Chapitre I. La voie de la sublimation. Brissot, noble d’esprit
p. 25-78
Plan détaillé
Texte intégral
« On me disait que je serais très heureux de ressembler un jour à l’avocat Janvier, un des meilleurs orateurs du barreau de Chartres. Quoiqu’il eût du talent et de la réputation, je m’humiliais intérieurement de cette comparaison ; mon génie secret me promettait de bien plus hautes destinées »,
Jacques-Pierre Brissot de Warville1.
1Jacques-Pierre Brissot est né le 14 janvier 1754 à Chartres, de l’union de Marie-Louise Legrand et de Guillaume Brissot, maître cuisinier. Des dix-sept enfants2, Jacques-Pierre est le treizième et le troisième des sept qui survivront au bas âge. D’une nature chétive et d’une santé fragile corrodée par l’aigreur de son père, mais fort de l’amour résolu de sa mère de donner à son fils une éducation libérale, Jacques-Pierre devient, dès l’âge de 8 ans, un élève brillant et zélé. Par son travail et son ardeur, mais aussi par l’encouragement et la sollicitude de ses professeurs, il parvient à intégrer les rudiments de latin et de grec, puis à développer un talent pour la méthode et la composition. Il s’adonne jour et nuit à des lectures continuelles, et s’abandonne, quand il le peut, sur les bancs de la bibliothèque du collège pendant que ses camarades de classe préfèrent s’amuser dans la cour d’école.
2La percée de Jacques-Pierre Brissot dans le monde de la culture est indissociable du regard qu’il porte sur sa famille, ses amis, ses professeurs, et de l’image qu’il se fait de lui-même. Brissot aspire à échapper à sa condition, familiale en premier lieu, culturelle et enfin sociale. L’esprit est son médium. Il lui permet de briser les chaînes du destin, de rompre avec l’ignorance, la crédulité et le cagotisme familial. Il multiplie les succès grâce à son travail acharné. Il se distingue de ses camarades, continue à rechercher les honneurs dans les compliments de ses maîtres d’école, succédanés à l’amour paternel.
3À la sortie du collège, il projette sa quête de reconnaissance au-delà de Chartres, de sa province et de ses notables. C’est dans l’amour de la philosophie qu’il anticipe toutes ses satisfactions et que se révèle le terreau imaginaire qui l’habite. Suivant ces jalons, nous pourrons comprendre la place de Jacques-Pierre Brissot dans cette vague de fond qui emporte les jeunes provinciaux éduqués et ambitieux vers Paris, la capitale culturelle de l’Europe, là où tout semble possible, là où l’homme du peuple peut échapper à sa condition3.
L’appel des hauteurs, ou comment l’éducation éclipse la sous-position
4Regarder le sol pour comprendre l’envol. Nous retracerons ici les contours et les traits de la socialisation primaire de Brissot. Pour cela, nous irons au plus près du milieu familial et urbain dans lequel il évolue, et de son milieu ecclésiastique, omniprésent dans son cas. C’est au sein de ces milieux qu’il fait l’apprentissage du mérite, mais c’est dans le monde des lettres qu’il compte le prouver, montrer sa valeur et revendiquer sa place.
Brissot, un enfant de la bourgeoisie chartraine
5Jacques-Pierre Brissot vient d’une famille à l’honneur modeste. Le métier de maître cuisinier de son père, Guillaume Brissot, qu’il tient lui-même de son père, Jacques Brissot, appartient à la catégorie dite « mécanique ». Elle fait référence aux artisans qui travaillent les matières premières et s’occupent d’intérêts bassement matériels. De celle-ci, les métiers de la bouche sont les « plus bas de tous peut-être4 ».
6Guillaume Brissot sait bien lire et compter. Mais son éducation ne va pas plus loin. Il cultive le peu d’honneur que la société d’ordres lui laisse dans une morale emplie de dévotion, faite de retenue et d’humilité. Dans ses Mémoires, Jacques-Pierre dit de son père qu’il avait eu la « réputation de probité ». Toujours aux dires de son fils, « dans l’ordre des choses où il a vécu, son ambition devait se réduire à la place de marguillier de sa paroisse, ou à celle de syndic de sa communauté5 ». Cependant, s’arrêter sur cette description de Guillaume Brissot serait limiter notre compréhension au regard partial de son fils.
7Le tableau qu’il nous peint est teinté de sa propre amertume. Nous en comprendrons les motifs plus tard. Ce point de vue est loin de la réalité sur un article qui a son importance. Son père jouit du statut de « bourgeois ». Il vient confirmer l’ascension sociale d’un homme du menu peuple. À sa succession, le 30 mai 1780, Guillaume Brissot lègue une fortune de près de 200 000 livres en biens-fonds, répartis en quatre ou cinq lots, pour un total d’une centaine d’hectares6. Cet imposant patrimoine est le fruit d’un travail persévérant de génération en génération.
8À la suite de son mariage avec Marie-Louise Legrand le 8 février 1740, Guillaume Brissot hérite de l’affaire familiale et de la maison qui va avec, sise au 16 rue de la Boucherie7. La maison est située dans la paroisse aisée de Saint-Saturnin, qui accueille majoritairement un artisanat au service des couches huppées de la ville. La dot confortable lui apporte nombreuses rentes et biens-fonds en Beauce, à la Vilette, à Thivars et à Dannemarie8.
9Témoin de la bonne santé de son commerce, Guillaume Brissot acquiert le 3 février 1764 le rez-de-chaussée de la maison attenante, qu’il réhabilite en salle à manger pour ses clients. Il tire également un revenu agricole de ses biens-fonds. Il fait une requête le 18 décembre 1762 au chapitre cathédral pour qu’il lui accorde l’exemption de champart pendant dix-huit ans sur sa terre de sept arpents située dans la seigneurie de Berchère Lamaingot. Et pour cause : la sécheresse lui avait fait perdre « la plus grande partie de son plan9 ». Il s’en remet donc à la faveur des doyens et chanoines, qu’il a en bonne grâce, autant qu’aux pratiques du moment, puisque la politique de mise en valeur des terres en France depuis 1750 s’accompagne d’affranchissements de tout ou partie des impositions, souvent étalées sur une génération (vingt ans).
10Guillaume Brissot est donc un « bourgeois ». Bien loin du sens que nous en donnons aujourd’hui, « bourgeois » est un titre venant sanctionner un statut social. Au temps des Lumières, le bourgeois n’est pas celui du Moyen Âge ni celui de la révolution industrielle. Il a de commun avec le premier son milieu, car il habite toujours en ville, ce qui le différencie du noble. Avec le second, il partage un droit qui renvoie à un statut socio-économique, puisque le bourgeois qualifie le propriétaire.
11À cela près que le bourgeois du xviiie siècle est un « oisif vivant de ses rentes », dans la mesure où ses propriétés foncières lui procurent un revenu additionnel à son revenu professionnel. Sans compter les particularités géographiques qui diffèrent, parfois légèrement, parfois considérablement, entre un bourgeois de province et un bourgeois de Paris. Toujours est-il que le bourgeois reste un roturier, même s’il fait partie de l’élite urbaine, et même s’il vit noblement10.
12Cette appartenance est sanctionnée autant de fait que de droit, car « bourgeois » est un titre qui s’acquiert en reconnaissance d’un succès financier et qui confère des prérogatives, surtout en matière fiscale. Cela ne fait pas du bourgeois un privilégié. Il fait plutôt de lui un avantagé. Marquons la différence, car elle a son importance. Nous la développerons plus en détail dans le chapitre cinq, mais disons d’ores et déjà que le statut du premier est fondé légalement en naissance et repose sur des qualités symboliques qui se transmettent de génération en génération par le sang. Le privilège, quand il s’applique à des sujets du roi, renvoie ultimement à un groupe social, la noblesse, surtout à une famille noble, mais pas uniquement. L’avantage, dirions-nous, ne renvoie ni à l’un ni à l’autre. L’avantagé est un roturier qui bénéficie d’une faveur non héréditaire, ou à quelques exceptions près. Il faut noter le caractère circulaire de la noblesse (du berceau au berceau) et le caractère linéaire de la bourgeoisie (du titre à la tombe), du moins tant qu’elle n’a pas acquis une charge anoblissante.
13Si la bourgeoisie n’est pas héréditaire, son itinéraire et sa quête, eux, le sont. L’octroi du statut de bourgeois parcourt et s’étale sur des générations, comme ce fut le cas pour la famille Brissot. Depuis les années 1760, elle fait partie des meilleures maisons de Chartres, fort d’une richesse reposant sur la terre, principalement sur ses deux métairies d’Ouarville et de Thivars. Fait d’autant plus exceptionnel, Guillaume Brissot l’acquiert grâce à son métier de maître cuisinier, et non, comme la majorité de ses pairs, grâce à ses études collégiales.
14Pour Jacques-Pierre Brissot, son milieu familial manque d’honneur, mais non de richesse. Plus important encore pour lui, il manque d’amour et d’affection. En 1782, il lance à sa bien-aimée cette phrase saisissante, qui en dit beaucoup sur son enfance : « je n’ai pas été assez aimé11 ». Il décrit son père comme un personnage sans grande éducation, qui voit d’un mauvais œil celle de ses enfants. Son père était moins hostile à les éduquer qu’à leur offrir une éducation par les « arts libéraux », qui conduit aux meilleures places du troisième ordre.
15Peut-être avait-il un autre projet pour eux. Peut-être espérait-il leur transmettre l’affaire familiale, comme son père l’avait fait pour lui. Mais cela est sans compter l’insistance de sa femme à offrir à ses fils une éducation libérale. Leur entrée dans le monde de la culture inaugure l’avènement d’une barrière infranchissable entre les enfants et leur père, mettant à mal, sinon à néant, sa légitime autorité. Jacques-Pierre Brissot est convaincu que son père « sentait son ignorance » et éprouvait de la « jalousie » envers lui, ce qui aurait étouffé « dans lui la tendresse d’un père, et dans moi la reconnaissance et l’amour d’un enfant12 ». Cette intuition est confirmée par les mots de Guillaume Brissot en date du 3 janvier 1779 : « Dans la lettre que vous m’avez écrite il y a environ deux mois vous vous êtes écartés du respect qu’un enfant doit à son père, et je ne peux m’empêcher de blâmer votre cœur pour vous obliger de rentrer en vous-même13. »
16La relation entre le père et le fils Brissot est froide et distante, sans tendresse ni admiration mutuelle. Jacques-Pierre dit dans ses Mémoires qu’il l’a toujours traité rudement. Guillaume Brissot est pour lui l’image type de l’homme agreste, pris entre le feu de sa brutalité et celui de sa bienveillance : « Mon père est un homme vif, emporté et souvent violent. Mais il était bon et généreux14. » Les quelques marques d’affection qu’il reçoit, trop maigres, viennent de sa mère et de ses sœurs aînées, Marie-Louise et Jeanne, qui sont des secondes mères pour lui. Mais leur amour ne peut se manifester pleinement à cause des accès de son père et de l’ingérence des prêtres, accusés d’avoir posé entre eux une « barrière » infranchissable15.
17Jacques-Pierre Brissot est né dans une famille extrêmement pieuse. Enfant, il communie avec « toute la ferveur du plus zélé néophyte ». « Telle était […] la bonhomie de ma foi, que j’attribuais tous mes succès à ma dévotion envers la Vierge ; aussi, à la veille de la distribution des prix, mes Ave Maria étaient-ils nombreux16. » Tous ses frères et sœurs suivent le même régime de ferveur. Dans la lettre adressée à son fils en janvier 1779, Guillaume Brissot ne fait pas que rédiger des remontrances. Il en profite pour invoquer le benjamin de la famille, qui avait prêché par l’exemple en édifiant la paroisse par sa prière et son aisance à chanter sa première messe de Noël. Cette piété se transforme en vocation pour deux de ses sœurs et un de ses frères, qui épousent les ordres.
18Brissot se distancie de la religion vers 14 ans. D’abord à la dérobée, puis toujours un peu plus ouvertement. Il est trahi par ses absences et ses manquements répétés. Par ses cafarderies aussi, et par ses impiétés : « je communiai plusieurs fois pendant une année sans avoir été à confesse. C’était une simagrée dont l’intention paraissait devoir excuser l’hypocrisie apparente17 ».
19Les répliques du clergé chartrain augmentent en intensité à la mesure de son apostasie, jusqu’à le déclarer, par la voix de son père, persona non grata. Jacques-Pierre Brissot en garde une rancœur tenace. Elle vise les prêtres, accusés d’attiser la colère du paternel en ressassant l’incrédulité du fils. Mais Brissot a surtout un nom en tête. L’abbé Delangle, « chanoine de Chartres, bigot fanatique, directeur de consciences », qui exerce son « empire » sur l’esprit de son père et s’insinue le plus sournoisement dans sa famille « pour y semer la zizanie et en recueillir les fruits18 ».
20Résultat : Jacques-Pierre est proscrit par sa famille. Son père se charge d’exécuter la sentence en interdisant à ses frères et sœurs de communiquer avec lui. Ce rejet familial est synonyme de déchirure, pour lui, mais aussi pour sa mère qui éprouve un amour inconditionnel pour son fils que les prêtres avaient condamné à la géhenne. La déréliction qu’elle lui prête rejaillit sur elle. Après avoir attenté à ses jours, et après le départ de Jacques-Pierre à Paris, elle sombre dans une démence dont elle ne sortira pas.
21L’omniprésence du clergé dans la ville de Chartres s’explique par la prépondérance du Chapitre cathédral, « l’un des plus puissants et des plus renommés », et assurément le plus important du Royaume19. Chartres, « ville sainte », placée sous la protection de la Vierge Marie, est aussi un lieu de culte. Mais le nombre de pèlerins, comme celui de fidèles, tend à s’éroder depuis déjà plusieurs décennies, à l’image du Chapitre.
22La raison en revient sans doute à l’action conjuguée de facteurs locaux et nationaux. La bourgeoisie chartraine est la première à monter au créneau. La contestation prend une autre ampleur avec la querelle janséniste. Le tout accentué par la montée de l’apathie religieuse au sein des couches populaires, « il semble que dans cette petite ville – 13 000 habitants – comme dans toute la Beauce chartraine, toute l’opposition à l’Ancien Régime, en ce qu’il avait d’abusif, se soit cristallisée sur la personne du Chapitre cathédral, considéré comme le symbole du parasitisme20 ». Mais en dépit du déclin spirituel et moral du clergé chartrain, son emprise socio-économique demeure bien réelle. Dans cette région axée sur le commerce des fruits de la terre – ceci est d’autant plus vrai depuis le déclin de l’industrie bonnetière qui avait fait les grands jours de la ville, le pouvoir appartenait aux propriétaires fonciers, dont le chapitre cathédral fut le premier d’entre tous.
