Calaméo - Les Grandes affaires criminelles n°3
Les Grandes affaires criminelles n°3
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Les Grandes affaires criminelles n°3

by Groupe Oracom

LesGrand and a es aff aff a aires Buffet/Bontems, chronique d’un carnageannoncé 21grandes affaires criminelles françaises mais aussi Un serial killer dans l’Oise… Cristal-Palace: Bibi et les filles de joie Rendez-vous au paradis Les lettres de Vouziers ...... More

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LesGrand and a es aff aff a aires Buffet/Bontems, chronique d’un carnageannoncé 21grandes affaires criminelles françaises mais aussi Un serial killer dans l’Oise… Cristal-Palace: Bibi et les filles de joie Rendez-vous au paradis Les lettres de Vouziers ... Une plongée au cœur du crime n ° 3 Mars•Avril Mai 2015 NUMÉRO 3 130 pages Le procès pour double crime de Barataud La mutinerie sanglante de Belle-Île Landru, le tueur aux petites annonces Landru, le tueur aux petites annonces Le procès pour double crime La mutinerie «Le complot alsacien», procès politique à Colmar Buffet/Bontems, chronique d’un carnageannoncé

SOMMAIRE 4 SOMMAIRE SOMMAIRE SOMMAIRE SOMMAIRE Dans ce numéro 24 64 Du sang sur le blé : le drame d’Étampes L’affaire Jacques Guillaume Simonneau Par Philippe Grandcoing 18 L’affaire Lepeletier de Saint-Fargeau, ou la vengeance du roi L’affaire Lepeletier de Saint-Fargeau Par Philippe Grandcoing 24 La Fleuriotte, ou le Beau-Toquat Un « feumi » ! L’affaire Louise Fleuriot Par Alain Dommanget 30 Les lettres de Vouziers L’affaire Auguste Labauve et Frédéric Benoit Par Bruno Dehaye 34 Un lieu, deux hommes : Clairvaux, Claude Gueux, Victor Hugo La peine de mort en question L’affaire Claude Gueux Par Alain Dommanget 40 Dans la gueule du loup ! L’affaire Alexandre-Dorothé Lault Par Thierry Desseux 46 Rendez-vous au paradis L’affaire de l’abbé Lamalle Par Thierry Desseux 48 La mutinerie sanglante de Belle-Île L’affaire des adolescents criminels Par Christophe Belser 50 Table rase : la suppression de la famille Fouquet L’affaire Désiré Fouquet Par Christophe Belser 56 Arleuf : le mystère du grand Pierre L’affaire Pierre Laumain Par Thierry Desseux 60 Landru, le tueur aux petites annonces L’affaire Henri-Désiré Landru Par Christophe Belser 62 « Le complot alsacien », procès politique à Colmar L’affaire des autonomistes alsacienslorrains Par Christophe Belser 70 Actualités de l’Histoire 6 Portfolio Les images du crime. Acte I – Barthou,Troppmann, les chauffeurs de la Drôme 12 Portfolio Les images du crime. Acte II – Émile Buisson, Stavisky et Mesrine 84 21 grandes affaires criminelles françaises Plongez au cœur du crime ! Le procès pour double crime de Charles Barataud L’affaire Barataud Par Vincent Brousse 76 Le meurtre du père L’affaire Jean Galmot Par Jean-François Miniac 90 Saint Oustric, priez pour eux ! L’affaire Oustric Par Jean-François Miniac 96 Le premier “Hanau” de la chaîne L’affaire Marthe Hanau Par Jean-François Miniac 102 Les vingt-quatre coups de la petite bonne L’affaire Anna Veligosek Par Thierry Desseux 108 Cristal-Palace : Bibi et les filles de joie L’affaire Charles Lacour Par Thierry Desseux 110 Telle est la question L’affaire Alfred Locussol Par Jean-François Miniac 112 Claude Buffet. Roger Bontems. Chronique d’un carnage annoncé Deux anciens d’Indochine et d’Algérie... L’affaire Buffet-Bontems Par Alain Dommanget 118 Un serial killer dans l’Oise L’affaire Marcel Barbeault Par Bruno Dehaye 126 40 90

