Valérie Donzelli et Melvil Poupaud : dialogue entre une réalisatrice et son acteur
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Valérie Donzelli et Melvil Poupaud : dialogue entre une réalisatrice et son acteur

Valérie Donzelli, la réalisatrice, et Melvil Poupaud, son acteur, dans « L’amour et les forêts ».
Valérie Donzelli, la réalisatrice, et Melvil Poupaud, son acteur, dans « L’amour et les forêts ». © Patrick Fouque
Fabrice Leclerc , Mis à jour le

Après « La guerre est déclarée », Valérie Donzelli présente à Cannes « L’amour et les forêts », un film méticuleux sur l’emprise et les violences conjugales, avec Virginie Efira et Melvil Poupaud. Tout en complicité, la réalisatrice et son interprète se confient Match.


Quand on est comédien, il faut aimer parler de son métier. Jusqu’à plus soif. Melvil Poupaud a eu beau enchaîner deux journées d’interviews pour les deux films cannois qu’il défend (il apparaît aussi dans « Jeanne du Barry », de Maïwenn), il reste à l’écoute. Et disert. Dans « L’amour et les forêts », adapté du livre d’Éric Reinhardt (prix Renaudot des lycéens en 2014), il est Grégoire Lamoureux, mari maladivement possessif dans une relation toxique. Un ­glissement progressif vers le drame que scrute avec maturité, pour son sixième film, Valérie Donzelli, révélée au grand public avec « La guerre est déclarée ».

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Entre la réalisatrice et son acteur, une camaraderie et une admiration non feintes. Melvil écoute Valérie, finit parfois les phrases de celle dont il dira plusieurs fois lors de la discussion qu’elle est une grande cinéaste.

Paris Match. Valérie, vous pensiez à ce film depuis 2014, bien avant que le sujet de la violence faite aux femmes ne devienne une préoccupation centrale, dans le sillage de #MeeToo. Qu’est-ce qui vous a poussée dans ce projet ?
Valérie Donzelli.
J’ai été subjuguée par le livre d’Éric Reinhardt et sa façon de dépeindre une relation qui sombre dans le drame. C’est un ouvrage qui ne vous lâche pas, totalement angoissant. Il a résonné en moi comme pour beaucoup d’autres, car nous connaissons tous, dans notre entourage, des exemples de relations toxiques. Où se trouve la frontière entre concessions et nécessaire affirmation ? Le personnage féminin du livre, Bénédicte Ombredanne, est une idéaliste, qui pense que tout va toujours finir par s’arranger. Je suis un peu comme elle. Alors, quand j’ai refermé le livre, je me suis dit : “Un jour, quand je serai grande, je l’adapterai au cinéma…”

Pourquoi avoir travaillé à l’adaptation avec Audrey Diwan, la réalisatrice de “L’événement” ?
V.D.
J’avais tourné dans son film “Mais vous êtes fous”, et nous nous étions très bien entendues. Nous avions déjà échangé sur ce roman à l’époque de sa ­sortie. J’aime écrire avec quelqu’un, pouvoir confronter mon regard.

Valérie a eu l’intelligence de nous faire tourner d’abord la partie la plus sombre et violente

Melvil Poupaud

Melvil, comment réagit un acteur quand il reçoit un scénario si fort et abouti ?
Melvil Poupaud.
J’ai été impressionné par cette histoire et par ce personnage, qui me donnait la possibilité d’aller plus loin dans la méchanceté et le machiavélisme. J’ai toujours été fasciné par les monstres, j’en ai même incarné quelques-uns quand j’étais jeune, chez Raoul Ruiz. Un acteur a la chance de pouvoir explorer des zones sombres qu’il ne connaît évidemment pas dans la vie. Valérie nous a permis d’aller loin dans les scènes et de libérer ce monstre. Davantage encore que ce que j’imaginais à la lecture du scénario.

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Melvil écoute Valérie, finit parfois les phrases de celle dont il dira plusieurs fois lors de la discussion qu’elle est une grande cinéaste.
Melvil écoute Valérie, finit parfois les phrases de celle dont il dira plusieurs fois lors de la discussion qu’elle est une grande cinéaste. © Patrick Fouque

Valérie, pourquoi avoir choisi Melvil ?
V.D.
Il a fallu attendre que Virginie Efira ait accepté le projet car je pensais à elle depuis le début. Je lui avais même offert le livre en lui proposant le rôle, avant même de commencer à écrire. C’est une fois son accord confirmé que l’idée de Melvil m’est venue, quasiment comme une évidence. Car il était à l’opposé du personnage de Grégoire Lamoureux. Il fallait que cet homme néfaste ressemble à un prince…

M.P. Valérie a eu l’intelligence de nous faire tourner d’abord la ­partie la plus sombre et violente puis de terminer par les débuts de leur rencontre, plus légers et lumineux. C’était la meilleure façon de nous conditionner, de faire déjà planer cette violence sur leur relation. Ça se sent à l’écran. Ce prince charmant a, dès les premières images, un côté énigmatique et ambigu…

Comme c’est souvent le cas, ces hommes sont des Dr Jekyll et Mr Hyde en puissance…
M.P.
Ce que l’on ne voit pas forcément. Que connaît-on de l’intimité d’un couple, de ce qui se passe derrière la porte, dans la chambre à coucher ? Il faut se méfier des apparences et le film le décrit minutieusement.

