L’enfant et la créature : parallèles entre E.T. et PETER PAN - Analyse
Photo des films PETER PAN (1953) et E.T.

L’enfant et la créature : parallèles entre E.T. et PETER PAN – Analyse

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“Do you believe in fairies? Say quick that you believe!”, s’exclame Mary, la mère de Elliot, Michael et Gertie alors que celle-ci est en train de lire une histoire à sa petite fille. Et quelle histoire ! Un conte sur des enfants qui ne veulent pas grandir, sur des adultes devenus tristes et froids aux mystères de l’enfance, et sur l’arrivée opportune d’une petite créature venue d’ailleurs. Bien que cet extrait soit tiré du bien connu livre de J.M. Barrie, « Peter Pan », ce résumé semble pouvoir tout aussi bien s’appliquer au film de Spielberg dont il est ici question : E.T.

Et si l’adaptation à l’écran de Peter Pan par Spielberg n’était en réalité pas Hook mais bien E.T. ? En effet, que ce soit sur le plan visuel ou scénaristique, les deux films ont plus d’un point commun : un groupe d‘enfants fait la rencontre d’un être surnaturel qu’ils doivent aider, tout en le cachant du regard des adultes, devenus aveugles à la magie de l’enfance. Pouvons-nous vraiment dire s’il s’agit ici du synopsis d’E.T. ou de Peter Pan ?

Neverland, qu’on pourrait traduire (en tordant un peu les règles) par « Ne jamais atterrir », est le pays où l’on ne grandit jamais. Il est donc associé avec l’antithèse même de l’atterrissage : l’envol. Si le pays des enfants éternels se rapporte à l’envol, les adultes seraient donc plus associés à l’idée du sol, voire, des pieds sur terre. En effet, Peter Pan, Clochette et les enfants perdus savent voler, c’est après avoir évoqué des rêves d’aventure et de Neverland que Wendy, John et Michael décollent du parquet et c’est en apercevant entre les nuages le bateau du Capitaine Crochet que, à la fin du film Peter Pan, le père, soudainement ramené à ses souvenirs d’enfance, se met à flotter légèrement au-dessus du sol. En plus de son nom, le lien entre Neverland et la voltige aérienne est bien mis en évidences par ces trois moments phares du film.

Ainsi, dans les deux films, le moment où le pouvoir de l’enfance atteint son paroxysme se déroule dans le ciel. En effet, c’est après avoir réussi à exfiltrer E.T. des tentes médicales que se produit l’envol miraculeux des vélos, accompagné par la grandiose musique de John Williams. C’est ici le moment le plus mémorable du film, symbolisant du même coup le triomphe des héros : les enfants. Et c’est après leur avoir appris à voler que Peter Pan entraîne ses trois nouveaux amis, Wendy, John et Michael, dans le ciel, « Second star to the right! », vers le pays où l’on ne grandit jamais. C’est un peu de poussière de fée et la magie de l’enfance qui fait ainsi s’envoler les protagonistes de Spielberg et de Disney durant deux scènes devenues cultes. Pendant ce temps, les adultes restent ancrés sur Terre.

Mais les similitudes ne s’arrêtent pas qu’aux scènes d’envol, Spielberg s’en va aussi pêcher chez Disney pour inspirer son antagoniste : le menaçant Keys. Je prends la liberté ici de ne pas considérer Keys et Hook comme de simples antagonistes, mais bien comme des méchants, des personnages dans le personnage, car ne sont-ils pas au fond que deux participants de plus au grand jeu des enfants ? L’un aveuglé de luxe et de vanité, introduit dans la pleine lumière du jour, révélé à travers ses imperfections, et fuyant comme la peste un crocodile tic-taquant, représentatif du temps qui passe ; l’autre, dangereux et qu’à demi-révélé durant la première partie du film, introduit la nuit et apparaissant la plupart du temps dans l’obscurité, qui ne fuit pas mais presse sur le temps, ou plutôt manque de temps, des protagonistes. Bien qu’apparemment très différents, ils ont en commun leur relation avec les protagonistes, avec qui ils sont mis sur le même plan. Ils jouent avec eux et non contre eux, sans pour autant les aider. Ils jouent à faire peur, jouent à être méchants, ils sont l’incarnation même du monstre de cauchemar de tous les enfants du monde. Mais ils ne sont pas les vrais obstacles, il y a des astuces et tactiques pour les éviter, leur surréalité les rend plus terrifiant mais moins impactant, comme un monstre tapi au fond du placard. Cette idée de surréalité est renforcée par leurs surnoms respectifs, un point commun de plus entre eux. Keys et Hook, deux personnages caractérisés par l’objet en métal qu’ils transportent, l’objet qui les définit. Les clés (keys) résonnantes de Keys, annonçant sa venue, et l’effrayant crochet (hook) de Hook lui-même.