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Une ressource documentaire exceptionnelle Alors que la célébration du centenaire de la Première Guerre mondiale a débuté en 2014, il est bon de rappeler que les chercheurs ou le grand public ont aujourd’hui à leur disposition des ressources documentaires d’une richesse exceptionnelle. C’est ainsi que le Service des cours et tribunaux de Sa Majesté du Royaume-Uni et Iron Mountain ont préservé, scanné et mis en ligne plus de 3,5 millions de testaments des soldats de la Première Guerre mondiale consultables sur le site www.gov.uk/wills-probate-inheritance/ searching-for-probate-records. Cette base de données constitue naturellement une mine d’informations pour les généalogistes. Elle témoigne avec acuité de la brutalité d’un conflit sanglant et de l’appréhension de la mort chez les combattants, dont les derniers mots restent, à un siècle de distance, extrêmement poignants. 500e anniversaire du couronnement de François Ier L’année 2015 va permettre de célébrer le 500e anniversaire du couronnement de François d’Angoulême sous le nom de François Ier (1494-1547). Souverain emblématique de la Renaissance française, roi guerrier notamment pour empêcher l’essor de l’empire des Habsbourg (victoire de Marignan en 1515 mais défaite cinglante de Pavie en 1525). Ami des arts et des lettres, il facilita la propagation de la Renaissance en France, attirant auprès de lui les plus grands artistes tel Léonard de Vinci. Pour cet anniversaire, le château d’Amboise, où grandit François Ier , prévoit l’organisation de multiples événements  : expositions, visites, concerts et reconstitutions historiques. Le premier d’entre eux est une visite guidée proposée depuis le 25 janvier sur le thème des « belles années de François Ier à Amboise » ; de son côté, un autre fleuron des châteaux de la Loire, le château royal de Blois, construit durant le règne de François Ier , organise une vaste exposition en collaboration avec la Bibliothèque nationale de France qui présente au public les plus beaux livres du monarque accompagnés d’une sélection d’objets d’art provenant eux aussi des collections royales, soit 140 pièces sélectionnées, dont près de 130 sont conservées à la Bibliothèque nationale de France (livres, manuscrits et imprimés, reliures précieuses, gravures et dessins, monnaies et médailles, objets d’art et bijoux). L’événement permet de découvrir des chefs-d’œuvre comme les célèbres Grandes heures d’Anne de Bretagne enluminées par Jean Bourdichon ; les Heures de Louis de Laval enluminées par Jean Colombe, considérées comme le manuscrit le plus enluminé au monde avec près de 1200 miniatures ; une des vingt reliures brodées de la Renaissance encore conservées au monde ; la Bible de Robert Estienne, imprimée en 1540, et dotée d’une très précieuse reliure marquée du F royal. Autant de témoignages remarquables sur l’édition à l’époque moderne bouleversée par la Renaissance. Visite guidée, « Les belles années de François Ier à Amboise », château d’Amboise, 37 403 Amboise, depuis le 25 janvier 2015. Exposition « Trésors royaux, la bibliothèque de François Ier   », du 4 juillet au 18 octobre 2015, château royal de Blois, 6 Place du Château, 41000 Blois. La Shoah vue par les caméras soviétiques Comment les Soviétiques perçurent-ils la Shoah et comment en rendirent-ils compte ? C’est notamment à ces deux questions que tente de répondre l’exposition “Filmer la guerre : les Soviétiques face à la Shoah (1941-1946)”, proposée par le Mémorial de la Shoah, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale et de la libération des camps par les Alliés. Dès 1941, des opérateurs de l’Armée rouge filmèrent le Front et la guerre contre les nazis. Ils apportèrent également des images des massacres commis contre les populations civiles et notamment les prémices de l’extermination des juifs d’Europe de l’Est. L’exposition relate dans quelles circonstances ont été filmées puis exploitées ces images exceptionnelles. Elle s’intéresse également à la stratégie de communication du régime stalinien qui s’est efforcé de minimiser le caractère antijuif spécifique des exactions du IIIe  Reich et de privilégier au contraire l’histoire de la “Grande guerre patriotique” au cinéma. Enfin, ces films et images apportent des témoignages inédits sur la Shoah puisqu’ils n’ont jamais été exploités depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les centaines d’images montrées dans cette exposition dévoilent l’ouverture des fosses et les traces des exécutions de masse en Europe de l’Est (Babi Yar, Rostov, Krasnodar, Kertch, etc.), la libération des camps de concentration et d’extermination (Klooga, Majdanek, Auschwitz, etc.), ainsi que les multiples procès et exécutions qui suivirent la Libération. L’exposition a bénéficié de prêts du RGAKFD (Russian State Documentary Film and Photo Archives), des Archives Nationales de Paris, de la Bibliothèque Medem, de la Bibliothèque Tourgueniev, de la BDIC et de la Cinémathèque française. “Filmer la guerre : les Soviétiques face à la Shoah (1941-1946)”, exposition temporaire, cycle de films et de rencontres. Du 8 janvier au 27 septembre 2015. 6 ACTUS ACTUS Expositions - Divers

Une souscription pour la Merveille Dans le cadre des journées européennes du Patrimoine qui se sont déroulées les 20 et 21 septembre 2014, la Cité de l’Architecture et du Patrimoine de Paris a lancé une souscription publique pour la sauvegarde et la restauration de la maquette de la célèbre Merveille du Mont-Saint-Michel. Conservée dans les réserves de la Cité, cette Mémoire et recherche autour du centenaire de la Grande Guerre L’université Paris  1 PanthéonSorbonne et la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale ont conclu le 17  septembre  2014 une convention pour la création d’un “Observatoire du Centenaire”, cellule de recherche pluridisciplinaire sur le centenaire de la Grande Guerre et le cycle mémoriel de 2014-2018. Cet observatoire sera rattaché à l’Institut des études sur la guerre et la paix de l’université Paris 1. Il accompagnera les innombrables événements liés au centenaire de la Grande Guerre, en assurera la promotion auprès des médias et du public, notamment par le biais d’un site Internet. Il permettra également de mieux comprendre les ressorts mémoriels de ce centenaire via un séminaire mensuel. Le 70e anniversaire des CRS Le 8 décembre 1944,le général de Gaulle,chef du GPRF,fondait par décret les Compagnies républicaines de sécurité. Ces unités mobiles de maintien de l’ordre remplaçaient les Groupes mobiles de réserve (GMR) que le gouvernement de Vichy avait créés. Dès leur fondation, les CRS se voient assigner un rôle de défense des intérêts de la république. C’est pourquoi ces hommes sont engagés tant lors de la surveillance et l’encadrement de manifestations mais également contre toutes les formes de délinquance, qu’elles soient subversives (guérillas urbaines) ou crapuleuses. Les CRS sont également impliqués dans le sauvetage en mer ou en montagne ainsi que pour la surveillance des personnalités publiques. Cette omniprésence les rend clairement identifiables auprès de la population et les CRS sont devenus pour leurs contempteurs des symboles de la répression, usant pour certains de l’amalgame totalement inepte de “CRS = SS”. Pour célébrer leur naissance, La Poste publie un timbre illustrant les différentes missions qui leur sont assignées. Réalisé par Stéphane Humbert-Basset, il a été tiré à 1,2 million d’exemplaires et est en vente depuis le 8 décembre 2014. maquette en calcaire de 2,60 mètres de hauteur a été réalisée au début des années 1880 dans le cadre du projet de restauration du Mont-Saint-Michel. L’œuvre a ensuite été offerte au musée de la Cité en 1885 et présentée au public entre 1882 et 1895. D’une précision extraordinaire, elle reproduit la partie gothique de l’abbaye normande. Les travaux nécessitent un budget de 25 000 euros. Les souscripteurs peuvent s’impliquer dans ce projet patrimonial via le site http://fr.ulule.com/restaurons-la-merveille/. 7

