Bien sûr, il y a les "amants terribles", ceux qui carburent au conflit, s’excitent à risquer de se perdre et se comblent dans la réconciliation. Les inconditionnels de la passion qui jonglent entre amour et haine, liberté et dépendance. Et pour qui la paix conjugale est suspecte.

La mise en question perpétuelle du couple est alors un moteur, se quitter, une petite mort quotidienne que l’on s’inflige en rituel. Parfois même, la haine l’emporte, devient le lien ultime, et le couple ne tient plus que par la destruction réciproque, et l’autodestruction, ambiance Gabin-Signoret dans Le Chat. Mais le scénario n’est pas toujours aussi "jouissif", ni romanesque.

Certains couples, moins passionnels, supportent une violence quotidienne ou un excès de tiédeur alors que ça leur fait horreur. Leur couple n’est plus qu’un reflet grimaçant de ce qu’ils ont été. Mais cette situation est encore préférable pour eux à la terrifiante image de la séparation.

Des vieilles blessures encore ouvertes

Bien sûr, il y a la peur de l’abandon. Une angoisse forte comme un étau qui prend certains à la gorge, rien qu’à l’idée d’être séparés, arrachés. Comme si être "coupé" de l’autre revenait à être mutilé, privé d’une partie de soi-même. Le vertige de la séparation est alors plus fort que le mal-être ensemble. Résurgences d’enfance, vieilles blessures encore ouvertes.

"Je sais que je m’accroche à Bernard alors que l’on ne se supporte plus, parce que, pour moi, être seule c’est être abandonnée, explique Sophie. Perdue. Comme une petite fille à qui l’on lâche la main trop tôt. Et je reconnais bien là l’enfant "de trop" que j’ai été, le bébé dont ma mère ne voulait pas... Mais j’ai beau le savoir, je reste. Incapable de partir."

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Rien de tel, d’ailleurs, pour faire un couple "indécrochable", que deux angoisses de séparation qui se rencontrent. "On se sent, remarque en riant Sophie. C’est un truc animal. On se reconnaît, on s’aimante. Et après on joue à se faire peur. A chaque crise, on s’approche du vide, on marche au bord du précipice."

Mais il n’y a pas que le mal de mère. Toutes sortes de fantômes peuvent coller les couples et les forcer à tenir comme malgré eux. Parfois, c’est juste le couple que l’on a formé, ou l’autre – idéalisé – des débuts, un souvenir radieux, totalement «has been», mais tellement comblant qu’il peut masquer l’affligeante réalité. Et s’y superposer, à chaque fois que l’on se retrouve sur le pas de la porte, la valise à la main, et que l’on se retourne une dernière fois avant le grand saut.

Un tissu d’oppositions

Il y a aussi la famille, celle que l’on formait et que souvent on défend non seulement au nom de nos enfants mais aussi au nom de ceux qui sommeillent en nous. "Si l’on se sépare, je n’ai plus de famille", remarque un homme quitté qui préfère gardé son anonymat, qui se sent "orphelin" et ne supporte pas de voir se défaire le cocon qu’il avait bâti, alors que celui de ses parents n’est plus qu’un vieux souvenir. Peut-être juste un leurre...

Un simple fantasme, d’ailleurs, peut suffire à lier deux êtres à jamais. Une image de couple, un rêve de famille, un modèle que l’on partage inconsciemment et qui soude le lien, à notre insu. On se raconte une histoire à deux voix, et si rien ne va plus, on continue à mentir ensemble pour éviter la séparation.

"Avec Jacques, on s’est réparés pendant des années, raconte Ariane, mariée depuis dix-huit ans. Enfants uniques tous les deux, nous avons construit une famille nombreuse qui nous paraissait sans doute plus réussie que celles de nos parents. Et aujourd’hui où tout se lézarde, je me demande si cette tribu ronronnante a jamais existé".

Parfois malgré l’urgence évidente, il reste peut-être de l’amour. Et c’est souvent ce que l’on tente, à l’instinct, de sauver

Sait-on jamais vraiment sur quelle folie commune repose un couple ? Par où, par quoi, au fond, on est attaché à l’autre ?

