Lorient : Naval Group célèbre le centenaire de sa forme de construction | Mer et Marine Aller au contenu principal

Des croiseurs de l’entre-deux guerre à aux dernières frégates et corvettes produites pour la Marine nationale et l’export, en passant par des sous-marins, contre-torpilleurs, paquebots mixtes et autres cargos… la forme de construction couverte du chantier Naval Group de Lorient a assemblé 117 navires depuis sa livraison, il y a tout juste un siècle.

 

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© NAVAL GROUP

Avril 2019: mise à l'eau de l'Alsace, 117ème navire réalisé dans la forme couverte (© NAVAL GROUP)

 

Il s’agit à l’époque de compléter et surtout moderniser les moyens de l’arsenal morbihannais. Celui-ci a été fondé au XVIIème siècle dans le sillage de la Compagnie des Indes orientales et de la Compagnie des Indes occidentales, dont l’activité donne naissance au port et à la ville de Lorient. Alors que trois formes de radoub sont disponibles sur la rive droite du Scorff, il est décidé en juillet 1911 de développer sur la rive gauche un nouveau pôle industriel avec, en premier lieu, la transformation de la Fosse aux mâts (plan d’eau datant de 1818 et servant alors au stockage des troncs destinés à réaliser les mâts des vaisseaux et frégates) en forme de construction couverte. Plus grande structure de ce type en France (et même pendant longtemps d’Europe), elle mesurera 245 mètres de long pour 51 mètres de large, avec une écluse d’entrée de 36 mètres. Quelques 32 piliers soutiendront la structure métallique de ce hangar géant et la charpente de son toit, ainsi que les ponts roulants. Il faudra en outre draguer et désenrocher la rivière qui se jette dans la rade de Lorient pour garantir l’accès à la nouvelle infrastructure, dont on notera qu'administrativement elle ne se trouve pas sur le territoire de la ville de Lorient mais sur la commune voisine de Lanester. 

Lancement des travaux peu avant la guerre

Comme le rappelle le livre du Club culturel et artistique de la Défense, « Arsenal de Lorient Construction de la grande forme 1912-1923 », publié en 1995 et qui retrace l’histoire de cet ouvrage, le marché est passé à l’entreprise Bonnardel et Léonard peu avant le premier conflit mondial, en août 1913, et débute le mois suivant. Plus de 230 ouvriers, dont 17 femmes, travaillent sur ce chantier de très grande ampleur pour l’époque. Il est prévu qu’il soit réalisé en 23 mois. La Fosse est d’abord asséchée puis une ligne d’extraction de galets et de sable est mise en place à Gâvres pour la réalisation des maçonneries. En mars 1914, les travaux de dévasement et de terrassement sont lancés, puis le mois suivant ceux de l’écluse et des murs de soutènement.

Mais la guerre vient ensuite perturber les plans, la France mobilisant ses forces et ses hommes. Une partie importante des ouvriers part ainsi vers le front. Et l’achèvement de la forme de construction de Lorient, d’abord prévu l’été 1915, accumule dès lors les retards. En octobre 1917, le radier n’est achevé que sur une longueur de 150 mètres. Le chantier avance donc lentement pendant la guerre et ne sera terminé que bien après la fin des hostilités. En mai 1919, les travaux de bétonnage arrivent certes à leur terme et la forme est provisoirement livrée à la marine. Mais il faudra encore attendre quatre ans pour que la charpente métallique recouvrant l’ouvrage, avec des pylônes de près de 30 mètres, soit complètement montée.

Un croiseur de 8000 tonnes comme premier navire

Il n’y a cependant pas urgence car au lendemain de la guerre, les priorités budgétaires ne vont évidemment plus à l’armée. Ce n’est qu’en 1922, notamment pour aider à relancer l’activité des chantiers navals, qu’un nouveau programme de constructions neuves est lancé au profit de la Marine nationale. Les plus grosses unités de ce plan sont les trois croiseurs de 8000 tonnes Duguay-Trouin, La Motte-Picquet et Primauguet. Des bâtiments de 181 mètres de long pour 17.5 mètres de large capables d’atteindre 34 nœuds et dont l’armement comprendra quatre tourelles doubles de 155mm, quatre canons de 75mm et douze tubes lance-torpilles en quatre plateformes triples.

La marine confie la construction des Duguay-Trouin et Primauguet à l’arsenal de Brest, celui de Lorient héritant du La Motte-Picquet. Un bâtiment qui s’illustrera plus tard à la tête de la petite escadre d’Extrême-Orient basée en Indochine en neutralisant le 17 janvier 1941 la flotte siamoise lors de la bataille de Koh Chang.

Le croiseur La Motte-Picquet sera donc le tout premier bâtiment à voir le jour dans la nouvelle forme. Son montage débute le 17 janvier 1923 et sa mise à l’eau intervient dès le 21 mars 1924. Après son achèvement à flot et ses essais, il sera mis en service en septembre 1926, en même temps que le Duguay-Trouin, dont la mise sur cale était intervenue à Brest en août 1922.

Du sous-marin à frégates furtives

L’arsenal morbihannais enchaine ensuite avec ce qui reste à ce jour le plus gros bâtiment de combat de son histoire. Il s’agit du croiseur lourd Tourville. Second de la série des sept « 10.000 tonnes » mis en service entre 1928 et 1934, il mesure 191 mètres de long pour 19 de large. Il occupe la forme de construction lorientaise d’avril 1925 à août 1926.