Du sang sur le blé le drame d’Étampes « Mourons pour des idées, d’accord, mais de mort lente », chantait Brassens. Pourtant, au cours de la Révolution française, nombreux furent ceux qui connurent une fin brutale au nom de valeurs politiques. Si beaucoup furent des morts anonymes, quelques-uns acquirent une célébrité posthume. D’autres, à l’instar de Simonneau, furent en leur temps élevés au rang de martyr, avant de sombrer dans l’oubli le plus complet. Essayons donc de comprendre les mécanismes qui ont transformé un crime sanglant en un événement riche de significations politiques. e 3  mars  1792, il y avait foule sur la place Saint-Gilles d’Étampes. Des femmes de la ville faisant leur marché, mais aussi des paysans et des artisans des alentours venus là pour acheter du blé. Car, en plein cœur de la riche Beauce, les céréales commençaient à manquer. Le blé, une question économique vitale On a du mal à imaginer aujourd’hui combien cette question du blé était alors cruciale. Il faut imaginer qu’en 1792 18 1792 1792

Les Glaneuses de Jean-François Millet (musée d’Orsay à Paris, photo décembre 2008.) © Gérald Bloncourt/Rue des Archives. par Philippe Grandcoing Du sang sur le blé : le drame d’Étampes 19 Du sang sur le blé :

Victor Hugo (1802-1885), ici en 1830, gravure. © Granger NYC/Rue des Archives. 1834 40 1834 1834

La peine de mort en question Un lieu, deux hommes : Clairvaux, Claude Gueux, Victor Hugo Le département de l’Aube, situé au sud-est de la région Champagne-Ardenne, présente la particularité d’avoir été le théâtre de deux “affaires criminelles” qui, à cent cinquante ans d’intervalle, ont été utilisées par deux personnages illustres dans leur lutte contre la peine de mort. Le plus proche de nous est Robert Badinter qui, en 1977, défendit Patrick Henry, mais surtout se servit de ce procès pour tenter de mettre fin à près de deux cents ans de guillotine. Son combat finit par aboutir puisque la peine de mort fut abolie alors qu’il était garde des Sceaux en 1981. ’autre, le premier donc, est encore plus connu. En revanche, son combat contre la peine de mort a été quelque peu oublié. Il s’agit de Victor Hugo. Très jeune, Hugo fut à deux reprises le témoin partiel d’exécutions capitales. Il en resta profondément marqué et à jamais déterminé à utiliser toute son énergie d’homme de lettres et d’homme politique pour tenter d’abolir ce « meurtre judiciaire ». En 1829, alors qu’il n’a pas même 30  ans, Hugo écrit Le Dernier jour d’un condamné, un premier plaidoyer contre la peine capitale. Les mots qu’il utilise dans la préface de la réédition de 1832 sont sans complaisance. L’écriture de ce livre, dit-il, a permis à l’auteur (lui-même, donc) « de ne plus sentir à son front cette goutte de sang qui rejaillit de la Grève* sur les membres de toute la communauté sociale ». «  Toutefois, ajoute-t-il, se laver les mains est bien, empêcher le sang de couler est mieux. Aussi ne connaîtraitil pas (toujours lui-même, l’auteur) de but plus élevé, plus saint, plus auguste, que celui-là  : concourir à l’abolition de la peine de mort. » En mars de cette même année 1832, Hugo lit dans La Gazette des tribunaux le compte rendu du procès d’un dénommé Claude Gueux (dit Lacroix, car il signait d’une croix), condamné à mort pour meurtre. Cet homme, détenu à la prison de Clairvaux pour vol, y avait tué à coups de hache le gardien-chef Delacelle avant de tenter de se donner la mort en se plantant des ciseaux dans la poitrine. Les médecins l’avaient sauvé, lui rendant suffisamment de force pour gravir les marches de l’échafaud. Hugo publia, deux ans plus tard, un court roman intitulé Claude Gueux, nouveau plaidoyer contre la peine de mort. Clairvaux : de tout temps un lieu d’enfermement ! Clairvaux (de claire vallée), à une quinzaine de kilomètres de Bar-surAube, fut d’abord une abbaye dont les premiers bâtiments furent construits par saint Bernard en 1115. Elle se développa très rapidement et lorsque, au XIVe   siècle, débuta la guerre de Cent Ans, elle comptait pas moins de vingt-cinq mille hectares de terre, dont quinze mille de bois. Soldats et bandits de grand chemin furent à l’origine de la destruction de nombreux bâtiments. Et l’abbaye ne fut réellement reconstruite qu’au XVIIIe  siècle... avant de perdre tout caractère religieux en 1791, année qui vit le départ des derniers moines. D’abord bien national, elle fut rapidement vendue pour être transformée en bâtiment industriel. C’est sous l’Empire que l’emprisonnement devint réellement une peine, d’où la nécessité de trouver des lieux Claude Gueux, détenu à la prison de Clairvaux pour vol, y avait tué à coups de hache le gardien-chef Delacelle avant de tenter de se donner la mort en se plantant des ciseaux dans la poitrine. par Alain Dommanget La peine de mort en question 41