Le travail pour salut
23Guillaume Brissot dépense une grande partie de son temps dans sa cuisine et ne ménage pas ses efforts pour faire fleurir l’entreprise familiale. Ce régime de travail, couplé à l’exiguïté de la maison, à la santé vacillante de Jacques-Pierre, et sans doute à l’irascibilité du paternel, pousse sa mère à le placer en nourrice. Il fait l’apprentissage de la lecture dans une petite école tenue par les filles d’un tourneur. À l’âge de 7 ans, il est placé chez son oncle curé, chargé de le familiariser avec les rudiments du latin. Celui-ci officie à Écublé, un village de l’arrière-pays chartrain. De là, Jacques-Pierre y cultive son goût pour la campagne, mais subit les affres de son oncle qui le traite sévèrement.
24À son décès, il regagne la ville et entre au collège de Chartres, ou collège Pocquet, sis rue Muret, dans la paroisse Saint-André, l’une des plus pauvres de la ville. Jacques-Pierre Brissot a 8 ans. Il est placé en demi-pension chez le principal, François Berthinot. Il se rend compte, à son corps défendant, que les méthodes d’enseignement utilisées étaient bien pires que celles de son oncle. Brissot explique que le principal punit les élèves à coup de fouet à la moindre faute21. Il rapporte dans ses Mémoires n’avoir pas échappé à ce « supplice ». Dès que sa mère eut vent du traitement infligé à son fils, elle l’en extirpa, et le fit revenir dans le foyer familial.
25La punition par châtiment montre l’aspect physique de la violence de l’apprentissage. Cette méthode que Brissot qualifie de « barbare » le fait souffrir tant corporellement qu’intellectuellement. Le principal et les maîtres suivent à la lettre l’enseignement scolastique. L’instruction des élèves, axée sur le latin, se réduit à la mémorisation et à la récitation. Brissot dit de lui qu’il n’était qu’une « machine à plagiats », un « mannequin » « assujett[i] à des formes » qui le contraignaient à calquer ses thèmes « servilement sur les auteurs22 ».
26Il en retire cependant un avantage : « l’habitude du travail ». Mais cette habitude ne faisait pas tout. Encore devait-elle se doubler de l’envie d’apprendre. Son maître en sixième année, l’abbé Cosmule, lui donne ce souffle. Ce dernier le prend en amitié et se met à superviser ses travaux. L’habitude se transforme en « amour prodigieux » du travail. Elle le pousse à préférer la bibliothèque de son maître aux jeux de ses camarades. Brissot fait bonne figure, et, tout besogneux qu’il est, récolte très tôt ses premiers succès.
27À 13 ans, il entre en classe de rhétorique. Le seuil à franchir lui semble de taille, puisqu’il ne suffit plus de réciter. Il faut composer. Son professeur, l’abbé Leboucq, également prédicateur renommé à Chartres, décèle en lui quelques talents. Mais au lieu de le mener dans la voie de la réflexion et des idées, il se contente de le perfectionner dans l’art de la compilation. L’élève zélé se borne alors aux attentes de son maître, comme il l’avait toujours fait. Mais c’était avant de rencontrer Nicolas-François Gaillard.
28À écouter Brissot, Gaillard a « plus de talent » que leur professeur de rhétorique. Il puise ses talents dans les ouvrages philosophiques qui remplissent la bibliothèque de son père, en particulier ceux de Racine, de Corneille, de Diderot, de Voltaire et de Rousseau. Dans les distractions qui animent leur camaraderie, Gaillard se prend à gausser Brissot sur sa dévotion. Les capucinades par lesquelles ce dernier réplique cachent son impuissance. Elles ne peuvent contenir la portée des épigrammes du jeune philosophe qui l’éveille à la vie de l’esprit.
29Quel bouleversement cela a dû être pour un élève familier aux élaborations entendues de l’Histoire ecclésiastique de l’abbé Fleury de se retrouver soudainement animé par les réflexions inspirées de La profession de foi du vicaire savoyard d’un Rousseau ! La transition dure environ un an. Le temps de se débarrasser de ses illusions, d’accepter et d’assumer sa nouvelle posture d’esprit. Le souffle philosophique emporte tout sur son passage : ses préjugés religieux, son idolâtrie pour la Vierge et les Saints, et, avec eux, le statu quo familial.
30Ces nouvelles idées trouvent un terrain propice dans le cours de philosophie de l’abbé Thierry. Brissot entame alors sa dernière année de collège, en 1768-1769. Avec Gaillard, les positions qu’il avance sont autant un prétexte pour afficher la hauteur de leur réflexion que leur désir de briller. Il nous rapporte les plaisirs que lui procure la solitude. Ses nouvelles lectures alimentent son appel à l’évasion. Il se plonge dans les voyages de Fernand de Magellan, du comodore Anson, de Sir Francis Drake et de Engelbert Kaempfer. Poussé par les pérégrinations de son esprit, il rentre dans son âme et n’en ressortira plus. C’est à ce moment qu’il se rapproche de Pierre-Charles Blot, un autre de ses camarades du collège, témoin et « compagnon de [s]es aventures » imaginaires.
31Ses succès au collège l’orientent vers la carrière de la jurisprudence. « Dans ma province, disait-il, on ne connaît que deux états, l’Église ou le Palais. Je haïssais les prêtres, il fallait donc devenir robin23. » En 1769, Brissot intègre l’étude de Louis-Henri Horeau, à l’écouter la plus prestigieuse de Chartres. Il s’initie avec le fils du procureur, Horeau le jeune, à la physique et apprend les rudiments de l’anglais et de l’italien avec ses amis Gaillard et Boutroue.
32Il ébauche ses premières réflexions, teintées de rousseauisme, dans ses Recherches philosophiques sur le droit de propriété et sur le vol considéré dans la nature. Quatre ans plus tard, il sollicite spontanément une place chez le procureur parisien Nolleau, de passage à Chartres. Piqué par l’audace du jeune homme, et certainement par ses traits d’esprit, il décide de l’embaucher comme premier clerc. Jacques-Pierre Brissot réalise alors son rêve. Il rejoint Paris le 20 mai 1774, porté par ses aspirations : « j’allais enfin demeurer dans une ville que je regardais comme le centre des sciences, comme un théâtre digne de moi24 ».
L’odyssée de la valeur « mérite »
33Quel est ce mérite qui anime Brissot depuis ces années de collège ? Deux grandes interprétations dominent le débat historiographique : celle de Guy Chaussinand-Nogaret en 1984 et celle de Jay M. Smith en 1996. Le premier soutient que la valeur « mérite » s’immisce dans le bagage axiologique de la noblesse par le truchement de la bourgeoisie et de son influence grandissante25. Le second propose de la voir comme un élément constituant de l’identité du deuxième ordre. Elle doit donc être considérée comme un référent constitutif d’estimation de sa valeur.
34Nous opterons quant à nous pour une voie alternative. Nous pensons que le potentiel heuristique du mérite sera mieux restitué en observant sa trajectoire sociohistorique par le nouveau sens de la valeur que la société lui donne plutôt que par le sens institué et apparemment figé qu’elle reproduit (sans l’évacuer pour autant). Il faut donc plutôt se concentrer sur le processus que sur l’état pour chercher à éclaircir comment le mérite est parvenu à se dédoubler, comment la cohabitation de ces deux conceptions a été rendue possible et quelles en sont les incidences. Ni noble, ni bourgeois, ni acquis, ni transmis, le mérite est pour nous à la fois inscrit et prescrit. Mais au-delà de cette indistinction, le mérite impose de passer par l’épreuve des faits. Reste maintenant à savoir sur quel terrain un sujet du roi peut se distinguer.
35Les analyses convaincantes de Jay M. Smith nous montrent que le mérite est une valeur traditionnelle de la noblesse. Dans sa signification originelle, le mérite est la récompense due à un noble après s’être distingué par ses hauts faits d’armes sur un champ de bataille26. Le mérite est donc une distinction morale devenue distinction de fait par les événements en attente de la sanction royale pour devenir distinction de droit. Le noble est celui qui fait « profession d’armes » et qui est prêt à sacrifier sa vie pour œuvrer à la Gloire de son Roi et de sa Nation, autrement dit, pour le bien public.
36L’état du Trésor royal change radicalement la donne. La guerre a son lot d’impératifs, mais qu’elle soit gagnée ou perdue, le roi et son gouvernement doivent toujours trouver un moyen de la payer. À la fin du xvie siècle, et sous l’insistance d’Henri IV, l’édit de Paulet (ou édit de la paulette) apporte en décembre 1604 un changement majeur : l’ouverture des offices à la vénalité. L’office n’est plus accordé par le roi à un sujet méritant, pourvoyeuse de revenu et de prestige, mais à quiconque ayant la fortune pour se l’acheter. D’attribut symbolique, l’office se transforme en bien marchand, puisque l’officier peut lui-même la céder par le même biais qu’il l’a acquise. À partir de ce moment, un roturier peut se distinguer par le mérite de la fortune27.
37Moins d’un siècle plus tard, la solution se pose en d’autres termes pour les ministres du roi. Il s’agit cette fois-ci de générer des richesses au sein de l’Empire, en modifiant non pas la composition de la noblesse, mais sa mentalité. Une batterie d’édits (1669, 1701, 1765 et 1767) tente de réaliser ce tour de force. Tous effectuent un travail de sape sur la dérogeance qui empêche la noblesse de participer à une quelconque activité commerciale, sous peine de déchéance. Par ces mesures, la monarchie incite la vieille garde noble à investir sa richesse et ses forces dans l’économie mercantile. Elle pose les bases morales de la noblesse d’affaires28.
38Pratiquement parlant, elle autorise les membres du deuxième ordre à s’enrichir par leur travail. Au niveau symbolique, elle introduit une fracture au sein de l’ordre nobiliaire entre ceux qui s’engagent dans le jeu du négoce pour faire fortune et ceux qui continuent à s’y refuser de peur d’être déshonorés. Mais l’impact de ces édits résonne au-delà de l’ordre nobiliaire. Ils lancent un débat sociétal de fond que l’on retrouve à la fin des années 1750 dans la querelle opposant l’abbé Gabriel Coyer et le chevalier d’Arcq. À la différence du second, partisan de la noblesse militaire, le premier défend l’idée d’une noblesse commerçante. Il la présente comme le fer de lance de la régénération de l’ordre, une occasion pour les gentilshommes de servir leur patrie utilement29. Il n’est pas excessif de parler de guerre axiologique de basse intensité qui prend la noblesse pour cible, la bourgeoisie pour avant-poste et l’homme du peuple éduqué comme ressort et comme point d’appui.
39Il n’est donc pas moins question d’anoblissement que d’embourgeoisement, le tout impulsé par l’action de l’État. L’introduction de la bourgeoisie dans la noblesse, et, avec elle, ses valeurs et son éthos, a sa contrepartie par l’implantation simultanée de la noblesse sur le terrain de la bourgeoisie. L’important est de souligner le phénomène de transversalité et de fertilisation croisée qui a une implication directe sur l’acception générique du mérite. Le noble est l’homme vertueux qui s’est distingué du commun en servant éminemment le roi par ses hauts faits et gestes, que ce soit sur le terrain militaire, juridique ou économique, et qui reçoit en retour l’estime et la considération qui lui sont dues30. La révolution du mérite se situe précisément dans l’ouverture de ses champs de prédilection et d’expression, et dans l’inclusion apriorique (limitée certes au niveau pratique) des sujets du deuxième et du troisième ordre aux honneurs qu’il confère. Grâce à Paulet puis à Colbert, un sujet sert mieux son roi par son argent et par son esprit que par son épée et son courage. Ceci n’est pas sans provoquer une crise dans l’identité nobiliaire. Parce qu’au fond, qu’est-ce désormais être noble ?
40La mutation de la valeur « mérite » produit en retour un morcellement au sein de la noblesse qui se voit et se veut indivisible. Du mérite, il est toujours question. Il demeure l’étalon de la valeur. Ce qui change, c’est l’étalon du mérite. L’acquisition d’une charge par argent sonnant et trébuchant, autant que l’attribution de nouveaux privilèges par les bonnes grâces du roi, font la part belle à l’intrigue et au clientélisme, qui viennent se substituer à la vertu au combat, au sacrifice pour sa patrie et pour son roi, autrement dit, à l’éminence des états de service.
41Deux mérites cohabitent, l’un mythique, qui se manifeste par les faits d’armes, l’autre actuel et, disons-le, plus effectif, qui passe par les faits d’esprit, qui sanctionne par sa culture ou sa richesse, acquise ou transmise, l’accès aux dignités. Deux conceptions du mérite pour deux conceptions de la noblesse, l’une qui accepte la nouvelle donne proposée par le roi et ses ministres et l’autre qui défend toujours bec et ongles les vertus martiales. Ceci nous montre que, tout comme la bourgeoisie, la noblesse n’a rien d’un ordre homogène et uniforme.
42La révolution axiologique entreprise depuis près de deux siècles par la monarchie a été le terreau d’une conception radicale attribuée au mérite et au talent. Elle trouve une de ses expressions les plus symptomatiques dans les Hautes Lumières, et dans la manière dont ces hommes de lettres, à l’instar de Diderot et d’Alembert, font du mérite le théâtre de l’inversion des qualités :
« Si deux hommes semblaient à nos yeux également vertueux, à qui donner la préférence de nos suffrages ? Ne vaudrait-il pas mieux l’accorder à un homme d’une condition médiocre, qu’à l’homme déjà distingué, soit par la naissance, soit par les richesses ? Cela paraît d’abord ainsi ; cependant, dit Bacon, le mérite est plus rare chez les grands que parmi les hommes d’une condition ordinaires, soit que la vertu ait plus de peine à s’allier avec la fortune, ou qu’elle ne soit guère l’héritage de la naissance : en sorte celui qui la possède se trouvant placé dans un haut rang, est propre à dédommager la terre des indignités communes de ceux de sa condition31. »
Quand l’homme du peuple se fait homme d’esprit
43La noblesse militaire n’a plus le monopole des dignités et de la serviabilité. Si « le commerce commence à s’anoblir » comme le soutient Coyer32, le commerçant est alors en mesure de s’anoblir. Et cette raison ne vient pas tant du fait de l’entrée de la noblesse dans la profession que de l’idée de service rendu à la patrie33. L’économie n’est pas le seul terrain auquel s’ouvre l’anoblissement. La culture en est un autre. Et à l’image de la première, elle est également intégrée à l’économie du service qui lie tous les sujets à leur roi et à leur patrie.
