Maxime Bossis et Bernard Genghini : "Dans les années 80, le foot était une passion plus qu'un moyen de gagner de l'argent"

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Maxime Bossis et Bernard Genghini : "Dans les années 80, le foot était une passion plus qu'un moyen de gagner de l'argent"
Maxime Bossis après son pénalty manqué en demi-finale de la Coupe du Monde 1982 contre l'Allemagne de l'Ouest.
Colorsport/Shutterstock/SIPA

Maxime Bossis et Bernard Genghini : "Dans les années 80, le foot était une passion plus qu'un moyen de gagner de l'argent"

Nostalgie

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Les deux anciens joueurs de l'équipe de France, qui ont participé au match mythique contre la RFA en juillet 1982, comparent le football de leur époque avec celui d'aujourd'hui, à l'approche de la Coupe du Monde au Qatar.

Ils nous parlent d'un temps que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître… Maxime Bossis et Bernard Genghini ont vécu l'un des épisodes les plus glorieux et les plus tragiques de l'histoire du football français : l'élimination des Bleus en 1982, un soir de juillet à Séville, en demie-finale de Coupe du Monde contre l'Allemagne de l'Ouest (3-3, t.a.b 5-4). « Le grand Max » jouait en défense centrale aux côtés de Marius Trésor, tandis que Genghini composait le mythique « carré magique » de l'équipe de France au milieu de terrain, avec Giresse, Tigana et Platini. Quarante ans plus tard, le souvenir de Séville, indélébile pour ceux qui l'ont vécu, résonne particulièrement à l'approche du lancement de la Coupe du Monde. Organisé au Qatar, le tournoi semble réunir toutes les tares du football d'aujourd'hui : inaccessible, corrompu, pourri par l'argent. Comme si « le vrai foot » était mort et enterré. Marianne a demandé aux deux compères des Bleus de 82 s'ils partageaient ce sentiment.

Marianne : À l'approche de la Coupe du Monde, une phrase revient régulièrement parmi les passionnés mais aussi les sceptiques : « Le foot, c'était mieux avant ». Êtes-vous d'accord ?

Maxime Bossis : On est toujours nostalgiques, du foot d'avant mais sans doute aussi de la société qui était moins anxiogène. L'avantage pour nous durant les années 1980, c'est que l'équipe de France ne représentait pas grand-chose pour les gens à l'époque : depuis la période de Raymond Kopa et Just Fontaine en 1958, il n'y avait pas eu de résultat, et tout était à reconstruire, donc on avait moins de pression. Le foot était plus sympa à l'époque : certes, il fallait s'entraîner tous les jours, il y avait des journalistes et nous étions jugés… mais il y avait moins de médiatisation, moins d'argent, moins de marketing. On jouait pour gagner, évidemment, mais ce n'était pas forcément la finalité, on mettait l'accent sur la beauté du jeu. Michel Hidalgo (sélectionneur des Bleus entre 1976 et 1984, ndlr) nous demandait d'abord de jouer un beau football, de prendre du plaisir, d'avoir conscience du privilège que représentait le fait de représenter la France, quelque chose qui faisait rêver des millions de gens.

Bernard Genghini : C'est toujours difficile de comparer les générations. Le football a évolué, comme la vie. Le foot est devenu un énorme business, et ce n'était pas le cas quand on jouait. On gagnait bien notre vie par rapport à d'autres personnes mais tout était plus nuancé, plus contrôlé. Aujourd'hui, les choses ont changé.Les bons joueurs sont traités comme des Formule 1 : ce sont des produits dont il faut prendre soin et qui doivent avoir du rendement. L'exposition médiatique n'est plus du tout la même qu'avant, sans parler des réseaux sociaux qui n'existaient pas quand je jouais. Forcément, les clubs ont bénéficié de cet apport d'argent supplémentaire. Quand je vois l'organisation des déplacements, la taille des staffs, l'encadrement des joueurs…Nous, on avait un kiné et un médecin pour une vingtaine de gars ! Aujourd'hui, tout est pensé, contrôlé, pour que le joueur soit dans les meilleures dispositions.

