NAPOLEON, Prince Victor (1862-1926), chef de la famille impériale début XXe

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Le prince Victor est le petit-fils du roi Jérôme, le dernier frère de Napoléon Ier et de Catherine de Wurtemberg.

Ensemble, ils eurent trois enfants : le prince Jérôme Bonaparte mort en 1847 d'une maladie grave, la princesse Mathilde et le prince Napoléon-Joseph, qui après la mort de son frère repris le prénom de Jérôme. Il était également surnommé Plon-Plon. Sous le Second Empire, en 1859, pour servir la politique italienne de Napoléon III, le prince Jérôme épousa la princesse Marie-Clotilde de Savoie, fille de Victor-Emmanuel de Savoie et d'Adélaïde de Habsbourg, archiduchesse d'Autriche (Photo ci-contre). De cette union naquirent trois enfants : Victor en 1862, Louis en 1864 et Laetitia en 1866.
Par le jeu des successions, le prince Victor devint le chef de la Maison impériale puisqu'il n'existait plus d'autre héritier descendant de Napoléon Ier ou de ses frères. En effet, le roi Joseph n'avait eu que des filles. Lucien avait été déshérité par Napoléon Ier et la branche de Louis s'éteignait en 1879 avec la mort du Prince Impérial. De ce fait, la branche de Jérôme se trouvait être la seule dynaste.

Le testament du Prince Impérial

À la mort du Prince Impérial, le chef de la Maison impériale aurait dû être Plon-Plon. Or à cause des idées réactionnaires de ce dernier, le Prince Impérial choisit de faire de Victor son successeur. Cette volonté du Prince Impérial eut d'importantes répercussions dans la vie de Victor. Elle déclenchait une rupture irrémédiable entre Victor et son père. Ensuite, elle faisait qu'à dix-huit ans à peine et indépendamment de sa volonté, le prince Victor devenait le représentant de la cause impériale. Il allait le rester jusqu'à sa mort en 1926. Pourtant, bien qu'il ait été le chef de la Maison impériale pendant une quarantaine d'années, le prince Victor a été totalement oublié par l'histoire. Aucun livre ne lui a été consacré, à part quelques ouvrages écrits sur lui de son vivant pour servir la propagande bonapartiste. C'est d'autant plus surprenant, que la vie du prince Victor correspond à la période de déclin du parti bonapartiste, d'où le choix d'axer mon étude sur sa vie politique et sur le rôle qu'il a joué à une époque où la République apparaissait comme la seule forme possible de gouvernement. La vie politique du prince Victor semble se ralentir à partir des années 1900 et encore plus après son mariage avec la princesse Clémentine de Belgique en 1910. Ce changement est lié à son évolution idéologique qui le poussa à soutenir le bonapartisme non plus par la politique mais par la mise en valeur de la mémoire et de la légende napoléonienne.
En juin 1879, engagé dans l'armée britannique, le Prince Impérial tombe sous les coups des Zoulous, en Afrique australe. Cette mort tragique fait des descendants du roi Jérôme, la branche qui va recueillir l'héritage impérial. Plon-Plon était sûr d'être l'unique prétendant, il allait enfin avoir le rôle dont il rêvait depuis toujours. En réalité, une grosse surprise l'attendait. Avant de partir pour le Zoulouland, le Prince Impérial avait rédigé un testament. Il l'avait fait seul et n'avait informé personne d'autre que Rouher de son contenu.
Ce testament avait été rédigé par le Prince Impérial à Camden Place la dernière nuit avant son départ. Il n'y aurait eu aucun problème si, à son testament, le Prince Impérial n'avait pas ajouté un codicille, dans lequel figurent les phrases suivantes : « Je n'ai pas besoin de recommander à ma Mère de ne rien négliger pour défendre la mémoire de mon grand-oncle et de mon père. Je la prie de se souvenir que tant qu'il y aura des Bonaparte, la cause impériale aura des représentants. Les devoirs de notre maison envers notre pays ne s'éteignent pas avec ma vie ; moi mort, la tâche de continuer l'oeuvre de Napoléon Ier et de Napoléon III incombe au fils aîné du Prince Napoléon, et j'espère que ma mère bien-aimée, en le secondant de tout son pouvoir, nous donnera, à nous autres qui ne seront plus, cette dernière et suprême preuve d'affection.
Fait à Chislehurst, le 26 février 1879.  »
Ce fut un véritable affront pour le prince Napoléon. Malgré les dispositions testamentaires du Prince Impérial, c'est le prince Napoléon qui conduit les funérailles, entre ses deux fils, en pleine connaissance de sa position. Officiellement, Plon-Plon se retrouvait éliminé de la succession, mais il avait décidé de passer outre ces dispositions, qui, en plus, n'étaient pas conformes à la législation impériale. Cet acte du Prince Impérial fut interprété par le prince Jérôme comme une intransigeance liée à sa jeunesse, du fait de sa mésentente avec son oncle. Pour les impérialistes purs, cette disposition relevait de la providence. Ils ne pouvaient pas imaginer être conduits par le prince Napoléon : ils ne le supportaient pas, tant sur le plan personnel que politique. Il ne faut pas oublier que les bonapartistes de cette époque sont en majorité des anciens dignitaires du Second Empire, des serviteurs de Napoléon III, qui avait toujours été en opposition avec le prince Jérôme. En fait, deux courants s'installent dans le parti bonapartiste : ceux qui suivent les dispositions du Prince Impérial et ceux qui suivent le prince Napoléon par respect des institutions impériales.
Victor étant mineur à ce moment-là, la crise fut de faible importance ; il était hors de question qu'il prétende à ses droits alors qu'il n'avait même pas fini ses études ; c'est donc Plon-Plon qui prit la place de prétendant. Il était bien décidé à conserver tous ses droits.
Évidemment, les journaux bonapartistes s'emparèrent de l'affaire. Dès juillet 1879, des campagnes de presse sont organisées en faveur du prince Victor, surtout par Paul de Cassagnac et Jules Amigues, les directeurs des deux journaux bonapartistes les plus importants : Le Pays et Le Petit Caporal. Paul de Cassagnac va plus loin, dans Le Pays du 4 juillet 1879, il apporte déjà clairement son soutien au prince Victor.
En réalité, le codicille du Prince Impérial sema le trouble et la division au sein du parti bonapartiste, en plein déclin. Il donna naissance à de grossières et infatigables polémiques, qui firent surtout le jeu des ennemis de la cause napoléonienne, mais aussi qui réussirent à briser les liens entre un père et son fils.