Vous abordez le sujet sans faire de leçon de morale, comme on peut le voir parfois. La violence physique est omniprésente mais très peu montrée. Le personnage de Melvil le dit même dans le film : “Je ne suis pas assez bête pour te frapper.”
V.D.
C’est le principe de la manipulation. Grégoire passe son temps à se victimiser. C’est seulement quand il sent qu’il perd ­l’ascendant sur elle que vient la violence physique. Et pour la femme qu’incarne Virginie, l’épilogue de cette histoire est tout sauf une victoire. Sans dévoiler ce qui se passe, elle aura quand même fait deux enfants avec cet homme. Mais elle y aura aussi trouvé un certain amour de soi.

J’ai la profonde conviction qu’on n’obtient rien d’un acteur en le martyrisant

Valérie Donzelli

Chaque acteur a ses techniques de travail pour se plonger dans son personnage. Vous, Melvil, vous travaillez beaucoup sur les costumes…
M.P.
Oui, ils m’aident à dresser leur portrait à travers des couleurs ou des tissus choisis. L’apparence révèle beaucoup d’une personne. Ensuite, j’arrive sur le tournage très préparé après avoir énormément travaillé sur le scénario. Mais je reste très à l’écoute du metteur en scène. Sur le plateau, Valérie m’a demandé d’en faire un homme charismatique. Il est séduisant malgré sa part d’ombre.

V.D. Le scénario était très écrit, c’est vrai, mais il reste une base de travail. Il m’arrive de l’oublier sur le plateau, parce que je veux ressentir ce qui se passe de manière viscérale. Et donc chercher ces moments. Sur un tournage, je suis entièrement tournée vers mes comédiens et la partition qu’ils ont à jouer. Et trouver l’émotion, qu’elle soit sensuelle ou visuelle.

Virginie Efira et Melvil Poupaud dans « L’amour et les forêts ».
Virginie Efira et Melvil Poupaud dans « L’amour et les forêts ». © DR

Ce type de rôle peut devenir éprouvant pour un acteur ?
M.P.
Oui et non, car au cinéma tout est cadré. On va d’un point A à un point B, il y a la caméra, la perche. À partir de là, il faut aussi s’oublier. Je me suis retrouvé dans ces scènes de confrontation avec Virginie à avoir presque envie de la tuer, ce qui ne m’arriverait jamais dans la vie. J’ai pu voir la peur dans ses yeux pendant ces scènes. Dans le métier d’acteur, il y a parfois ces moments de quasi-hypnose.

V.D. Le travail du metteur en scène est de cadrer tout cela et de rester, bien sûr, dans la bienveillance.
Certains cinéastes, pourtant, poussent leurs acteurs dans leurs retranchements…

V.D. J’ai la profonde conviction qu’on n’obtient rien d’un acteur en le martyrisant. Ce film est à la fois le plus joyeux que j’ai fait et le plus violent que j’ai réalisé.

On reconnaît pourtant votre patte, ces petites notes plus légères qui marquent tous vos films. Il n’y a que chez vous qu’un personnage peut s’appeler Lamoureux !
V.D.
Parce que c’est aussi la vie telle qu’elle est… Je cherchais justement le nom du personnage du mari violent lorsqu’un matin je suis passée devant une boulangerie qui s’appelait Lamoureux. C’est venu à moi comme une évidence !

Je crois que le cinéma doit pouvoir tout oser

Valérie Donzelli

Pourquoi ce besoin d’une certaine légèreté ?
V.D.
Parce que je crois que le cinéma doit pouvoir tout oser. Il y a cette scène dans le film, qui n’était pas dans le scénario, où le couple se met d’un coup à chanter dans une voiture. Ma libido de cinéma n’est pas dans le réalisme ou la retranscription brutale des événements. Je suis un peu comme cela dans la vie, et on ne fait jamais l’économie de ce qu’on est au cinéma.

Vous avez tous les deux des carrières assez atypiques, devant et derrière la caméra, dans vos choix. Qu’est-ce que vous allez chercher dans le cinéma ?
V.D.
Le désir. Le cinéma me dépasse, je ne sais pas comment ne pas en faire.