44Au fur et à mesure que le xviiie siècle se déploie, l’idée de se distinguer par des voies alternatives se renforce. L’abbé Coyer montre que l’idée qu’il défend – et il est loin d’être le seul – fait déjà autorité. Il assure que l’horizon du commerce a pu s’ouvrir à la noblesse « depuis que le flambeau de la philosophie éclaire et dissipe nos préjugés ». On comprend très vite que le travail de la philosophie ne s’arrête pas là. Il répand ses lumières dans tous les domaines et dans tous les ordres de la société monarchique, en plus de devenir une nouvelle manifestation du mérite. C’est par lui que Brissot, fils de bourgeois éduqué converti aux Lumières, cherche à trouver sa place dans la société monarchique.
Les voies royales : le barreau et la philosophie
45Jacques-Pierre Brissot arrive à Paris avec la robe du clerc. Mais sa vocation le guide vers de plus hautes destinées. Intérieurement, elle le pousse à devenir philosophe. De 1774 à 1782, il court simultanément la carrière du barreau et des lettres. Il y a pour lui les métiers d’appoints, qu’il poursuit par nécessité et par pragmatisme, et la philosophie, qu’il épouse par vocation et par passion. Il lui fallait gagner suffisamment d’argent pour nourrir l’espoir de ses ambitions. Mais dans le monde des lettres de la France du dernier tiers du xviiie siècle, il y eut beaucoup d’appelés, mais peu d’élus.
46Nous n’avons pas d’autres sources d’information sur les débuts parisiens de Brissot que celles de ses Mémoires. De la manière dont il nous en parle, son métier dans la magistrature semble inextricablement lié à sa carrière de philosophe, qu’il tisse progressivement à partir de cette base arrière. Pour l’essentiel, il nous dit que le monde de la jurisprudence était bien trop étriqué pour son esprit libre.
47Une rencontre déterminante le pousse à suivre la voie de la littérature, à défaut d’y être encouragé. Celle de Simon Linguet, journaliste, homme de lettres et avocat des causes célèbres. Il fait sa connaissance dans le salon du procureur Nolleau, probablement vers la fin 1774-début 1775. Voici sous quel jour il nous le présente : « [s]es succès furent pour moi ce feu électrique qui parcourt en un clin d’œil les masses les plus éloignées, les anime, les vivifie. Je résolus de l’imiter. Le barreau me paraissait la carrière la plus belle, la plus honorable, celle où le talent pouvait se développer librement34 ».
48Il est le modèle à suivre, engagé à faire triompher la raison dans le barreau et au-delà. Cette idée traverse la lettre qu’il lui adresse le 14 mars 1783, alors que l’amitié entre les deux hommes est sur le point de s’effriter : « vous devez vous rappeler la première cause de notre connaissance. Vous brilliez au barreau, dans la littérature. J’avais dessein de courir cette double carrière, je crus pouvoir le mieux faire que de suivre vos traces35 ». Et il les suit, à sa manière. Il retient de lui son combat contre les injustices, son ton mordant et intransigeant. Mais il les associe avec une causticité et une intolérance telle qu’il se regarde lui-même, avec le recul des années, plus comme un chicanier que comme un véritable philosophe.
49Et pour cause, il s’était improvisé libelliste. Avec l’aide de Gaillard, son ami d’enfance et nouvel acolyte, il rédige en 1777 un pamphlet acerbe, intitulé Pot-pourri, étrennes aux gens de lettres. Aux intentions fort évocatrices, les deux auteurs passent en revue sur un ton irrévérencieux l’ensemble de ses adeptes, des académiciens aux salonnières.
50De ce pamphlet, Brissot récolte une lettre de cachet et une réputation de sulfureux. Alors que ses parents alimentent toujours l’espoir de le voir revenir dans le droit de chemin de la foi et de la tempérance, ils ont conscience que ce coup d’éclat compromet définitivement son retour à Chartres. « Il est certain, lui écrit son père en janvier 1779, que vous ne réussiriez point dans le barreau chartrain. Votre imprimé auquel vous avez justement donné le titre de paupourris a donné l’heur de critiquer votre esprit et ces paroles empruntées du méchant36. »
51Ce pamphlet marque l’entrée de Brissot dans la carrière des lettres, entrée tonitruante, quoique peu goûtée et estimée par le parti philosophique. Cela nous montre qu’il y rentre par le soupirail, à la dérobée. Car ce coup d’esbroufe est le signe d’une porte qu’il veut enfoncer, cette porte du Parnasse littéraire qui refuse de s’ouvrir. À la vue des difficultés de faire connaître ses idées et de s’y faire un nom, et de sa nouvelle situation sentimentale qui le pousse à imaginer d’autres avenues professionnelles plus stables et lucratives, il se résout l’été 1779 à faire carrière dans le barreau.
52C’était pour Brissot un compromis, même si cela ressemble à une marche arrière. Il voit cette décision comme un moyen terme pour acquérir une aisance financière, seule capable d’accélérer son mariage. Pour cela, il lui faut obtenir ses degrés en droit à l’université. Ce n’est en fait qu’une « vaine formalité ». Il lui suffit de se présenter à Reims et de payer la somme de 600 livres. Il appelle cela « l’avilissement de [l’]Université », « moins une école de science qu’un marché de titres37 ».
53Sa qualité d’« avocat au parlement », avec laquelle il se présente non sans orgueil de 1780 à 1782, est en fait de courte durée. Suite aux propos « contraires aux principes de l’ordre » qu’il tient dans sa Théorie des lois criminelles38, sans doute amplifiés par une affaire en contentieux qui l’oppose à un bijoutier parisien, il prit le parti de s’en écarter définitivement. Au final, sa carrière dans le barreau dure seulement le temps de quelques mois. Rien de très honorable.
54Brissot met à profit sa connaissance du droit public, civil et canonique pour développer ses propres réflexions sur la jurisprudence. Elles lui fournissent toute la matière pour la publication de quatre œuvres entre 1779 et 1782, dont une en neuf volumes.
55Parallèlement au mûrissement de sa pensée, il cherche à s’attirer les grâces des grands noms de la philosophie. Alors qu’il est de passage chez un procureur parisien pour régler les derniers détails d’une affaire épineuse, notre aspirant philosophe fait la rencontre inopinée de Voltaire. Littéralement sous le choc, mais conscient de la chance qui s’offre à lui, il ne perd pas « un mot, un geste, un mouvement » de ce « sublime auteur39 ».
56Galvanisé par cet événement, il écrit une lettre au philosophe de Ferney à laquelle il joint l’introduction de sa Théorie des lois criminelles. Ce geste audacieux fait écho à la lettre qu’il adresse à d’Alembert quelques mois auparavant pour lui faire part de ses réflexions sur le Pyrrhonisme universel. À la réponse encourageante du premier, celle du second lui paraissait « bien sèche » pour un homme qui recherchait « un appui, un ami, des secours enfin pour s’élancer dans la carrière qu’il brûlait de parcourir40 ».
57Au même moment, il désire ardemment solliciter Rousseau. Les ébauches qu’il lui adresse restent cependant lettre morte. Il ne voit pas ce silence comme un camouflet. Il est pour lui l’expression de sa méfiance envers les nombreuses manœuvres de ses ennemis.
58Même chose du côté de Marmontel, qu’il pense solliciter en 1777, profitant de la parution de son dernier ouvrage, Les Incas ou la destruction de l’empire du Pérou, pour lui faire part de ses commentaires41. Il jette son ultime dévolu sur Benjamin Franklin, alors à Paris. Il lui envoie le prospectus de sa Bibliothèque philosophique le 22 décembre 178142. Il lui écrit une nouvelle fois trois mois plus tard, pour le relancer, mais toujours sans succès43.
59À côté de ses tentatives infructueuses de s’attacher le soutien de philosophes illustres, Jacques-Pierre Brissot poursuit sa quête de reconnaissance dans ce qui représente une « institution centrale » du monde des lettres : les salons44. Tout à la fois soucieux de marquer leur distance avec la sociabilité royale de Versailles et de sa cour, ses rigueurs, ses intrigues et sa complaisance, ils sont aussi un lieu privilégié du divertissement entre gens du monde, d’art et de lettres, en réalité plus sensibles au respect des convenances qu’à leur idéal de liberté et d’égalité45.
60Le premier cercle relationnel de Brissot contraste radicalement avec ce type de sociabilité mondaine. Il nous rapporte qu’il se borne « à deux familles estimables quoique dans une classe obscure et peu honorable, M. Aianon, traiteur, et M. Legrain, facteur sur [le marché de] la Vallée46 ». Il est fort à parier que Brissot les tient de son père.
61Au même moment, il accède à un autre cercle, plus à la hauteur des ambitions d’un jeune littérateur aspirant à intégrer le grand monde parisien : celui de son employeur, le procureur Nolleau. Ce dernier accueille chez lui des hommes de lettres fameux comme Simon Linguet et Gabriel-François Coyer, et même quelques célébrités de l’Opéra-Comique et de la Comédie-Française, dont les acteurs Monvel (Jacques-Marie Boutet) et Dugazon (Jean-Henri Gourgaud).
62Pendant ce temps, son ami Gaillard, grâce à ses talents de poète, avait gagné ses entrées dans le salon de Charles-Simon Favart, connu pour ses pièces de théâtre et ses librettos. Sa maison de Belleville fait office de lieu de réunion pour un cercle d’amateurs de vers et de prose. Parmi les principaux habitués, on y retrouve le poète Claude-Henri de Fusée de Voisenon, la comtesse de Turpin de Crissé, Pierre-Antoine de La Place et le célèbre goguetier Claude-Prosper Jolyot de Crébillon47.
63Brissot nous dit avoir été également introduit, entre 1776 et 1779, dans le salon de Madame Lecouteulx et de Madame Agron de Marsilly. Ces expériences sont pour lui une déconvenue. Il nous rapporte côtoyer ce genre de réunions « que très rarement, bien déterminé de [se] consacrer à la solitude d’y poursuivre [ses] études, et de ne paraître en public que lorsqu’ [il aurait] un amas considérable de connaissances et de travaux48 ». Ce commentaire nous en dit beaucoup sur la manière dont il regarde ces sociétés, d’autant plus si l’on se rappelle les attaques proférées par lui et Gaillard sur les salonnières, et tout spécialement sur une femme de procureur qui tenait salon, épinglée par les deux acolytes pour son faux air de duchesse49.
64Cela ne veut pas dire que Brissot se refuse au divertissement. Depuis son arrivée à Paris, il est pris par la ferveur du spectacle. Il voit pour la première fois s’animer devant lui les chefs-d’œuvre qui à Chartres alimentaient son imagination. Il assiste le 16 mars 1778 à la première d’Irène de Voltaire, se sent transporté à la vue des Brizard, des Dumesnil, des Larive, des Molé, des Raucourt, des Sainval, des Vestris, tant d’acteurs et d’actrices qui donnent à « l’âme de violentes secousses50 ». Il n’était pas tant question de divertissement que de sublimation ; moins l’occasion pour lui de se détourner des préoccupations quotidiennes (di-vertere) que d’être transporté à la vue de ses pièces, à mille lieues des œuvres insipides et académiques d’un La Harpe ou d’un Marmontel.
65Du mois d’avril 1778 au mois de septembre 1779, Brissot occupe un poste de rédacteur au Courrier de l’Europe, un journal fort prisé du public français pour ses nouvelles d’outre-Manche, nouvellement installé à Boulogne-sur-Mer. Il nous dit que son esprit, sa candeur et sa franchise le font rechercher par les meilleures maisons de la ville, dont les Cavilliers, les Cazin d’Honincthun, les Coillot et les Dupont. À son retour à Paris, et fort de la recommandation de Marie-Catherine Dupont, il fait la connaissance d’Edme Mentelle, professeur de géographie à l’École militaire et historien officiel du comte d’Artois.
66Ce dernier prend Brissot sous son aile. Il devient son protecteur et son mentor. Il lui offre le gîte et le couvert dans son hôtel de Mayence, rue de Seine, qu’il occupe de manière intermittente, de 1780 à 1782, où il y tient d’ailleurs salon avec sa femme. Lui attire les hommes de lettres, elle les musiciens. Brissot l’appelle « le rendez-vous des talents et des arts51 ». Il y rencontre des têtes connues : les chimistes Antoine Fourcroy, Antoine Lavoisier et Balthazar-George Sage, les physiciens Pierre-Simon de Laplace et Jacques Charles, les avocats Jean-Baptiste Élie de Beaumont et Pierre-Louis de Lacretelle, le pianiste Muzio Clementi et le claveciniste Desforges d’Hurecourt, les hommes de lettres Anne Gedéon Lafitte de Pelleport, Louis-Sébastien Mercier, Noël-Gabriel-Luce Villar et Jean-André Perreau. Brissot y cultive sa passion pour les lettres et les sciences, s’y fait des amis, tout en affichant une certaine indifférence à l’encontre de « célèbres virtuoses » qui jouent à ses côtés. S’il n’applaudit pas, c’est pour des raisons de forme, lui qui hait « toute admiration sur parole », mais aussi de fond, puisque ces sons, grandioses pour les autres, ne lui offrent « aucun sens à [s]on âme52 ».
67Brissot décrit cette époque comme l’une des plus heureuses de sa vie. Il poursuit sa quête de reconnaissance philosophique sur un terrain plus formel. Et la voie royale pour tout prétendant reste les concours académiques. De l’aveu de Joseph Nicolas Guyot, il est impératif de se faire « recevoir dans une académie pour prétendre à un rang dans la littérature ou dans les sciences53 ». Le premier prix sanctionne triplement la valeur de la réflexion : il offre au lauréat les honneurs symboliques, la rétribution financière et le réseau social de l’institution. La publicité est de loin la plus importante des gratifications. L’académie se charge d’imprimer avec son seing le texte couronné, reçoit son auteur dans sa pairie et lui ouvre son cortège de relations et de contacts54. L’argent se gagne puis se perd, le prestige reste. D’autant qu’il est attribué par des savants qui font autorité, qu’il préfigure celle de son récipiendaire en plaçant sa réflexion à l’avant-plan de l’espace public littéraire.