Jérômistes et victoriens

Compte tenu du fossé qui séparait le prince Napoléon et les impérialistes, très vite ils réclamèrent l'exécution des dispositions testamentaires du Prince Impérial relatives à sa succession. Ils firent alors de multiples démarches auprès du prince Victor. Les impérialistes attendaient avec impatience le 21 juillet 1882, date à laquelle Victor entrait dans sa vingt-et-unième année et aurait pu s'émanciper, par rapport à son père. Paul de Cassagnac et Jules Amigues prirent contact avec Victor lors de son voyage d'études d'un an en Allemagne. Ils voulaient faire pression sur lui pour qu'il accepte l'héritage du Prince Impérial.
Pendant son service militaire, le prince Victor fut, à nouveau, contacté par les leaders bonapartistes qui l'invitèrent à se substituer à son père à la tête du parti. Les incitations devinrent de plus en plus pressantes à la majorité de Victor, en juillet 1883. Il ne faut pas oublier que toutes les démarches faites auprès de Victor étaient cachées à son père. C'est pourquoi, en septembre-octobre 1882, Victor s'inquiéta lors de la parution d'articles dans les journaux mentionnant des engagements de sa part avec Cassagnac. Il s'empressa de démentir ces bruits, il affirma ne pas connaître Cassagnac et garantit son soutien à son père. L'agitation autour du prince Victor se calma en 1883 avec son service militaire, mais la division au sein du parti bonapartiste était consommée. Désormais, le bonapartisme se scindait en deux groupes : le bonapartisme  » rouge  » des jérômistes, plébiscitaires à vocation populaire et démocratique; de l'autre côté, le bonapartisme  » blanc  » des victoriens ou impérialistes, soutenu par les notables et les députés du parti, plus proche de la droite royaliste et cléricale.
Dès la fin du service militaire de Victor, en novembre 1883, ses partisans étaient décidés à reprendre l'offensive contre les jérômistes. Cassagnac parle d'organiser un banquet pour marquer le retour du prince Victor et pour concentrer l'attention sur lui. À partir de cet instant tout s'accélère, la rupture politique devient familiale.
Victor finit son service militaire le 11 novembre 1883. Lors d'une de leurs réunions, les comités impérialistes se mettent à voter des ordres du jour affirmant leur soutien au prince Victor. Les journaux bonapartistes interviewent Victor à la place de son père. Le prince Jérôme découvre que des démarches politiques ont été faites auprès de son fils sans que celui-ci ne lui en ait parlé. Les journaux bonapartistes parlent d'un antagonisme entre le père et le fils. Victor est envoyé à Moncalieri, chez sa mère, pour l'éloigner de l'agitation. Le prince Jérôme blessé dans son orgueil par cette polémique publique exige que son fils rédige une lettre destinée à être publiée, dans laquelle il nie tous les bruits parlant de désaccords entre père et fils. Victor obéit à son père et dans une lettre du 16 décembre 1883 affirme son soutien à son père et ne pas avoir de rôle politique à remplir. Pourtant le 4 janvier 1884, Paul de Cassagnac arrive à Turin pour voir le prince Victor.

Le conflit entre le père et le fils

Désormais, la situation entre le père et le fils devient insoutenable : le prince Napoléon veut être informé de tout ce qui concerne son fils, il lui demande de voir sa correspondance, il fait surveiller ses allées et venues… Pourtant, Victor avait voulu rassurer son père en lui écrivant une lettre de Moncalieri, le 27 janvier, dans laquelle il s'engageait  » sur sa parole d'honneur à tenir toujours une conduite franche et loyale envers son père et à ne faire aucun acte politique sans être d'accord entre eux « . La situation paraissait claire, mais c'était sans compter que Victor subissait l'assaut des impérialistes qui voulaient absolument obtenir qu'il prenne la direction du parti.
Le prince Jérôme se montrant de plus en plus méfiant à l'égard de son fils, il devenait très difficile pour Cassagnac et les autres de rencontrer le jeune prince, puisqu'il habitait encore chez son père. Petit à petit, Cassagnac réalisa que s'il voulait que Victor quitte son père, il fallait qu'il puisse vivre sans les ressources de ce dernier. Il mit en place le projet de fournir une rente annuelle régulière, à Victor, qui proviendrait d'une participation commune de ses partisans. Évidemment, tout s'organisait dans le dos du prince Napoléon. Grâce à cette rente, Victor allait pouvoir vivre seul. Victor accepta une rente et annonça à son père qu'il envisageait de quitter le domicile paternel. Le prince Jérôme réagit très mal puisqu'il se doutait que c'était à cause d'une rente délivrée par ses ennemis politiques.
Le 21 mai 1884, le prince Napoléon et le prince Victor se rendirent séparément à l'enterrement de la princesse Murat. Tous les journaux s'emparèrent de l'incident. C'était officiel, la séparation était consommée. Victor partait du domicile paternel pous s'installer au 64 bis, rue de Monceau.
Compte tenu du caractère excessif et autoritaire de Plon-Plon, l'affaire devint tragique à ses yeux, il ne comprit pas que son propre fils pût accepter une rente libérée par ses ennemis. Il décida alors de ne plus voir Victor. Il fit tout de même parvenir à Victor les conditions d'une éventuelle réconciliation: il fallait que Victor quitte Paris pendant un an, qu'il refuse cette rente et qu'il rompe ses contacts avec les impérialistes. Victor refusa provisoirement, mais par diplomatie dit que ce n'était pas définitif et qu'il y réfléchirait.

