C'est beau, la vie d'Aubret - Le Parisien

C'est beau, la vie d'Aubret

Elle fait ses adieux à la scène, à 78 ans, après une vie cabossée et enchantée. Isabelle Aubret, à l'Olympia demain soir, nous épate plus que jamais.

    « Pardon, j'étais en train de chanter, comme chaque jour de ma vie. » Isabelle Aubret, pimpante en chemise rose et foulard multicolore, nous accueille en pleine répétition dans son appartement de Ville-d'Avray (Hauts-de-Seine). Et découvrant ce pétillant brin de femme de 78 ans, on se demande bien pourquoi elle fait ses adieux au music-hall, avec un album, « Allons enfants », un Olympia le 3 octobre puis deux tournées, avec « Age tendre et tête de bois » cet hiver, puis en solo l'an prochain.

    « Ces adieux, je ne les fais pas de gaieté de coeur, avoue l'une des plus grandes voix de la chanson française, aussitôt submergée par l'émotion. Mais par respect pour le public, après cinquante-cinq ans de carrière, je veux lui dire au revoir en forme et en chantant bien. Je ne veux pas qu'on dise : C'est le disque ou la tournée de trop. Je n'ai pas honte de moi quand je me lève le matin. »

    VIDEO. Isabelle Aubret : «Allons Enfants», dernier album, ultime tournée

    Dans son appartement, on cherche en vain des signes extérieurs de richesse. Pas le genre de cette grande interprète au petit ego. Dans le couloir, ceux qui lui ont confié leurs textes -- Brel, Ferrat, Aragon -- sa « famille de coeur », sont mêlés à sa vraie famille sur un pêle-mêle de photos. Bienvenue chez la Ch'ti, Thérèse Coquerelle, son vrai nom, née à Lille, cinquième de onze enfants. Son « p'tit père », né à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), contremaître à l'usine, sa « p'tite mère » d'origine russe, femme au foyer : « Vous imaginez ses journées ? Nous n'avions ni frigo, ni machine à laver, ni tout-à-l'égout. »

    Elle rembobine sa vie entre rires et larmes. « On était huit dans la même chambre, mais on était heureux, sourit-elle. A 14 ans, j'ai quitté l'école pour travailler dans une usine de filature. Et le soir je prenais des cours d'art dramatique. J'arrivais toujours en retard et poussiéreuse, j'étais la seule ouvrière du cours. Les week-ends, je courais les concours de chant en espérant ramener des cadeaux à la maison. Et un jour, un prof de chant m'a dit : On va vous sortir de l'usine. J'ai commencé à chanter dans des orchestres, des cabarets. Deux ans au Havre, puis à Paris, au Touquet. »

    Sa carrière décolle en 1962. Isabelle Aubret est la troisième Française à remporter l'Eurovision, avec « Un premier amour ». Jean Ferrat lui écrit « Deux Enfants au soleil », Jacques Brel la prend sur sa tournée. Pendant les yé-yé et les années 1970 pop, elle continue de chanter Aragon, Brel, Ferrat, un répertoire poétique, sombre, militant, avec « Beyrouth », « Un jour, un jour », « Nuit et Brouillard », « Ma France »...

    Le rêve brisé du cinéma

    Elle connaît le succès avec « C'est beau la vie ». Mais la vie ne lui a pas toujours fait des cadeaux. En 1963, elle touche du doigt son rêve de devenir comédienne. Deux semaines avant le tournage des « Parapluies de Cherbourg », dont elle doit avoir le rôle principal, elle est victime d'un grave accident de voiture. « Dix-huit fractures, défigurée par le rétroviseur, à 23 ans, c'est dur, avoue-t-elle. Pour que je me remette, financièrement et moralement, Brel m'a offert sa chanson la Fanette à vie. C'est dire le grand homme qu'il était. »

    Adulée du Canada en Russie, du Japon au Maghreb, élue meilleure chanteuse du monde à Tokyo en 1976, Isabelle Aubret a parfois été mise à l'écart en France. « Je n'ai pas choisi le chemin le plus facile, reconnait-elle. J'étais peut-être trop jolie pour chanter des chansons aussi sévères. » Alain Delon, l'un de ses amis, résume bien les choses : « Je l'aime pour ce qu'elle est, ce qu'elle chante et ce qu'elle se refuse à chanter. »

    Chanter « la Liberté »

    En 1982, nouvel accident. Elle chute d'un trapèze au gala de l'Union des artistes et se brise les jambes. Il lui faut deux ans de rééducation pour pouvoir reprendre les tournées à travers le monde. « Ma chance, c'est d'être toujours restée positive. J'ai toujours vécu le museau en l'air, cela m'a gardé debout. »

    Elle n'a pas eu d'enfant. « Il y a eu mon premier accident... Et les hommes de ma vie n'en ont pas voulu. » Ses « Jules et Jim », comme elle les appelle. Serge Sentis, son pianiste, disparu l'an dernier, et Gérard Meys, son producteur, à ses côtés depuis le début de sa carrière. Brel et Ferrat ? « Non, ce sont de vraies histoires d'amis. Jacques était mon frère de coeur et j'appelais Jean  tonton. »

    A 78 ans, elle qui a toujours voté à gauche, suit l'actualité et la politique avec un regard aiguisé. Son nouvel album en témoigne : il mêle ses souvenirs, ses hommages, et ses combats.

    Elle chante « Charlie Hebdo » dans « la Belle Endormie ». « Je ne connaissais aucun dessinateur, mais c'est d'une telle violence de vouloir empêcher les gens de dire ce qu'ils ont envie de dire. Je suis allée toute seule marcher place de la République pour Charlie Hebdo. On a tous en nous le diable et le démon. Alors à nous de choisir, est-ce qu'on va être meilleur ou pire ? »

    Dans cet ultime disque soigné et généreux, elle reprend « la Liberté », créée en 1969. « Plus que jamais il faut chanter ces chansons, non pour éveiller les consciences -- elles le sont déjà --, mais pour qu'elles se sentent plus que jamais solidaires. Le titre Allons enfants veut dire qu'il faut toujours se battre. C'est ma vie. »

    « Allons enfants » d'Isabelle Aubret, 2016, Sony Music/Meys, 17 €.

    A 70 ans, elle jouait « les Monologues du vagin »