Table rase La suppression de la famille Fouquet Pourquoi un honnête comptable massacre-t-il toute sa famille à Laval dans la nuit du 1er au 2 novembre 1911 ? n cette matinée du vendredi  3  novembre  1911, les services de la Recette générale du département de la Mayenne à Laval sont en ébullition : Désiré Fouquet, deuxième fondé de pouvoir et chef de la comptabilité, a disparu depuis la veille avec la somme de 120 000 francs (soit près de 400 000 euros actuels) destinée à la recette particulière des nances de la ville de Mayenne. Son supérieur, le trésorier-payeur général de la Mayenne, M.  Esco er, envoie l’un de ses subordonnés au domicile de Fouquet.Celui-cirésideavecsafemme et son ls dans une petite maison située au  5 de la rue d’Avesnières, à la périphérie du centre de Laval. Malgré les coups portés à la porte et les appels répétés du fonctionnaire, nul ne répond. La double disparition de Fouquet et de l’argent convainc Esco er d’alerter la police. Massacre rue d’Avesnières Unagentestenvoyéenreconnaissance rue d’Avesnières. Constatant à son tour l’absence apparente de la famille Fouquet, il décide de forcer l’entrée. Il brise la vitre d’une fenêtre du rez-dechaussée avec sa matraque et pénètre dans la maison. Il avance dans le couloir où règne une semi-obscurité. Il bute alors sur une lourde forme qui gît inanimée au sol. Il se relève et constate qu’il s’agit du cadavre d’un chien. Il sort aussitôt son arme de service avant d’inspecter les pièces de la maison. Au premier étage, il découvre dans une chambre d’enfant le corps d’un garçonnet d’une dizaine d’années, étendu sur son lit, un trou sanguinolent sur la tempe. Un second cadavre l’attend dans la chambre des parents : celui d’une femme, allongée sur le sol, les bras en croix, dans une mare de sang. Le meurtrier n’a laissé derrière lui aucun être vivant puisque la dépouille d’un chat est retrouvée, visiblement tué d’une balle. L’alerte est aussitôt donnée au commissariat central où l’enquête est prise en main par le commissaire Rapte. Les examens médico-légaux montrent que les deux victimes sont l’épouse de Désiré Fouquet, Blanche, et son ls, André, âgé de 10 ans. Tous deux ont été abattus à bout portant par des projectiles tirés dans la tête. Ils ont été assassinés dans la nuit du 1er   au 2  novembre. Désiré Fouquet est quant à lui introuvable. Il apparaît comme le principal suspect. Le vol des 120  000  francs constitue-t-il le mobile du crime ? Pour élucider cette a aire, Rapte et ses hommes tentent de retracer les derniers faits et gestes du comptable. Un véritable colosse Tous ceux qui ont approché Fouquet en témoignent  : l’homme Fouquet impressionne par sa haute stature. C’est en effet un colosse d’un mètre quatre-vingtdouze dont l’aspect farouche est accru par une barbe foisonnante et de larges bacchantes qui lui mangent littéralement le visage. Désiré Fouquet sous l’uniforme de sousofficier fourrier. © D.R. 1911 56 1911 1911

Un couple très uni Fouquet formait un couple très uni avec son épouse. Blanche Brière était née à Auverneau en 1869. Selon le voisinage, c’était une femme charmante et discrète, quoique maladive, qui ne semblait vivre que pour son mari et son ls. Elle avait rencontré Désiré à Abbeville. Le couple s’était marié et avait eu une petite lle qui était morte en bas âge. Il avait ensuite déménagé à Amiens où André était né en 1901. La famille Fouquet s’était fondue sans problème apparent dans le paysage lavallois. On la voyait fréquemment se promener le long des quais de la Mayenne ou dans les jardins de la mairie. Le couple aimait également s’attabler à la terrasse du Grand Café, l’un des établissements les plus réputés de la ville, pour o rir un chocolat à leur garçonnet. Dans leur sillage, les Fouquet tenaient en laisse un énorme danois dont les proportions étaient comparables à celles de son maître. « Un si terrible assassin ! » Ce tableau d’une famille presque parfaite est con rmé par Esco er. Interrogé par Rapte, celui-ci n’a plus revu son subordonné depuis le 2 novembre au matin. Fouquet était arrivé à son travail normalement et n’avait montré aucun signe de nervosité ou d’inquiétude alors que sa femme et son fils étaient déjà morts. Il avait quitté son bureau après neuf heures trente pour se rendre à la succursale de la Banque de France, place de la Mairie, a n de retirer la somme de 120 000 francs qu’il devait emporter à Mayenne. Sur place, les policiers parviennent à retrouver un témoin-clé ayant croisé la route du suspect à la sortie de la banque. Il s’agit d’un chau eur de taxi, Constant Rabineau, employé de la compagnie Lainé, qui avait Le 2 novembre au matin, Fouquet était arrivé à son travail normalement et n’avait montré aucun signe de nervosité ou d’inquiétude alors que sa femme et son ls étaient déjà morts… La Banque de France de Laval où Fouquet dérobe 120 000 francs. © D.R. impressionne par sa haute stature. C’est en e et un colosse d’un mètre quatre-vingt-douze dont l’aspect farouche est accru par une barbe foisonnante et de larges bacchantes qui lui mangent littéralement le visage. Ses yeux gris semblent percer du regard ses interlocuteurs. Toujours soigneusement coi é d’une mèche sur le côté, il a l’habitude de porter des costumes sombres et un invariable chapeau melon. Malgré cette allure inquiétante de croquemort, le géant est décrit comme un homme a able et poli. Désiré-Léon Fouquet est né le 6  mars  1873 à Pipry, dans l’Oise. Après des études secondaires, il s’était engagé dans l’arméeetavaitservidanslescolonies. De retour en métropole, il avait été a ecté au 28e  régiment d’infanterie à Abbeville comme adjudant vaguemestre. Revenu à la vie civile, il était entré dans l’administration des Impôts. Au l des ans, il s’était élevé dans la hiérarchie et était devenu fondé de pouvoir de la recette municipale de Villefranche, dans l’Orne. Il y avait fait la connaissance d’Esco er avec qui il avait noué des relations amicales. Celui-ci l’avait donc retrouvé avec plaisir lors de sa promotion à Laval en 1910. Fouquet massacre sa famille dans la maison qu’elle occupe rue d’Avesnières à Laval. © Photo Christophe Belser. par Christophe Belser Table rase : la suppression de la famille Fouquet 57