La rupture

En fait, la rupture définitive eut lieu en juin 1884. Les impérialistes s'étaient réunis le 21 juin et avaient voté l'ordre du jour suivant :  » La réunion applaudissant aux sentiments qui ont déterminé le Prince Victor Napoléon à conquérir son indépendance, y voit l'assurance que le parti impérialiste possède en lui le ferme représentant de l'ordre dans la démocratie et de la liberté religieuse qui constituent la vraie politique de l'Empire « . Le même soir, le prince Victor répondait ainsi à la délégation qui lui présentait cet ordre du jour: « Je remercie les comités impérialistes du témoignage de dévouement qu'ils me donnent, les principes qu'ils viennent de rappeler ont été ceux de l'empereur Napoléon Ier et de l'empereur Napoléon III et ils sont et resteront les miens. »
Cette déclaration du prince Victor fut prise comme la pire des trahisons et des injures par son père, qui ne tarda pas à réagir. Voici un extrait de la lettre qu'il envoya à son fils le 24 juin 1884 :
 » À vos trahisons politiques réitérées, vous avez ajouté la douleur de vous voir établi dans une situation honteuse. L'heure est venue où je dois à mon nom, à ceux qui m'ont précédé et à ceux qui me suivront, de remplir sans faiblesse mon devoir de chef de famille… La malédiction d'un père n'est jamais une force et cette malédiction pèsera sur votre tête si dans vingt-quatre heures vous ne désavouez pas votre dernière démarche, et si quittant Paris, vous ne mettez pas définitivement un terme aux misérables intrigues dans lesquelles vous salissez votre présent en compromettant votre avenir.  »
Victor répond à son père le 25 juin en ces termes :  » Votre lettre m'afflige profondément et je ne puis exprimer la douleur que j'éprouve de voir, à ce point mes sentiments méconnus par vous. Vous m'imposez un désaveu et vous exigez de moi un départ, qui n'est autre qu'un exil. Me soumettre à ces injonctions serait reconnaître que je me suis oublié au point de manquer à mes devoirs de fils et de prince. »
Ces deux lettres sont les dernières relations entre le père et le fils. Malgré les tentatives de rapprochement de l'impératrice Eugénie, de la princesse Clotilde, mais aussi de la princesse Mathilde et de la soeur de Victor, la princesse Laetitia, le prince Jérôme ne pardonnera jamais à Victor. Même sur son lit de mort, il refusa de le voir. Cette rupture alimenta largement la presse bonapartiste qui publia les deux lettres échangées entre le père et le fils. Le camp victorien y voyait une bonne nouvelle, le camp jérômiste n'y voyait que les ardeurs d'un jeune homme impatient de conquérir son indépendance. Il reste à voir l'attitude politique du prince Victor après cette brouille.
Dans un premier temps, le prince Victor refusa tout rôle politique, il ne voulait plus s'engager en politique, ni même apparaître publiquement. Pour les élections de l'automne 1884, les impérialistes lui proposèrent de se présenter pour être député, mais il refusa, prétextant son jeune âge. Malgré les nombreux refus du prince Victor de faire de la politique, les impérialistes continuèrent à le soutenir et interprétèrent chacun de ses actes comme un engagement politique. À force des réticences montrées par le prince, les impérialistes commencèrent à se décourager et à regretter d'avoir pressé la séparation entre père et fils, car elle leur coûtait le versement d'une rente de 40000 francs. D'ailleurs, certains partisans voulaient annuler cet engagement, dans la mesure où le prince Victor ne jouait aucun rôle politique. Sur ce, en 1885, des élections eurent lieu. Les jérômistes, faute d'alliance ne parvinrent pas à faire des listes, et perdirent les quelques sièges qu'ils leur restaient à la Chambre. En revanche, les impérialistes conservaient la quarantaine de sièges qu'ils possédaient déjà.
Victor s'aperçut alors que son père était complètement délaissé par les bonapartistes et que lui aurait peut-être plus de chance. Il décida alors de soutenir officiellement les impérialistes, mais son action restait discrète: il présidait certains banquets, assistait à des réunions, donnait son avis sur certains problèmes… Les impérialistes furent déçus du manque d'engagement du prince, ils attendaient de lui qu'il rédige un manifeste, qu'il réorganise les forces bonapartistes. Des querelles apparurent à nouveau dans le parti, mais elles furent anéanties par la loi d'exil, qui éloigna le prince Victor de la pression directe des impérialistes.