68Brissot tente sa chance à l’académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon en 1779, qui propose aux candidats de réfléchir sur les « funestes effets de l’égoïsme ». Brissot n’y reçoit qu’une « mention bienveillante ». L’année suivante, il se tourne vers le concours proposé par l’académie des sciences et belles-lettres de Châlons-sur-Marne. La question proposée est bien plus dans ses cordes : « Quelles pourraient être en France les lois pénales les moins sévères et cependant les plus efficaces pour contenir et réprimer le crime par des châtiments prompts et exemplaires en ménageant l’honneur et la liberté des citoyens ? » Elle contraste d’ailleurs avec les sujets habituels choisis par l’académie, orientés vers des problématiques plus socio-économiques que juridiques. Elle est donc une aubaine pour lui. Et il ne la laisse pas passer. Il prend la plume et compose Les moyens d’adoucir les lois pénales en France, sans nuire à la sûreté publique. Il est couronné en avril 1780, puis fait membre et correspondant huit mois plus tard.
69L’année suivante, toujours à l’académie de Châlons-sur-Marne, il concourt sans succès à la question portant sur « le meilleur plan d’éducation pour le peuple ». Mais à ce moment, il travaille sur un projet d’envergure qui mobilise tout son temps depuis près de trois ans. Voltaire et Élie de Beaumont, avocat au Parlement de Paris, rendu célèbre pour avoir défendu les Calas, avaient sollicité la Société économique de Berne pour décerner un prix de cent louis d’or pour ceux et celles qui, selon les mots de Brissot, donneraient le moyen de réformer « le code pénal de toutes les nations de l’Europe55 ».
70Rappelons-nous la lettre de Brissot au philosophe de Ferney. Les extraits qu’il lui envoie composent en fait l’introduction qu’il insère dans la dissertation rédigée à cette occasion, qu’il intitule Théorie des lois criminelles. Elle est sans conteste son ouvrage le plus abouti et le plus documenté. Elle lui sert aussi de modèle, si ce n’est d’original, dans la rédaction de ses Moyens d’adoucir les lois pénales. Il dépose ce mémoire en 1781 à côté de ceux de ses amis Joseph Bernadi et Jean-Paul Marat. Empressé de publier ses réflexions, il prend les devants de la Société économique de Berne et décide de les imprimer avant que le prix ne soit attribué, synonyme de disqualification.
71En 1782, il profite de la proximité de la question posée par l’académie de Châlons-sur-Marne avec ses centres d’intérêt pour concourir une dernière fois. Il remporte les suffrages avec son Sang innocent vengé, ou Discours sur les réparations dues aux accusés innocents. En parlant de cet ouvrage et de ce dernier concours, Brissot manifeste curieusement une certaine frustration. Pourquoi ce sentiment alors qu’il fut de nouveau couronné ?
72Sur le grand titre du livre y est indiquée l’année 1781, ce qui est étonnant, puisqu’à suivre Jeremy Caradonna, le concours était valable pour l’année suivante et a bien été décerné à Brissot56. Deuxième curiosité : l’ouvrage qui compile les dissertations de Brissot et de Bernardi (gagnant de l’accessit) pour le concours de 1780 a de toute évidence la forme d’une publication officielle. Il est imprimé à Châlons-sur-Marne, fait mention du prix et insère un « avertissement » de l’académie, précisant que le couronnement ne vaut pas approbation des idées. À la différence, le Sang innocent vengé mentionne être imprimé à Berlin, n’intègre pas la dissertation des autres lauréats (en l’occurrence Philipon de la Madeleine et Poupignon) et affiche en guise de préambule un « avis de l’éditeur », plus proche du ton pamphlétaire qu’académique. On y lit dans cet « avis » qu’un « heureux hasard m’a procuré une copie du manuscrit de l’auteur, qu’il ne voulait pas donner à l’impression57 ». C’est une amorce traditionnellement utilisée pour exciter l’intérêt du public envers des livres philosophiques sans approbation et privilège, vendus sous le manteau et arrivés en France par contrebande.
73Brissot fait dans ses Mémoires la lumière sur cette anomalie. Il nous rapporte que le garde de Sceaux de l’époque, Armand Thomas Hue de Miromesnil, s’était insurgé contre la décision de l’académie de Châlons-sur-Marne. Brissot lui en attribue la faute, lui qui « n’aime pas qu’on écrive sur la législation ; il aime encore moins les écrivains qui innovent et qui conseillent la réforme, qui la prêchent de manière à être entendus avec plaisir et suivis avec raison58 ». Avec l’appui de Vergennes, l’homme fort du gouvernement, il ordonne à l’académie de Châlons-sur-Marne « de ne plus imprimer, ni couronner, sans une censure préalable59 ».
74Au-delà de la situation quelque peu cocasse d’un régime qui désavoue une de ses propres institutions, cela nous montre pourquoi Brissot se fait lui-même justice en publiant ses réflexions, pourtant couronnées, par ses propres moyens et dans l’illégalité. Les concours académiques sont bien plus qu’un forum intellectuel qui offre aux prétendants l’occasion de se distinguer. Il faut avoir en tête que les académies effectuent elles-mêmes en amont le travail de la censure. Celle de Châlons-sur-Marne précise clairement qu’elle se fait une « loi d’exclure du concours tout mémoire qui ne serait pas écrit avec tout le respect dû à la religion et au gouvernement, quelque mérite qu’il put d’ailleurs renfermer60 ».
75Il nous semble que l’intervention inopinée et lapidaire du gouvernement en dit beaucoup sur la portée de ces concours. Ils ouvrent à ce point au public un espace d’expression qu’un donneur d’avis peut être très vite considéré par les autorités publiques comme un critique de la monarchie, ou pire encore, comme un séditieux. Si les académiciens de province se donnent le mandat de respecter fidèlement les bornes posées par le ministère, ils ne sont jamais à l’abri d’une incartade, qui manifeste à la fois leur véritable marge de manœuvre et la difficulté d’interpréter à la lettre le pouvoir discrétionnaire du régime. Le phénomène d’aspiration qu’ils produisent se présente à double tranchant. Les portes de la gratification peuvent se refermer violemment devant l’impétrant par l’intervention directe du politique qui décide de reprendre en main la culture instituée en rétablissant la frontière entre le tolérable et l’inacceptable, l’utile et l’hostile.
76Cet événement est à la fois frustrant et révélateur pour Brissot. Frustrant de s’être vu retirer ses lauriers, révélateur parce qu’il sait désormais la mesure de l’emprise du pouvoir royal sur sa liberté d’expression, et, plus globalement encore, sur celle du monde des lettres en France. Il a bien reçu quelques encouragements et soutiens prometteurs de son ami Mentelle et Blot, de l’abbé Delacourt, de Sabathier, de Servan, de Guyton de Morveau, de Mercier Dupaty, de Prost de Royer, de Maret, de Delisle de Sales, des républicains genevois, dont Clavière et d’Ivernois, et du patriote hollandais Whil van Irhoven van Dam, qui a fait tout son possible pour faire connaître ses ouvrages à ses amis61.
77Il est fait membre de l’académie de Châlons-sur-Marne, de la société provinciale des arts et des sciences d’Utrecht en 1782 grâce à sa Théorie des lois criminelles. Cet ouvrage le laisse présager d’une future liaison avec Beccaria, et même d’une potentielle admission à l’académie de Milan62. Ce tableau nous laisse une vision impressionniste, bâtie sur une infime partie de la présence de Brissot dans le monde des lettres. La grande majorité de son temps et de son énergie est en réalité dépensée dans des productions littéraires plus légères, à la fois moins volumineuses et substantielles dans le contenu et dans l’ambition affichés. Celles-ci nous montrent la part prise par les troisièmes voies dans sa carrière d’hommes de lettres. Les restituer nous permettra de mieux comprendre les raisons de son succès littéraire mitigé.
Les troisièmes voies : le journalisme et les musées
78Le monde des lettres dans la France d’Ancien Régime a ses institutions privilégiées. Peu importe la manière dont le privilège est accordé, qu’il soit officiel ou officieux, celles-ci ont des « libertés » que d’autres n’ont pas. Cela veut dire non seulement que les gens de lettres qui s’y retrouvent peuvent s’assembler librement, mais le fait même de se retrouver dans de telles assemblées leur confère du prestige, quand ce n’est pas quelques rémunérations. La sociabilité est honorifique quand elle ne cache pas un titre. Ces institutions sont les académies, les salons en vogue, mais aussi certains périodiques comme la Gazette et le Mercure de France, le Journal des Sçavants ou le Journal de Paris. Tous disposent de leurs lettres patentes et, par conséquent, d’un monopole sur les nouvelles en France.
79Parmi eux, il faut aussi compter le Journal de politique et de littérature. Simon Linguet en est le rédacteur en chef depuis octobre 1774. Il est à cette époque l’un des journalistes les plus en vue de Paris. Il est le type de l’homme de lettres à succès. Ses combats, sa plume et son ton font de lui un homme populaire, et son salaire de 10 000 livres un nanti.
80Une attaque contre La Harpe, son ancien collaborateur au Journal de politique et de littérature fraîchement reçu à l’Académie française, suivie de démêlés avec le ministère, ont raison de sa position. Le propriétaire de cette feuille, Charles-Joseph Panckoucke, un célèbre entrepreneur littéraire proche des académiciens philosophes, et presque un centre des Lumières à lui tout seul, cède à la pression des autorités. Linguet est démis de ses fonctions le 5 août 1776.
81Linguet s’est déjà attaché les services de Brissot avant ces déboires. Il lui avait proposé d’écrire quelques lignes, probablement fin 1775-début 1776, dans son périodique. Brissot a donc fait du chemin en onze ans depuis son premier article publié dans le Journal d’éducation à la demande de son professeur de rhétorique63. Quelle aubaine pour un jeune philosophe en quête de reconnaissance, mais aubaine de courte durée puisque le départ de Linguet semble avoir mis un terme à leur collaboration, du moins pour le moment.
82L’ouverture du public français à la gent instruite fait du journalisme un commerce en pleine expansion. Chaque journal joue des coudes pour se tailler une place dans un monde et un marché hautement concurrentiel. Gagner l’attention des lecteurs, c’est s’attirer le plus grand nombre d’abonnés. L’entreprise pouvait être très lucrative pour tout propriétaire capable de saisir la « soif immense » de nouvelles et la nature complexe de la demande64.
83Les faveurs de l’opinion lettrée étaient fixées sur les affaires du moment, dans une optique à la fois informative et récréative. Elle était friande autant de nouvelles utiles sur la politique, la philosophie et la littérature, que d’anecdotes piquantes, voire scandaleuses, qui excitaient sa curiosité. Et dans ces deux domaines, le journalisme privilégié, c’est-à-dire le seul qui dispose de l’autorisation du roi pour être imprimé et diffusé légalement en France, soutient difficilement la comparaison avec le journalisme clandestin, qui écrit, imprime et publie de l’étranger ses feuilles destinées au public français. Il est vrai que son privilège bride sa liberté d’expression. Mais il le gratifie surtout d’un préjugé favorable du pouvoir royal qui pardonne plus volontiers ses écarts de conduite contre une simple admonition.
84Le Courrier de l’Europe illustre à merveille ce jeu de confrontation et de collaboration qui met en scène le propriétaire d’un journal et les ministres du roi, celui de la Marine et des Affaires étrangères en particulier. Le premier se fait un devoir d’alimenter le public français en nouvelles truculentes pour son plus grand bénéfice, alors que les seconds mettent tout en œuvre pour contrôler la circulation des imprimés en France, et ainsi sauver la face du Régime.
85Le Courrier de l’Europe affiche très vite ses couleurs. Initialement voué à informer le public français sur les affaires anglaises, il avance des propos ouvertement subversifs dès son deuxième numéro du 2 juillet 1776. Le cinquième numéro, publié dix jours plus tard, brosse un portrait irrévérencieux de Marie-Antoinette. Il n’en fallait pas plus pour que Vergennes interdise la feuille, qui bénéficiait jusque-là d’une permission tacite.
86S’ensuivent en coulisse des pressions de toutes parts, notamment de Beaumarchais. Agent pour le Secret du Roi, ce dernier s’affaire à montrer les bénéfices qu’un tel journal peut apporter à la France. Le contexte en est pour quelque chose. Les États-Unis d’Amérique viennent tout juste de déclarer leur indépendance, une occasion pour la France de laver l’affront de la guerre de Sept Ans. Le Courrier de l’Europe, en étant basé à Londres, profite des libéralités offertes par la Constitution anglaise pour relayer en toute légalité les séances parlementaires, une mine de renseignements pour sa rivale. Brissot nous dit à ce titre que « Vergennes avait besoin de connaître à fond l’Angleterre ». Cette gazette « valait cent espions65 ».
87Son propriétaire, Samuel Swinton, Écossais d’origine, a lui aussi réussi à tirer son épingle du jeu. Il troque sa tempérance éditoriale et sa contribution à la trésorerie secrète du ministère des Affaires étrangères contre un monopole de fait et de droit sur les nouvelles d’outre-Manche, monopole confirmé par le privilège obtenu le 8 octobre 1776. C’est sans compter son rôle d’agent double, puisqu’il propose également ses services au gouvernement britannique66. Disons que Swinton sait naviguer en eaux troubles.
88L’interdiction levée, un censeur fut nommé en la personne de Jean-Louis Aubert, un ami et complice de Swinton. L’Angleterre riposte durant l’été 1778 en confisquant les ballots du journal à la douane de Douvres. Pour contourner ce subterfuge, il fut résolu d’expédier l’édition originale par contrebande afin de la faire imprimer de l’autre côté de la Manche, à Boulogne-sur-Mer. C’est ici que Brissot entre en jeu.
89Si le rédacteur du Courrier et son assistant, Antoine Joseph de Serres de La Tour et Charles Théveneau de Morande, demeurent tous deux à Londres, il faut un responsable pour s’occuper de la réimpression à Boulogne-sur-Mer. Swinton vient alors débaucher Brissot, qui lui avait fait forte impression à la lecture de son Testament politique de l’Angleterre, un opuscule satirique sur la décadence du régime monarchique anglais.
90Brissot s’empresse d’accepter le poste, même si cela implique de mettre en veille sa carrière de philosophe, jusque-là embourbée. Il quitte Paris le 13 avril 1778. Une fois à Boulogne-sur-Mer, son travail n’est pas celui qu’il espérait. Même s’il doit rédiger des articles pour la rubrique « Variétés » et effectuer çà et là quelques traductions, son rôle est plus celui d’un superviseur que d’un véritable journaliste. Mais à défaut des honneurs de ses pairs littérateurs, il gagne ceux des meilleures familles de la ville. Cette renommée locale est pour lui un baume qui apaise ses rêves de gloire, loin d’être assouvis pour autant.
