Marie-Odile Amaury : "Je n'ai pas les épaules de Murdoch"

Marie-Odile Amaury : "Je n'ai pas les épaules de Murdoch"

Par Emmanuel Berretta

Temps de lecture : 7 min

Elle pilote L'Équipe , Le Parisien et le Tour de France, et sort de son silence.

Le Point :
Cela fait quatre ans que vous dirigez le groupe Amaury. Pourquoi fuir la médiatisation ?
Marie-Odile Amaury :
Je suis d'une nature plutôt discrète et je ne me considère pas comme une personnalité publique.

Après le décès de votre époux, la responsabilité du groupe ne fut-elle pas trop lourde ?
Cette responsabilité ne m'est pas tombée dessus du jour au lendemain. En fait, depuis 1984, j'ai été associée à toutes les décisions, j'ai suivi toutes les évolutions du groupe. J'avais un bureau au siège. Et les collaborateurs s'adressaient plus volontiers à moi pour faire passer un message auprès de lui. Quand il est tombé malade, il a fallu qu'il se soigne. Tout le monde a trouvé naturel que je le remplace au pied levé.

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Comment avez-vous rencontré votre époux ?
C'était à Paris, en 1965, dans des circonstances familiales. Philippe était un proche de l'un de mes cousins.

À ses côtés, vous auriez pu jouir de votre fortune et vous adonner à d'autres passions...
Je n'imagine pas ne pas travailler. Est-ce mon tempérament alsacien ?

Vous menez, paraît-il, une vie sans luxe. On dit que vous conduisez une 306...
Qui est devenue une 308 (sourire) ! Le luxe ? J'ai peu d'imagination sur ce plan-là (rire). Je ne suis pas très matérialiste.

Vous ne fréquentez pas le gratin ?
Non plus, en dehors des rendez-vous de travail, je n'ai pas de vie mondaine.

Et que faites-vous quand vous ne travaillez pas ? J'aime la musique, toutes les musiques. J'aime beaucoup les voix. Du chant grégorien aux polyphonies corses, jusqu'au hard rock ! Le hard rock, pour moi, est une musique romantique. Je ne me lasse pas des grands anciens comme Led Zeppelin, Guns n'Roses, Metallica, AC/DC. Il y a un excès de toutes sortes, dans l'instrumental, dans les voix et dans les personnages. C'est peut-être une manière de rester jeune (rire) ! Et je lis beaucoup de récits d'aventures et de vies exceptionnelles, celles de Jean Malaurie, Christophe Colomb, ou le Marie-Antoinette de Stefan Zweig.

Que faisaient vos parents ?
Mon père était opticien. Ma mère était présidente des associations familiales en Alsace et s'est consacrée aux mères célibataires et aux familles défavorisées.

Y avait-il un engagement catholique fort dans votre famille ?
Oui. Je ne l'ai pas prolongé, mais c'est une dimension à laquelle je suis très sensible. J'ai hérité un très fort sentiment de générosité et d'attention aux autres.

Néanmoins, vous allez procéder, au Parisien , à une réduction d'effectifs. Quelle en sera l'ampleur ?
Nous avons évoqué 35 départs volontaires sur 350 permanents. C'est peu de choses comparé à d'autres plans sociaux. Nous réalisons beaucoup d'investissements industriels dans l'imprimerie et la formation des journalistes afin de moderniser le fonctionnement du journal. Il nous faut faire des économies.

La presse écrite quotidienne papier a-t-elle encore un avenir face au numérique ?
Pour l'information, les supports se sont multipliés ces dernières décennies avec la radio généraliste, les radios FM, puis la télévision, la presse gratuite... Chaque support a une raison d'être. La presse écrite perdurera, mais ne jouira plus des mêmes conditions économiques. Elle doit se moderniser. Actuellement, faire un quotidien, c'est faire de la haute couture. Six cents personnes travaillent pendant vingt-quatre heures pour sortir un produit extrêmement fini dont la durée de vie est limitée. C'est un engagement économique et humain exceptionnel pour un produit que l'on vend, grosso modo, un euro. Nous devons moderniser au maximum ce processus pour rester compétitifs, car nos charges sont trop importantes par rapport aux ressources publicitaires et aux ventes.

Comment prendre le virage numérique ?
Le potentiel existe, puisque les marques de presse sont les plus consultées après les moteurs de recherche. Il faudra bien qu'un jour, le public paie, comme il paie le SMS dans un abonnement.

Aux États-Unis, Murdoch a amorcé le tournant vers le Web payant. Pourquoi ne prenez-vous pas le leadership de ce mouvement en France ?
(Rire) Je n'ai pas les épaules d'un Murdoch ni sa surface financière.

Quand vous lisez Le Parisien ou L'Équipe, êtes-vous tentée de passer un coup de fil lorsqu'un article vous a plu ou déplu ? L'insistance, l'été dernier, du Parisien à traiter de la grippe A vous a irritée, paraît-il...
Je me considère comme une lectrice passionnée. Traiter de la grippe A une fois par semaine à la une du Parisien quand les gens sont sur la plage, j'ai trouvé que c'était trop. C'est un avis de lectrice. Je ne suis pas journaliste. La ligne éditoriale est fixée au moment des séminaires pour l'année à venir. Ensuite, il y a un bilan qui est réalisé régulièrement avec les directeurs des rédactions.