Le procès pour double crime de Charles Barataud L’une des plus grandes affaires criminelles du Limousin met en scène un certain Charles Barataud… n ce mercredi 29 mai 1929, Charles Barataud, qui à deux reprises a tenté de mettre n à ses jours entre les murs de sa cellule à la maison carcérale du champ de foire, comparaît en n devant la cour d’assises de Limoges. Escorté par des Charles Barataud. © D.R. gardes à cheval, il sort à sept heures de la prison pour gagner le palais de justice situé à quelques centaines de mètres. Le “beau Charley” Vêtu d’un complet beige, le “beau Charley” est méconnaissable, exsangue, fébrile. Il a la moustache et la barbe taillées à la tondeuse, et tient à peine debout. Les gardiens le portent comme un paquet dans la camionnette qui l’attend à la porte. Devant la prison s’étend le champ de foire, en pente jusqu’au musée de la porcelaine. Dès l’aube, il y avait foule, des ouvriers, ceux de la chaussure et de la porcelaine, des employés, des curieux, des ménagères qui voulaient voir Barataud avant de 1928 76 1928 1928

porcelaine, un ls de famille, sportif aussi bien en tennis qu’en football, maisunêtreprécédéd’uneréputation sulfureuse. Il y a là, dans la partie réservée à la presse, outre l’envoyé spécial du Matin, ceux de L’Écho de Paris, du Petit Journal, du Populaire de Paris, André Salmon pour Le Petit Parisien, Georges Claretie pour Le Figaro et Pierre Bénard de L’Œuvre. Mais aussi Détective, dont ce sont les débuts, L’Humanité qui envoie Camille Fégy*… En tout, quarante titres côtoyant les trois titres de la presse locale. Celle-ci se clive entre la presse modérée qui ne prend pas parti, et la presse de gauche qui tire à boulets rouges sur Barataud. Décadent, inverti, dévoyé En particulier, Le Travailleur du Centre, journal communiste du Limousin-Périgord, décrit le jeune industriel comme un «  décadent, inverti, dévoyé », dé nissant ainsi une bourgeoisie désœuvrée, jouisseuse et exploiteuse d’un monde ouvrier forcément intègre. L’Humanité s’en donne à cœur joie le jour de l’ouverture du procès  : «  Barataud […] c’était une des têtes de Limoges, il était le ls d’un commis des postes devenu multimillionnaire en quinze ans. Ancien élève des Jésuites à Montalembert – Ah ! Cette éducation chrétienne  !  – Passé par Saint-Cyr, o cier de réserve deux fois cité – les voilà bien les vertus militaires –, il exploitait une carrière de kaolin, et était en relation d’a aires avec toute la porcelaine de Limoges. Mondain, élégant, sportif, il ne quittait les pullower (sic) éblouissants arborés sur les cours de tennis que pour le maillot du Red Star, dont il commandait l’équipe de football – où est-il le sport Meurtres, préméditation, guet-apens, vol qualifié… Le beau Charles, la tête aux cheveux frisés, de plus en plus inclinée comme si elle devait tout à l’heure rouler sur son bras replié… gagner leurs usines ou leurs bureaux, ou d’aller faire les courses. Quand paraît l’industriel suspecté des deux meurtres, un cri s’échappe de la foule « À mort ! ». Aux abords du palais de justice, l’a uence est telle que la circulation automobile est en partie interrompue. Des cordons de gardes à cheval et de policiers tentent d’assurer un service d’ordre de plus en plus di cile à maintenir, sous un soleil impitoyable. À neuf heures trente, Barataud entre dans la salle d’audience, titubant quelque peu, encadré par cinq gendarmes. Il arbore un nez pincé, l’œil perdu sous l’arcade sourcilière, son visage aigu et blanc est souligné par le roux de sa barbe. La Cour a accepté qu’il puisse comparaître assis, vu son état de fébrilité. Le président Tereygeol, qui préside les débats, âgé de 68 ans et en poste à Limoges depuis vingt-deux ans, lui pose la première question : « Quel âge avez-vous ? — 33 ans. Un peu plus…  », rétorque le président. Charles Barataud fait un geste vague, qu’importe son âge, il s’en souvient à peine. « Le coude gauche appuyé sur la barre des accusés, il tourne le dos à la salle comble, où les premiers murmures sont aussitôt arrêtés par le président. Meurtres, préméditation, guet-apens, vol qualifié… Le beau Charles, la tête aux cheveux frisés, de plus en plus inclinée comme si elle devait tout à l’heure rouler sur son bras replié, écoute l’interminable lecture des actes de renvoi et d’accusation », écrit le correspondant du Matin. En e et, toute la presse parisienne et de province s’est rendue à Limoges pour ce procès extraordinaire, qui voit comparaître un industriel de la Le palais de justice de Limoges. André Salmon y chronique le procès Barataud, retentissant et suivi. © D.R. par Vincent Brousse Le procès pour double crime de Charles Barataud 77

