Homo Communicans, Jacques Mousseau

Wikipédia, une encyclopédie sans auteurs ? 

Rapport d’activité 2013-2014 de Wikimedia 

Blog de Wikimedia

Article New York Times : Keeping News of Kidnapping Off Wikipedia

Vidéos
Wikipédia, pourquoi ?

Wikipe?dia, enjeux politiques et cognitifs

Faut-il croire Wikipédia ? (reportage d’Envoyé Spécial) :

Partie 1 http://goo.gl/T6zGR5

Partie 2 http://goo.gl/c2Iajp

Jimmy Wales and Andrew Keen Debate Web 2.0

 
http://credit-n.ru/zaymyi-next.html

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *