Meurtre de Marie Trintignant : drame romantique il y a 20 ans, féminicide aujourd’hui
On ne dit plus « crime passionnel ». Le meurtre de l’actrice Marie Trintignant par son compagnon est désormais considéré comme un féminicide.
Même s’il reste du chemin à parcourir, la couverture de ces faits de société dans les médias a évolué. Il y a 20 ans, on lisait dans la presse le récit d’une « histoire d’amour qui tourne au drame », on insistait sur « la jalousie à l’origine de tout », on parlait de la « saga de l’été », on dressait le portrait d’une actrice, « victime de la passion ». Surtout, on relayait le discours de Bertrand Cantat, icône pop rock française des années 90, minimisant les faits par une empathie qu’on n’aurait jamais eue, comme l’écrivait Pierre Mertens dans Le Soir du 15 septembre 2003, s’il « avait été plombier zingueur et Marie Trintignant, aide-ménagère. Les magazines ne se seraient certainement pas répandus sur ce que, par une étrange pudeur, ils appelèrent “un drame sentimental” ».
« Les violences masculines existent à toutes les époques, dans tous les pays. Et les moyens de les euphémiser également », expliquait cette semaine à l’AFP Giuseppina Sapio, maîtresse de conférences à l’université Paris 8. Selon cette spécialiste du traitement médiatique des violences conjugales, la presse tend à décrire les meurtres conjugaux comme « une forme d’excès d’amour » depuis le début du XXe siècle, une explication « liée à une certaine conception de l’amour ».
Il suffit pourtant de quelques faits réels pour mettre à mal cette singulière « conception de l’amour ».
« Loin d’être un simple cocard »
Dans la nuit du 26 au 27 juillet 2003, une dispute éclate dans la chambre d’hôtel du couple à Vilnius où la comédienne se trouve pour le tournage du film Colette, écrit et réalisé par sa mère Nadine. Vers 05h30, le chanteur de Noir Désir demande au frère de Marie Trintignant de venir. Celui-ci soulève la serviette sur le visage de sa sœur : « C’était loin d’être un simple cocard. » A sa demande, la veilleuse de nuit appelle les secours. A 07h16, l’actrice de 41 ans est opérée pour juguler une hémorragie cérébrale.
Le lendemain, la police lituanienne affirme que, lors d’une violente dispute, le chanteur sous l’effet de médicaments et de l’alcool aurait frappé et poussé l’actrice qui, se cognant la tête, est tombée dans le coma. Elle ouvre une enquête.
L’actrice subit le 29 juillet une seconde opération. « Médicalement, il n’y a plus rien à faire », affirme le neurochirurgien Stéphane Delajoux. « Malheureusement, on est arrivés beaucoup trop tard ». Bertrand Cantat est placé en garde à vue.
Les Trintignant portent plainte à Paris. Au creux de l’été, l’affaire présentée comme un crime passionnel connaît un retentissement médiatique énorme. Le parquet ouvre une information judiciaire pour « coups volontaires » et « non assistance à personne en danger ». Une reconstitution des faits a lieu avec Bertrand Cantat. L’avocat des Trintignant ,Me Georges Kiejman, exclut l’hypothèse d’une chute : « Son visage est trop tuméfié. »
19 coups à la tête et au visage
Marie Trintignant est rapatriée à Paris le 31 juillet. « Cela fait à peu près deux jours que son cerveau est mort cliniquement », déclare le Dr Delajoux.
A Vilnius, Bertrand Cantat est interrogé. « C’est un accident après une lutte, une folie, mais ce n’est pas un crime. » Son avocat évoque un « accident des deux côtés, une tragédie, un conflit humain entre deux personnes, deux artistes à fort tempérament ». Il réclame sa libération.
« Il est essentiel que les enfants de Marie sachent que quelqu’un qui a tué leur mère est en prison », rétorque Nadine Trintignant, sa mère, évoquant d’autres femmes battues par Cantat. Le chanteur réfute, demande son extradition. Il est écroué.
Dans la soirée, le neurochirurgien parle d’un « encéphalogramme plat ». « Plus aucun espoir. » Le lendemain, l’actrice meurt à 10h20 d’un œdème cérébral. Le 13 août, l’autopsie conclut que l’actrice a reçu 19 coups, la majorité contre sa tête et son visage. Une seconde expertise confirme les coups mortels.
Le 7 août, la justice lituanienne exclut l’extradition du chanteur avant un procès à Vilnius pour « homicide volontaire ». Il est condamné à huit ans de prison le 29 mars. « Sa culpabilité est incontestable » mais il « n’a pas voulu les conséquences » de ses actes, estiment les juges.
Après avoir passé quatorze mois à la prison de Vilnius, il est transféré le 28 septembre 2004 à la maison d’arrêt de Muret, près de Toulouse, pour finir d’y purger sa peine. Il y reste quatre ans et demi puis obtient sa libération conditionnelle le 16 octobre 2007. Pour l’opinion publique en matière de violences faites aux femmes, Nadine Trintignant appelle ça « un signal négatif ». Encore un euphémisme.