Les campus de Sciences Po Paris et Poitiers restent occupés par les étudiants propalestiniens

À Sciences Po Paris, « la liberté académique » en danger ?

REPORTAGE. Au lendemain de l’évacuation d’étudiants par les CRS, l’Institut d’études politiques de Paris et le campus de Poitiers restent occupés par des étudiants propalestiniens.

Par Sophie Hienard et Paul Chambellant

Temps de lecture : 5 min

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Au 27, rue Saint-Guillaume, les passants défilent. Certains élèves entrent nonchalamment, d'autres, en retard, s'empressent de passer les portes. Au premier abord, le calme règne à Sciences Po Paris ce jeudi 25 avril.

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Mais des slogans résonnent dès l'entrée : « Palestine vivra, Palestine vaincra », « Une seule solution : arrêter l'occupation ». Dans le hall de l'établissement, moins d'une dizaine de manifestants en faveur de la Palestine prennent la parole sur une estrade, entourés de trois cents étudiants qui assistent à la scène, dont certains portent des keffiehs. Des discours se suivent en anglais et en français.

La troupe sort ensuite dans la rue et chante : « On est là, on est là, même si Sciences Po ne veut pas, nous, on est là. Pour l'honneur de la Palestine et tous ceux qu'on assassine, même si Sciences Po ne veut pas, nous, on est là. » Une manifestation spontanée pendant laquelle certains brandissent des drapeaux de La France insoumise, d'autres entonnent des slogans pro-Palestine, puis à l'encontre de la police. Des photographies sont hissées avec l'inscription « Shame » (la honte). Prises dans la nuit de mercredi à jeudi à Sciences Po, elles montrent des étudiants délogés par des forces de l'ordre. Témoignages d'une nuit agitée dont les réseaux sociaux se sont fait le relais.

Il était minuit et demi lorsqu'un cortège de CRS entre dans l'institution parisienne et procède à une évacuation d'étudiants. Une décision motivée par la direction pour faire sortir des étudiants « en faveur de la cause palestinienne, contribuant à un fort climat de tensions pour les étudiants, les enseignants et les salariés », déclare l'école dans un communiqué.

Quelques heures plus tôt, des tentes avaient été installées au sein du campus, dans un amphithéâtre extérieur. Un drapeau vert rouge, noir et blanc avait aussi été déroulé sur la façade intérieure d'un des bâtiments. Au total, 120 manifestants s'étaient rassemblés dans ce bâtiment annexe de Sciences Po. Si une partie d'entre eux a accepté de quitter les lieux « après échange avec la direction », l'école indique que l'évacuation par les forces de l'ordre a concerné « un petit groupe d'étudiants », environ 70.

Des camps propalestiniens sur les campus américains

La peur d'un scénario à l'américaine ? Depuis quelques jours, des campements ont été installés devant plusieurs prestigieuses universités américaines comme Columbia, Harvard, Yale ou encore NYU. Un mouvement accusé d'antisémitisme par le camp républicain, et condamné par le président Joe Biden. Ces tentes ont parfois été évacuées par la force. « Nous sommes solidaires avec Harvard et Columbia, et en lien avec eux », explique Sarah*. Cette dernière a pris part au campement auquel ont également participé des étudiants en double diplôme avec Columbia. Pour elle, « installer des tentes était un moyen de faire monter la pression auprès de l'administration ».

À LIRE AUSSI Wokisme, décolonialisme, antisémitisme… L'Amérique moisie des campusCar depuis le début de la guerre, l'étudiante de 21 ans participe aux manifestations propalestiniennes pour dénoncer « le génocide des Palestiniens ». Elle prend part aux actions menées par le Comité Palestine, groupe autogéré d'étudiants de Sciences Po, qui réclame la fin des partenariats avec des universités israéliennes « comme cela a été fait avec les partenaires russes dès le début de la guerre en Ukraine », la convocation d'une assemblée générale rassemblant tous les étudiants et l'administration et la fin des procédures disciplinaires menées à l'encontre de certains étudiants depuis le 12 mars dernier, lors du blocus au cours duquel une étudiante, membre de l'Union des étudiants juifs de France, s'est vu refuser l'entrée à un amphithéâtre.

L'étudiante de 21 ans se dit « encore choquée » par l'intervention des policiers hier : « Il y avait une vingtaine de camions de CRS à l'extérieur, tout s'est passé dans un temps très court alors que nous étions pacifistes, raconte-t-elle. Le fait que les forces de l'ordre interviennent à Sciences Po, ce n'est pas arrivé depuis Mai 1968. »

Un affrontement d'idées

Dans cette institution, dont la tradition de politisation est réelle, la guerre Israël-Hamas devient un abcès de crispations. Du côté des syndicats étudiants, deux visions s'opposent. « Une ligne rouge a clairement été franchie », dénonce Inês Fontenelle, de l'Union étudiante. Car, pour elle, « l'occupation pacifique n'a engendré aucune dégradation, aucune violence et aucun danger », et s'est terminée par une intervention des forces de l'ordre « sans quelconque justification ».