Mais si Keys et Hook sont « seulement » les méchants, les réels antagonistes seraient alors les adultes. Ce sont eux qui mettent des bâtons dans les roues des héros, les empêchent de mener leurs plans à bien, eux qui forcent Wendy à grandir en quittant la nurserie, et qui brise les rêves de pirates de Michael, eux dont les enfants sont contraints de cacher E.T., et à qui ils doivent mentir pour sauver leurs amis surnaturels. Ce point commun-ci, Spielberg n’est pas allé le chercher chez Disney, il est devenu récurrents que ses films mettent les adultes, et surtout ceux qui n’ont pas su rester des enfants, dans une mauvaise lumière. La mère de Frank dans Arrête-moi si tu peux, infidèle à son mari, les lâches occupants des jeeps de Jurassic Park, abandonnant Tim et Lex aux dents du T-Rex, Ronnie quittant son mari Roy dans Rencontres du troisième type car incapable de croire aux extraterrestres. Tristes, égoïstes et aveugles, c’est ainsi que Spielberg verra toute sa vie les gens ayant laissé derrière eux leur enfance, et avec elle leur innocence et leur imagination. Quant à Walt Disney, que dire. Le mépris apparent dont fait preuve Spielberg laisse place ici à une indifférence totale. La plupart des adultes ne sont pas foncièrement mauvais, ils sont juste laissés pour compte. L’entrée au « Wonderland » de Alice leur est refusé ; Mary Poppins n’emmène que Jane, Michael et Bert (adulte ayant conservé son imagination) au monde imaginaire ; et Peter Pan ne permet qu’aux enfants d’accéder à Neverland. Il n’est pas anodin que lors des débuts du cinéma d’animation cartoonesque, la tête des adultes restait constamment hors du cadre. N’étant pas tentés de « s’abaisser » au niveau des enfants (ou animaux), ils ne pourront donc jamais découvrir le monde merveilleux à leurs pieds. Sous leur nez mais invisible. Cependant, Spielberg et Disney ne manquent presque jamais de donner une chance de rédemption à ceux qui pensaient l’avoir perdue. Et c’est pourquoi, malgré son incapacité à aider et comprendre ses enfants, la mère de Elliott et Gertie finira par avoir son « happy ending » avec, justement, Keys, qui vers la fin du film quitte le terrain de jeu pour s’élever au rang de figure paternelle, démontrant ainsi que sortir de l’enfance n’est pas forcément une fatalité mais une évolution vers quelque chose de différent. Ainsi que le père de Wendy, John et Michael, qui, en apercevant au loin Peter Pan dans le ciel, sera brusquement ramené à ses souvenirs d’enfance, similaires à ceux que partagent désormais sa progéniture, soudainement adoucit, il revient sur sa décision prise au début du film et accepte que Wendy reste dans la nurserie.