La loi d’exil

Le 22 juin 1886, la République vota définitivement une loi d'exil contre les familles ayant régné en France. À l'annonce de cette nouvelle, Victor ne manifesta ni étonnement, ni surprise: il avait prévu cet événement depuis longtemps et s'était organisé. Dès le lendemain, il partait pour Bruxelles. Il ne pouvait pas s'installer en Angleterre, à cause de l'impératrice Eugénie, ni en Suisse à cause de son père. Une fois à Bruxelles, Victor apparaît comme le seul prétendant réel, vu que les jérômistes n'étaient plus représentés à la Chambre et que presque tous les bonapartistes s'étaient rangés derrière lui. Le prince Jérôme se retira et n'eut plus aucune activité politique.
Le départ de Victor à Bruxelles n'avait pas anéanti la motivation de ses partisans. Au contraire, ils étaient persuadés qu'il fallait qu'ils organisent mieux la propagande en France pour que le prince Victor ne se fasse pas oublier. Pour servir cette propagande, deux nouvelles publications parurent : une à Paris, La Souveraineté, et une autre en province, Le Petit Bordeaux. Le premier numéro de La Souveraineté, organe attitré du prince Victor dont le rédacteur était Robert Mitchell, parut le 25 octobre 1886, et fut tiré à trente mille exemplaires et distribué gratuitement pendant huit jours, le but étant de toucher le monde ouvrier. En 1887, le prince Victor décida de prendre lui-même la direction des comités impérialistes.
Assumant pleinement son rôle de chef des impérialistes, le prince Victor n'hésita plus à se poser comme prétendant, son programme devint plus précis, il saisit chaque occasion pour faire parler de lui. Par exemple, dès la fin août 1887, il fit une déclaration éditée dans les journaux bonapartistes. Il y révélait sa politique :  » Ma politique est très nette et très simple. Elle se résume en peu de mots : c'est le réveil de l'idée napoléonienne, l'organisation de mon parti, la reconstitution de toutes ses forces, leur union plus complète et plus absolue, et, enfin, le but souhaité, le but certain, le relèvement de la France par le rétablissement de l'Empire.  » (1)
Début octobre 1887, à la suite d'un manifeste rédigé par le comte de Paris et pour satisfaire la demande des comités, Victor relança son activité politique en rédigeant également un manifeste. Pour lui, c'était l'occasion rêvée de différencier clairement sa politique de celle du comte de Paris, il y réaffirma son programme: « un gouvernement fort et réparateur qui assure la liberté religieuse, sache faire respecter l'armée et maintenir les droits de tous en relevant le sentiment de la justice et de l'autorité ». Désormais, le prince Victor prenait son rôle de prétendant très au sérieux, il entretenait une correspondance très suivie avec les différents chefs des comités, il recevait beaucoup d'hommes politiques, de journalistes auxquels il accordait volontiers de son temps. Il se souciait vraiment de ce qui se passait dans le parti impérialiste et espérait réellement le triomphe des idées napoléoniennes.

Chef de la Maison impériale

Le 17 mars 1891, le prince Jérôme expire après avoir reçu les derniers sacrements et entouré de la famille Bonaparte, mais sans avoir pardonné à son fils sa rébellion. Son corps sera transféré à Turin où il sera inhumé dans la nécropole de la maison de Savoie.
On se doutait que le prince Jérôme risquait d'avoir exhalé sa colère dans son testament. Il instituait son fils cadet, le prince Louis, légataire universel et chef de la Maison impériale et déshéritait totalement son fils aîné, Victor. Chose plus surprenante, la princesse Clotilde et la princesse Laetitia étaient également écartées de la succession. Ce testament se trouvait être non conforme à la loi française, il était donc nul. En outre Louis, officier en Russie, n'avait aucunement l'intention de réclamer les droits que son père lui confiait. Il convint avec sa mère et sa soeur que Victor resterait le prétendant bonapartiste. Bref, ce testament ne fut pas respecté. Louis gardait juste Prangins ; le reste des papiers et souvenirs fut réparti entre les trois enfants. Les funérailles du prince Jérôme furent conduites par le prince Victor. En fait, cette mort clôt le chapitre des dissensions familiales et politiques ; Victor devenait le représentant incontestable de la cause napoléonienne.
De retour à Bruxelles, Victor reprend sa vie studieuse. Les comités, eux, sont curieux de voir si le prince Victor va redéfinir sa politique, maintenant qu'il est le chef légitime. Ils attendent tous un nouveau manifeste, mais Victor estime qu'il n'est pas nécessaire puisqu'il se considère le chef du parti depuis déjà quelques années. Pendant quelques temps, il va même restreindre le plus possible ses interventions, mais cela est sans doute plus lié à une évolution de la pensée de Victor.
Pendant longtemps le programme de Victor était de reconstruire l'Empire, avec l'aide des hommes qui avaient servi Napoléon III. Peu à peu, il s'aperçut que la forme de l'empire était dépassée et avait peu de chances de séduire. Il s'orienta, alors, vers le principe d'un gouvernement choisi directement par le peuple. Il se considérait de moins en moins comme un  » dynaste « . Le point central de son programme était l'appel au peuple.