91Son expérience boulonnaise prend fin en mars 1779. Ce qui n’est pas le cas de son activité journalistique. Il poursuit son aventure littéraire à la fin de l’année 1782 en portant son regard sur Londres. Nous reviendrons par après sur les motifs qui le poussent à traverser la Manche et à y vivre pendant près d’un an et demi. L’important est de souligner qu’à son arrivée, il met sur pied sa propre feuille avec l’aide de Linguet, la Correspondance universelle sur ce qui intéresse le bonheur de l’homme et de la société, qui couvre l’année 1783 de ses douze numéros. Très certainement par manque de souscripteurs, l’impression est suspendue en novembre 1783.
92Au même moment, de février à novembre, il rejoint l’équipe du Courrier de l’Europe et écrit une nouvelle fois quelques articles pour la rubrique « Variétés ». Après le départ de Serres de La Tour à la fin 1783, Swinton lui propose d’occuper le poste de rédacteur en chef67. Il décline l’invitation et la rondelette somme qui va avec. Il préfère donner la priorité à ses propres projets littéraires. En janvier 1784, il publie le premier numéro de son Journal du Licée de Londres, doublé de son complément, le Tableau de la situation actuelle des Anglais dans les Indes orientales. Un mois plus tard, il obtient le privilège du roi. Il a maintenant accès au marché français et peut rivaliser légalement avec le Courrier de l’Europe. Il ne faut pas sous-estimer la portée symbolique qu’un tel brevet donne à son rédacteur. Brissot intègre la littérature consacrée et peut se targuer désormais d’une position honorifique qui, comme nous le verrons, sera de courte durée.
93Son Journal du Licée est le premier pilier d’un vaste édifice. S’y adjoignent un bureau de correspondance, une assemblée de savants et des cours de droit social, politique et civil68. Il s’était inspiré de l’un de ses confrères parisiens, Claude Pahin de la Blancherie, le premier à instituer un établissement muséal.
94Mis sur pied en 1777, mais prenant véritablement son envol en 1779, le Musée de la Correspondance générale a pour vocation de faciliter la communication des savants et des artistes de l’Europe et de faire connaître leurs travaux au public. Il possède son propre périodique, les Nouvelles de la république des lettres et des arts. La référence au journal éponyme de Pierre Bayle est intentionnelle. Pahin de La Blancherie s’inscrit dans la tradition littéraire et critique de son auguste devancier qui lui ouvre la voie presque un siècle auparavant.
95En plus des rencontres hebdomadaires, le musée accueille des conférences scientifiques, des soirées littéraires, des expositions artistiques ouvertes à tous. Juste milieu entre la légèreté des salons et la rigueur des académies69, le musée a pour objectif de faire connaître les travaux, recherches, réflexions ou œuvres de la relève culturelle, tenue à l’écart des institutions officielles. Il se veut un espace alternatif d’échange et de diffusion, inclusif et non discriminant, reposant sur la liberté d’association, de réflexion et de discussion. Il est un pied de nez à la culture privilégiée et un parfait exemple de la contestation du monopole de la monarchie sur le savoir autorisé.
96Antoine Court de Gébelin reprend l’idée à son compte et fonde le 17 novembre 1780 son propre musée sur les trois mêmes piliers que le précédent – « assemblée/bureau de correspondance/journal ». Son équivalent pour les sciences de la nature apparaît le 11 décembre 1781, présidé par l’aéronaute Jean-François Pilâtre de Rozier.
97Ces deux musées sont en réalité les deux volets d’un même projet, prenant leur source dans une société de gens de lettres, la loge philosophique des « Neuf Sœurs70 ». Ils forment en quelque sorte la façade profane et publique de ce cercle secret et restreint. Ils disposent d’un seul maître mot, l’utilité, et d’un seul procédé, le « culte libre » des arts et des sciences71. Le marquis de Condorcet dit de l’institution, rebaptisée le « Lycée » en 1785, que son objet est de « donner, à des hommes qui ne peuvent l’être, la possibilité d’employer les parties des sciences qui leur sont d’une utilité plus immédiate, et de leur faire connaître des principes simples, mais certains, qui les préservent des erreurs dans lesquelles leur propre imagination ou les prestiges des charlatans pourraient les faire tomber72 ».
98Le Licée de Brissot s’inscrit pleinement dans cette tradition muséale73 dont il est un des premiers et actifs contributeurs. Le Licée est un indice de la reprise en main de sa carrière dans le monde des lettres et de la culture telle que phagocytée et dévoyée par les institutions monarchiques :
« Le vrai moyen de perfectionner les connaissances humaines serait d’avoir dans les principales contrées de l’univers des observateurs éclairés qui se rassembleraient virtuellement autour d’un centre de correspondance où aboutiraient toutes leurs observations. C’était l’idée de Bacon, elle est encore bonne à suivre. Mais il ne faudrait pas, comme il le conseillait, réunir ces observateurs en corps, en académie : un brevet académique est un appât pour l’intrigant, qui parvient toujours à écarter le vrai mérite, pour le charlatan qui dupe l’univers, au lieu de l’éclairer74. »
99Le message est clair. La science privilégiée dans la France d’Ancien Régime est une science d’apparat, d’arrivistes et de parvenus. La véritable science ne sera en mesure de progresser qu’une fois placée en dehors de ces murs. Brissot œuvre à sa dédomestication, c’est-à-dire à la fois à sa démonopolisation et à sa décompartimentation nationale :
« Ce qui m’avait fait persévérer dans l’idée de l’entreprise du Lycée de Londres, c’était la difficulté de pouvoir m’ouvrir un accès dans les cabinets des savants et dans les dépôts des monuments publics. J’avais remarqué que, presque sans communication entre eux, les savants anglais en avaient encore moins avec ceux du continent ; j’avais remarqué que, presque tous étrangers à notre littérature, ils examinaient péniblement des points que nous avions éclaircis, tandis que de notre côté nous ne connaissions de leurs productions que des poèmes ou des romans. Je pensais que j’avancerais la science chez les deux nations, que je les enrichirais toutes les deux, en mettant leurs savants en communication75. »
100Il n’est pas exempt de contradictions. Il sollicite en effet un privilège pour sa feuille. Il a ses entrées et ne se gêne pas de les activer. Nous allons bientôt en comprendre la raison.
101J’ai parlé plus haut de carrière. Jacques-Pierre Brissot a en tête l’idée que son entreprise muséale peut lui faire gagner en position sociale. Le succès du Licée annonce bien évidemment celui de son instigateur. Mais cela n’est pas pour lui l’essentiel, ni son intention première, du moins tel qu’il la présente, à lui et aux autres. Dans une lettre écrite à son amante Félicité Dupont dans le courant du mois d’août 1782, ses mots en privé sont en totale concordance avec son discours public et mettent au premier plan la vocation qui le guide : « Je ne vois qu’avec peine que le terme de mon départ n’est point encore certain, cependant je travaille, je presse tout ici avec ardeur. Ma mère voudrait me retenir, mais je laisserais plutôt la besogne imparfaite que d’être si longtemps éloigné de tout ce que je défends76. » Le Licée est sa contribution personnelle dans le perfectionnement général et universel des connaissances.
102Brissot accole rétrospectivement à son Licée le titre de « Confédération universelle des amis de la liberté et de la vérité77 ». « Confédération » pour qualifier l’association reposant sur une base volontaire de savants du monde entier ; « universelle » pour faire référence à la portée géographique de l’établissement, non exclusif à un pays (puisque c’est l’homme et la société en général qu’il traite78) ou à un milieu social particulier (tous les savants sont invités à y participer) ; « liberté » parce qu’elle est le sel de la science, la condition essentielle pour favoriser son progrès ; « vérité », parce que c’est le but ultime recherché.
103Nombreuses sont les personnes de son entourage à lui apporter leur soutien. L’intérêt évident est de s’attirer leur suffrage pour accéder à leur réseau et donner à son projet la plus grande publicité possible. Cela est un calcul facile à faire, mais difficile à réaliser pour un philosophe qui alimente une rancœur tenace contre le monde des lettres. En 1780, il partage avec Félicité Dupont ses états d’âme qui le poussent à préférer la campagne et la solitude plutôt que le monde parisien et ses mondanités. Malgré ses réticences, il se fait à l’idée qu’il lui faut, pour leurs intérêts communs, « sacrifier ce goût. Il faudra que je vois ces seigneurs que je déteste » lui confie-t-il. Puis, en parlant du trésorier du duc de Chartres, Hector-Hyacinthe Séguin, originaire de la Beauce tout comme lui : « J’ai [différé ?] jusqu’à présent de faire sa connaissance, mais à mon retour je veux le voir. Il est cent autres connaissances aussi utiles que j’ai négligées jusqu’à présent, parce que je ne tenais à rien et que tout m’était indifférent. Aujourd’hui, mon plan est pris, mes batteries sont disposées, et j’ai tout lieu d’espérer un plein succès79. »
104L’intérêt est à première vue symbolique. Le support de Gabriel Luce Villar lui ouvre le cercle distingué de protecteurs potentiels et puissants, formé de comtes russes, de princesses polonaises, d’ambassadeurs, de ministres, d’un prince de sang, de lettrés reconnus et d’académiciens, comme Condorcet, l’abbé Bossut et d’Alembert. Le succès du Licée en dépend. C’est ce qui motive notamment son voyage à Lyon et en Suisse durant l’été 1782. Il nous le dit sans détour : « je voulais […] chercher des amis qui partageassent mes idées, et y établir des relations et des correspondances80 ».
105Mais l’intérêt est aussi éminemment pratique et clairement utilitaire. Grâce à son ami le marquis de Pelleport, qu’il avait rencontré chez Edme Mentelle, et probablement Francis d’Ivernois, son correspondant depuis la réception de sa Théorie des lois criminelles, Brissot a été mis en relation avec le directeur de la Société typographique de Neuchâtel, qu’il sollicite pour l’impression de ses ouvrages. Sa liaison avec la veuve d’Antoine Court de Gébelin lui offre un accès direct au duc de Chartres, « qui s’intéresse vivement au succès de cet établissement et qui s’est chargé de faire les démarches nécessaires pour vous obtenir la permission que vous sollicitez81 », c’est-à-dire l’autorisation de diffusion de son Journal du Licée en France. Daniel Roche confirme cette idée en soulignant la nécessité pour tout littérateur de construire et d’entretenir des « relations utiles, profitables, avec les grands esprits qui honorent leur pays et leur temps82 ». Dans le meilleur des cas, un tel milieu offre un bassin de souscripteurs en plus d’un appui symbolique, et en fin de compte, un apport financier substantiel sans lequel une entreprise de cette envergure resterait lettre morte.
106Il voit naître une possibilité de par sa connexion genevoise. Une lettre adressée à Brissot le 29 avril 1782 nous montre qu’Étienne Clavière décline l’offre de s’associer à son projet londonien. Il le relance toutefois en lui proposant d’autres pistes. Il faut savoir que Clavière est à la fois négociant et banquier, fort d’un réseau financier transnational reliant les protestants genevois établis à Livourne, Gênes, Marseille, Nantes, Bordeaux, Venise, Cadix et Amsterdam83. Cette lettre ne nous montre pas uniquement l’étendue et la portée d’un tel réseau pour Brissot, mais aussi, et peut-être surtout, la diversité et les modalités de financements envisagés :
« Vous n’aurez pas vu Mr Cazenove [Théophile Cazenove, banquier à Amsterdam] ; ce n’est pas lui qu’il pressait de voir. C’est quelqu’un qui vous prête de l’argent comme je vous l’ai expliqué. Mr Séguin ne lui a jamais fait d’offres. Le Duc [de Chartres ?] a ouvert un emprunt en viager. Vous en saurez les conditions. Chez Perrouteau, Delon & Cie banquiers dont Mr et Me Delessert [négociant et banquier à Lyon et à Paris] vous indiqueront la demeure. S’il est rempli, ces messieurs vous le diront. S’il ne l’est pas, il sera question de savoir si l’intendant voudra ou non vous prêter sur le nativement des contrats, ou quelqu’un d’autre. Si on veut vous prêter, on vous arrangera bien l’affaire. Assurez-vous premièrement de ce point. Je vois en effet dans le peu que vous me dites que les gens de lettres sont gauches sur les affaires des négociants et vous n’en êtes pas moins aimables84. »
107Il ne semble qu’aucune de ces pistes ne finit par porter ses fruits. Brissot puise l’essentiel de ses fonds d’un généreux commanditaire. Ce dernier fréquente tout comme lui le salon d’Edme et de Léone Mentelle : le claveciniste Desforges d’Hurecourt. Dans un acte de société signé le 16 septembre 1783, il s’engage à financer son Licée à hauteur de 15 000 livres tournois.
108Si nous suivons Brissot, il se lie d’abord avec Pahin de la Blancherie, probablement autour de l’année 1778. L’initiative de leur rencontre revient, semble-t-il, à ce dernier, désireux de s’attacher ses services. Une lettre datant du 19 mars 1779 nous montre une relation déjà bien engagée entre les deux hommes85. Dans une de ses correspondances avec Félicité Dupont, non datée, mais probablement écrite autour de 1779-1780, il lui précise que « M. De la Blanch. ouvre le 9 juillet, et je suis choisi pour être le rédacteur en chef de la feuille. Mais j’ai exigé le plus grand secret. Son prospectus paraît, il est de lui, et c’est la dernière fois qu’il écrit86 ». C’est à notre connaissance la dernière trace attestant de leur liaison philosophique.
109Il est fort probable que Brissot ait également fréquenté les espaces muséaux de Court de Gébelin et de Pilâtre de Rozier. Nicholas Hans et Louis Amiable en sont du moins assurés87. En gardant un rayon assez large, et ainsi une marge d’erreur assez faible, il est réaliste de tabler sur la période s’étalant entre 1780 et 1782. Certains indices convergent dans ce sens. Il entretient des relations à degrés variables avec certains de ces membres, Court de Gébelin en premier lieu, mais aussi Élie de Beaumont, Dupaty, Fourcroy, Lavoisier, et enfin Mercier et Mirabeau, avec qui il y fut introduit en 1782 et 1783 (date de l’initiation de ce dernier à la franc-maçonnerie). Durant ce même intervalle, Brissot rédige, avec l’aide de Marat, son traité De la vérité, qui résonne avec l’esprit franc-maçon88. Mais ces indices ne font pas office de preuves, qui nous font toujours défaut pour corroborer son appartenance89. Mais dans le cas où Brissot fait bel et bien partie des « Neuf Sœurs », son Licée apparaît alors comme la troisième mouture d’un large projet muséal assurant l’implication philosophique de cette loge dans le monde profane.
