Jean-Marie Rouart au JDD : « Dissipons ce préjugé de la lecture punitive »
ENRICHISSEMENT. Selon une étude du Centre national du livre (CNL), les 16-19 ans consacrent 1 h 25 par semaine à la lecture contre 5 h 10 par jour sur les écrans. L’académicien Jean-Marie Rouart défend la littérature comme une source essentielle de connaissance.
Le JDD. L’effondrement de la lecture chez les plus jeunes suscite l’inquiétude. De quoi se prive notre jeunesse en ne lisant pas ?
Jean-Marie Rouart. À l’aube de mes 13 ans, Le Rouge et le Noir s’est proposé à moi. Dans ses pages, j’ai trouvé des réponses ardentes aux questions qui tourmentaient ma jeunesse. Stendhal, sans même le chercher, s’est révélé être une âme sœur littéraire, un écrivain dont les mots résonnaient en moi, murmuraient à mon oreille les secrets les plus intimes de l’existence. La littérature est cette rencontre fortuite avec un ami invisible, un confident inconnu. Elle opère comme un miracle, révélant non seulement des réponses à nos interrogations, mais ouvrant également des horizons universels. Ma passion pour la lecture s’est alors élargie.
« C’est une folie de vouloir taxer les livres ! »
Les livres, les romans surtout, devinrent mes compagnons d’infortune. Ils apportaient à mon adolescence tourmentée, angoissée, des lumières. Entrer dans le monde des livres, c’est intégrer une fraternité sans frontières, une infinité de pensées. La littérature forme un tissu de solidarité, de réflexion et de plaisir, offrant à la fois divertissement et leçons de vie profondes. C’est ce plaisir mêlé d’apprentissage qui définit son essence véritable.
Emmanuel Macron a annoncé une taxe de 3 % sur les livres d’occasion. Avant, le gouvernement avait relevé le prix plancher pour les livraisons de livres. Un mauvais signal ?
C’est une folie de vouloir taxer les livres ! Mais vous remarquerez que même les meilleures intentions se perdent parfois en chemin, à l’instar du « pass Culture ». Adopter un terme anglais est déjà une problématique qui souligne l’absurdité de la chose. Le défaut majeur de cette initiative réside dans son indifférence à la qualité. Préférer Balzac à des auteurs de moindre intérêt, c’est reconnaître la recherche d’une certaine perfection.
Il est erroné de penser que valoriser de grands auteurs serait maintenir un privilège bourgeois. Dire que la culture doit être démocratisée en éliminant ces soi-disant privilèges est un non-sens. La culture doit être vue comme un enrichissement de la civilisation, et non comme un produit interchangeable sans distinction de génie. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes par ces politiques consomment une culture qui n’apporte aucun bienfait, ratant ainsi un grand pari.
Nous sommes entrés dans l’âge de l’après-littérature. Pourtant, n’est-ce pas en nous confrontant à d’autres vies que la nôtre que nous faisons un pas vers autrui ?
Autrefois, la littérature servait de pont pour aborder et transcender nos problèmes personnels. Aujourd’hui, beaucoup de nos semblables demeurent captifs de leurs affres quotidiennes, sans trouver le moyen de s’en échapper. Quelle déchirante perte, car la littérature est une échappatoire qui nous permet de prendre du recul. Considérons, par exemple, la guerre en Ukraine.
À travers les récits épiques d’Homère, nous pouvons aborder des thèmes difficiles tels que la cruauté et la violence, mais de manière qui élève l’esprit. Les œuvres littéraires, en répondant à l’horreur de l’histoire, nous aident à transcender notre condition humaine, tissant des liens qui unissent les individus au-delà de leurs différences. Les grands écrivains ont non seulement traversé des expériences universelles, mais en ont aussi extrait des leçons essentielles. Comment apprend-on à vivre, à aimer, à comprendre les complexités de la vie ? Ces amis qui enchantent la vie* sont à notre disposition, toujours prêts à nous offrir des perspectives. Lorsqu’on en prend conscience, c’est une véritable révélation.
La lecture n’est pas seulement une distraction, elle nous aide aussi à transmettre. Ne l’avons-nous pas trop vite oublié ?
La première action à entreprendre dans nos écoles serait de distribuer La promesse de l’aube de Romain Gary. C’est une ouverture exceptionnelle sur nos valeurs – notre littérature véhicule en effet des principes de liberté et d’universalité, qui sont profondément ancrés dans l’identité française. Il me paraît essentiel de dissiper le préjugé tenace selon lequel la littérature classique serait ennuyeuse. Cette perception erronée ne fait qu’éloigner de nombreux lecteurs potentiels des trésors de sagacité et de plaisir que contient notre grande bibliothèque nationale.
« Pourquoi un écrivain qui vend est-il considéré comme meilleur qu’un autre qui ne vend pas ? »
Loin d’être une austère introspection, les chefs-d’œuvre sont parsemés de moments désopilants. La littérature n’est pas une punition, comme certains pourraient le percevoir, elle est au contraire une célébration. J’ai tant ri, tant joui des livres, d’un amusement qui est aussi un savoir. Peut-être cet aspect reste-t-il trop souvent dans l’ombre, insuffisamment montré ou compris. Hélas !
Nous sommes une patrie littéraire… Il n’y a pas un week-end où ne se déroule un salon du livre. N’est-ce pas un espoir auquel s’attacher ?
Nous sommes le pays le plus littéraire qui soit. Il y a une persistance de ce goût pour les livres qui ont fondé la France. Cependant, un danger nous guette : l’avènement des listes de best-sellers, symptôme d’une époque où le commerce prend le dessus sur tout. Au tournant du XXe siècle, il aurait semblé absurde de classer de la sorte les œuvres de Proust.
Pourquoi un écrivain qui vend est-il considéré comme meilleur qu’un autre qui ne vend pas ? Cette logique mercantile éclipse la qualité véritable au profit de la quantité vendue, une dérive qui transforme l’œuvre d’art en simple produit. Nous souffrons de l’absence de figures de transmission, comme Bernard Pivot dont les rendez-vous télévisuels constituaient une véritable célébration de la littérature. On est bien loin du sectarisme qui règne aujourd’hui dans La Grande Librairie, comparable à une veillée funèbre dans un comité d’entreprise du syndicat SUD-Rail.
Ce ne sont plus des critiques littéraires, mais des militants politiques. Pivot, lui, avait le talent, à une heure de grande écoute, de s’adresser à tous, indépendamment des clivages politiques, des conditions sociales. Les Français comprenaient alors que la littérature n’était pas un sujet morose ou funeste, ni même un produit réservé à une élite bourgeoise, mais bel et bien une source de joie, pour tous.
*Ces amis qui enchantent la vie, Robert Laffont, 2015.
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