La République plébiscitaire

En janvier 1893, le prince Victor alla plus loin: il se présentait comme candidat à la présidence d'une république élue au suffrage universel. Ainsi toute préoccupation dynastique s'effaçait devant la reconnaissance hautement affirmée de la souveraineté populaire. Le prince Victor adopta clairement l'étiquette plébiscitaire et s'efforça d'orienter les membres des comités locaux vers une question qui lui paraissait cruciale : la question sociale. Dès lors les comités bonapartistes s'intitulèrent comités plébiscitaires pour indiquer le sens de leur activité.
Cette réorientation déplut aux notables du parti, qui étaient pour beaucoup des hommes cléricaux et antirépublicains. Certains comités impérialistes n'acceptèrent pas ces dispositions. Ils n'admettaient pas que la forme impériale du gouvernement, instituée par les plébiscites antérieurs, pût être remise en cause. Les résultats aux législatives de 1893 s'en ressentirent, ils furent désastreux : l'Aquitaine, bastion bonapartiste, fut définitivement perdue ; la Dordogne, le Lot, les Landes et les Basses-Pyrénées étaient déjà perdus depuis 1889. En 1893, il ne reste que treize députés à la Chambre, ce chiffre ne sera plus jamais dépassé.
La tournure des événements ne poussait pas le prince Victor à agir, ses interventions se firent plus rares. Il faut préciser que le prince Victor était réellement soucieux de ne pas gâcher ses relations avec la Belgique, il ne voulait donc pas attirer l'attention sur lui. En outre, le prince Victor était loin d'être un « aventurier » prêt à tout pour arriver à ses fins. Au contraire il était profondément respectueux de la légitimité. Les bonapartistes lui reprochaient son inaction, sa mollesse. Victor déclarait qu'il ne croyait pas aux « aventures », que dans une nation moderne l'armée ne pouvait plus amener un changement de régime sans l'assentiment du pays. Il souhaitait avant tout un appel au peuple.
En fait, peu à peu, il abandonnait son rôle de chef de parti, il laissait plus de liberté d'action au président des comités plébiscitaires. Le parti se détachait du prince, il ne devint qu'une variété de la droite en France, les bonapartistes devenaient conservateurs et cléricaux et perdaient leur tendance populaire. Quant au prince Victor, il continua sa vie paisible, présidant à l'occasion un meeting bonapartiste ou publiant quelques déclarations. Lorsqu'on l'interrogeait sur son programme, il faisait cette réponse assez obscure mais noble: « le nom de Bonaparte est un programme ». La politique française resta au centre de ses préoccupations durant toute sa vie, même s'il n'y participait pas activement.
Il cessa toute activité politique avec son mariage, en 1910, ayant promis au roi Albert de ne pas gêner le souverain. En fait, le prince Victor et la princesse Clémentine avaient souhaité se marier dès 1904/05. Or, Léopold II avait refusé de donner son accord à sa fille, en lui disant :  » Mon devoir, à quatre heures de Paris, est de vivre en bons termes avec la République française « . Léopold II avait peur en acceptant cette union, de compromettre ses bonnes relations avec la France. Il craignait qu'on y voie un soutien au parti bonapartiste. Le 16 décembre 1909, Léopold II meurt à la suite d'une embolie. Albert devient alors roi de Belgique. Clémentine n'est plus que la cousine germaine du roi. Albert approuve son mariage avec le prince Victor, à la condition qu'il ne se fasse pas remarquer politiquement. Cela coïncide avec la décision de Victor de se retirer de la politique.