110Son appartenance à la franc-maçonnerie est cependant chose sûre, même s’il est difficile de dater exactement son entrée90. À l’écouter, il semble avoir été coopté aux alentours de 1777 par Friedrich Wilhelm Karl von Schmettau, qu’il nous décrit comme « un vrai philosophe, quoique bien jeune encore ; un vrai républicain, quoique homme de qualité91 ». Brissot reste très discret, le seul commentaire à ce sujet venant de ses Mémoires : « Pouvez-vous m’assurer, lui dit-il, que cette association ait un but utile à l’humanité, tel que celui de perfectionner les sciences ou le bonheur de l’homme, ou le délivrer de ses tyrans ? Si cela est, je me fais demain franc-maçon. Il me répondit que ses serments l’empêchaient de trahir le secret de cette société, mais que je ne serais pas trompé dans l’objet de mes vœux, si je voulais entrer. – Sur ce mot, je consentis92. » Il est impératif de prendre le recul nécessaire compte tenu de la partialité évidente du propos. Mais s’il est raisonnable de douter de la deuxième scolie, ou du moins qu’il l’ait ouvertement prononcée, il l’est tout autant de reconnaître la vraisemblance de la première, car le bonheur de ses semblables est le fil rouge qui traverse et anime sa carrière dans le monde des lettres.
111Arrivé à Londres, Brissot se met très rapidement à la recherche des personnes susceptibles de l’assister dans le plan qu’il s’est donné. Il côtoie plusieurs cercles littéraires. Celui de Charles Burney et de sa famille Fanny, grâce à l’entremise de Simon Linguet93, en exil depuis près de deux ans. S’y rassemble le petit monde de l’opéra italien, dont Gabriel Mario Piozzi, Antonio Sacchini, Ferdinando Gasparo Bertoni, Antonio Andrei, Carlo Franceso Badini, certains écrivains et naturalistes de premier ordre, comme Molesworth Phillips, Joseph Banks et Daniel Solander, tous anciens compagnons de route du capitaine Cook94. Mais leur accointance suit la même trajectoire que l’amitié qui le lie à Linguet, abrégée par un différend qui aura raison d’elle en été 1783.
112Il fréquente au même moment un autre salon, d’une autre teneur que le précédent : celui de Catharine Macaulay-Graham, autrice de la célèbre Histoire de l’Angleterre. Aux dires de Brissot, elle le gratifie d’un « accueil amical », manifestement dès le début de l’été 178395. Là, il fait certainement la connaissance des quakers James Graham, Mary Pickering et Robert Pigott96, certaines têtes de file de la réforme parlementaire comme Samuel Romilly, Charles James Fox, et peut-être même le fameux John Wilkes.
113Ces personnalités aux idées très « whiggish » font de la Society for Constitutional Information l’organe central de l’opposition extra-parlementaire dans les années 178097. Elles disposent également d’une base arrière dans la Grand Lodge of England of the Constitutional Whigs and Friends of the People, sa tête pensante. Nous savons également qu’il rentre en contact avec Thomas Paine à ce moment-là.98 Il est fort probable que la source de ce lien provient de ce cercle relationnel. C’est également par l’intercession de Macauley que Brissot reçoit l’invitation de William Murray, Lord Chief de la Justice et grand réformateur du système judiciaire anglais99.
114Brissot bénéficie enfin de l’appui d’un personnage de premier plan de la scène culturelle londonienne en la personne de Paul-Henry Maty. Secrétaire de la Royal Society, bibliothécaire du British Museum, journaliste littéraire au Gentleman’s Magazine, au Monthly Review et à la New Review, il est au centre d’un cercle de savants anglais qu’il ouvre à Brissot. C’est par son truchement qu’il rencontre l’historien Edward Gibbon et le chimiste Richard Kirwan. Celui-ci le met à son tour en relation avec le célèbre pasteur dissident Joseph Priestley et le philosophe et collectionneur Jean Hyacinthe de Magellan. Ces deux hommes, comme une grande partie de la Royal Society d’ailleurs, alimentent les bancs de la Lunar Society de Birmingham. Cette société de libres penseurs « hors de l’Establishment100 » associe le progrès des sciences à la poursuite des réformes sociopolitiques, et est très proche, par sa composition et ses idées, d’un autre club philosophique, les Honest Whig, dans lequel on retrouve Franklin, Price et Priestley101.
115Grâce à Maty, Brissot côtoie certains membres de la Society of Arts, ou Society Instituted at London for the Encouragement of Arts, Manufactures, and Commerce. Il s’agit d’une association de mutualisation des connaissances qui concentre ses recherches sur les avancées technologiques et industrielles. Brissot dit d’elle le plus grand bien, édifié par les règles qui régissent ses interactions sociales : « Mais s’il est quelque chose plus propre encore à encourager, à enorgueillir même le talent, et que ne produit pas ce noble orgueil ! C’est de voir les Seigneurs se dépouiller de leurs distinctions, se mettre sur les rangs comme de simples citoyens, en mériter le titre, et remporter des palmes moins brillantes peut-être que celles des combats, mais bien plus propres à flatter l’amour-propre de l’homme, qui croit n’est grand qu’en devenant utile102. »
116Brissot ne se contente pas de connaître la littérature anglaise. Il se situe dans une de ses traditions, très « whig » et réformistes disons-le clairement, puisqu’à ses dires, son « rang distingué » et sa « gloire » repose sur les Milton, les Boyle, les Bacon, les Addison, les Dryden, les Pope, à côté de ses contemporains, les Robertson, les Macauley, les Gibbon, les Priestley, les Banks, les Price, les Johnson, les Mason, les Cowley et les Cumberland103. En plus de s’y inscrire, il est parvenu à s’y tailler place, aussi modeste soit-elle. Lorsque son Licée fait face à des difficultés financières, John Gardnor n’hésite pas à le mettre en contact avec David Williams, qui deviendra un de ses plus proches amis104.
117Brissot évolue dans un milieu relationnel relativement cohérent, surtout si l’on s’en tient à ses deux principales personnes-ressources, Catharine Macaulay et Paul-Henry Maty. Il nous montre un écheveau d’appartenances croisées et transversales, traçant les contours d’une société de réformateurs plus ou moins radicaux, engagés dans un travail de réflexion et d’action sur le terrain conjoint de la politique et de la science.
118C’est sans doute grâce à sa connexion genevoise qu’il fut introduit dans le cercle de Macauley, par l’entremise de Samuel Romilly, proche de d’Ivernois, de Clavière et de du Roveray105. C’est sans compter la contribution potentielle d’autres personnalités comme Jean-André Deluc. D’autant que Clavière, durant l’année 1783, fait régulièrement la navette entre Paris, Londres et Dublin en vue d’établir une nouvelle Genève en Irlande, à Passage East. Il propose même à Brissot de le rejoindre et d’y établir sa propre académie106. Le palier est donc rapidement franchi entre le milieu des représentants genevois et celui des néo-whigs anglais. Disons qu’il dresse une esquisse du monde des réformateurs européens.
119Ce milieu n’a cependant rien d’homogène. De nombreux aristocrates, comme Lord Mansfield et Lord Peterborough, favorables à l’idée de réformes bien tempérées, fréquentent des dissidents politiques notoires, comme Wilkes ou Fox. Les premiers contacts entre Brissot et Mirabeau datent de cette époque, puisque le premier sert d’intercesseur entre celui-là et Hugh Elliott, un diplomate anglais résidant à Copenhague désireux de renouer avec son vieil ami. Ces correspondances nous montrent toute l’importance de la connexion genevoise, Clavière servant ici de passerelle entre les deux hommes107. En vue d’accélérer l’établissement de la colonie d’horlogers en Irlande, d’Ivernois joue le rôle de plénipotentiaire des républicains exilés auprès du gouvernement britannique. Il s’entretient directement avec le premier ministre Lord Shelburne, par l’intermédiaire de l’ambassadeur britannique à Turin, Lord Montstuart108. Brissot est d’ailleurs invité chez Lord Shelburne, en compagnie de son principal bras droit, Isaac Barré109, l’ancien Trésorier de la Marine et défenseur de la cause des insurgés américains, le premier à leur donner le nom de « Fils de la Liberté ».
120Lord Shelburne rassemble autour de lui un cénacle de conseillers informels à l’accent libéral et progressiste. Parmi eux, on y retrouve Priestley, Romilly, Mirabeau, d’Ivernois, Price, Benjamin Vaughn, Adam Smith et Jeremy Bentham. C’est d’ailleurs à ce dernier que Brissot rend hommage en 1785, en disant de lui que « la connaissance de son âme et de ses travaux immenses m’ont convaincu qu’il pourrait un jour effacer Blackstone110 ». De leurs réflexions et échanges sur la législation criminelle, Bentham et Brissot bâtissent une amitié sincère qu’ils continuent à cultiver après son départ de Londres.
121Priestley, Banks, Bentham, Williams, tous avaient témoigné leur amitié envers Brissot, tous avaient soutenu son Licée, tous avaient bénéficié en retour de sa reconnaissance, tous étaient étroitement liés avec la loge des « Neuf Sœurs111 ». Il faut relever la relation particulière entre Brissot et Williams. Leurs projets muséaux sont sensiblement identiques. Ils témoignent également la même admiration pour Rousseau, la même fibre républicaine et la même profession de foi déiste. Sur ce chapitre, Williams avait fondé en 1774, en compagnie de Franklin, une société qui, selon les mots de Brissot, « devait unir tous les hommes comme des frères, il en forma le culte extérieur ; il lui donna une liturgie et des cérémonies religieuses. […] C’est la première fois que le théisme avait un culte aussi pur que lui, qu’on le célébrait avec des cérémonies. Dans ces assemblées, M. Williams y prêchait de vrais sermons philosophiques112 ». Williams occupait une place à ce point décisive aux yeux de Brissot qu’il le considérait comme un « maître », comme un « mentor113 ».
122Pendant ce temps, Brissot continue à s’affairer pour son Licée en vue de s’attirer le concours de nouveaux savants européens. Il se voit ouvrir les portes de l’Allemagne grâce à Brack et à Benjamin-Sigismond Frossard ; de la Russie et de l’Italie par l’intermédiaire de l’abbé de Bassinet ; de la Hollande par les libraires Lefebvre et Dusaulchoix. Frossard, qu’il a rencontré à Lyon grâce à son ami Blot, lui propose quelques noms en Allemagne qui pourraient l’aider à mettre à bien son projet114. Brack, en tant qu’attaché du diplomate britannique Hugh Elliott, s’était lié à des savants partout où il était passé. Mais, lui semblait-il, c’était à Göttingen, au « centre principal » des savants, qu’il fallait concentrer ses efforts. Il transmet le prospectus du Licée au professeur August Ludwig von Schlözer, qui lui renvoie ses observations. Ayant le sentiment que la participation de ce dernier à la correspondance de Brissot ne pouvait s’envisager que moyennant rétribution, Brack se tourne plutôt vers Johann Georg Heinrich Feder, professeur de philosophie, qui est d’ailleurs en train de préparer une réplique à sa Théorie des lois criminelles. Il accepte d’intégrer son réseau et se propose d’en recommander la participation à plusieurs savants de Hambourg, de Brunswick, de Berlin et de Vienne, dont Joseph von Sonnenfels115.
123L’abbé de Bassinet lui propose à son tour de faire circuler son « prospectus depuis Hambourg jusqu’à Pétersbourg, et depuis Turin jusqu’à Naples ». Mais il le prévient : « vous ne trouverez pas des secours bien abondants en Angleterre, parce qu’un journal écrit en français à Londres n’aura pas un débit avantageux dans le lieu de son origine. Les meilleurs ouvrages français, Voltaire même ont trouvé à peine deux cents acheteurs dans les trois Royaumes, c’est donc à la France, à l’Allemagne à faire le succès de votre journal ». Et conclure : « Il est essentiel même que vous ayez dans l’Europe entière des hommes qui s’intéressent à votre ouvrage, qui l’animent, qui le célèbrent, et qui le rendent pour ainsi dire un effet de circulation et de commerce parmi les gens de lettres, et même parmi les gens du monde qui veulent aujourd’hui paraître instruits sans en avoir la peine116. »
124En Hollande enfin, où il bénéficie une nouvelle fois du soutien du patriote Whil van Irhoven van Dam, qui l’avait aidé au printemps 1782 à faire connaître sa Théorie des lois criminelles117. Mais il met beaucoup d’espoir dans la collaboration avec un certain Lefebvre, libraire à Amsterdam. Il compte sur lui pour inviter les gens de lettres de son entourage à venir en Angleterre grossir les rangs de son assemblée, pour lui fournir toutes les nouveautés qui s’impriment en Hollande et pour lui recommander quiconque serait intéressé à entretenir des échanges épistolaires, en vue de nourrir son Journal, dont il lui confie le soin d’assurer le débit118.
La place de l’autre dans la conquête de soi
125Derrière les aspirations d’élévation et de consécration de Jacques-Pierre Brissot, il y a une identité qui est en jeu. Son identité d’homme de lettres se compose d’une part souscrite et en appelle à l’homme qu’il veut être devant les autres – que cet autre soit son père, sa famille, ses amis, son amante ou ses pairs littérateurs. Mais elle intègre également une part inscrite dont il ne peut se défaire, qu’elle soit négative (ses origines roturières par exemple), ou positive (ses talents littéraires). Cette identité exprime son désir de devenir autre, un homme du peuple qui se distingue par son esprit.
126S’il pose un regard assuré sur ce qu’il est et sur ce qu’il veut être, Brissot n’est pas maître de l’image que les autres lui renvoient. Son identité se trouve suspendue à un jeu de réfraction. Son histoire nous rappelle la dialectique intersubjective de la reconnaissance en soi et pour soi, ses modalités, mais aussi les aspérités et les achoppements qui rythment sa trajectoire.
Une noblesse sans condition : noblesse vertueuse, noblesse d’esprit, noblesse littéraire
127En s’inscrivant à la suite des analyses précédentes sur le mérite, il est possible de résumer en deux points ce qui fait la caractéristique de la noblesse, au risque de l’y résoudre : la qualité et la condition. Celle-ci sert à « marquer le rang » distinctif d’une personne119. Ce rang est lié à une prérogative attribuée par l’office, la naissance ou le fief, sur laquelle repose la qualité honorable du noble, pourvoyeuse de privilèges symboliques (considération, prestige) et matériels (exemption de tailles pour la plupart)120.
