Sébastien Laye : Napoléon III, ou la naissance de l’économie française moderne - Valeurs actuelles

Sébastien Laye : Napoléon III, ou la naissance de l’économie française moderne

CHRONIQUE. Une légende noire s’est abattue sur le Second Empire. Pourtant, c’est à cette époque que la France a connu son plus grand essor économique. Décryptage.
Le TGV, symbole de la dernière grande époque industrielle française. Sous Napoléon III, le réseau de chemin de fer avait été multiplié par sept en vingt ans. Photo © MARIO FOURMY/SIPA
Le TGV, symbole de la dernière grande époque industrielle française. Sous Napoléon III, le réseau de chemin de fer avait été multiplié par sept en vingt ans. Photo © MARIO FOURMY/SIPA

« La pauvreté ne sera plus séditieuse, lorsque l’opulence ne sera plus oppressive. » C’est à ce type de formule lapidaire mais incisive, issue de son ouvrage prophétique l’Extinction du paupérisme, que l’on reconnaît l’originalité de la pensée économique et sociale de Napoléon III. Longtemps obscurcie par la légende noire de la IIIe République mais aussi il est vrai par la récession de 1867 et les difficultés conjoncturelles de sa fin de règne, le vrai bilan économique du second empereur a fort heureusement été réhabilité par la recherche historique récente, de l’ouvrage de Philippe Séguin Louis Napoléon le Grand en 1990 (que je dévorai étudiant en économie dix ans après sa parution) jusqu’au récent Napoléon III et l’Économie, sous la direction d’Éric Anceau et Pierre Branda, fruit d’un colloque de mai 2022.

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Si les Français admirent l’œuvre politique de l’oncle, à un demi-siècle de distance, le neveu a présidé à une œuvre économique et sociale encore plus considérable, portant sur les fonds baptismaux une modernité industrielle de grande ampleur et les fondamentaux de notre économie moderne. C’est que le jeune Napoléon III, sous l’égide de sa mère Hortense notamment, fut très tôt un lecteur avide des grands esprits économiques de son temps : les libéraux comme Adam Smith et Jean-Baptiste Say, les socialistes comme Louis Blanc, mais bien sûr surtout Saint-Simon et ses disciples tels que Prosper Enfantin. Les saint-simoniens domineront l’administration économique sous le second Empire, et on peut dire que le saint-simonisme fut sa doctrine économique et sociale. Et cette pensée était formée bien avant l’arrivée au pouvoir de Napoléon III, comme en atteste son opuscule sur l’extinction du paupérisme. Homme de son temps, Napoléon III, de par ses séjours en Angleterre et ses voyages aux États Unis, avait une connaissance pointue de l’industrie émergente et des innovations de son époque.

Un retard à rattraper

Malgré tout, il lui fallut plusieurs années pour déployer sa vision : ses premières responsabilités républicaines étant circonscrites, le personnel orléaniste dominant encore la vie politique et économique, ce n’est que vers 1855 que l’âge d’or industriel du second Empire commençât. S’appuyant au niveau politique sur les frères Chevalier et au niveau entrepreneurial sur les Pereire, il lance alors la grande transformation du pays. “Saint Simon à cheval”, comme Guéroult a pu appeler Napoléon III, il procède d’abord à une relance des affaires, une libéralisation du pays accompagné d’investissements massifs de l’État, parce que la France est en réel retard sur l’Angleterre. Puis, ce libéralisme contrôlé se mâtine de socialisme dirigé ou de technocratie industrielle, dirions-nous aujourd’hui, afin de ne pas laisser les plus démunis au bord de la route et de travailler la grandeur nationale.

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Le système du crédit moderne et ses banques sont inventés, le réseau de chemin de fer est multiplié par sept en vingt ans, avec une collaboration unique entre la puissance publique et l’initiative privée. La consommation de charbon triple, la production d’acier est multipliée par quatre, les villes se modernisent comme en attestent à Paris la révolution haussmannienne et l’apparition des grands magasins. La création des grandes compagnies maritimes, couplée au maillage du réseau de chemin de fer, permet l’apparition du libre-échange, symbolisé par un traité de commerce avec les Anglais et l’ouverture du canal de Suez. Depuis lors, dans l’histoire de France, seul le pompidolisme pourra se targuer d’un tel bilan économique et d’une telle élévation du niveau de vie ! Tout comme nous vivons en grande partie sur les acquis de la période 1964-1974 (nucléaire militaire et civil, TGV, aviation, électronique, base industrielle moderne), la IIIe République jusqu’à la Belle Époque vivra sur les acquis napoléoniens.

La récession de 1867, l’ombre au tableau

À quoi devons-nous alors la légende noire napoléonienne, y compris au niveau économique et social, telle qu’elle transparaît par exemple dans les romans de Zola ? En réalité, après dix ans de prospérité, vers 1866, l’économie ralentit fortement, ce qui débouchera sur la forte récession de 1867. Un retournement cyclique classique en Europe aggravé par les conséquences économiques de la guerre de Sécession (pénurie de coton par exemple) heurte momentanément l’essor économique. Mais l’empereur accélère alors sur le volet social de sa vision, marqué par la suppression du délit de coalition, la création des premières chambres syndicales, des caisses d’assurances sociales, des premières formes de droit du travail.

Alors même que, politiquement, à l’Empire autoritaire succède un Empire libéral, les ouvriers ne se rallient pas au régime : effet cumulé du ralentissement économique et du fragile équilibre entre libéralisme et socialisme que l’empereur tente de maintenir, cette tension et ce rendez-vous raté, sur fond d’inégalités exacerbées, expliquent comment la République pourra occulter pendant longtemps l’indéniable succès économique, industriel et social du second Empire. Cette injustice est aujourd’hui réparée, grâce à Philippe Séguin, Éric Anceau, Pierre Branda et tant d’autres qui ont œuvré ou continuent à œuvrer à restaurer le vrai bilan économique et social de Napoléon III.

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