Karl Polanyi et le désencastrement de l’économie

Portraits d'Économistes

Karl Polanyi et le désencastrement de l’économie

Économiste hétérodoxe austro-hongrois du 20e siècle, Karl Polanyi s'intéresse également à l'anthropologie et à l'histoire de l'économie. Il montre dans son livre de référence « La Grande Transformation » (1944) les dérives du développement du libéralisme au 19e siècle et le “désencastrement” de l'économie du pouvoir politique. 

Antoine Tirot
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Illustration de l'article Karl Polanyi et le désencastrement de l’économie

© DR

Qui suis-je ?

Karl Polanyi est né le 25 octobre 1886 à Vienne dans l’Empire d’Autriche-Hongrie. Il est l’enfant de parents juifs hongrois, dont le père était entrepreneur et sa mère rabbin. En 1904, Polanyi rentre à la faculté de droit et de sciences politiques de Budapest. Il obtiendra son doctorat de droit en 1909 à l’université de Kolozsvar (aujourd’hui Cluj en Roumanie). 

Pendant ses études de droit à l'Université de Budapest, en 1908, Polanyi fonde et dirige un groupe de réflexion d’étudiants, le Cercle Galilée. L’objectif de ce cercle, rassemblant près de deux milles étudiants, est de lutter contre l’illettrisme et diffuser des idées progressistes au sein des classes populaires. Les motivations de ce groupe sont nombreuses car ce dernier prétend former à l'esprit critique à l'écart des partis politiques traditionnels, ou encore mobiliser les étudiants contre la bureaucratie et la corruption très présente dans l’Empire Austro-Hongrois à l’époque. 

Le militantisme est une valeur essentielle chez Polanyi. Après avoir obtenu un doctorat en philosophie à Budapest en 1912, il contribue à créer le « parti radical hongrois » et devient même le secrétaire du parti en 1914. Il participe à la première guerre mondiale en tant qu'officier à la cavalerie austro-hongroise mais sera démobilisé pour incapacité. Suite à la guerre, il revient à Budapest, continuant son activisme politique puis migre vers Vienne en 1919. 

Entre 1924 et 1933, Polanyi devient journaliste économique et politique au pôle international du journal « Oesterreichische Volkswirt » (qui se traduit « Économiste Autrichien »). Ce média est un des plus prestigieux et plus lu d’Europe Centrale. C’est également durant cette période qu’il acquiert peu à peu l’appellation d’économiste. Il organise des séminaires de réflexions sur l’histoire de la pensée économique où il est notamment très critique de la théorie de l’école autrichienne, représentée par l’économiste Ludwig Von Mises. 

Avec la montée du nazisme, Polanyi fuit l’Autriche pour rejoindre Londres en 1933. Il enseigne l’histoire économique à la “Worker Education Association”. Il part ensuite pour les Etats-Unis en 1940, où il professe l'économie politique au Bennington College dans le Vermont. 

Cette expérience américaine est à l'origine de la rédaction de son best-seller « La Grande Transformation » sorti quatre ans plus tard en 1944. Dans ce livre, il réfute les concepts d'homo-economicus, c’est à dire d’un agent économique rationnel, optimisant ses intérêts en calculant les avantages et coûts de chacunes de ses décisions. Il est très critique envers le marché en général, qui n’a rien d’une construction naturelle comme le pense la majorité des économistes de son époque. 

En 1947, il rejoint les bancs de l'université de Columbia à New York, là encore en tant que professeur d’économie, puis prend sa retraite universitaire en 1953, à 66 ans. Il publie un nouveau livre d'histoire économique « Trade and Market in the Early Empires » (se traduisant par « Commerce et Marché dans les premiers empires ») en 1957. 

Karl Polanyi meurt le 23 avril 1964 au Canada sur les bords du lac Ontario. 

La Grande Transformation

Dans son livre, l’économiste propose une analyse historique originale de l'économie de marché. Il montre qu’au XIXe siècle, se lance le projet de créer un grand marché autorégulateur. 

Le libéralisme du XIXe siècle entend construire un système complet de marchés, mettant la société au service de la logique marchande, jusque-là quasiment absente. La terre, le travail et la monnaie sont maintenant réduits à de simples marchandises échangeables sur un marché à travers un prix. 

Il prend notamment l’exemple du marché du travail. Polanyi montre qu'auparavant, un ouvrier commençait sa carrière en tant qu’apprenti dans une corporation et travaillait souvent toute sa vie dans la même structure. La concurrence entre les entreprises était absente. L’État était présent car il régulait les salaires. La corporation fonctionnait selon des règles internes très strictes, loin de la logique marchande.

Cependant, la réalité résiste à cette fiction. L'économiste Austro-hongrois montre que la libéralisation et l’extension des marchés suscitent un affaiblissement des institutions traditionnelles et font émerger des contre-mouvements. 

Les travailleurs, désormais considérés comme de « simples marchandises », peuvent être bousculés, employés à tort et à travers, ou même laissés inutilisés. L’autonomisation des marchés (désencastrement) vis-à-vis de toutes les lois sociales, morales, éthiques des sociétés traditionnelles affaiblit la cohésion sociale, provoquant une défiance généralisée envers les institutions.

Éco-mots

Désencastrement 

Séparation de l’économie et de la société par l’émergence d’un marché autorégulateur. C’est aussi l’idée que le marché s’impose comme institution organisatrice du social qui se distancie des sociétés traditionnelles.

La montée des régimes extrêmes comme le nazisme en Allemagne, le communisme soviétique en URSS, le fascisme italien et dans une moindre mesure le Front Populaire en France et le New Deal aux Etats-Unis sont des contre-mouvement initiés à la suite de la libéralisation de la société observée au cours du XIXe siècle.

Mes dates clés 

1886 : Naissance à Vienne

1908 : Fondation du Cercle Galilée

1924-1933 : Journaliste économique 

1944 : Livre “La Grande Transformation”

1953 : Livre “Trade and Market in the Early Empires”

1964 : Décès.

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