Entre insectes flippants et maman squatteuse : notre sélection des sorties cinéma
Publié le 16/06/2021 à 11:50 | Mis à jour le 16/06/2021 à 14:52
"La nuée", "Sound of metal", "Seize printemps" et "Un tour chez ma fille" : la NR vous propose une sélection de quatre films qui sortent aujourd'hui dans des genres très différents. En bonus, une pépite signée Fernando Trueba déjà sur les écrans.
La nuée de Just Philippot - 1 h 41
C'est le premier long-métrage de Just Philippot et c'est un coup de maître. La nuée est à la croisée de plusieurs genres : entre chronique sociale et film fantastique, il aborde aussi l'âpreté du monde paysan.
Dans sa petite exploitation, Virginie (Suliane Brahim) élève seule ses deux enfants : Gaston, pas encore ado, et Laura de quelques années plus âgée. Pensant trouver un débouché lucratif, elle se lance dans l'élevage de sauterelles comestibles. Pourquoi pas ? Il y a 1.900 espèces d'insectes comestibles dans le monde et plus de deux milliards de personnes en consomment.
En voulant doper son rendement, car les profits sont insuffisants, Virginie va provoquer une croissance exponentielle et une dangereuse mutation. Dès lors, la nuée va devenir incontrôlable.
Si La nuée marque tant, c'est parce que Just Philippot nous propose avant tout une chronique familiale comme les autres avec ses fins de mois difficiles, la jeune fille qui rêve d'évasion et le petit garçon en mal d'affection. Le quotidien déraille doucement, insidieusement. Le ventre du spectateur se noue de plus en plus et, dès lors, le cinéaste nous mène par le bout du nez. Dans le rôle de Karim, l'amant de Virginie, Sofian Khammes est intense. Un grand film.
Sound of Metal de Darius Marder - 2 h 02
Quel acteur ce Riz Ahmed ! Et comme Darius Marder (qui avait signé le scénario de The place beyond the Pines, avec Ryan Gosling) a été inspiré en réalisant ce film d'une grande force et plein d'émotion. De plus, grâce au travail absolument génial de l'ingénieur du son français Nicolas Becker, Sound of metal nous fait vivre l'expérience de la surdité. D'ailleurs, celui qui fut bruiteur sur La haine de Kassovitz, a reçu l'Oscar du meilleur son.
Ruben et Lou (Riz Ahmed et Olivia Cooke) sont liés par le rock (ils ont créé leur propre groupe de heavy-metal) et par leur addiction à la drogue dont ils tentent de se débarrasser. Un soir, en plein concert, l'audition de Ruben devient très feutrée. Il essaie d'abord de se déboucher les oreilles, comme on le ferait tous, mais finit par aller dans une pharmacie où on l'oriente vers un spécialiste. Le verdict est brutal : il est en passe de devenir sourd. Ce sera rapide et irréversible.
Pour se protéger et ne pas retomber dans la drogue, Lou décide de partir pour Paris retrouver son père (joué par Mathieu Amalric) en attendant que Ruben ait appris à vivre avec sa surdité. Coincé entre ce monde des entendants qu'il doit quitter et celui des sourds auquel il va devoir s'adapter, Ruben accepte à contrecœur d'intégrer un programme dans un institut aux méthodes aussi novatrices qu’intransigeantes. C'est un film finalement plein d'optimisme est une sacrée performance de la part de Riz Ahmed.
Seize printemps de Suzanne Lindon - 1 h 14
Difficile de trouver plus gracieux, mais aussi plus audacieux, que le premier film de Suzanne Lindon. Avec Seize printemps elle réussit si bien à capter cet état de doute, de désirs, ce drôle de malaise quand on est déjà plus un enfant mais pas encore un adulte, qu'elle parvient à exprimer, pour chacun de nous, même à posteriori, ce qu'est l'adolescence.
