Killy: «Mon père me l'a caché, mais je suis Suisse» - lematin.ch

Killy: «Mon père me l'a caché, mais je suis Suisse»

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JO 2018Killy: «Mon père me l'a caché, mais je suis Suisse»

Son père a choisi la France pour combattre les nazis. Mais Jean-Claude Killy est bien Suisse. Il le révèle dans un passionnant documentaire qui sera diffusé le 9 février sur RTS2.

Bertrand Monnard
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Bertrand Monnard
Jean-Claude Killy lors d'une cérémonie de remise des médailles à Sotchi.

Jean-Claude Killy lors d'une cérémonie de remise des médailles à Sotchi.

AFP

Personne ne s'en doutait, mais vous, Jean-Claude Killy, monument du sport tricolore, n'êtes pas Français mais bien Suisse?

Oui, je l'ai appris en 2001, après la mort de mon père, en plongeant dans ses archives. J'ai voulu savoir d'où il venait.

Et vous y avez fait une découverte incroyable?

Mon père est devenu Français par un acte de naturalisation qui date du 22 décembre 1937. Je le garde précieusement chez moi. Il voulait combattre les nazis, le fascisme. Détenteur d'un brevet de pilote, il est devenu pilote de chasse. Le sergent-chef Robert Killy a abattu plusieurs avions allemands. J'ai tout retrouvé: le nom de son avion, de son escadrille, son numéro de moteur, tout.

Et il ne vous avait jamais rien dit?

Non, ni à moi ni à personne. Quand j'étais petit, il m'a amené plusieurs fois chez un vieil oncle à Saint-Aubin, dans le canton de Neuchâtel, mais, à aucun moment, je me serais douté que j'étais d'origine suisse.

En fait, la Suisse a été privée de vos trois médailles olympiques de Grenoble en 1968?

Si l'on veut, oui. Mais Jazy et Raymond Kopa, eux non plus, n'étaient pas Français d'origine.

Dans le film, vous martelez que «dans la vie, il n'y a pas de réussite sans humilité». Votre père, dans ce sens, a été un modèle pour vous?

Oui, c'était quelqu'un d'élégant, de modeste, de discret, et j'ai toujours essayé de l'imiter. Dans la vie, jamais rien n'est acquis, on doit se remettre en question tous les jours.

Durant votre carrière, on vous reprochait de ne jamais sourire, même après les victoires, alors que vous survoliez le ski mondial. Même archidominateur, vous restiez un éternel insatisfait.

Je chassais la perfection, mais la perfection n'existe pas. Gagner ne me suffisait pas. Et je n'ai jamais atteint mon but: réussir la course sans faute.

Même à Grenoble et votre mythique triplé plus jamais réussi depuis?

Le géant m'avait satisfait, mais pas la descente et le slalom, gagnés de manière bancale. La saison précédente, j'avais raflé 26 courses sur 36, toutes disciplines confondues. À Grenoble, j'étais le grand favori, mais truster les trois courses relevait quand même de l'exploit.

«Pour gagner, il faut toujours innover» est un autre de vos leitmotivs. Le film montre comment vous avez inventé le départ catapulté, une petite révolution, comme le pratiquent encore les skieurs d'aujourd'hui.

À l'époque, on se contentait de pousser sur les bâtons au départ. Le départ catapulté consistait, pieds en arrière et corps en avant, à déclencher le portillon le plus tard possible, d'un coup de reins et de sauter littéralement dans la pente. Le gain de temps était substantiel. Pour y arriver, j'avais réalisé plein de croquis. Bernhard Russi avait essayé tout un été de m'imiter sans réussir. J'avais expliqué ma méthode à Marielle Goitschel, qui habitait à 200 mètres de chez moi, à Val d'Isère, mais en vain.

Après votre triomphe de Grenoble, vous faites le choix incroyable de tout arrêter alors que vous avez 24 ans. Pourquoi?

Quand vous faites du ski, vous ne pensez qu'à cela, vous vivez dans l'obsession de la performance. J'étais jeune et j'avais envie de passer à autre chose, de voir ce qui se passait ailleurs. Et je n'ai jamais eu le moindre regret. Plus tard, j'ai donné mes médailles, mes skis au Musée olympique de Lausanne, et je me souviens que le président, Juan Antonio Samaranch, avait les larmes aux yeux. Dans la vie, je n'ai jamais regardé en arrière, même aujourd'hui à 74 ans.

Après Grenoble, managé par Mike McCormack, vous devenez une superstar aux États-Unis. Les images d'archives vous montrent, entre deux talk-shows et une visite au président Gerald Ford, vanter la dernière Chevrolet.

J'ai été le premier sportif européen à décrocher un tel statut. Je pensais que ça n'allait durer que quatre ans jusqu'à l'avènement d'un nouveau Killy. Mais, en fait, cet incroyable tourbillon a duré près de sept ans. Moi qui détestais les voyages et les mondanités, j'ai été pris à mon propre piège.

En 2014, après y avoir siégé 19 ans, vous démissionnez du CIO à la surprise générale. C'était la même démarche qu'après Grenoble?

Exactement. J'aurais pu rester jusqu'en 2022. Des gens ont pensé que j'avais été viré, tant on n'abandonne pas un mandat aussi envié. Pour fêter mon départ, je me souviens qu'on avait fait un super-repas à Crissier avec Thomas Bach et des cadres du CIO. «Ça ne te manque pas trop?» c'est ce qu'on m'a souvent demandé depuis. Mais, non les gars, pas du tout.

Maître d'œuvre des JO d'Albertville, patron du Tour de France, tout vous a souri. À 74 ans, vous freinez un peu?

Je continue à m'occuper de mes affaires, même si j'essaie de ralentir gentiment. Mais je suis comme un porte-avions à qui il faut deux, trois heures pour s'arrêter.

Vous n'avez pas pris un gramme?

Je m'entretiens. Je fais du tapis roulant, de la musculation, de la marche au bord du lac, en partant depuis chez moi à Cologny (GE). Aux gens de mon âge, je donne ce conseil: continuez à faire du sport tant que vous en avez la force.

Et le ski?

J'ai préféré arrêter voilà 25 ans… alors que je savais encore en faire.

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