Hey Jude ! Méconnaissable dans « Le Jeu de la reine », le nouveau film du réalisateur brésilien Karim Aïnouz, Jude Law s’est glissé avec délectation dans le rôle d’Henri VIII, homme de la Renaissance, aussi appelé Barbe-Bleue, connu pour avoir rompu avec la papauté et avoir épousé six femmes. Dans les écoles, on apprend par un moyen mnémotechnique à se souvenir du destin de chacune de ses épouses : divorcée, décapitée, morte, divorcée, décapitée, survivante ! C’est l’union avec la dernière, la survivante, Catherine Parr ( Alicia Vikander), qui nous est, ici, contée, en une série de plans qui semblent tout droit sortis d’un tableau du XVIe siècle. Jude Law incarne un roi-ogre, tyran en fin de vie qui ramène sans cesse Catherine Parr, femme hors du commun qui ose lui tenir tête, à son corps destiné à enfanter. Une fresque saisissante dans laquelle l’acteur anglais de 51 ans livre une éblouissante performance. Avant de s’envoler pour New York afin de préparer une minisérie pour Netflix avec Jason Bateman, il a répondu à nos questions.

ELLE. Pourquoi avoir dit oui à Karim Aïnouz, réalisateur brésilien d’origine algérienne, qui a priori ne connaissait rien à la famille royale d’Angleterre ?

Jude Law. Justement. J’ai pensé que ce regard extérieur donnerait une richesse au film, aux personnages, à l’intrigue. Je connaissais son travail, notamment « La Vie invisible d’Eurídice Gusmão » et j’avais toute confiance. Il avait une idée claire du couple que formaient Catherine Parr et Henri VIII. Cet angle me plaisait. Interpréter ce roi à bout de souffle à qui, toute sa vie, on avait martelé que seul Dieu lui était supérieur constituait un formidable défi.

ELLE. Ses divorces, ses femmes qu’il a fait décapiter... il est le symbole de la toxicité masculine !

J.L. Aujourd’hui, ce terme prend une résonance folle. Henri VIII pourrait être dans l’actualité ! C’est l’image du mâle moderne, archi dominant.

ELLE. Le réalisateur a déclaré qu’il avait beaucoup pensé à des tyrans contemporains en construisant le personnage : Trump, Bolsonaro... Ces noms circulaient-ils sur le plateau ?

J.L. Pas vraiment. On pensait davantage à la mythologie de Barbe-Bleue. [Rires.] Je me suis fait pousser la barbe, je passais beaucoup de temps assis ou au lit. La jambe du roi était abîmée par des ulcères qu’on ne savait pas soigner à l’époque. On parlait de gangrène. En guise d’antidouleurs, et pour l’anesthésier, on lui donnait à boire des litres d’alcool. Il perdait la tête et devenait violent. Pour quelqu’un d’omnipotent comme lui, j’imagine que cette dégradation physique et mentale était terrible.

ELLE. Vous avez demandé à un parfumeur de créer une senteur à base de sang, de matière fécale et de transpiration...

J.L. C’est vrai. On sait que l’odeur corporelle du roi était pestilentielle. Je me suis amusé à vaporiser sur le plateau ce parfum spécial. Tout le monde était incommodé, à commen- cer par Alicia Vikander qui ne me supportait plus à la fin. C’était parfait pour le rôle, car très authentique !

ELLE. Alicia Vikander dit aussi que vous avez beaucoup ri sur le tournage...

J.L. Le sujet était lourd, autant se lâcher entre les scènes. Et puis Catherine Parr est peut-être l’une des premières féministes de l’histoire. Même si maintenant, le terme « féministe » englobe beaucoup de choses. Je dirais plutôt que c’était un esprit libre, elle n’appartenait à aucun mouvement.

ELLE. Vous avez assisté aux débuts d’Alicia Vikander dans « Anna Karénine ». Quel parcours depuis !

J.L. Je suis dans le métier depuis trente-cinq ans et j’ai vu tellement de jeunes actrices ou acteurs commencer avec brio et disparaître des projecteurs. Je suis admiratif d’Alicia car elle est talentueuse et persévérante.

ELLE. Vous avez souvent joué des « bad boys » comme si vous souhaitiez casser une image un peu trop lisse...

J.L. Se mettre dans la peau d’un personnage qui ne nous ressemble pas, c’est la base du métier. Est-ce que j’en ai trop fait ? Je l’ignore. Ce qui est sûr, quand je joue un être maudit, que ce soit dans « Bent », « Oscar Wilde » ou « Les Sentiers de la perdition », j’essaie toujours d’y apporter de l’humanité.

ELLE. C’est ce qui a fait dire à Anthony Minghella avec lequel vous avez tourné trois films : « Il est tellement beau que je crains que le public ne prenne pas la mesure de son talent d’acteur »...

J.L. Vous allez me faire rougir ! En vérité, les années ont passé et, aujourd’hui, on me prend davantage au sérieux.

« LE JEU DE LA REINE », de Karim Aïnouz, avec aussi Sam Riley, Eddie Marsan, Simon Russell Beale (2 h). En salle le 27 mars.