ientôt, un homme providentiel change la donne : l’Italien Ricardo Gualino, un industriel et député fasciste, ambeur et conquérant. Président du groupe industriel Snia-Visconsa, une société italienne de soie arti cielle, “l’œil du fascio à la Banque d’Italie” a racheté à bas prix des actions françaises après l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1924. Depuis, il a con é son portefeuille d’actions à Oustric, en espérant un retournement de marché au retour rapide de la droite et de fructueuses plus-values. Grâce à cette manne italienne, Oustric se mue en a airiste et sa petite banque devient l’une des majeures de Paris, avec un capital de 100 millions de francs. Dont un seul quart a été versé… Il fonde alors une kyrielle de sociétés, pourvoyant leur conseil d’honorables administrateurs, et prend des participations dans nombre d’autres entreprises en faisant monter leurs cours. Arti ciellement. Oustric est un manipulateur. Il fait acquérir les titres en sous-main, soudoie des patrons de presse a n qu’ils assurent la promotion de ses titres dans leurs journaux et attirent les petits épargnants. Jouer le cours Puis, en 1926, Oustric acquiert des actions d’une mine d’argent bolivienne auprès du richissime Lebaudy, héritier d’un empire Saint Oustric, Issu d’une famille de petits commerçants de Conques-sur-Orbiel, le Languedocien Albert Oustric est un malin. En juin 1919, le trentenaire touche-à-tout s’associe à deux petits industriels pour fonder une banque d’entreprise à Paris, la Banque Oustric & Cie. Depuis lors, le gérant végète dans son petit établissement bancaire… Jusqu’au jour où le financier roublard rencontre celui qui fera de lui un prédateur véreux au cœur d’un système de spéculation et de corruption. sucrier. Par paquets. Bientôt, un journal nancier, Bourse et nances, annonce de fabuleuses découvertes minières. Comme par hasard. Le titre de presse a été fondé par Oustric et est manipulé par ses soins. À la suite de cette campagne de presse, l’introduction du titre en Bourse est couronnée de succès  : l’action est valorisée 458  francs. Ayant acquis chaque action à 40  francs par Lebaudy, Oustric a Il joue encore le titre à la baisse jusqu’à 105 francs en vendant massivement ses actions, puis à la hausse jusqu’à 1445 francs, spoliant massivement des milliers de petits porteurs trop con ants dans les conseils de la presse. Ricardo Gualino avec le chapeau,le complice italien d'Oustric, à la frontière francoitalienne. ©D.R. 1931 96 1931 1931

ainsi fait multiplier le cours par onze et engrange un pro t à cette mesure. Puis, manipulant le cours de Bourse en sous-main, il joue encore le titre à la baisse jusqu’à 105 francs en vendant massivement ses actions, puis à la hausse jusqu’à 1445  francs, spoliant massivement des milliers de petits porteurs trop confiants dans les conseils de la priez pour eux ! d’Oustric, Gaston Vidal, demande au cabinet d’Aristide Briand, notamment au ministère des A aires étrangères et au ministre des Finances français Raoul Péret, l’autorisation de l’introduction boursière de cinq cent mille actions de la Snia-Viscosa, la société de Gualino. Ravi de l’autorisation de Péret, l’Italien récompense Oustric qui, magnanime, presse. Les découvertes minières sont fallacieuses. Dès lors, avec son associé Gualino, Oustric multiplie naturellement ces manipulations avec d’autres sociétés, dont Peugeot. Une introduction en Bourse Bientôt, Gualino, en manque de liquidités, missionne Oustric. À Paris, auprintemps 1926,unadministrateur Fondateur de la banque Oustric & Cie en 1919, l’accusé Albert Oustric en cour d’assises. ©D.R. par Jean-François Miniac Saint Oustric, priez pour eux ! 97

ée en Allemagne, Anna Veligosek est de nationalité serbe. « Une lle des Balkans  » comme on dit à Château-Chinon. Âgée de 18  ans, l’orpheline a échoué sous les sapins morvandiaux pour échapper à la pauvreté. Elle sert chez Mme Lemoine, une respectable rentière de 74 ans. Déferlante meurtrière Le 22  juillet  1932, Anna pénètre dans la chambre de sa patronne. Il est cinq heures du matin. Armée d’un couperet dissimulé la veille sous l’oreiller, elle se met à l’œuvre. La vieille a beau supplier dans des râles atroces, en vain. Son agonie est épouvantable. Poussée par une force décuplée, la bonne frappe méthodiquement vingt-quatre fois... Le rapport d’autopsie révélera un degré de sadisme rarement atteint : dix fractures et plusieurs os broyés ! Lorsque, à l’aube, les brigadiers découvrent le corps mutilé étendu en travers du lit, le crâne contre la ruelle, la chambre entière est rouge : de l’édredon au parquet. Sa besogne accomplie, Anna est descendue à la cuisine, a nettoyé l’arme avant de rincer sa robe. Puis elle a donné l’alerte, se précipitant chez les voisins. C’est le contremaître Moucheron qui a prévenu la gendarmerie. Aussitôt interrogée, la domestique accuse le jeune homme avec qui elle a dansé au 14 juillet. Il est soi-disant venu la retrouver la veille au soir, a passé la nuit dans ses bras et l’a abandonnée vers cinq heures : « Dix minutes après son départ, juret-elle, j’ai entendu des cris. » Mais le galant trop vite désigné a un alibi en marbre. Anna nit par avouer dans un sous-entendu de vengeance : «  J’étais trop fâchée contre ma patronne ! » Entre-temps, les gendarmes ont enquêté  : la jeune Serbe est déjà condamnée pour vol à trois mois de prison avec sursis et frappée d’un arrêt d’expulsion. « L’être le plus voisin de la bête… » Le procès de la servante diabolique a lieu devant la cour d’assises de la Nièvre le 22 février 1933. L’audience est présidée par le conseiller Moreau. Sur le siège du ministère public se tient le procureur Ganière ; sur celui de la défense, Me   Gromolard. La partie civile, pour la famille Lemoine, est représentée par Me  Lhospied. Dans la salle est entassée une foule invraisemblable, surexcitée à l’extrême. On fera même évacuer le vestibule où un forum de voyeurs retardataires s’est engouffré au mépris de toute décence. Dans le box, l’accusée répond avec une froideur cynique, sans le contour d’un regret : « Je ne peux pas dire comment ça s’est passé, je n’ai pas fait attention ! » Sur le nombre de coups : « J’sais pas... J’ai pas compté ! » Sur le chi on ayant servi à essuyer l’arme : «  Oh, je l’ai mis avec les torchons sales. » Après étalage des pièces à conviction, le docteur Vernet expose son avis clinique : «  Elle est d’un niveau mental audessous de la moyenne mais au point de vue social, elle a un rendement Les vingt-quatre coups En portant vingt-quatre coups de hachoir à sa patronne, une jeune bonne de Château-Chinon entre de plain-pied dans les annales criminelles de la région nivernaise. Ses raisons sont obscures et son procès retentissant. La servante diabolique sera condamnée à mort. CHRONOLOGIE 22 juillet 1932  À Château-Chinon,Anna Veligosek massacre sa patronne, Mme Lemoine, âgée de 74 ans. Dans la nuit, la jeune domestique serbe lui a porté vingt-quatre coups ! 22 février 1933  Procès de la servante diabolique devant la cour d’assises de la Nièvre. Reconnue coupable avec préméditation, elle est condamnée à mort... et à payer 1 franc de dommages et intérêts à la famille de la victime. 23 juillet  À l’aube, les gendarmes découvrent le corps. Interrogée, la bonne – qui a elle-même donné l’alerte – accuse un jeune homme du pays. Finalement, elle passe aux aveux. Son mobile reste inconnu. 1932 1933 La vieille a beau supplier dans des râles atroces, en vain. Son agonie est épouvantable. Poussée par une force décuplée, la bonne frappe méthodiquement vingt-quatre fois... 1932 108 1932 1932