Pourtant, vous avez été formée au CUEJ, école de journalisme de Strasbourg...
Après une maîtrise de lettres modernes, j'ai fait partie de la première promotion du CUEJ. Nous étions quatre ! En fait, il s'agissait d'un enseignement très théorique et je n'ai jamais fait de stage dans un journal. J'ai aussitôt bifurqué vers la publicité en arrivant à Paris. J'ai travaillé chez Young et Rubicam, puis chez Havas avec Alain de Pouzilhac et Martin Desprez.

Votre style de management a été mis en cause. Noël Couëdel, votre conseiller, a claqué la porte en dénonçant "le cynisme", "la brutalité" et "l'incompétence" des propriétaires du groupe...
J'aime travailler en équipe. Tous mes collaborateurs sont des proches. Ma porte est ouverte, toujours ouverte. Ce portrait n'a pas été reconnu à l'intérieur de l'entreprise. Mes collaborateurs ont été blessés, tout comme moi.

Mais Couëdel était un proche. Que s'est-il passé ?
Au Parisien, une ambiance de clans s'était installée. Ce titre souffrait d'une direction de la rédaction en mille-feuille. Il y avait trop de chefs intermédiaires qui éloignaient les services de la décision. J'avais demandé à Noël Couëdel de réorganiser la rédaction. Sa mission n'a pas abouti à ce que j'attendais. Je crois que depuis, Le Parisien a retrouvé un dynamisme qui, d'ailleurs, se révèle dans les revues de presse du matin.

Qu'attendez-vous de votre Parisien ?
Il doit surprendre, chaque jour, avec des sujets inédits, qu'ils soient d'ordre sociétal ou économique, et qui intéressent toutes les couches de la population, en termes d'âge et de catégories socioprofessionnelles. Des sujets comme le Smic ou le voile islamique, dont on puisse débattre au quotidien en famille ou sur le lieu de travail. Et c'est peut-être cela qu'on ne trouvait plus suffisamment.

Le Parisien s'est fait une spécialité d'annoncer à la une : "Enfin le printemps !" ou "Quelle chaleur !"... Vous cautionnez ?
(Sourire)... Oui, quand Le Parisien reflète l'humeur des Français, à condition de ne pas en faire un système.

Arnaud Lagardère nous a confié qu'il rêvait de racheter le Tour de France. Pourriez-vous un jour le lui céder ?
Curieux, il ne me l'a jamais dit (sourire). Nous aussi, on aime le Tour de France ! C'est un événement qui appartient à L'Équipe et au Parisien depuis l'après-guerre. Il est au centre du groupe. J'y suis très attachée.

On dit que vous avez demandé aux journalistes de L'Équipe de lever le pied sur le traitement du dopage. Est-ce exact ?
Cela fait partie des légendes. Le dopage est un aléa du sport, on doit le traiter quand une affaire éclate, mais pas en tant que sujet en soi. Notre position est, au contraire, de lutter contre ce fléau dans tous les sports, et en particulier sur le Tour. C'est d'ailleurs dans le cyclisme que la recherche est la plus poussée, avec un suivi toute l'année des athlètes où qu'ils soient. C'est important pour l'avenir du sport et pour les jeunes sportifs.

Vos enfants travaillent à vos côtés...
Ce ne sont plus des enfants ! Aurore a 35 ans, et Jean-Étienne, 32 ans. Jean-Étienne est président d'Amaury Sport Organisation. Aurore s'occupe de la presse, plutôt du Parisien et d' Aujourd'hui Sport , ainsi que des problèmes juridiques en raison de sa formation d'avocate. Mon fils, lui, a fait Centrale à Lille et l'université Stanford. Sa formation est plus scientifique, notamment mathématique.

La succession est-elle déjà réglée ?
C'est leur avenir, ils décideront. Rien n'est écrit.

Et vous, que souhaitez-vous ?
Rester présidente, tout court ! Parce que ça me passionne de développer nos marques puissantes dans les nouvelles technologies et de renforcer nos achats à l'international.

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Commentaires (3)

  • cusco85

    ... N'oublions quand même pas qu'en novembre 2008 cette dame a lancé un journal sportif (Aujourd'hui Sport) uniquement destiné à contrer un concurrent (Le 10 sport). Manoeuvre habile puisque les deux ont depuis disparu. Belle mentalité.

  • lulu1

    Très bel article qui nous fait découvrir un vrai patron, un être humain et qui aime son travail. Dans l'ambiance actuelle, c'est très rafraîchissant et très positif.

  • Serge du Pharo

    Vous n'avez pas les épaules de M. Murdoch... mais vous avez bien plus ! L'abnégation, la discrétion, le non intérêt du bling-bling... Et pourtant, personne ne vous reprocherait un peu de notoriété ou de reconnaissance publique. Vous faites honneur à la classe si décriée de nos grands patrons. Alors Merci et Bravo.