'Hold-Up' : "À partir de faits, le documentaire est bâti comme une vraie entreprise de désinformation"
Par Éric Chaverou, Benoît GrossinEntretien. Le documentaire viral "Hold-Up" veut dénoncer des mensonges et manipulations depuis le début de la crise sanitaire. Il s'en prend à l'État, aux médias, à la communauté scientifique et il évoque aussi une conspiration mondiale, avec des témoignages de "complotistes", selon Tristan Mendès France.
Le documentaire Hold-Up, sorti officiellement en ligne le 11 novembre, est autant contesté qu'il touche un très large public, soutenu notamment par Sophie Marceau ou le sénateur Les Républicains de Bourgogne Alain Houpert. Il a été réalisé grâce à un financement participatif de près de 200 000 euros sur la plateforme Ulule, dont le PDG s'est longuement justifié, pour un objectif initial dix fois moindre. Mais pas seulement, détaille le directeur de production Nicolas Réoutsky, puisque la plateforme Tipeee a aussi été utilisée. Elle indique toutefois désormais un avertissement pour avoir "reçu un grand nombre de signalements à propos de potentielles fausses informations présentes sur cette page ou les contenus vers lesquels elle redirige".
Avec Christophe Cossé, son co-réalisateur et producteur, le journaliste Pierre Barnérias entend dénoncer mensonges et manipulations autour de la pandémie et va jusqu'à évoquer une conspiration mondiale, un plan "pour soumettre l'Humanité".
Hold-Up contient-il tous les ingrédients d'un film complotiste ?
Entretien avec Tristan Mendès France, maître de conférence associé à l'université de Paris Diderot spécialisé en cultures numériques et collaborateur à l'Observatoire du conspirationnisme.
Tristan Mendès France analyse "Hold-Up", interrogé par Benoît Grossin
2 min
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Est-ce que Hold-Up est un "film citoyen", comme cela est indiqué dans sa bande-annonce ?
Hold-Up est essentiellement un documentaire qui a été fait par des amateurs qui revendiquent être des citoyens lambda qui se lancent en quête d'une vérité autour de la séquence coronavirus. Mais il s'agit essentiellement d'un documentaire complotiste qui en a tous les aspects. Il existe de nombreux documentaires de ce type-là en ligne, qui sont poussés en ligne, notamment via les réseaux sociaux. Ce documentaire n'en est qu'un exemple parmi d'autres, avec la particularité de l'explosion virale dont il a bénéficié et le financement particulier qu'il a utilisé pour se monter.
Il a réussi à lever quelques centaines de milliers d'euros en quelques semaines et tout cela a infusé sur les réseaux sociaux. Le cumul du buzz viral fait en amont depuis octobre sur les réseaux sociaux et l'utilisation de ces plateformes participatives, souvent partagées sur les réseaux sociaux, a permis ce financement assez inédit dans des délais extrêmement courts.
Et il n'a quasiment rien de journalistique dans la mesure où il n'y a aucune contradiction dans les 2h40 qu'il dure. Aucun des propos avancés, aucune des théories poussées ne sont mises en contradiction avec quoi que ce soit. C'est un documentaire unilatéral, qui n'a qu'un seul objectif : nous montrer tous les éléments qu'ils ont pu grappiller çà et là - des théories complotistes qu'ils ont pu agréger - et qui expliqueraient, en gros, qu'il y a un complot international d'une élite mondiale associée, pourquoi pas, à du big pharma, à des lobbies pharmaceutiques. Une élite qui comploterait contre les citoyens et notamment contre les pauvres.
Quel forme a été choisie pour cette démonstration ?
Le dispositif du documentaire est assez classique pour ce genre de production complotiste. C'est un véritable millefeuille argumentatif ou des séries d'intervenants (37) viennent exposer sans aucune contradiction leur perception, leur ressenti, voire essayent d'argumenter avec des éléments qui ne sont pas sourcés, qui ne sont pas vérifiables ou vérifiés la plupart du temps. Et ce perlage de témoignages pourrait créer une sorte de confusion chez quelqu'un qui serait exposé pour la première fois à ce documentaire sur la durée, de doute sur tout ce qui est avancé, tout ce que l'on peut entendre dans les médias ou de la part du gouvernement.
On assiste à un mélange de différents types d'individus qui viennent témoigner avec des expertises distinctes. C'est un classique dans ce type de production complotiste. Il y a des citoyens lambda et des personnalités qui donnent un certain vernis de crédibilité. On a un ancien ministre (de la Santé), monsieur Douste-Blazy, qui visiblement s'est fait avoir et a accepté sans savoir véritablement quelle était la destination de cette production.
