Lilian Thuram : « On ne naît pas raciste, on le devient »
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Lilian Thuram : « On ne naît pas raciste, on le devient »

L'ancien joueur des Bleus était à Rennes pour parler du vivre ensemble. Il est devenu une figure incontournable du combat anti-raciste.

Lilian Thuram, à Paris, le 17 janvier 2018.
Lilian Thuram, à Paris, le 17 janvier 2018. | DANIEL FOURAY / OUEST-FRANCE
  • Lilian Thuram, à Paris, le 17 janvier 2018.
    Lilian Thuram, à Paris, le 17 janvier 2018. | DANIEL FOURAY / OUEST-FRANCE
  • Lilian Thuram, à Rennes, aux Assises de la citoyenneté, le 19 janvier 2018 : "Il faut être libre pour avoir l'audace de dire non"
    Lilian Thuram, à Rennes, aux Assises de la citoyenneté, le 19 janvier 2018 : "Il faut être libre pour avoir l'audace de dire non" | PHILIPPE RENAULT / OUEST-FRANCE

Lilian Thuram, ex-star du foot, qui a participé, ce week-end, aux Assises nationales de la citoyenneté, à Rennes, pense que seule l'éducation peut déconstruire les mécanismes de domination. Entretien.

Pourquoi avoir créé une fondation contre le racisme, il y a dix ans ?

J'étais joueur de foot à Barcelone. Et lors d'un dîner au consulat de France, un monsieur d'un certain âge, amusé, me demande: « Que ferez-vous lorsque vous serez plus grand ? » Je lui ai donné une réponse de gamin: « Je vais changer le monde ! J'irai dans les écoles pour expliquer que le racisme n'est pas quelque chose de naturel mais un conditionnement culturel. » Il y a une histoire extrêmement profonde du racisme, comme il y a une histoire extrêmement profonde du sexisme.

Vous dites que le racisme est une construction intellectuelle, politique et économique...

Oui. On ne naît pas raciste, on le devient. Parlons du racisme lié à la couleur de la peau. Il faut comprendre comment la rencontre entre les peuples s'est faite. D'abord pacifiquement. Puis, plus violemment, avec la colonisation espagnole à l'époque de Christophe Colomb. La controverse de Valladolid (1550) fut un premier questionnement sur la façon dont les Occidentaux traitaient les Amérindiens. On admet que ceux-ci ont une âme comme les Européens ! Et afin de travailler les terres, on se retourne alors vers le continent africain. On réduit ses habitants en esclavage et on les déporte dans les Antilles et les Amériques.

Comment légitimer de tels actes ?

Il faut construire un discours, construire la notion de supériorité : « Ils ne sont pas comme nous, nous sommes supérieurs parce que blancs. »

Quels sont les mécanismes de domination qui transforment les différences en inégalités ?

Ce fut une volonté politique de dessiner cette ligne de couleur devenue infranchissable. Cela a duré plusieurs siècles. Un système réglementé par le Code noir, sous Louis XIV, en 1685. Cet ensemble de textes régit, dans les possessions françaises d'outre-Atlantique, « l'état et la qualité des esclaves » en les qualifiant de bêtes de somme ou de biens meubles, propriété de leur maître. Cela durera jusqu'en 1848, date de l'abolition de l'esclavage. Ce terrible Code noir est peu connu, même des juristes. Il a pourtant imprégné toute la culture française. Je veux juste rappeler que mon grand-père est né en 1908, soixante ans après l'abolition de l'esclavage.

Dans Mes étoiles noires, vous citez des personnalités dont vous saluez le courage comme Phillis Wheatley.

Cette poétesse avait été capturée au Sénégal en 1760 et vendue comme esclave à 7 ans. Elle a eu la chance d'apprendre à lire et à écrire et je la mentionne pour montrer la puissance de l'éducation. On a mis en doute les capacités intellectuelles de Phillis, morte très jeune, car elle était noire. L'école brise les barrières. Ouvre le champ des possibles. Laisser les gens dans l'ignorance, c'est les empêcher d'être en colère, en rébellion. Les empêcher de s'affranchir. Les empêcher de dire « non ».