Et d'ajouter : « Cela enfreint la liberté académique et ne contribue en rien à restaurer un climat de sérénité et de confiance au sein de l'établissement. Climat qui a été rompu depuis longtemps désormais. » Étienne*, du syndicat Solidaires, est du même avis. Le jeune homme y voit même une « ingérence du gouvernement, qui a placé Jean Bassères comme administrateur provisoire » après la démission de Mathias Vicherat, soupçonné de violences conjugales.

Les prises de parole se sont succédées dans l'enceinte de Sciences Po ce jeudi 25 avril.
©  Paul Chambellant
Les prises de parole se sont succédées dans l'enceinte de Sciences Po ce jeudi 25 avril. © Paul Chambellant

Pour d'autres organisations, l'action de mercredi en faveur de la Palestine a des répercussions négatives sur la réputation de l'institution. Comme l'UNI, qui indique dans un communiqué : « Après les manifestations quotidiennes, ces étudiants d'extrême gauche ont franchi un nouveau cap en décrétant l'occupation du campus Saint-Thomas en y plantant des tentes, donnant ainsi de Sciences Po l'image d'une ZAD. » Le syndicat « remerci[e] les forces de l'ordre qui ont évacué Sciences Po et permis un retour à l'ordre ».

Maxime Pontey, secrétaire général du syndicat Nova, regrette, quant à lui, « la passivité de la direction » face aux actions propalestiniennes qui ont lieu depuis le 7 octobre. Pour lui, ces dernières « sont le fait d'une poignée d'étudiants » et « ne résoudront en rien la tragédie qui se passe au Moyen-Orient ». Si l'intervention policière a, d'après lui, « permis de débloquer la situation assez vite », l'élu précise que « ce n'est jamais heureux de voir des unités de maintien de l'ordre pénétrer dans le campus ».

Un affrontement d'idées révélateur des tensions au sein de Sciences Po. Ce vendredi, le Comité Palestine poursuit ses actions, et un sit-in est toujours en cours dans les locaux parisiens ainsi que sur le campus de Poitiers.

*Les prénoms ont été modifiés.

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Commentaires (21)

  • Yankel

    Le palestinisme leur passera avec l'acné

  • straight...

    L'idée que les étudiants ont le "droit" de contester les enseignements (et les enseignants) est une pure supercherie, et par où s'est introduite la contestation permanente (1968... ), et depuis lors la lente paralysie de nos Universités ("Dominique D2B" résume admirablement ces ravages "mettant à bas une culture d'un millénaire et demi (... ) au profit d'un mondialisme mou").

    Par définition l'étudiant ne "sait" pas ou ne sait pas encore et, s'il y a bien une diversité de points de vue, et que protège justement la fameuse "liberté académique", l'étudiant peut certes "interroger" ses professeurs (on n'ose plus dire : ses "maîtres") afin que lui soit expliqué ou précisé un point,
    Mais la finalité du cursus de l'étudiant est de prouver un jour qu'il a assimilé -dans toute leur diversité- les savoirs délivrés (y compris avec toutes les questions et incertitudes qui, par définition, n'auront et bien sûr jamais de fin... ).
    Par refus de mettre en oeuvre une autorité et une fermeté qui lui sont légitimes, l'Occident -et il a laissé le reste du monde profiter de son savoir- deviendra peu à peu et si nous n'y prenons garde un vaste "foutoir", un maëlstrom permanent, où, avec la résurgence menaçante des "empires", c'est toute notre civilisation et une prospérité jusqu'ici crues comme acquises qui risquent d'aller au fossé !

    Singulier parallèle à faire entre Mélenchon, et le célèbre imam égyptien al Qaradaoui : "Avec vos principes démocratiques nous vous pénétrerons ; avec nos principes islamiques nous vous dominerons. " Du pur copié-collé... !
    Nous croyons que rester imperturbables signe là notre prétendue sagesse... ; alors que c'est juste une infinie lâcheté, et qu'elle nous perdra tous.

  • Grillon66

    Malgré ce qu’en pense certains, ou passe LFI le désordre s’installe. Posons nous réellement la question et regardons bien, qui se présente devant tous ces manifestants, hurle à la désinvolture, l’occupation car la république s’est moi (Melenchon) en incitant des jeunes car « vous défendez les droits des palestiniens », mais ne se soucient pas des intérêts Français. S’assoient avec les belligérants car oui nous sommes avec des personnes complotistes pour une destruction de notre vie Républicaine vers une certaines dictature LFI. Honte à ces personnes qui veulent nous priver de notre liberté, partez vers d’autres pays où vous serez accueillis les bras ouvert au lieu de nous ennuyer.