On s'aperçoit que, petit à petit, constatant le déclin du parti bonapartiste, le prince Victor va se concentrer sur l'oeuvre qui va occuper et passionner sa vie: entretenir et développer la légende napoléonienne. Tout d'abord, il se lance dans la constitution d'une collection napoléonienne hors du commun. Au départ, il s'agissait d'objets de famille dont Victor avait hérité. Il était très attaché à ces souvenirs et essaya constamment d'enrichir sa collection par le rachat de tout objet concernant les deux Empires. Petit à petit, il en vint à collectionner tout ce qui touchait à la légende populaire de l'Empire. Pour beaucoup, c'étaient des objets qui avaient été réalisés sous la monarchie de Juillet, à un moment où la nostalgie de l'épopée napoléonienne était forte.
Au-delà de sa collection personnelle imposante, le prince Victor contribua à la légende napoléonienne par des donations à l'État. Entre autres, c'est lui qui fit la donation de la maison Bonaparte d'Ajaccio. C'est également lui qui installa le mausolée dédié au Prince Impérial, dans le parc de la Malmaison.
Fin avril 1926, le prince Victor est frappé d'une attaque d'apoplexie. Pendant une semaine, il est entre la vie et la mort. Le 3 mai, Victor succombe, il n'avait pas 64 ans. Un véritable défilé commence alors avenue Louise. À commencer par le roi Albert et sa femme Élisabeth, accompagnés de leur fils Léopold. Ils sont venus rendre hommage à ce prince qui avait adopté leur pays et dont ils ont toujours apprécié la discrétion. Viennent ensuite les bonapartistes et les fidèles amis du prince, qui s'étaient précipités à Bruxelles, à l'annonce du décès du prince. Les condoléances arrivent de tous les côtés. Un service religieux se déroule dans la cathédrale Saint-Michel, avant que le corps soit transféré à Superga pour être inhumé dans la nécropole de la Maison de Savoie.
Sa mort laisse un grand vide ; avec lui s'éloigne l'époque napoléonienne qu'il rendait si proche par ses nombreux récits. Pourtant, aussi bien en France qu'en Belgique, la mort du prince Victor n'a eu aucune répercussion, à part une colonne par-ci, par-là dans les journaux. Or, l'oeuvre du prince Victor gagne à être connue. Réalisant que le retour d'un empire était peu probable, il choisit une voie autre que politique pour faire vivre l'épopée de sa famille: il se lance dans la constitution d'une collection napoléonienne, hors du commun tant par le nombre que par la qualité et la diversité des objets qu'elle rassemble. En outre, les donations qu'il a faites à l'État sont d'une importance capitale. Elles montrent bien la volonté qu'a eu le prince Victor de divulguer le plus possible l'histoire et la légende napoléonienne. En fait, il voulait faire partager sa passion.
Il faut ajouter que l'époque à laquelle vivait Victor n'était pas favorable à la cause qu'il représentait. Le Second Empire était encore trop proche dans les esprits. D'autant plus que les français n'en avaient retenu que l'humiliation de Sedan. Aucune légende ne s'était dégagée de cette période, qui apparaissait comme une réplique du Premier Empire mais sans la gloire militaire. Dans ces conditions, porter le nom de Napoléon n'était pas forcément un atout. Cependant, ce nom, le prince Victor en était très fier et l'arborait à merveille, il vivait pour ce nom. Pour s'en apercevoir, il suffit de voir en quels termes son ami Jean Hanoteau s'exprimait au lendemain de sa mort :  » Il reste au modeste collaborateur que le Prince Napoléon a bien voulu associer à son travail, le devoir d'exprimer la reconnaissance émue qu'il garde à la mémoire de celui qui a, dignement et noblement, porter un nom si lourd de gloire.  » 

Auteur : Laetitia de Witt
Revue : Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro : 421
Année : 1998-1999
Mois : déc.-janv.
Pages : 73-78
 
Conférence prononcée lors de la journée-rencontre du 10 octobre [1998] à la Pommerie et à Manzac-sur-Vern.

Note

(1) Le Figaro, du 26 août 1887.

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