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Le professeur Luc Montagnier, prix Nobel de médecine 2008, est aussi interrogé. Ainsi que Monique Pinçon-Charlot, une sociologue assez connue dans son milieu. Elle était même très reconnue, avec un parcours très respectable, mais elle semble avoir "basculé" ces dernières années. Dans ce documentaire, elle tient des propos ahurissants, inquiétants. Elle parle d'une volonté des élites de commettre une extermination de masse contre les pauvres. Elle invoque le nazisme, qui est un "point Godwin" tout de suite coché. Son témoignage est un des plus déroutants.
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Quels sont les principaux messages véhiculés dans ce que vous considérez comme un mélange de "personnes lambda", de personnalités et de complotistes ?
Le documentaire agrège une grande partie des théories complotistes qui circulent depuis plusieurs mois autour du coronavirus. Il comprend une remise en cause de l'utilité du masque. Il y a des théories complotistes relatives à l'origine, la létalité du coronavirus et de son traitement.
Personne ne fait la promotion de l'intérêt des vaccins. Il est en revanche évoqué le fait que le coronavirus serait peut-être, pourquoi pas, une arme biochimique. Le consensus scientifique est attaqué frontalement dans le documentaire. Il y a une charge très spécifique sur le discrédit que l'on devrait avoir face au consensus scientifique qui est totalement remis en cause. Et le résultat, outre la confusion que cela peut générer auprès du spectateur lambda qui observerait cela, est une véritable remise en cause de toute parole, d'expertise, d'autorité, qu'elle provienne d'autorités sanitaires, du gouvernement ou des différents gouvernements qui font face à cette pandémie. Le documentaire a donné la parole et a donné un micro assez longuement à de nombreux complotistes qui sévissent en ligne et qui ont une forte audience.
Quels sont leurs profils ?
On a des individus assez folkloriques et peut-être que l'un de ceux qui est le plus ahurissant et qui est pour moi assez révélateur de ce qu'est ce documentaire - une vraie entreprise de désinformation - est le dénommé Silvano Trotta. Cet individu qui n'a aucune expertise épidémique spécifique, mais qui est quelqu'un qui croit notamment que la lune est creuse et qu'on n'a jamais aluni... Voilà le type d'intervenants qui viennent nourrir cette production documentaire en ligne qui est vraiment probablement l'une des vidéos complotistes virales francophones les plus inquiétantes que j'ai pu voir ces dernières années.
Et il y aussi beaucoup d'intervenants de l'association BonSens, qui a déjà été décriée du fait qu'elle regroupe de nombreux complotistes dont les propos ont déjà été démontés à plusieurs reprises. Ce sont de pseudo experts médicaux ou des gens qui ont des titres médicaux, mais qui sont totalement décrédibilisés auprès de la communauté scientifique. Il y a donc vraiment un aéropage d'individus assez disparates, de l'expert ou supposé tel au citoyen lambda qui viennent s'exprimer. Le documentaire mélange des théories complotistes complètement délirantes avec des choses assez factuelles.
Des séquences concernent le gouvernement, les positions du gouvernement qui sont contradictoires, qui ont pu évoluer avec le temps, mais qui sont détachées de tout contexte. On peut donc voir le gouvernement qui émet des doutes, sur le masque par exemple. Les éléments qui sont apportés et qui sont éventuellement sourcés sont le plus souvent hors contexte, décontextualisés, ou même découpés de façon malhonnête. Il y a certains témoignages qui sont clairement des montages cherchant à induire en erreur les personnes exposées.
Les personnes interrogées ne seraient pas elles-mêmes, pour certaines, manipulées ?
Je pense que la majorité des gens qui s'expriment dans ce documentaire sont convaincus, de bonne foi, lorsqu'ils s'expriment. Reste que la façon dont ils ont été interrogés a pu, pour certains, les emmener sur un terrain qu'ils n'avaient pas envisagé d'évoquer. C'est probablement le cas pour les personnalités qui se sont faites avoir, qui ne savaient pas véritablement quel était l'objectif, quelle était la visée de ce documentaire.
Il est possible que certaines des personnes qui ont été interrogées ont été, d'une manière ou d'une autre, un peu instrumentalisées du fait qu'on ait caché ou qu'on n'ait pas expliqué clairement la visée du documentaire en les amenant sur un questionnement très segmenté, sans leur donner le "big picture" du projet.
Ce documentaire joue énormément sur l'affect, sur l'émotion. Il y a des plans fixes sur les visages qui ne s'expriment pas. Il y a des longueurs, énormément de longueurs. Il y a une musique pesante qui est présente tout au long du film. Il y a une séquence aux trois quarts du documentaire où on voit une personne qui témoigne et qui est en pleurs. Et on voit bien que la caméra s'appesantit sur cette personne en larmes. Il y a une volonté évidente de jouer sur la corde affective, avec des images aussi qui sont dramatiques, toute une atmosphère inquiétante, oppressante. Ce documentaire joue sur l'émotion, sur la peur et sur la crainte plus que sur la raison.
Que dire de cette conspiration mondiale qui est évoquée, de ce projet pour "soumettre l'Humanité" ?
