Critique film - LA CABANE DANS LES BOIS - Abus de Ciné

LA CABANE DANS LES BOIS

Un film de Drew Goddard

Zombies, monstres & Cie.

Deux cadres quadragénaires en manche de chemise discutent de sujets triviaux près de la machine à café, dans un décor aseptisé d’entreprise. Cinq adolescents partent passer le week-end dans une cabane isolée au milieu des bois, sans se douter qu’un scénario à la « Evil Dead » les y attend. A priori, aucun rapport entre les deux récits. Et pourtant…

En 2009, Drew Goddard réalisait un petit film d’horreur co-écrit avec et produit par Joss Whedon, le célébrissime créateur de la série « Buffy contre les vampires ». « La Cabane dans les bois » se proposait humblement de relire de A à Z les genres concomitants du film d’horreur et du slasher, avec une intrigue pour le moins originale. Drew Goddard mettait ainsi en scène son premier long-métrage après avoir écrit le script de « Cloverfield » de Matt Reeves ainsi que plusieurs épisodes des séries « Buffy », « Angel » et « Lost », toujours à proximité des écuries de Whedon et de J.J. Abrams. Afin de rendre au mieux sa vision du genre, il s’adjoignait les talents de Peter Deming, directeur de la photographie sur « Evil Dead 2 » de Sam Raimi et « Scream » de Wes Craven – soit deux des influences majeures de cette « Cabane ». Puis, les ennuis financiers de la MGM à partir de la fin de l’année expliquent le report de la sortie du film jusqu’à aujourd’hui en France – ou jusqu’au mois de décembre 2011 pour les États-Unis.

Un projet si alléchant, au parcours si chaotique, méritait bien que l’on s’y arrêtât – ne serait-ce que pour la curiosité de « découvrir » Chris Hemsworth dans le rôle d’un jeune adulte superficiel, avant que Goddard et Whedon ne glissent son nom à Kenneth Branagh pour incarner le super-héros Marvel « Thor ». Et pour le plaisir de retrouver, dans des rôles de cadres cyniques aux mystérieuses attributions, deux comédiens remarquables qui s’illustrent dès l’insolite prologue : Richard Jenkins, l’inoubliable père Fisher de « Six Feet Under », à l’affiche ces dernières années de « Burn After Reading » des frères Coen et du « Visitor » de Thomas McCarthy, et Bradley Whitford, le Josh Lyman de « À la Maison Blanche ». Les deux protagonistes énigmatiques qu’ils incarnent se placent progressivement à l’échelon intermédiaire de la hiérarchie d’un organigramme qui nous échappe : s’ils sont manifestement les supérieurs d’employés qu’ils croisent dans le décor ouvrant le film, il s’avère bientôt qu’une entité invisible les domine du regard, métaphorisée par un téléphone rouge dont l’autorité s’exprime par sa seule sonnerie. Avec leur humilité physique, les deux acteurs jouent à merveille les Janus, souverains et esclaves à la fois d’un système dont ils ne maîtrisent qu’un des rouages, dans la plus pure tradition du libéralisme.

Difficile de trop en dire sur « La Cabane dans les bois » sans divulguer une partie de ses tenants et aboutissants, alors on se contentera ici d’en évoquer le premier tiers, durant lequel les enjeux sont rapidement posés. L’étonnant scénario de Goddard et Whedon alterne entre deux récits qui s’opposent de fait par leur environnement : d’un côté, l’ambiance aseptisée des cadres d’une société anonyme ; de l’autre, les préparatifs d’un groupe de cinq amis pour un week-end de beuverie et de luxure au cœur d’une cabane isolée. D’une part, un récit hyper-convenu qui commence par l’habituelle présentation des personnages du drame, un couple, une fille légèrement candide, un joli garçon célibataire, un pote philosophe fumeur de joints – et qui se poursuit par leur mise en danger physique dans ce qui ressemble à un succédané de tous les slashers horrifiques vus depuis des décennies, avec passages obligés : rencontre avec le redneck du coin dans une station service, danse lascive de la belle blonde à la nuit tombée, consommation de stupéfiants, visite de la cave contre toute logique, etc. D’autre part, des intermèdes singuliers dans lesquels une équipe de responsables et de scientifiques tire les ficelles de l’autre récit, tandis que, sur les écrans de surveillance d’une vaste salle de contrôle, d’autres histoires tout aussi conventionnelles semblent dérouler leurs rebondissements éculés dans tous les pays du monde, notamment au Japon dans une salle de classe hantée par une émule de Sadako (« Ring »). Il faut un assez long moment pour que le spectateur cesse de se demander où il a bien pu tomber.

Goddard et Whedon jouent en réalité aux démystificateurs. Ils s’amusent à tourner et retourner la médaille du simulacre, montrant successivement le récit et la façon dont il est écrit et mis en scène, comme si nous étions à la fois dans le public en train de regarder une pièce de théâtre et dans les coulisses à observer les mécaniciens. Informe et invisible, la société représentée par les deux cadres tire les ficelles d’un jeu cruel qui se confond avec le procédé cinématographique – ainsi, ils se plaignent de devoir « réécrire le scénario » parce que deux des « acteurs » de leur histoire en ont légèrement modifié le déroulement. La narration de film d’horreur est un procédé mythique – c’est-à-dire exemplaire – qui tend à être infiniment reproduit, avec à chaque fois de subtiles modifications ou des changements d’orientation ; chacun y appose ses propres obsessions suivant l’époque. La nôtre s’obstine à souligner la fausseté d’un monde que le spectaculaire fabrique pour la catharsis du spectateur, afin que celui-ci puisse décharger sur le récit ses passions accumulées – soit précisément ce que font, sur deux niveaux de lecture, les jeunes adultes dans leur cabane (passions sexuelles et festives) et les employés de la société mystère dans leurs bureaux (notamment en jouant les bookmakers).

Intelligemment, « La Cabane dans les bois » remonte le fil de cette origine mythologique en lui donnant une perspective tragique, dans la mesure où l’expression de la violence sert un but plus grand, un objectif universaliste aux relents lovecraftiens. Cette logique purgatoire, qui est l’enjeu de tout film d’horreur, est ici mise en perspective en même temps qu’elle est moquée : d’où la qualité de ce long-métrage qui, non content de proposer une narration brillante, s’amuse à jongler avec les codes qui le font vivre. En deux mots, malin et redoutable.

Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur

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