Huit idées reçues sur Marie Curie, passées au crible | Historia
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Vrai ou faux

Huit idées reçues sur Marie Curie, passées au crible

Si Marie Curie est aujourd’hui internationalement reconnue pour ses recherches scientifiques déterminantes, couronnées de deux Prix Nobel au début du XXe siècle, plusieurs aspects de sa vie demeurent méconnus, comme son rôle pendant la Première Guerre mondiale. Décryptage avec Natalie Pigeard-Micault, historienne et directrice adjointe du musée Marie Curie.

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Marie Curie. (Wikimedia Commons)

Par Elise Neyret

Publié le 18 avr. 2024 à 07:00

Elle était issue d’une famille modeste polonaise et est restée pauvre pendant longtemps

« Faux. Pour avoir accès à l’enseignement primaire et secondaire, comme celui qu’elle a reçu en Pologne, puis à l’enseignement universitaire en France, il fallait faire partie d’une famille économiquement aisée et culturellement riche. Son père, qui dirigeait un collège, était professeur de physique-chimie et sa mère était à la tête de la meilleure pension de jeunes filles de Varsovie. Quand elle est arrivée à Paris pour poursuivre ses études, elle a été accueillie chez sa sœur et son beau-frère médecin. Ils vivaient de manière très confortable. Mais le couple recevait tellement que Marie Curie a décidé de déménager dans une petite chambre, pour pouvoir se consacrer à ses études, sans être déconcentrée. Elle était si investie dans son travail, qu’elle oubliait parfois de s’acheter de la nourriture et du charbon pour se chauffer. Cette vie modeste était son choix. »

Elle a été la première femme docteur en science de France et la première professeur des universités

« Partiellement faux. Marie Curie a bien été la première femme docteur en sciences physiques. Mais elle a été précédée par d’autres femmes doctorantes et docteurs en science, dont Amélie Leblois, en 1888 (sciences naturelles), et Dorothée Kumpke, en 1893 (mathématiques). En revanche elle a bien été la première professeur des universités en France. D’autres femmes avaient déjà donné des cycles de conférences à la Sorbonne, mais seulement en tant qu’intervenantes extérieures. Après la mort de son mari, Pierre Curie, elle prend la direction de son laboratoire, et est nommée chargée de cours. Deux ans plus tard, elle obtient sa chaire vacante de professeur. »

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Elle a découvert le polonium et le radium, deux nouveaux éléments chimiques

« Partiellement vrai. Elle a fait ces découvertes avec son mari Pierre Curie. Certains historiens disent qu’elle était plutôt la chimiste et lui le physicien. Mais c’est aller à l’encontre du témoignage de leur fille Irène, qui explique que toutes les opérations pouvaient être réalisées de la main des deux époux, indistinctement. Sans l’instrumentation pensée par Pierre et sans la ténacité de Marie, ces découvertes n’auraient pas pu avoir lieu. Après avoir mis au jour le polonium en juillet 1898, ils savaient qu’il y avait un deuxième élément à découvrir dans le minerai d’uranium. Ils ont tout de même décidé de partir se reposer en vacances plusieurs semaines. Cela montre que l’idée de concurrence n’existait pas chez eux. Peu leur importait de savoir qui allait faire cette découverte. Et finalement, quelques mois plus tard, en décembre, ils ont annoncé avoir trouvé le radium. »

Elle a été la seule femme à recevoir deux Prix Nobel

« Vrai. Elle a reçu un premier Prix Nobel de physique en 1903, aux côtés de Pierre Curie et Henri Becquerel pour leur travail sur la radioactivité, et un Prix Nobel de chimie en 1911 pour sa découverte du polonium et du radium. C’est la seule personne à avoir reçu deux Prix Nobel dans deux disciplines scientifiques différentes. »

De son vivant, elle était plus populaire aux États-Unis qu’en France

« À nuancer. En 1921, elle a fait un voyage de deux mois aux États-Unis pour recevoir en cadeau un gramme de radium. Cet évènement a été extrêmement relayé par la presse, avec la publication de 19 948 articles.
En France, avant-guerre, elle a fait l’objet d’une couverture médiatique surtout lors d’évènements ponctuels, : les Prix Nobel, l’affaire de sa liaison avec Paul Langevin et sa candidature à l’Académie des Sciences. Cette dernière a d’ailleurs ravivé les tensions politiques émaillant la société de l’époque. Quant à l’après-guerre, les esprits français étaient sans doute plus tournés vers la reconstruction du pays qu’à rendre hommage à Marie Curie. »

Elle a été une héroïne de la Première Guerre mondiale

« Plutôt vrai. Elle a été une héroïne parmi d’autres. Elle a notamment organisé tout le ravitaillement en pièces et en appareils radiologiques pour les hôpitaux de la Croix-Rouge et certains hôpitaux de l’armée. Elle a aussi créé un service de fabrication d’ampoules de radon – gaz émis par le radium – qui servait à aseptiser et cautériser les plaies de guerre des soldats. Cela a permis de soigner un grand nombre de blessés et a ouvert la voix au soin des cancers après la guerre. En revanche, elle n’a pas inventé la voiture radiologique, qui existait depuis plus de 10 ans dans l’armée. Le terme de « petites Curie » pour décrire ces engins a été utilisé par Eve Curie, dans la biographie consacrée à sa mère. Marie aurait fait équiper 18 voitures radiologiques, sur les 450 environ qui existaient à la fin de la guerre. »

Elle considérait que les progrès de la société passaient par ceux de la science

« Vrai. Pour elle, la culture scientifique et son partage étaient deux éléments fondamentaux pour l’évolution des peuples. Elle l’a exprimé notamment dans un discours de 1933, intitulé L’Avenir de la culture, prononcé dans le cadre de la Commission internationale de coopération intellectuelle. Il s’agissait d’un organe de la Société des Nations, dont elle a dirigé la section bibliographie des sciences physiques. Elle croyait véritablement en l’internationalisme des sciences et à l’égalité devant la connaissance scientifique. »

Elle est morte victime de ses recherches

« Faux. Cela n’a jamais été prouvé. Ce dont on est sûr, c’est que la cause officielle de sa mort est l’anémie de Biermer. On sait aussi que quand la dépouille des époux Curie a été extraite du cimetière de Sceaux pour être transférée au Panthéon, le corps de Marie était moins radioactif que celui de Pierre. Cela s’explique par le fait qu’après la Première Guerre mondiale, elle n’a plus vraiment fait de travail de laboratoire. Son corps a eu le temps de digérer ce qu’il avait accumulé. Alors que Pierre est mort en plein travail sur la radioactivité. Elle a tout de même vécu jusqu’à l’âge de 67 ans, soit presque 10 ans de plus que l’espérance de vie normale. On peut considérer qu’elle était de constitution robuste. »

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