utile.  » Concluant à une légère insu sance mentale. Durant l’audition des témoins, où l’on découvre que la victime évoquait souvent des ennuis avec son employée, la lle Lemoine n’a pas assez de mots : «  C’était une paresseuse, une menteuse, pleine de défauts ! » Sur le banc des jurés, l’un d’eux roupille comme un bienheureux. Dans sa plaidoirie, Me  Lhospied rend un vibrant hommage à celle « dont la vie fut toute faite de bonté et de bienveillance ». Puis se fait théâtral : « Ce forfait s’est produit dans de telles conditions de sauvagerie et de cruauté qu’ildépasseleslimitesdel’imagination humaine et qu’il aurait fait reculer les assassins les plus endurcis ! » Le procureur Ganière, lui, articule son réquisitoire autour de la préméditation : «  Elle est coupable. Son défaut d’intelligence n’est pas une atténuation à son ignoble crime. J’ai acquis l’intime conviction qu’il mérite la plus lourde peine de notre code. Le châtiment suprême. » Éloquent, mais peu délicat, Me  Gromolard lutte pour inverser la balance : «  Anna est sans doute l’être le plus voisin de la bête. Elle frappa avec une frénésie inconcevable. Mais sait-elle vraiment pourquoi ? » Puis, abordant la peine capitale : « Je dis non ! On enferme pour toute sa vie une inconsciente, une demifolle : on ne la tue pas ! » Après quoi le magistrat rappelle la jeunesse de sa cliente : benjamine de sept enfants, elle a toujours connu la misère, souffert de l’absence du père parti à la guerre, et de la perte de sa mère vaincue en 1915 par la tuberculose. Puis il achève, ruisselant : « Comment pourriez-vous dire, dans le calme de vos consciences, que cette lle mérite la mort ? » Quelques minutes suffisent au jury pour déclarer Anna Veligosek coupable sans aucune circonstance atténuante. Le verdict tombe  : condamnée à mort. Avec 1  franc de dommages et intérêts pour la partie civile. Dans la salle, sourires et messes basses ont succédé aux soupirs de soulagement. n de la petite bonne Le rapport d’autopsie révélera un degré de sadisme rarement atteint : dix fractures et plusieurs os broyés ! « Anna est sans doute l’être le plus voisin de la bête. Elle frappa avec une frénésie inconcevable. Mais saitelle vraiment pourquoi ? » © Dessin de Philippe Dépalle. Sur ce dessin au fuseau, le hachoir est tenu d’une main ferme, meurtrière. par ierry Desseux Les vingt-quatre coups de la petite bonne 109