Vous évoquez également Marcus Garvey, prophète noir du début du XXe siècle ?

Mon grand fils s'appelle Marcus en hommage à cet homme, disparu en 1940, qui est, pour moi, essentiel. Vivant dans un monde où être noir est vu négativement, il voulait que les enfants noirs aient des poupées noires pour qu'ils développent une bonne estime d'eux-mêmes. Il a lutté toute sa vie pour que les personnes noires connaissent leur histoire et en soient fières. Et défendait le retour des Afro-Américains en Afrique.

L'exposition Exhibitions, l'invention du sauvage, au musée du quai Branly, en 2011-2012, fut-elle l'un des temps forts de la fondation ? Vous en étiez le commissaire général.

Consacrée aux « zoos humains », elle a été un choc pour certains qui ne s'imaginaient pas que c'était aussi proche de nous. Elle montrait comment ces spectacles de foire des années 1800 à 1940, mettant en scène une vision colonialiste des pays conquis, ont formé et conditionné le regard porté par l'Occident sur les peuples noirs.

« On nomme la couleur noire, pas la blanche »

Ce qui prouve que le public évolue dans sa réflexion ?

Certes. Cependant, quand le footballeur français Blaise Matuidi, qui évolue à la Juventus, se fait insulter à Cagliari, le 6 janvier, c'est avant tout dû à sa jolie couleur marron. J'ai joué en Italie en 1996 et il y avait déjà des supporters qui poussaient des cris de singe. Cela veut dire qu'en vingt ans, le travail d'explication n'a pas été totalement efficace. Pour changer les choses, ce sont les personnes qui ne subissent pas le racisme qui doivent intervenir. C'est-à-dire les joueurs blancs, les dirigeants blancs, les supporters blancs.

Et Antoine Griezmann grimé en Harlem Globetrotter, ces célèbres basketteurs de Chicago...

Dans cette polémique, ce n'est pas la personne d'Antoine Griezmann qui est le plus important. Je pense qu'il n'a pas agi avec de mauvaises intentions. Néanmoins, cet acte n'a pas lieu d'être. Et il faut expliquer pourquoi. En effet, les Noirs, qu'ils soient docteurs, actrices, président des États-Unis ou joueurs de foot, en ont assez d'être vus à travers leur couleur. Moi qui suis marron foncé, ma couleur de peau n'est pas un déguisement.

Il est vrai que les Blancs ne revendiquent pas leur couleur de peau ?

Oui. Ils la revendiquent mais sans l'assumer. On nomme la couleur noire, pas la blanche. L'expression « Les gens de couleur » n'a, objectivement, pas de sens. Être blanc, c'est aussi avoir une couleur. « Les personnes de la minorité visible » - il y a donc une majorité invisible qui serait les personnes blanches ? - ; « Les gens de la diversité », qui seraient les personnes non-blanches ; « Les Français de souche », autant d'expressions opposant Blancs et Noirs. Il y a nous et eux.

Et les « pays de merde » comme ose les appeler Donald Trump?

Trump renvoie sans cesse à la confrontation : les Noirs, les Blancs, les non-Blancs. Les pays bien, les pays pas bien. Il trace la ligne de couleur. Eux et nous. C'est du racisme.

Pour ce qui est du « vivre ensemble » en France, vous êtes optimiste ? Ou non ?

Oui (rires). À preuve du contraire, on vit déjà ensemble ! Avec intelligence, je l'espère en tout cas ! L'identité française n'est ni fermée ni rigide. Je suis antillais et français, comme les Corses et les Bretons sont corses, bretons et français. Notre culture est diverse. J'ai l'impression que, parfois, on esquisse une identité française fantasmée. Or, l'identité française, on ne peut pas la mettre dans une boîte. Les gens l'oublient. Pour moi, c'est une évidence que la France est le résultat de rencontres, de cultures. Une France qui va changer. À un moment donné, il est plus important de considérer ce qui nous lie plutôt que ce qui nous sépare. La réalité, c'est que chacun est unique. Et on ne le dit pas assez !

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