La forme a ensuite réalisé des bâtiments extrêmement variés, allant des sous-marins (Henri Poincaré et Poncelet de 1927 à 1929) aux vingt avisos français et argentins du type A69 (1972 à 1983), en passant par les contre-torpilleurs Le Fantasque,  L’Audacieux (1931-34) et Mogador (1936-37), puis dans les années 90 et 2000 les frégates du type La Fayette et leurs dérivés taïwanais et saoudiens, ainsi que le Formidable, première des six unités singapouriennes du type Delta. Mais bien d’autres ont vu le jour ici : le croiseur léger Jean de Vienne (mis à l’eau en 1935), le mouilleur de mines Pluton (1929), le ravitailleur de sous-marins Jules Verne (1930), des avisos-dragueurs à la fin des années 30, le croiseur De Grasse mis sur cale en septembre 1939, resté inachevé pendant la guerre mais préservé et finalement lancé en septembre 1946. Transformé en bâtiment antiaérien, il ne sera mis en service qu’en 1956 et servira au sein de la Marine nationale jusqu’en 1972.

 

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© NAVAL GROUP

Escorteurs d'escadre en construction dans les années 50. Lorient produit les Surcouf, Kersaint, Bouvet, Maillé-Brézé et Vauquelin du type T47 puis le T53 Duperré et le T56 La Galissonnière (© NAVAL GROUP)

 

Avec le plan Marshall mis en place en 1947, la France peut notamment relancer sa production navale militaire et Lorient tourne à plein régime dans les années 50 et 60 grâce aux programmes des escorteurs d’escadre (sept réalisés ici dont le Maillé-Brézé conservé en musée à Nantes), puis des escorteurs rapides (quatre), escorteurs côtiers (quatre) et avisos-escorteurs (sept). D’une surface de 15.000 m², la forme peut accueillir en même temps plusieurs coques, ce qui facilite une production en série à forte cadence. Les escorteurs rapides et escorteurs côtiers sont ainsi lancés pour la seule année 1957.

Suivent des bâtiments de soutien, les avisos ou encore les frégates Suffren, Tourville, Duguay-Trouin, De Grasse, Aconit, Cassard et Jean Bart, des patrouilleurs, des bâtiments d’essais et navires hydrographiques. Les dernières réalisations lorientaises sont les frégates de défense aériennes Forbin et Chevalier Paul, sorties de la forme de construction en 2004 et 2005, puis la série des frégates multi-missions (FREMM), avec déjà six unités livrées à la France et deux autres au Maroc et à l’Egypte. S'y ajoute la première corvette du type Gowind, l’Elfateh, mise à l’eau en 2016 et livrée l’année suivante à la marine égyptienne.

 

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© NAVAL GROUP

Mise à l'eau du Chevalier Paul en 2007, Naval Group est encore DCN à l'époque (© NAVAL GROUP)

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Mise à l'eau de la Gowind égyptienne Elfateh en 2016, Naval Group s'appelle alors DCNS (© NAVAL GROUP)

 

Quelques navires civils

En 96 ans d’activité, la forme lorientaise a également servi à construire quelques navires civils. Des commandes qui permirent de relancer l’activité de l’arsenal au sortir de la seconde guerre mondiale, avec en particulier les paquebots mixtes Ville de Tunis (1949) et La Bourdonnais (1951), ainsi que quatre petits cargos, deux de 2600 tonnes en 1948, les Tell et Tefna, puis en 1950 deux autres de 3300 tonnes, les Cambraisien et Douaisien.

Modernisation

Au fil des années, la forme a bien entendu été modernisée tout comme l’ensemble du site. La construction en anneaux débute dans les années 80 et le pré-armement des blocs avant leur transfert en cale ne fait depuis que s’accroître. Dans cette perspective, un ascenseur à anneaux pouvant supporter une charge de 400 tonnes est mis en service au fond de la forme en 1992 et complété l’année suivante par un portique d’une capacité de levage de 300 tonnes.

 

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L'Alsace en cours d'assemblage en septembre 2018 (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

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© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU

L'Alsace sortant de la forme de construction en avril 2019 (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

 

118ème bâtiment en construction et d’autres à suivre

Avec la mise à l’eau en avril 2019 de l’Alsace, première des deux dernières frégates du programme FREMM, celles optimisées pour la défense aérienne, la forme a achevé son 117ème navire depuis ses débuts. Le 118ème sera sa jumelle la Lorraine, en cours d’assemblage et qui doit être mise à l’eau en septembre 2020, ces FREMM DA devant être livrés par Naval Group à la Marine nationale en 2021 et 2022.

Pour la suite, la forme va accueillir deux nouvelles corvettes du type Gowind, commandées cette fois par les Emirats Arabes Unis et qui devraient être achevées en 2022. Puis viendra une nouvelle génération de bâtiments de combat, les frégates de défense et d’intervention (FDI). Cinq ont pour le moment été commandées par la France, la construction de la tête de série, le futur Amiral Ronarc’h, ayant débuté fin octobre en vue d’une livraison en 2023.  

- Voir notre reportage sur le chantier des FREMM DA Alsace et Lorraine

 

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