Chroniques du Cinéphile Stakhanoviste: Passions juvéniles - Kurutta kajitsu, Kō Nakahira (1956)
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jeudi 28 mars 2024

Passions juvéniles - Kurutta kajitsu, Kō Nakahira (1956)


 Deux frères sont en compétition pour gagner les faveurs amoureuses d'une jeune femme, durant un été au bord de mer passé à jouer, naviguer et boire.
 

Passions juvéniles est une production s'inscrivant dans le du taïo-zoku, signifiant "tribus du soleil". Ce mouvement fait le portrait de la jeunesse japonaise hédoniste des années 50, et trouve sa source dans la littérature. En 1955, le jeune Shintaro Ishihara fait sensation en remportant le prestigieux Prix Akutagawa (équivalent japonais du Goncourt) pour son recueil de nouvelles Les Saisons du soleill. L'ouvrage remporte un succès considérable et devient un véritable phénomène générationnel dont le cinéma va s'emparer. En 1956 la Nikkatsu produit donc Les Saisons du soleil, adaptation de la nouvelle éponyme du recueil pour laquelle Shintaro Ishihara parvient à imposer son frère cadet, Yujiro Ishihara, en tête d'affiche. Le film est un triomphe et fait de Yujiro Ishihara une icône, le pendant de James Dean et Elvis Presley pour la jeunesse locale. Afin de battre le fer quand il est chaud, une seconde adaptation d'une autre nouvelle du livre est lancée avec Passions juvéniles qui sortira en salle en juillet 1956, soit quelques mois à peine après la sortie de Les Saisons du soleil le 17 mai de la même année. Shintaro Ishihara est encore plus impliqué puisqu'il en signe le scénario, et devient vraiment le porte-étendard de cette génération, tant au niveau du public que du milieu cinématographique. Il est ainsi scénariste, producteur, réalisateur de plusieurs adaptations de ses ouvrages et moteur de la Nouvelle Vague japonaise, voyant des réalisateurs prestigieux ou émergents comme Masahiro Shinoda (avec Captive Island (1960) et Fleur Pâle (1964)), Yuzo Kawashima (Le Baiser du voleur (1960)), Kon Ichikawa (La Salle du châtiment (1956)) Nagisa Oshima (Voyage à petit risque (1963)) transposer ses écrits. Le symbole de modernité que représente Shintaro Ishihara est d'autant plus ironique rétrospectivement puisqu'à partir de la fin des années 60 (et conseillé par son ami Yukio Mishima), il entame une brillante carrière politique qui le verra être un ponte du PLD, endosser les mandats prestigieux et être un des tenants des opinions les plus réactionnaires et conservatrices qui soit. 

Passions juvéniles observe donc la jeunesse dorée japonaise s'abandonner aux plaisirs divers le temps d'un été. Nous allons plus particulièrement suivre deux frères aux caractères dissemblables, Natsuhisa (Yujiro Ishihara) et son cadet Haruji (Masahiko Tsugawa). Natsuhisa est un jeune homme typique de cette insouciance ambiante, aimant goûter les plaisirs divers tels que la boisson, le jeu, la danse et bien sûr les femmes. Haruji est plus introverti et délicat, un caractère sensible ne souffrant cependant pas du caractère envahissant de son aîné qui l'emmène dans toutes ses pérégrinations et l'introduit à ses amis. Ko Nakahira capture avec brio la langueur de l'été, le luxe des environnements où évoluent ces jeunes nantis, et multiplie les vues de panoramas exotiques chatoyants au sein desquels les protagonistes s'adonnent au ski nautique. Sous les rires et la beauté de ces corps vigoureux plane cependant le spectre d'un machisme nauséabond. Le groupe ne vise que les conquêtes éphémères, ne voient les femmes que sous forme de consommation éphémère dont ils n'ont aucuns scrupules à se débarrasser une fois parvenus à leurs fins - l'odieux Frank (Masumi Okada) renvoyant sa petite amie à l'envoyeur plutôt que de répondre au défi de son ex voulant se battre. 

Haruji dénote dans ce contexte, ayant jeté son dévolu sur Eri (Mie Kitahara), une belle jeune femme en apparence réservée dont il est immédiatement tombé amoureux. Lorsqu'il la présente à ses amis durant une soirée, ces derniers dont son frère ne sont pas dupes et devine l'expérience d'Eri sous ses airs discrets. Ko Nakahira excelle à traduire la tension érotique, dans la mesure de ce qu'il est encore possible de montrer dans le cinéma japonais des années 50. Un regard en coin, un frottement de jambe durant un bain de soleil suffit à troubler l'atmosphère et faire comprendre l'appel du pied que fait Eri à un Haruji intimidé qui trouve une excuse pour s'éloigner. Plus tard à l'abri nocturne d'une plage, le baiser innocent d'Haruji se voit répondre une embrassade bien plus agressive, le langage corporel lascif d'Eri cherche à enflammer les sens de son partenaire qui ne dépassera pas la gaucherie chaste. Eri tombe cependant progressivement amoureuse de ce garçon timide qui la respecte, alors que Natsuhisa la démasque comme épouse/maîtresse d'un riche occidental. Sous prétexte de protéger son frère, il oblige Eri à coucher avec lui afin qu'il garde le silence.

Le réalisateur par cette sensualité moite maintien une ambiguïté constante autour de ses personnages. Le cœur d'Eri la guide vers Haruji dont la timidité l'émeut mais la laisse insatisfaite, et ses sens se délectent des assauts pourtant abusifs de Natsuhisa - être l'initiatrice de l'un ou le jouet "consentant" de l'autre, là est le dilemme. Ce dernier tout à son masque d'indifférence prétend profiter du corps d'Eri, mais en tombe amoureux et souffre en comprenant qu'elle réserve ses sentiments à son frère. Enfin Haruji en découvrant si naïvement l'amour et le sexe est le plus susceptible de souffrir de la situation en comprenant la situation, en voyant son idéal et premier amour foulé du pied. Mie Kitahara et Yujiro Ishihara tomberont amoureux et se marieront après le tournage, et l'alchimie entre eux est palpable pour traduire le trouble charnel par l'image. 

L'instinct moral de refus cède vite à l'abandon aux sens pour Eri, les assauts bestiaux de Natsuhisa se muent en caresses douces, notamment lors de l'escapade finale, et l'on ne sait où placer le curseur moral dans cette relation insaisissable - qui vaudront les louanges d'un François Truffaut critique qui compara le film à Et Dieu créa à la femme en jugeant Passions juvéniles bien supérieur. Pour Haruji sincère et passionné, pas d'entre-deux possible et la trahison dont il sera victime va le faire basculer dans une réaction radicale et désespérée dans une conclusion choc. Tout ce qui ne s'était ressenti que par les étreintes torrides ou les effleurements contenus cèdent ainsi dans un final aussi inattendu que brutal et cathartique, signant bien la fin de l'été et de l'innocence. 

Sorti en dvd chez Criterion et doté de sous-titres anglais

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