Ce documentaire s'inscrit dans une histoire assez traditionnelle des discours complotistes. Il gravite essentiellement autour d'une figure que l'on retrouve systématiquement dans ces types de production : le fantasme d'une élite mondialisée qui conspirerait contre le peuple, les gens simples ou les pauvres. C'est une musique qui traverse tout le documentaire. Cette formule est déliée, déclinée sous différents aspects, sous différentes formes. Mais on tourne toujours autour de cette idée qu'il y a une élite mondiale qui conspirent contre le peuple d'en bas.
Hold-Up a une visée politique. Il cible les gouvernements et il a une charge particulière sur les démocraties progressistes. Il attaque évidemment le gouvernement Macron, mais il a un œil plutôt attendri envers la politique de Trump, qui est présentée en fin de documentaire de façon très positive. Si on ajoute à cela que le producteur, Christophe Cossé, a dit qu'il aurait pu appeler le film "Coup d'Etat", il est clair que ce documentaire est autre chose qu'une simple description distanciée, critique de cette séquence coronavirus. Sa tonalité idéologique est assez flagrante.
Est-ce qu’il y a, selon vous, des motifs d’inquiétude ?
Ce qui est inquiétant avec ce type de production en ligne et surtout la viralité et l'audience phénoménale qu'elle peut agréger, c'est qu’elle dépasse l'audience traditionnelle à laquelle elle est régulièrement exposée. D'habitude, ce sont plutôt les milieux extrémistes, plutôt l'extrême droite d'ailleurs, les milieux complotistes, qui vont consommer ce type de matériau-là. Ce qui est inquiétant, c'est qu'on a dépassé ces cercles traditionnels. Les plateformes participatives de financement, notamment, permettent à des groupuscules marginaux, des militants de clavier, de changer d'échelle dans la toxicité de leurs propos et de leur parole.
Ce documentaire est en train d'essaimer, de "contaminer" des communautés beaucoup plus larges, des individus qui se partagent entre eux. J'ai des témoignages de gens qui disent avoir reçu cette vidéo de la part d'un proche, d'un ami ou de l'avoir vu passer sur Facebook.
On a un documentaire qui devient un peu plus "mainstream" et qui risque de semer un doute dans la population de ceux qui sont exposés, un doute profond et une animosité très forte contre nos dirigeants et les médias. Cela peut avoir des conséquences significatives, électorales certainement, mais aussi prophylactiques, de santé publique. Déjà que la France est connue pour être très sceptique par rapport aux vaccins, ce documentaire va nourrir clairement cette dérive inquiétante de remise en cause, encore une fois, des paroles d'expertises et scientifiques. On peut estimer aujourd’hui que plus d’un million de personnes ont déjà vu Hold-Up et que, via les réseaux sociaux, des millions d’autres pourraient être atteintes.
Sans réactions critiques de politiques, par exemple ?
Quelques unes commencent à poindre. On est au début de cette séquence et on a quelques députés qui se sont inquiétés de la diffusion de ce documentaire. Je pense que les réactions vont revenir à mesure de l'augmentation de son audience et de sa toxicité.
Mais après ça, le problème, est : que peut-on faire ? Le politique est un peu démuni face à ce type d'éruption et ce type de diffusion et de production complotiste en ligne.
Tant que ce documentaire n'est pas condamné par la justice, tant que des propos n'ont pas été considérés comme étant condamnables judiciairement, il est difficile d'arrêter sa diffusion. Pour l'instant, aucun des propos qui ont été tenus n'ont été l'objet d'une action en justice.
A écouter aussi à ce sujet :
Alexis Lévrier, maître de conférences à l'Université de Reims, spécialiste de l'histoire des médias, était l'invité de Stanislas Vasak dans le journal de 22h de ce jeudi :
Alexis Lévrier : "Une partie de l'opinion publique a besoin de désigner des coupables, des boucs émissaires"
11 min
Tout n'est pas contestable. Il y a d'ailleurs des scientifiques, des universitaires renommés qui sont interviewés. Le problème, c'est la manière dont ce documentaire est monté. C'est en cela que ce n'est pas du tout une démarche journalistique. Il n'y a pas de contradiction. En plus avec un montage des interviews, une petite musique qui dramatise chaque prise de parole, le tout allant toujours dans le même sens. Au début, quand on regarde le documentaire, cela peut paraître encore assez rationnel. Il y a des critiques réelles sur l'attitude de l'OMS, sur l'attitude du pouvoir politique. Tout cela est tout à fait recevable. Sauf qu'on voit se dérouler et se construire progressivement un discours complotiste qui finit par s'affirmer à la fin du documentaire et désigner des coupables qui sont les big pharma, Bill Gates, le Forum économique mondial de Davos. Ce serait les vrais coupables de cette pandémie et de la crise que nous sommes en train de vivre, et cela relève du complotisme le plus avéré, le plus dangereux.
Références