Suzanne s'ennuie avec les gens de son âge, leurs préoccupations, la façon qu'ils ont de s'amuser lui sont étrangères. Près du théâtre devant lequel elle passe chaque jour, il y a un café où elle rencontre un comédien plus âgé qu'elle mais encore suffisamment innocent pour qu'une connection s'établisse. Il est incarné par l'impeccable Arnaud Valois. De café en diabolo-grenadine, ils vont se rapprocher de plus en plus. Beaucoup de tendresse, une compréhension mutuelle, énormément de respect tissent entre eux une sorte d'amour. Mais cette sublime rencontre restera une parenthèse dans la vie de Suzanne qui, rassérénée, doit vivre sa vie d'ado.
On est subjugué lorsqu'on constate avec quelle maîtrise Suzanne Lindon a réalisé ce Seize printemps sans temps mort, sensuel, harmonieux et inventif et on l'est encore davantage lorsqu'on sait qu'elle a écrit le scénario à quinze ans.
C'est un jaillissement créatif qui ose les effleurements, les regards intimidés, la légèreté et la gravité mêlées d'un âge à nul autre pareil. Seize printemps est une caresse intelligente où il y a aussi de la danse. Les deux interprètes principaux sont magnifiques de "gaucherie" pleine de charme.
Un tour chez ma fille d'Eric Lavaine - 1 h 25
Après le succès de Retour chez ma mère Eric Lavaine réunit la même équipe (Line Renaud en plus et Alexandra Lamy en moins) pour un deuxième volet des aventures de Jacqueline (Balasko) et ses enfants. Comme son appartement est en travaux, elle vient s'installer chez sa fille Carole (Mathilde Seigner) et son gendre interprété par Jérôme Commandeur.
Il faut dire que son fils (Philippe Lefebvre), roi des excuses bidons et de l'égoïsme, s'est bien défilé. Jacqueline étant du genre à tout régenter, à réaménager à son goût, en un mot à être envahissante, ça devient vite ingérable. Entre quiproquos à caractère sexuel, gags par forcément légers, Lavaine signe un film qui va atteindre sa cible sans révolutionner le cinéma.
On peut juste prendre plaisir à reconnaître ceux (on en a tous dans ses amis) qui vous donnent l'impression que vous êtes leur invité quand ils débarquent chez vous et qui vous font encore davantage sentir qu'ils vous reçoivent lorsque, rarement, ils vous invitent.
Bonus : L'oubli que nous serons de Fernando Trueba - 2 h 15
Sorti mercredi dernier, le nouveau film de Fernando Trueba (Oscar du meilleur film étranger pour Belle époque en 92) raconte le destin d'exception du Docteur Héctor Abad Gómez dans les années 80. Révolté par les conditions de vie des habitants des quartiers pauvres de Medellin, il engagea une lutte quotidienne et médiatique pour dénoncer l'indifférence du pouvoir.
Le combat de ce médecin, journaliste, essayiste, écrivain, homme politique grand défenseur des droits de l'Homme, finit par attiser la haine de groupes paramilitaires et d'agents de sécurité de l'Etat qui l'abattirent le 25 août 1987. Adapté du livre écrit par le fils d' Héctor Abad Gómez, le film de Fernando Trueba dégage, paradoxalement, énormément de douceur et de sensualité.
Car pendant les trois quarts de la projection, on découvre ce personnage hors-norme par les yeux de son fils, petit garçon vif, pétillant et vibrant d'admiration pour ce père dont la devise était "Tout homme à droit aux cinq "A" : aire (l’air), agua (l’eau), alimento (la nourriture), abrigo (un toit), affecto (l’affection)". Son titre mystérieux, L'oubli que nous serons c'est Hector junior qui nous en donne l'explication : "Quand ma mère et moi avons retrouvé dans une rue de Medellín le corps de mon père assassiné, elle a pris son alliance et les papiers qu’il avait dans sa poche.
Sur l’un d’eux figurait, retranscrit de sa main, un sonnet attribué à Borges : Nous voilà devenus l’oubli que nous serons… Je ne suis pas l’insensé qui s’accroche/ Au son magique de son nom/ Je pense avec espoir à cet Homme/ Qui ne saura pas qui je fus ici-bas/ Sous le bleu indifférent du Ciel/ Cette pensée me console. Je crois que ce poème a été pour mon père une façon de nous dire qu’il pressentait sa fin inéluctable."