128En dehors des charges, des lettres, des bénéfices et des offices anoblissant, la noblesse repose mythiquement sur sa généalogie, sa lignée, son extraction, en un mot, sa naissance. La qualité repose sur la condition, qui renvoie à l’« état où l’on est né121 ». C’est pourquoi l’on dit qu’une personne s’élève au-dessus de sa condition lorsqu’elle subvertit sa naissance. C’est le cas des robins. Mais on peut s’entendre également, si l’on suit du moins Antoine Furetière, que la qualité et la condition se distribuent en gradations : on peut être de qualité noble, bourgeoise ou roturière, comme de haute, de médiocre ou de basse condition.
129Tel est le sens coutumier de la noblesse. Ce sens, comme ce type de noblesse, s’impose dans les esprits, apparaît évident et fait autorité dans la société française d’Ancien Régime. Il faut se concentrer sur sa condition pour saisir son essence. Florentin Thierriat de Lochepierre dit dans son traité de 1606 que la « noblesse est d’autant plus excellente qu’elle est ancienne ; plus elle vieillit, plus elle augmente ; sa force et sa vigueur est en son antiquité122 ». Il s’agit donc d’une noblesse atavique. Y est attachée l’idée d’un caractère transmis. C’est le temps qui donne de la valeur aux hommes et aux lignées.
130La croissance des anoblissements depuis l’avènement des Bourbons change la donne. À tel point que l’identité nobiliaire s’en trouve bouleversée. Guy Chaussinand-Nogaret parle à ce titre de « crise123 ». La querelle entre l’abbé Coyer et le chevalier d’Arcq est une expression de cette crise. Mais il ne s’agit pas tant d’un débat dans la noblesse qu’un débat sur la noblesse. C’est ce que nous appelons la « question noble ». Et, en tant que bon philosophe, Brissot ne peut s’empêcher d’y prendre part.
131Sa plus importante contribution se trouve dans un passage tiré de l’article XV de son « Instruction pour le Code de la Russie » publié en 1782 dans le tome III de sa Bibliothèque philosophique. Si elle passe relativement inaperçue dans le débat public de l’époque, elle a au moins le mérite de nous révéler sa propre interprétation de la noblesse.
132Son propos se découpe en deux temps. Il commence par restituer le sens convenu de la noblesse, soit « un titre honorifique qui distingue des autres personnes ceux qui en sont revêtus ». Ses avantages symboliques sont la « louange et la bonne renommée124 » ; en un mot : l’honneur. À cela près qu’il s’écarte de la vision coutumière en ne faisant jamais mention d’un élément cardinal : la naissance. Cette définition apparemment objective révèle son parti pris.
133Car, selon lui, la noblesse doit plutôt servir à reconnaître une qualité personnelle qu’à reproduire une prétendue supériorité familiale, et encore moins celle d’un groupe social. D’où son idée d’élargir la noblesse au-delà de la profession d’armes. Le guerrier n’a pas le monopole de la noblesse ni la noblesse le monopole des « carrières honorables » dans l’armée. Il dénonce avec véhémence ce préjugé qui est confirmé par l’édit de Ségur de 1781125. Le guerrier est aussi nécessaire en temps de guerre que le législateur, le magistrat et le philosophe en temps de paix. Tous renvoient à des états qui conviennent aussi à la noblesse, le premier s’assurant de donner de bonnes lois à la nation, le deuxième d’administrer la justice, et le dernier d’instruire les hommes. La société est à l’image de sa noblesse : civilisée lorsqu’elle favorise les qualités civiles, barbare lorsqu’elle exalte les qualités martiales.
134La noblesse est donc une affaire de vertu et non d’hérédité. Ce qui veut dire qu’elle est à ses yeux incommunicable. Il est une chose d’offrir une récompense pour de hauts faits. Il en est une autre de la rendre héréditaire. Pire. En l’état, « la noblesse ne sera qu’un vain titre que ne doit jamais ambitionner la vertu126 ». La faute aux lettres de noblesse, distribuées à la discrétion du prince et convoitées par l’intrigant. La noblesse cesse dès lors de sanctionner les hauts faits d’intérêt public pour ne favoriser que les bas intérêts particuliers.
135De ce constat ressort l’idée que la noblesse doit être révocable. La flétrissure doit mener à la disgrâce : « la dignité de la noblesse qui doit maintenir son honneur sans tache, demande que celui qui par sa conduite renverse lui-même le fondement de l’établissement de son état, soit exclu du nombre des nobles […] et qu’il doit perdre sa dignité127 ». La sanction morale que représente le déshonneur doit être suivie d’une sanction civile, la destitution du noble.
136Brissot ne s’arrête pas là. Il suggère, quoique brièvement, une idée plus radicale encore : la noblesse doit être dissoute. La question n’est plus de savoir si un noble est vertueux ou vicieux, utile ou nuisible, mais si la noblesse est, en soi, vertueuse ou vicieuse. Il en arrive à sa propre conclusion : « je me suis décidé à croire que cette institution était pernicieuse sous tous les points de vue128 ». Mais cela serait dans le meilleur des mondes. Et Brissot n’y vit pas. Il évolue dans une société qu’il n’a point choisie, tout comme sa naissance. C’est pourquoi il se propose de réformer la noblesse plutôt que de l’abolir. Seuls la vertu exprimée et les services rendus peuvent « élever un homme aux honneurs de la noblesse129 ».
137Cette idée d’une noblesse vertueuse n’est pas une invention de Brissot. D’autres philosophes avant lui l’avaient tantôt suggérée tantôt développée, comme ce fut le cas de d’Holbach. Dans un ouvrage publié en 1776, dont le titre parle de lui-même, Éthocratie, on retrouve les mêmes thèses défendues par Brissot : la suppression de la « noblesse héréditaire », l’avènement d’une noblesse « personnelle » honorant ceux qui serviraient « utilement l’État » et « mériteraient par eux-mêmes d’être distingués du commun130 ». Le postulat demeure le même : toute personne noble est méritante. À la différence qu’il ne s’agit là pas du même mérite.
138Le mérite des philosophes, lorsqu’il est associé au talent131, désigne « une qualité qui donne droit de prétendre à l’approbation, à l’estime et à la bienveillance de nos supérieurs ou de nos égaux, et aux avantages qui en sont en suite132 ». Brissot est de l’avis des encyclopédistes. Il dit en 1781 qu’il n’y a point de mérite à occuper une charge si elle n’est pas associée aux qualités de l’esprit. Sans cela, il n’est pas autre chose qu’un grotesque trafic d’honneurs : « quand on est assuré d’avoir une place pour son argent, on songe à se procurer cet argent, plutôt que les qualités nécessaires pour la remplir. Le premier effet de la vénalité est donc souvent de remplacer les lumières par l’ignorance, de détruire toute émulation, d’enlever à la vertu, la seule récompense qui soit digne d’elle133 ».
139À suivre toujours les encyclopédistes, les qualités « forment le caractère de la personne ». Elles ont une dimension morale. Elles ne sont plus synonymes de poste honorifique ni de place attribuée. Elles relèvent de l’action des individus. Elles sont un moyen de réévaluer le rapport entre l’acquis et le conquis, la nature et la culture.
140Le mérite repose, selon Diderot, sur la vertu et le talent, soit l’« heureuse » aptitude « naturelle » qu’ont (ou non) certaines personnes134. À première vue, ses propos s’accordent très bien avec le classique Traité de la noblesse publié en 1678 par de La Roque. Ce dernier assimile vertus et talents à la lignée. Mais ici, la condition du talent ne relève pas de la naissance, mais de la disposition naturelle. Toute la distinction est là. L’innée ne renvoie pas à la famille, mais à l’individu. « Heureux sont ceux qui ont reçu de la nature les talents » soutient Maximilien Robespierre en 1784135.
141La nouvelle conception de la noblesse que revendiquent les philosophes des Lumières s’éloigne du sens coutumier, tout en y puisant sa source. Elle refuse le point essentiel qu’est la naissance, avec lequel il lui est impossible de s’accorder. Elle réfute cette condition comme fondement de la noblesse afin de la revendiquer pour elle-même. En faisant cela, elle conteste les règles établies du jeu social, fixes et déterminées. Elle ne tire pas un trait sur la préséance du donné d’avance. Elle le tourne simplement en sa faveur. Elle est un exemple de la tentative des hommes éclairés pour s’attirer les honneurs à défaut d’être nés avec.
142Les grands talents cultivent leur esprit, guidés par la vertu. Le mérite est alors une capacité, celle d’un individu à agir utilement pour son propre bien et celui de ses semblables par l’usage de sa raison. Pour Brissot, l’administration a aussi son rôle à jouer dans l’orientation de la vertu, notamment au moyen des rétributions. Citant le livre XII de Télémaque, il déclare : « Pour la vertu, elle sera excitée, et on aura assez d’empressement à servir l’État, pourvu que vous donniez des couronnes et des statues aux belles actions, et que ce soit un commencement de noblesse pour les enfants de ceux qui les auront faites136. »
143Cependant, un décalage criant existe entre ce qui est et ce qui doit être. D’Alembert en fait état en 1753 dans son Essai sur la société des gens de lettres : « Mais si dans l’ordre de l’estime les talents marchent avant la naissance et la fortune, en revanche ils ne suivent l’une et l’autre que de fort loin dans l’ordre de la considération extérieure. […] Un homme de lettres, plein de probité et de talents, est sans comparaison plus estimé qu’un ministre incapable de sa place, ou qu’un grand seigneur déshonoré : cependant qu’ils se trouvent ensemble dans le même lieu, toutes les attentions seront pour le rang137. »
144Cette attaque contre l’inadéquation des honneurs et des considérations aux talents et au mérite permet de dénoncer cet écart sur la base de leur nouveau sens de la noblesse, tout en contestant aussitôt après la supériorité infondée en valeur de la noblesse consacrée. Nous avons affaire à un véritable revirement axiologique de par la mutation du signifiant de la valeur. On peut parler de « catachrèse » pour qualifier ce processus d’inversion et de conversion, de déplacement et d’appropriation du dispositif axiologique138.
145De par le mérite et la vertu, la valeur noble se trouve en principe universalisée, ouverte à tous. D’aucuns, quelle que soit leur naissance, peuvent potentiellement en faire montre. C’est ce que leur apprend le droit naturel. L’affirmation de l’égalisation du potentiel de valorisation découle d’une prise de conscience par la frange éduquée de la roture qu’il lui est possible de devenir noble, en dépit des discriminations et des préjugés existants. L’homme du peuple éduqué découvre qu’il dispose d’un égal mérite. Plus encore, il se rend compte que son mérite est plus vertueux et plus utile que celui du noble qui en hérite. Il découvre que la naissance ne fait pas l’être. La portée subversive de cette prise de conscience est énorme.
146Nous sommes donc bien loin du mythe originel du Franc combattant qui gagne ses dignités par son épée et les conserve par ses titres et son mode de vie. L’important désormais est de manifester cette universalité dans son individualité. En plus de montrer que la noblesse est humaine, le philosophe nous montre qu’il suffit de la cultiver par les hommes à talent. Et la philosophie est un point de contact, privilégié certes, mais parmi d’autres, entre l’universel et le singulier139.
147Marcel Reinhard rend compte, il y a plus de soixante ans, de l’existence d’une « noblesse des talents ». Des ingénieurs, savants, économistes ou médecins sont parvenus à gagner leurs entrées dans le deuxième ordre après s’être distingués par leurs actions140. Mais il n’est pas ici uniquement question d’une noblesse consacrée. La noblesse est une qualité en action avant d’être un titre honorifique. Le méritant est donc un noble en puissance. De cette association du talent et du mérite naît la vertu, et, a fortiori, la véritable noblesse.
148En révolutionnant le mérite, les philosophes ont révolutionné la noblesse. Ils l’ont fait grâce à leur « qualité d’attribution ». Porteurs d’une autorité dans le champ littéraire, ils disposaient d’un pouvoir de classification suffisamment puissant pour changer la perception de l’homme de lettres dans leur champ et dans la société141. Les philosophes ont fait entrer l’homme de lettres dans la noblesse, en faisant de lui un méritant, et la noblesse dans la modernité, en la recouvrant d’un vernis libéral. Cette conception de la noblesse consacre moins une noblesse d’un nouveau genre, c’est-à-dire une classe sociale distincte, qu’un nouveau type de noblesse, un groupe social distinct. Elle renouvelle la noblesse en faisant d’elle moins un ordre fixe et stable qu’un statut en puissance, qu’un processus individuel d’ascension sociale. À tel point qu’il n’est pas tant question ici de noblesse que de « nobilisation », autrement dit d’un devenir noble, voire d’une « nobléité », du caractère noble en puissance dans chaque individu.
149Dans cette période de transition axiologique, une personne peut revendiquer sa noblesse même si elle n’en a ni la condition ni les qualités. La conception moderne de la noblesse défendue par les philosophes des Lumières brouille les frontières sociales. Une personne peut passer par des chemins de traverse et prendre les atours de la noblesse, à défaut d’en avoir le titre. Ce n’est pas gagner la bataille de la légitimité sur sa grandeur, mais cela permet de jouer des conventions, de s’immiscer dans un monde partageant la même hexis et le même éthos. Ce ballet de masques a le mérite de montrer un espace liminal, point de contact entre nobles établis et aspirants nobles. Ils forment bel et bien un seul et même « monde », au propre comme au figuré. Le salon en est une preuve.
150Brissot compte parmi ces jeunes prétendants aux honneurs qui usurpent la qualité de noble en s’arrogeant certains de leurs signes pour mieux paraître au sein des coteries littéraires parisiennes, ou plutôt, pour moins jurer. Il existe dans l’Ancien Régime plusieurs marqueurs nobles : le timbre (ou casque d’armoiries), le parchemin (mention des titres de noblesse), la bannière, l’écusson, les cordons, les rubans, l’épée, la particule. De ceux-là, certains sont plus faciles à usurper. C’est le cas des deux derniers.
151Aussitôt arrivé à Paris, Brissot joue au traîneur de rapière. Il nous dit porter l’épée pendant quatre ans, de mai 1774 à avril 1778, le temps de son premier séjour parisien. Il joue cette farce parce qu’on lui « disait qu’on n’était admis nulle part sans cette étiquette142 ». À cela, il s’adjoint la particule, pour lier son nom à celui d’une métairie que possédait son père. C’est ainsi qu’il se fait appeler Jacques-Pierre Brissot de Warville143. Il dit avoir motivé ce choix au regard de la tradition beauceronne. Elle autorisait l’ajout au patronyme du nom du village où l’enfant avait été mis en nourrice. Elle était motivée par le sens pratique, le but étant de distinguer un individu de sa fratrie, nombreuse à l’époque. C’est sans compter la « démocratisation » de la particule, dont l’usage est si répandu en France et si facilement usurpé « qu’il n’y a plus d’orgueil à le prendre », que ce soit par effet de convenance ou pour effacer la macule144. Quelles que soient les intentions véritables de Brissot, cette imposture lui donne une consonance noble.