On a le sentiment que dans les années 1980, il y avait une proximité entre les joueurs et le public qui s'est un peu perdue en route…

M.B. : Les footballeurs étaient en fait très proches du Français « moyen ». On partageait la vie des gens, on leur ressemblait. Ils pouvaient facilement venir nous voir à l'entraînement. Avant les matches à Nantes, on se garait sur le parking du vieux stade Marcel-Saupin et on le traversait au contact des curieux venus nous voir. On pouvait aussi se retrouver à 50 après une victoire pour manger dans un restaurant au bord de la Loire. C'est sans commune mesure avec aujourd'hui.

B.G. : Il n'y avait pas toute cette sécurité qui entoure les joueurs d'aujourd'hui. Les stades sont aussi plus grands, il y a plus de monde. Nous, on nous reconnaissait dans la rue, il y avait de la ferveur, mais on pouvait aller se promener en ville tranquillement. On était plus accessibles. Une distance s'est créée. Mais je pense que les joueurs actuels sont obligés, ce n'est pas volontaire de leur part. S'ils décident de s'arrêter pour signer des autographes, ils ne peuvent plus repartir ! On était logiquement plus proches.

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Quelle place occupait l'argent dans le foot des années 80 ?

B.G. : C'était très tabou. À Sochaux, où j'ai commencé ma carrière, les dirigeants faisaient attention à ce que personne ne sache ce que vous gagniez. A tour de rôle, on allait dans le bureau du secrétaire administratif qui cachait nos fiches de paie dans des enveloppes qu'on venait récupérer. Il ne fallait surtout pas que nos salaires soient connus ! Cette prudence s'expliquait aussi vis-à-vis des ouvriers des usines de Montbéliard (Le FC Sochaux-Montbéliard a été fondé par Peugeot et est historiquement soutenu par les ouvriers des usines de la marque automobile, ndlr) , qui étaient les supporters du club et qui touchaient moins que nous, alors qu'on gagnait plutôt bien notre vie en jouant au foot… Même si les sommes qu'on touchait étaient sans commune mesure avec aujourd'hui !

M.B. : Les footballeurs ont maintenant une autre vie, ils sont entourés d'agents, on les regarde un peu comme des stars du cinéma ou de la musique, ce qui explique peut-être que leurs salaires, pourtant bien plus élevés qu'à notre époque, choquent moins.

B.G. : Dans les années 80, le phénomène des agents commençait à peine à émerger. Nous, on était impressionnés par les dirigeants. Si on avait eu des agents, on aurait obtenu de meilleurs contrats ! Aujourd'hui, les joueurs sont entourés de gens qui veulent profiter du système, qui savent que beaucoup d'argent circule.

Auriez-vous aimé jouer aujourd'hui, ou êtes vous satisfait d'avoir joué dans le foot des années 1980 ?

B.G. : J'aurais préféré jouer aujourd'hui, honnêtement, et pas seulement pour l'aspect financier. À mon époque, la possibilité de jouer à l'étranger était un rêve qui était moins accessible, j'aurais adoré jouer en Italie, le pays de mon grand-père, en Angleterre voire en Allemagne. C'était plus confiné, plus fermé. Le jeu également était différent, moins calculé, plus ouvert. Aujourd'hui, la majorité des équipes pratiquent un marquage en zone. Quand je jouais, à mon poste de numéro 10, je subissais le marquage individuel. J'avais un gars sur le dos qui me suivait à la trace pendant 90 minutes, c'était injouable ! Je me retournais parfois vers mon défenseur pour lui demander : « Tu te régales à jouer comme ça ? ». C'est plus facile pour un joueur offensif de se démarquer aujourd'hui. Les joueurs ont énormément progressé, et surtout, ils sont mis dans les meilleures conditions.

M.B. : On a connu les mêmes joies et les mêmes peines que les footballeurs actuels, car la finalité reste le terrain. Mais dans les années 1970 et 1980, le foot était vraiment une passion plus qu'un moyen de gagner de l'argent. Aucun jeune, aucun parent, ne pensait à faire fortune en jouant au football. Avec le recul, je suis heureux d'avoir vécu cette période.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne