Au premier rang, une spectatrice se voile le regard, le visage à moitié caché dans sa chemise. Derrière, un cri surgit : une injure lancée à la Toile. "Connard !"
Avec L'Amour et les Forêts, en salle ce mercredi 24 mai 2023, jour de sa présentation hors compétition au Festival de Cannes dans le cadre de la sélection Cannes Première, Valérie Donzelli décortique la mécanique de l'emprise au sein du couple.
Au générique, on quitte son fauteuil rouge, pas l'histoire. Plusieurs pensées se sont accrochées au ventre. Comme celle-ci : si Valérie Donzelli a opté pour le genre du conte obscur, parfois du conte obscur, combien de glaçantes réalités raconte-t-elle ? De nombreuses autres questions clignotent des heures à l'esprit. Comme celles posées au binôme d'acteurs lors de notre rencontre.
Réaliser être victime
Marie Claire : Violences verbales, psychologiques, économiques, sexuelles, physiques.... L'Amour et les Forêts décortique les différents cycles et facettes des violences conjugales. Avec ce tournage, en avez-vous appris davantage sur leurs mécanismes ?
Dans plusieurs scènes, je raconte après-coup les violences subies, je fais le récit de ce vécu. Je connais cette chose-là - c’est peut-être pour ça que j’avais envie de la jouer - : se voir soi-même comme un personnage. On sait très bien que la violence existe, et soi-même on la vit, mais on se dit que non, on ne la vit pas vraiment. "Ça existe, mais ce n’est pas ce que je suis en train de vivre. Ce que je suis en train de vivre c’est autre chose [que des violences]". Et pourtant, on est exactement dans "ça". C’est difficile de se mettre au cœur du récit. Ça prend du temps... Mais mon personnage ne peut s’en sortir qu’à partir du moment il identifie cette violence comme telle.
Par un vécu propre et certaines expériences de films, j'avais une idée de ce que je voulais explorer de la condition féminine.
Qu'aimeriez-vous dire à votre personnage ?
Melvil Poupaud : "Va te faire foutre sale con."
Virginie Efira : Moi, je ne sais pas si je lui parlerais. Je la prendrais d'abord un peu dans mes bras.
De Virginie Ledoyen à Romane Bohringer, les seconds rôles féminins sont clés. Quelle place a la sororité dans l'histoire de cette femme que vous incarnez ?
Virginie Efira : Ces regards aimants venant d'autres femmes peuvent l'aider à enclencher quelque chose en elle qui aurait un rapport avec le réveil. Et le personnage de Melvil l'a bien compris, puisque l'une des premières étapes de la toile qu'il tisse est celle de l'isolement. Dans cette toile de l'emprise, il n'y a plus d'amitiés possibles. Tout est une menace pour lui. Le film permet de décortiquer comment l'emprise se met en place.
Se réapproprier son vécu grâce à ce rôle
Puis, puisque je comprends ce que je joue, je peux le rétribuer, et être alors l'une des multiples représentations - plus il y en a, mieux c'est - sur ce sujet. Grâce à la représentation, les victimes peuvent identifier plus directement ce qu'elles subissent.
Parfois, vous ne connaissez pas vraiment une personne, mais vous sentez qu’il y a une intimité souterraine entre elle et vous. J'ai ressenti ça avec Valérie Donzelli.