Christophe Belser Né à Nantes en 1968, Christophe Belser est historien et chroniqueur, spécialiste de l’histoire politique, économique et sociale de la période contemporaine.Ses recherches concernent essentiellement la Bretagne et les Pays de la Loire. Il a publié plus d’une cinquantaine d’ouvrages chez divers éditeurs comme L’aventure de la métallurgie en LoireAtlantique (UI44 Éditions, novembre 2001), L’extrême droite en France en 30 questions (Éditions Geste, 2003), L’Histoire des chantiers navals de SaintNazaire (Coop Breizh Éditions, 2003), La collaboration en Loire-Inférieure (1940-1945) (Geste Éditions 2005), Les Grandes Affaires criminelles d’Illeet-Vilaine, du Morbihan, de LoireAtlantique, de la Mayenne, de la Vendée et du Maine-et-Loire (Éditions De Borée). ierry Desseux Né à Lyon, Thierry Desseux est journaliste depuis vingt-cinq ans dans la Nièvre. Auteur, il a publié deux tomes  : Les Grandes Affaires Criminelles du Nivernais (De Borée) en 2006 et 2008. Parolier et interprète, son premier CD Comme si de rien n’était est sorti en 2003. Il a publié également Jusqu’à vous jusqu’au bout (textes et chansons) en 2011, avant Villa-aux-Roses, son deuxième album en 2012. Vincent Brousse Vincent Brousse, né en 1962, a d’abord été instituteur. Après un DEA soutenu à Bordeaux III, il enseigne à Limoges puis Saint-Junien. Spécialiste d’histoire contemporaine, ses travaux portent notamment sur l’iconographie politique et sur le monde ouvrier de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Un de ses derniers ouvrages est consacré à un photographe épicier des campagnes limousines (1900-1924) paru aux Ardents éditeurs. Il a publié avec Philippe Grandcoing plusieurs ouvrages sur l’histoire criminelle dans le Sud-Ouest ainsi que Les Grandes Affaires criminelles politiques, paru en 2010. La suite, Les Nouvelles Affaires Criminelles politiques, est sortie fin 2013. Alain Dommanget Alain Dommanget rêvait d’être journaliste. Mais, après des études de lettres, les aléas de la vie le firent devenir policier, plus précisément inspecteur à la brigade des mineurs de Troyes. Cependant la passion d’écrire ne le quitta pas. En 1987, il publie un premier ouvrage. Quatre autres suivront, aux Éditions De Borée, dans la collection des Grandes affaires criminelles. Dans le même temps,il écrit pour le théâtre,puisqu’à compter des années 1990, il devient comédien. Aujourd’hui, il partage son temps entre l’écriture et la scène. Philippe Dépalle Journaliste depuis 30 ans,  Philippe Dépalle, 52 ans, vit et travaille à Nevers. Peintre, illustrateur, il a mis en images les chroniques criminelles de Thierry Desseux pour Le Journal du Centre. Il a aussi réalisé des illustrations pour des magazines du groupe Centre France. Il est également photographe et écrivain. Adepte du texte de poche, il a publié  Saint-Just par amour (Nykta, 2005), polar au fil de Loire, Champignons du monde (Guillemain, 2008), roman en forme de chroniques et Happy Hour,des nouvelles (Flagrant d’Élie, 2011). Dans un coin de sa mémoire, il conserve toujours ces mots de Voltaire : « Toute plaisanterie doit être courte, et même le sérieux devrait bien être court aussi. » Philippe Grandcoing Né en 1968. Après un doctorat soutenu en Sorbonne, il enseigne l’histoire en classes préparatoires aux grandes écoles à Limoges.Spécialiste d’histoire contemporaine, ses travaux portent notamment sur la criminalité et sur les évolutions économiques, sociales et politiques du XIXe siècle. Familier des archives judiciaires, il a publié avec Vincent Brousse plusieurs ouvrages sur l’histoire criminelle dans le Sud-Ouest ainsi que Les Grandes Affaires criminelles politiques, paru en 2010. La suite, Les Nouvelles Affaires criminelles politiques, est sortie fin 2013. Jean-François Miniac Bercé par la mémoire d’une famille maritime, celle d’un aïeul aventurier lors de l’Eldorado, de l’avocat général à la Cour de cassation Edmond Miniac et de l’impertinent historien de l’Église Louis Duchesne,Jean-François Miniac s’est naturellement mué en narrateur de l’Histoire, de l’histoire judiciaire plus particulièrement. Après une série d’ouvrages criminels et patrimoniaux consacrés à la Normandie, et Les Grandes Affaires d’Espionnage de France sorti au printemps 2013 chez de Borée, il a publié son onzième recueil de nouvelles historiques l’automne dernier : Les Crimes du Rail en France, chez le même éditeur. Bruno Dehaye Né à Fismes, dans la Marne, Bruno Dehaye mène une carrière dans la fonction publique, dans laquelle il vit de chiffres et de bilans. Passionné par les littératures populaires (polar, BD, science-fiction) et par l’histoire, il malmène régulièrement son clavier pour faire part de ses découvertes, notamment dans le domaine des affaires criminelles. Il a publié sept ouvrages – et bientôt huit – aux éditions De Borée (affaires criminelles de la Marne, de l’Aisne, des Ardennes, de l’Oise et de la ChampagneArdenne), et une dizaine d’autres dans le domaine de l’histoire locale, du policier ou encore de la poésie. Il délaisse parfois l’écriture pour photographier la faune et la flore de sa région et pour en exposer le résultat. BIO BIO BIO Les contributeurs 130

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LesGrand and a es aff aff a aires La vengeance du roi L’affaire Lepeletier de Saint-Fargeau Telle est la question Les méfaits de l’OAS Jugement et condamnation de Troppmann Les images du crime… Cristal-Palace Bibi et les filles de joie Landru, le tueur aux petites annonces L’incroyable histoire du tueur en série Chronique d’un carnage annoncé La dérive de Claude Buffet et Roger Bontems 130 pages d’histoires et de découvertes ! n ° 3 Mars - Avril Mai 2015 Retraçons aujourd’hui le déroulement d’histoires presque oubliées comme celle de Claude Gueux au XIXe siècle qui inspira Victor Hugo, lui qui avait déjà écrit son roman, Le Dernier jour d’un condamné. Le grand homme relatait avec humanité une histoire pourtant… inhumaine. Vous découvrirez aussi les carnets noirs de Landru dans lesquels le tueur en série notait toutes les dépenses faites pour séduire ses nombreuses conquêtes avant… de les faire disparaître. Le « tueur de l’ombre », Marcel Barbeault, a quant à lui fait régner la terreur dans une région paisible. À la même époque, l’exécution de Roger Bontems fut pour Robert Badinter, futur garde des Sceaux qui fera voter l’abolition de la peine de mort au début du mandat de François Mitterrand, une injustice qui le fortifia dans sa décision de lutter contre la guillotine… Nous vous proposons enfin deux portfolios exceptionnels où l’on retrouve Jean-Baptiste Troppmann, auteur du « Massacre de Pantin » ou encore Mesrine, la voiture criblée de balles… Les Grandes affaires criminelles • n°3 132 PAGES L 14339 - 3 - F: 9,50 - RD