Du côté des enfants, on peut noter des similarités un peu plus concrètes entre les deux films. En effet on observe une ressemblance dans les fratries : deux garçons et une fille dans les deux films ; ainsi qu’une ressemblance entre les prénoms : l’aîné Michael dans E.T. et le cadet Michael dans Peter Pan. On peut également souligner que les deux protagonistes ont beaucoup plus en commun qu’il n’y parait au premier abord. Wendy et Eliott sont les enfants les plus sensibles et visiblement les plus affectés par leurs figures paternels (Eliott en proie au désarroi suite à la fuite de son père avec sa nouvelle copine, et Wendy, soumise aux accès de colère de son père, bien triste lorsque celui-ci l’invective de déménager de la nursery où elle dormait avec ses frères) qui feront en premier la rencontre de la créature. C’est ici l’occasion, une fois de plus, d’appuyer sur la candeur et l’ouverture dont font preuve les enfants des deux films, car tous deux accueilleront leur créature respective à bras ouverts, en opposition avec le rejet systématique dont feront preuve les adultes au premier abord. Non seulement vont-ils les accueillir, mais ils vont aussi s’occuper d’eux sans aucune hésitation : Eliott, une fois le choc passé, s’empressera de nourrir E.T. et de l’envelopper dans une couverture, tandis que Wendy s’appliquera à recoudre son ombre à Peter Pan tout en lui faisant la causette. Il est intéressant de noter que dans les deux films la tâche du langage reste assignée aux personnages féminins. C’est Gertie, la petite sœur d’Eliott, qui inculquera, non sans peine, quelques mots de vocabulaire à l’extraterrestre. Et Wendy tentera, par tous les moyens, d’expliquer à Peter la signification du mot « bisou ». Ce sont donc les enfants les plus sensibles qui tisseront le lien plus fort avec l’être magique, et malgré le fait que dans la version de Spielberg, une amitié éternelle entre Eliott et E.T. remplace la relation presque romantique que Wendy partage avec Peter, ce lien, quel que soit sa nature, sera salvateur pour l’enfant et la créature. Car que ce soit en acceptant de grandir ou en triomphant de Crochet, en se remettant d’un départ difficile ou en revenant à la vie, on voit que l’un n’arriverait pas sans l’autre. Que sans Peter, Wendy n’aurait pas pu surmonter sa peur de grandir, mais que sans Wendy, Peter n’aurait pu vaincre Crochet ; on voit que sans E.T., Eliott aurait continué à subir ses rapports avec sa famille, mais que sans Eliott, E.T. aurait sûrement été capturé peu de temps après son arrivée sur Terre, et serait mort dans la tente des médecins. Tout au long de ces deux histoires, on observe que malgré les obstacles, et malgré la peur, les humains et êtres fantastiques vont mutuellement se tirer d’affaire, avant de se laisser repartir.

« Her voice was so low that at first he could not make out what she said. Then he made it out. [Tinkerbell] was saying that she thought she could get well again if children believed in fairies. […] « If you believe, » [Peter] shouted to [the children], « clap your hands; don’t let Tink die. »
Many clapped. […] The clapping stopped suddenly; as if countless mothers had rushed to their nurseries to see what on earth was happening; but already Tink was saved. First her voice grew strong, then she popped out of bed, then she was flashing through the room more merry and impudent than ever.”

Et c’est en entendant tous ces enfants qui, en tapant des mains, lui montre qu’ils croient aux fées, qu’ils croient en elle, que Clochette va revenir à la vie après avoir été empoisonnée. C’est cette notion de croire, si forte et propre aux enfants, qui sauveront la vie des créatures imaginaires dans les deux films, défiant toutes les lois de la logique et de la médecine. Le super pouvoir des enfants ne réside pas uniquement dans leur imagination, mais aussi dans leur implacable croyance en ces choses qu’ils décident de voir. Ainsi, à la fin d’E.T., alors que celui-ci vient de rendre son dernier souffle dans une des grandes tentes blanches où lui et Eliott ont combattus la maladie côte à côte, le jeune homme, lui étant tiré d’affaire, s’approche doucement de son ami extra-terrestre. Une larme roulant sur sa joue, Eliott murmure : « I’ll believe in you all my life, every day », et c’est en entendant l’enfant lui assurer sa croyance éternelle que E.T., tout comme Clochette, revient à la vie.

Esther E.

Cet article a été publié suite à une contribution d’un·e rédacteur·rice invité·e.
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