Or, tant que l’on n’a pas repéré le noeud, il est impossible de le défaire. Et l’on s’efforce en vain de se quitter, sans combattre en fait le problème au coeur. "Je t’aime, moi non plus", chantait Gainsbourg. Il n’y a pas que de l’amour dans l’amour. Pas que du "oui", loin de là. C’est aussi un tissu d’oppositions, de refus, de difficultés à prendre l’autre tel qu’il est.

Et si l’on n’arrive pas à se quitter, parfois malgré l’urgence évidente, c’est que, sous l’apparente dégénérescence du sentiment, sous l’émergence de haine et de reproches, il reste peut-être de l’amour. Et c’est souvent ce que l’on tente, à l’instinct, de sauver. En essayant de redistribuer les cartes, d’inventer un autre couple. Mais quand le glas a sonné, si vraiment l’amour est mort et que pour rien au monde on ne peut l’accepter, le seul salut possible reste encore l’autre rencontre.

Un nouvel amour suffisamment évident pour que l’on réussisse enfin à enterrer le premier. On est toujours, en somme, sauvé par l’amour.

Delphine 39 ans : "Nous ne sommes plus d’accord sur rien"

En couple depuis vingt-deux ans, Vincent et Delphine, 39 ans, ont une fille de 12 ans. 

"Cela fait huit ans que je me demande tous les jours : je m’en vais ? Je reste ? Est-ce que l’amour est mort ? Mais qu’est-ce que c’est l’amour ? Et à quoi ça ressemble au bout de vingt-deux ans?

Au quotidien, Vincent et moi, on ne se supporte plus. Que ce soit pour choisir la couleur de la moquette ou pour organiser un week-end, nous ne sommes plus d’accord sur rien. Lui est devenu râleur, moi je suis de plus en plus dure, susceptible, acariâtre... Mais dès que j’envisage la séparation, c’est comme si j’allais me désintégrer sur place. Aussitôt, une autre partie de moi me cloue le bec et me cloue au sol.

Soit c’est la déprime pour trois jours, soit je me trouve mille bonnes raisons de rester : notre fille, à qui je me sens incapable d’imposer cette douleur-là, que je connais pour l’avoir subie. (Sourire.) Ensuite, l’argent: j’ai l’impression que si je quitte la maison, je vais devenir SDF – alors que, depuis des mois, c’est moi qui fais vivre la petite famille. Et puis l’argument essentiel: est-ce que le problème vient vraiment de nous ou plutôt de moi ?

Peut-être aussi que celui que je n’arrive pas à quitter n’existe plus, peut-être même qu’il n’a jamais existé

Tout remonte, en fait, à un grand coup de coeur qui m’a embarquée, il y a huit ans, pour me débarquer quelques mois plus tard, écorchée vive. Face à Vincent. Le problème entre nous était sans doute antérieur, mais c’est là que tout a explosé. Et je n’ai pas réussi à recoller les morceaux. Je ne sais plus, depuis, ce que j’attends de l’amour. Tout ce que je reproche à Vincent – d’être trop stable, trop plan-plan, maniaque –, c’est aussi ce qui me rassure. Le fait de le connaître par coeur, de le prévoir, nos petites habitudes, nos rituels. C’est tout ce qui m’étouffe, et ce sont mes repères. Je ne suis pas sûre d’avoir envie d’inconnu, de découverte. Je ne crois pas être prête pour ça.

Parfois, je me dis que notre lien est très fort, que c’est juste le moment de l’histoire où l’on rechoisit l’autre, entre adultes. A d’autres moments, je trouve que l’on est en plein compromis, que l’on ne veut pas voir que c’est fini, et que je reste juste parce que j’ai la trouille, que j’attends d’avoir fait mon deuil de l’histoire pour partir.

Peut-être aussi que celui que je n’arrive pas à quitter n’existe plus, peut-être même qu’il n’a jamais existé. J’en ai marre aussi de toutes ces questions qui cassent la spontanéité des choses. Pendant plus de dix ans, tout était si simple. Je culpabilise en permanence de "couper les cheveux en quatre", j’ai l’impression de gâcher la vie de tout le monde. Et dès que je sens Vincent fragilisé, je craque. Je ne peux pas ne pas le soutenir. C’est de l’ordre du réflexe. C’est dingue, des liens pareils. 