M.P. Pour moi, c’est la curiosité. Explorer le drame ou la ­comédie, fouler des territoires inconnus. Découvrir…

Surtout quand on passe comme vous, Melvil, des univers de François Ozon, Arnaud Desplechin ou Raoul Ruiz à ceux de grosses productions hollywoodiennes ou de Woody Allen…
M.P.
Cela m’a aussi permis de comprendre ce qu’est un bon metteur en scène. Comme Valérie est une personne qui cherche constamment et qui ne quittera pas la pièce tant qu’elle n’aura pas eu une image magique. Tous les réalisateurs ne fonctionnent pas ainsi.

J’ai tourné avec des metteurs en scène de 80 piges qui étaient de vrais ados dans leur tête…

Melvil Poupaud

Vous fêtez tous les deux vos 50 ans cette année, vous avez ­chacun connu des hauts et des bas, le succès ou les échecs et la maturité semble très bien vous aller. Comment vous sentez-vous dans le cinéma français ?
M.P.
Ça fait plaisir de l’entendre, car je vois parfois des acteurs qui, au bout d’une dizaine d’années, semblent avoir tout donné. À l’inverse, et je pense que c’est la même chose pour toi, j’ai le sentiment que l’on a encore beaucoup à donner et à partager.

V.D. Je suis comme toi, je vois ce métier comme une course de fond.

M.P. Certains pensent parfois que c’est leur moment, qu’il faut tout prendre et tout faire à la fois. Ce métier n’est pas un sprint qui consiste à arriver le premier en haut des marches. J’ai tourné avec des metteurs en scène de 80 piges qui étaient de vrais ados dans leur tête…

V.D. Je suis très heureuse d’avoir 50 ans. C’est un privilège de vieillir, on se débarrasse de plein de choses. Et ce n’est que le tout début de la vieillesse. [Ils rient.]

J’aime Cannes car il représente le 7e art, un lieu d’excès et de violence

Valérie Donzelli

Vous avez connu le Festival de Cannes tous les deux à plusieurs reprises, là encore avec des films célébrés ou mal reçus. Comment vous apprêtez-vous à vivre celui-ci ? Pour ce film, et vous, Melvil, aussi pour “Jeanne du Barry” ?
V.D.
Je suis très heureuse. Ce sera une avant-première de prestige dans une section non compétitive, donc ce sera très doux. J’aime Cannes car il représente le 7e art, un lieu d’excès et de violence, car c’est violent de faire un film. Je trouve aussi magnifique qu’une ville entière se mette au service du cinéma. Il n’y a pas tant d’endroits dans le monde où l’on honore à ce point les réalisateurs.

M.P. À Cannes, le cinéma est tout à coup très important dans la vie des gens. Un petit film argentin ou coréen peut soudainement devenir un événement. Ce qui n’est pas le cas ailleurs, en effet. Cannes dit aussi que le cinéma est un art qui compte beaucoup dans la société. Qui redit qu’il n’y a pas que les plateformes ou les séries télé. Un grand film dans une salle obscure, cela restera toujours un trésor pour les cinéphiles.

J’ai compris la vie en regardant des films

Melvil Poupaud

Quel type de cinéma vous porte ? Un film de chevet ?
V.D.
Je déteste cette question. [Elle rit.] Allez, je dirai “To Be or Not to Be”, de Lubitsch…

M.P. Moi, je change tout le temps d’avis… Je prendrais les films de Chaplin, ils ont à la fois ce côté originel et définitif du cinéma. Il y a chez lui quelque chose d’absolu. Plus largement, le cinéma m’a appris la vie, à travers les films que me montrait ma mère. J’ai compris la vie en regardant des films, compris ce que c’était d’être un garçon, de tomber amoureux, ou d’être un salopard. Il y a un côté école de la vie…

Valérie, vous faites partie du Collectif 50/50, qui milite pour une meilleure représentation des femmes dans les métiers du cinéma. C’est un travail de longue haleine qui connaît aussi des hauts et des bas. Vous êtes confiante ?
V.D.
Nous sommes sur le bon chemin. Il y a de plus en plus de femmes qui font des longs-métrages, et ce serait quand même ridicule de ne pas le reconnaître. Il faudra arriver à dépasser cette thématique homme-femme cinéaste. La question du genre est en train de bouleverser tout cela. Plus il y a de différence et plus il y aura ­d’acceptation et d’équilibre. Nous ne sommes forts qu’avec les autres. Je suis pour accueillir plutôt que rejeter, car tout profite des mélanges. Prenez la peinture, c’est du mélange que naissent les couleurs…

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