J’ai commencé une psychanalyse, en attendant un petit coup de main de la vie. J’ai envie d’un autre enfant, peut-être que la renaissance viendra de là. Pourquoi pas avec Vincent..."

Gina, 26 ans : "Il suffisait qu’il m’approche de trop près pour que je replonge"

Gina, 26 ans, séparée de Fabien depuis huit mois.

"Quand j’ai rencontré Fabien, tout a basculé en une seconde. Un vrai coup de foudre, le truc qui brûle, auquel on ne résiste pas. Et tout s’est enchaîné sur le même ton, pendant près de quatre ans : un lien passionnel, sûrement névrotique, qui fait mal, mais impossible à rompre. Il y a entre nous quelque chose d’animal. Un lien fondamentalement sexuel. Une histoire de peau, chimique. Je n’avais jamais connu ça avant. Avec Fabien, en fait, on n’a jamais eu grand-chose à se dire, on ne parle pas le même langage. C’est un musicien, en tournées sur les routes depuis l’âge de 14 ans, qui mange n’importe quoi, qui a peur de tout : de marcher, de nager, du vide. C’est moi qui lui ai appris la bouffe, le monde, la vie réelle.

Et cette histoire qui n’avait rien pour durer s’est installée, en montagnes russes. Avec des pics vertigineux et des pétages de plomb tous les six mois, hyperviolents des deux côtés. Fabien ne supporte pas la routine, la sécurité. Moi non plus, mais il est plus fou que moi. Pendant toute notre histoire, dès qu’il me sentait trop proche, il disparaissait. Plus de nouvelles pendant des semaines. Moi je plongeais dans le travail. Je suis photographe, et j’ai fait, dans la douleur, de très belles séquences.

Je vivais dans la promesse, l’attente. Mais lui n’avait jamais de temps pour moi. C’était toujours : "oui, oui, je vais passer." et au dernier moment, un message pour annuler. Moi je m’effondrais. A un moment, j’ai découvert qu’il me trompait. Avec parfois des erreurs de textos à la limite de la cruauté ("Pardon, ce n’était pas pour toi, mais pour elle"). Une fois même, j’ai découvert sa nouvelle liaison à la "une" d’un journal people, j’ai cru crever de chagrin. J’ai perdu 8 kg.

Et chaque fois que je me plantais avec un autre, je concluais que, bien sûr, on finirait nos jours ensemble.

De mon côté, je ne me comportais pas non plus en toutou. Je lui en faisais voir de toutes les couleurs. Moi aussi je le trompais, sans en avoir le coeur. Pour me protéger, pour qu’il souffre. Pendant des années, on a joué à ce petit jeu, en allant de plus en plus loin. On se racontait un film.

Quand il revenait vers moi, il en faisait des tonnes, j’étais "la femme de sa vie". Je résistais comme je pouvais, mais il suffisait qu’il m’approche de trop près pour que je replonge. Une vraie drogue. Je craquais "pour une nuit", mais c’était "tellement lui, tellement bon, tellement ça" qu’à chaque fois ça repartait de plus belle. Et chaque fois que je me plantais avec un autre, je concluais que, bien sûr, on finirait nos jours ensemble.

Aujourd’hui, cela fait huit mois que nous ne nous sommes pas vus et que je suis sereine. C’était allé trop loin, j’avais des envies de meurtre, et un matin je me suis regardée dans la glace en pensant aux gens en prison pour crime passionnel. Il n’y a qu’un pas, un tout petit pas, qui sépare du passage à l’acte.

Ce matin-là, je me suis sentie guérie. J’avoue que si j’étais célibataire, je pourrais reflancher. Mais il se trouve que, depuis, j’ai rencontré un mec génial, sur qui je peux compter, à côté de qui je peux m’épanouir. Avec qui je peux parler et faire l’amour.

Fabien continue à me harceler. Pour lui, il doit s’agir d’une crise comme les autres. Je pense qu’il ne me lâchera que le jour où j’aurai un bébé avec un autre."