152Dernière tentative de nobilisation : la généalogie. Courante à l’époque, elle permet de prouver son degré d’extraction par sa postérité145. Brissot retrace aisément l’histoire familiale jusqu’à son grand-père, Jacques Brissot. Il « avait bien trouvé dans un dictionnaire un médecin célèbre, Pierre Brissot, qui naquit à Fontenay-le-Comte en 1478 et mourut au Portugal en 1522, après avoir acquis une certaine notoriété146 ». Mais impossible pour lui d’aller plus loin dans ses recherches, et donc d’y tirer une noble conclusion.
153Le regard d’homme de lettres qu’il pose sur lui, sa famille et sa destinée, le pousse à se démarquer de sa position sociale initiale. Il est vrai qu’il a bénéficié d’une éducation libérale. Mais il est vrai aussi que son père, certes bourgeois, est un traiteur-rôtisseur, tout comme son père. Et il est clair pour nous que Jacques-Pierre Brissot revendique une autre qualité que celle de sa lignée.
154Nous nous attarderons plus bas sur ce point pour éclairer la résonance identitaire de cette quête de reconnaissance. Précisons pour l’instant qu’il tâche de se démarquer de sa qualité de roturier que lui attribue sa naissance modeste en défendant une noblesse hors sang : « Je ne m’arrêterais pas un instant sur ce hasard, qui m’a fait naître d’un traiteur au lieu de me faire sortir d’un savetier ou d’un duc et pair147 », et « que si c’est un malheur de naître dans la classe des artisans, je le partage avec les plus grands hommes, que Demosthènes était fils d’un forgeron, Théophraste d’un fripier, Horace d’un affranchi, Virgile d’un boulanger, Amyot d’un cordonnier, La Motte d’un Chapelier, Massillon d’un tanneur, Rollin, Diderot de couteliers, le poète Rousseau d’un cordonnier, Franklin d’un chandelier148… »
155On peut ajouter à la liste les noms de Suard, de Duclos, de Voltaire et d’Alembert (même si l’on comprendra dans la deuxième partie la raison de cette omission). D’Alembert prononce ces quelques mots devant l’Académie française en guise d’éloge au défunt Massillon – des mots qui s’appliquent très bien à son cas : « L’obscurité de sa naissance, qui révèle tant l’éclat de son mérite personnel, doit être le premier trait de son éloge ; et l’on peut dire de lui comme de cet illustre Romain qui ne devait rien à ses aïeux : videtur ex se natus (il n’a été fils que de lui-même)149. » Ceci est une confirmation de plus que le mérite des philosophes a le pouvoir de subvertir la naissance.
156Brissot montre très jeune un sens de la distinction. Il n’a pas encore été exposé au préjugé de la naissance, comme il le sera à Paris. Ce sens s’exprime à cette époque par sa soif de connaissance et son ardeur au travail :
« Sorti de ces écoles où l’on étouffe ma raison sous les préjugés scolastiques, échappé comme par miracle à l’art meurtrier des pédants qui déforment le cerveau, je voulus m’éclairer et connaître les sciences et les savants, dont j’enviais secrètement la gloire et le bonheur. Je n’avais point d’autres buts que de briller ; et pour briller dans tout, je voulus tout apprendre, tout savoir. […] Telle a été dans ma jeunesse l’histoire de mes travaux. La vanité fut mon premier mobile ; le désir de fortune fut le second, quand je sentis les besoins nombreux qui m’entouraient. Insensé !… je croyais alors à la double folie de faire fortune par le chemin de la gloire, et je travaillais avec ardeur150. »
157Fortune et gloire. Retenons ces termes, car ils sont un leitmotiv dans ses correspondances de jeunesse. Ils agissent pour lui comme une résolution de vie, un remède et un cap pour prouver son mérite. C’est aussi à travers eux qu’il entrevoit son élévation future dans la société française d’Ancien Régime.
158Disons pour l’instant que son amour naissant pour Félicité Dupont à partir de 1780 le pousse à suivre cette voie. La fortune pèse lourdement dans la balance de sa mère, Marie-Catherine Dupont, femme de négociant ayant repris l’affaire à son compte après la mort de son mari. La fortune pouvait la convaincre d’accorder la main de sa fille à un homme de lettres. Nous retrouvons ce point transparaître dans la relation épistolaire des deux amants entre 1780 et 1782. À cette époque, Jacques-Pierre Brissot court simultanément la carrière du barreau et celle des lettres. Dans l’une d’entre elles, rédigée probablement en 1780, il lui fait part de ses hésitations et de son dilemme autour de ces deux carrières, l’une apportant la fortune, l’autre la gloire, l’une répondant à sa raison, l’autre à sa passion. C’est ainsi qu’en évoquant ses états d’âme, il demande à Félicité Dupont de trancher le nœud :
« Tu sais quels sont mes projets. Je veux entrer et au barreau et dans les lettres. Je ne prétends à ta main qu’après m’être fait d’un côté ou d’autre un établissement assuré. Il y a beaucoup à parier qu’en me livrant au barreau avec toute l’ardeur possible, qu’en suivant les voies ordinaires, qu’en y ajoutant même, je me ferais une certaine fortune. Peut-être aussi pourrais-je d’un autre côté y arriver en sollicitant des places lucratives et avantageuses. En prenant l’un ou l’autre de ces deux chemins, il faut que je ne cultive qu’en sous-ordre les lettres et la philosophie, et que je néglige même cette dernière partie. Sacrifice qui, je te l’avoue, me coûterait beaucoup en le faisant. Je pourrais prétendre à une fortune plus aisée, brillante même, et jouer un certain rôle. Et cette perspective n’est pas si certaine en s’attachant par préférence aux lettres et à la philosophie. Cette terre est un peu ingrate par bien des causes que je ne puis te développer ici. Cependant, en la cultivant, je peux m’y faire un sort honnête, surtout en y joignant le fruit de quelques places littéraires, que je pourrais solliciter cette année ou l’autre, en y joignant encore les fruits de quelques travaux au barreau et de mon patrimoine. Je balance dans cette position. C’est à toi à me décider. D’un côté, je vois la fortune, une certaine réputation, mais de liberté, des sacrifices incroyables, sacrifices de mes goûts, de mon amour pour la vérité qu’il faudra que je subordonne aux circonstances. D’un autre côté, un état moins brillant, l’aisance seulement, mais une aisance assurée, la liberté, l’indépendance, l’agrément de pouvoir vivre une partie de l’année à la campagne, et de suivre mes goûts philosophiques. Ainsi chère amie, médite sur ma position, et tire-moi de mon incertitude151. »
159Quelques semaines plus tard, il lui revient, en pensant avoir trouvé la solution :
« Dans l’incertitude où cela me jette, devines-tu l’idée qui m’est passée par la tête. J’ai songé qu’en m’établissant tout d’un coup dans mon pays [i. e. Chartres] où je suis appelé depuis longtemps, je me fais sur le champ un état de 3 à 4 000 livres. Mais alors il faut renoncer à la gloire, à toutes mes entreprises littéraires, à tout ce que je puis espérer. Cependant, chère amie, juge par ce dévouement de mon amour pour toi, quoi qu’il m’en coûte, je ferai même ce sacrifice pour t’obtenir de préférence à mon rival [Félicité avait à ce moment-là un autre prétendant]. Tu n’as qu’un mot à dire et je t’obéis… Cependant, je crois qu’il serait plus qu’imprudent à moi d’abandonner les espérances que me donnent ici et mes amis et tous les gens de lettres que je connais. J’ai fait trop de tentatives, je suis trop avancé pour reculer. Mon pis-aller serait toujours la province152. »
160Cette décision, loin du cœur, lui permettrait d’accélérer son mariage. D’autant qu’il a dû considérablement revoir à la baisse ses prévisions sur l’héritage de son père, décédé le 24 décembre 1779 : « La fortune a trop peu de prix à mes yeux, pour me causer jamais de chagrin, mais je voyais dans cette perte mille conséquences affreuses. Que droit votre maman, lorsqu’elle apprendrait que ma fortune était réduite à moitié ? Que devrait dire le cher oncle [de Félicité] même qui n’avait entrevu les avantages de notre union, que par la persuasion où nous étions que ma fortune était même plus qu’honnête pour la province153. »
161Son meilleur ami, Charles Blot, abonde dans ce sens. Il lui écrit en novembre 1781 que le « mariage dans ce moment ne peut te convenir, parce qu’il retarderait infiniment tes travaux. Mais sous deux ans, ta consistance étant plus certaine, ta réputation étant fort avancée, je serai alors le premier à te conseiller de t’unir à ton estimable amie154 ». Il renouvelle son conseil deux mois plus tard : « Si tu veux dès ce moment t’assurer un revenu de 3 000 livres tournois environ, marie-toi. C’en est assez pour subsister155. »
162Lorsque sa carrière dans le barreau s’avère définitivement compromise, Brissot se jette corps et âme dans son projet du Licée de Londres. Dans le plan qu’il rédige entre la fin 1781 et les débuts de l’année suivante, il nous fait remarquer les épreuves qu’il endure face aux sempiternelles remarques de ses contemporains :
« Pourquoi ne prenez-vous pas un état ? Vous avez des talents, vous aimez, vous voulez vous marier, il faut vivre et c’est alors une nécessité que de prendre un état. Les lettres n’offrent pas un sort fixe, assuré. Quittez donc les lettres, courez les places, jetez-vous dans la finance, et ne restez point dans l’apathie en espérant que le destin amènera la fortune à vos pieds.
Voilà les discours que j’ai cent fois entendus, discours qui m’ont quelques fois ébranlé dans mes résolutions, parce qu’entraîné par la peinture de quelques circonstances je me croyais coupable de ne pas suivre la route ordinaire pour rendre celle que j’aime plus promptement heureuse. Mais vous qui me jugez si cruellement prenez et lisez. […] [Mes] projets [d’établissement] doivent servir à ma fortune et à ma réputation156. »
163En mai 1782, il fait part à Félicité de sa détermination à percer dans le monde des lettres. « La célébrité de J. J. [Rousseau] est ce qui m’encourage à les suivre, c’est que par eux je puis acquérir une fortune qui me procure promptement le bonheur que nous désirons, et que nous cherchons tous deux157. »
164En avril de la même année, Clavière le conforte dans son projet du Licée et dans son voyage en Suisse, persuadé que ce séjour est « convenable à vos goûts, aux objets dont vous vous occupez et à votre fortune158 ». Il parle de fortune à raison, puisque selon les prévisions faites avec Desforges d’Hurecourt, son bailleur de fonds, cet établissement littéraire devait rendre, dès la troisième année 15 000 à 20 000 livres par an159. Une fortune pour un homme de lettres.
165En mars 1783, Gabriel Villar, qui s’associe à Brissot dans la levée de soutiens et de fonds, lui avoue qu’il ne serait « point étonné d’y trouver à acquérir tout à la fois de la fortune et de la gloire160 ». La réputation, en attendant la gloire, viendrait quant à elle de sa participation active au progrès des lettres. Hugues-Bernard Maret, secrétaire perpétuel de l’académie de Dijon, lui adresse un an plus tard ses félicitations pour son établissement, et présage que la « République des Lettres vous aura une obligation que vous assure sa reconnaissance, son estime et l’immortalité et je l’espère que les faveurs de la fortune commenceront par en être la récompense161 ».
166Rappelons-nous que la qualité et la condition fondent la noblesse, que l’une renvoie aux privilèges matériels, l’autre aux privilèges symboliques. La fortune et la gloire sont pour Brissot les deux gages de noblesse, les deux étalons de la valeur qui font entrer le nom dans la postérité162. Appelons-les des valeurs axiales, car distinctives, les faire-valoir de la valeur d’un sujet. Cette fortune et cette gloire que Brissot recherche tant, à la fois preuves et manifestations de sa consécration, sont pour lui les principaux attributs de la noblesse.
167Faire preuve de sa noblesse par son mérite manifeste son désir de distinction, qui est un désir d’ascension sociale. C’est ce qui le pousse à abattre une quantité phénoménale de travail entre 1780 et 1782. Au printemps ou à l’été 1780, il projette de monter un cours de droit criminel ouvert au public :
« Ardent à me tourmenter à présent pour faire plus vite mon chemin, j’ai encore imaginé quelque chose qui pourra me faire connaître plutôt et me procurer soit de l’honneur soit de l’argent. À toute autre amante qu’à toi je ne communiquerais pas ainsi mes projets, mais en même temps que tu es mon amante, je te regarde comme ma meilleure amie. Tu dois donc te rappeler que je vais publier une théorie de lois criminelles destinée à me faire connaître dans le barreau et me procurer des affaires dans cette partie. Pour doubler le pas, j’ai imaginé de faire l’an prochain un cours sur des lois criminelles comparées de toutes les nations de l’Europe. Ce cours sera gratuit. Et j’aurai beaucoup de monde. Il sera le premier dans ce genre. J’envisagerai les lois sous un côté philosophique. Je ferai des exécutions sur d’autres parties plus attrayantes encore, enfin je vais renouveler le temps où les philosophes de la Grèce instruisaient ainsi ceux qui se dévouaient à l’étude des sciences163. »
168Entre 1782 et 1784, il continue sa besogne en publiant le Philadelphien à Genève, L’autorité de Rome anéantie, les douze numéros de sa Correspondance universelle et de son Journal du Licée, le Tableau de la situation actuelle des Anglais dans les Indes orientales qui lui est indexé, sans compter les nombreux articles rédigés pour le Courrier de l’Europe, ainsi que plusieurs autres projets d’écriture qu’il avait mis en branle.
169En faisant cela, il se présente comme le digne émule de son ami Court de Gébelin, qui avait impressionné l’Europe par son érudition et le labeur qui lui avait fallu pour éditer les neuf volumes de son Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne entre 1773 et 1784. C’était aussi le cas de Pahin de la Blancherie, pionnier des institutions muséales. Chacune d’entre elles forme une compagnie savante qui, disait-il, a vocation de recueillir « ce qui peut tendre aux progrès des connaissances humaines pour y ajouter leurs propres lumières, tandis qu’elles montrent aux nations les hommes du mérite le plus distingué dans les différentes parties des sciences et des arts164 ».
170On peut également évoquer Jean-Paul Marat, lui qui passe ses journées dans la chaleur de son cabinet, habité par la « noble ambition de se distinguer » et pour prouver à l’Académie des sciences qu’elle a eu tort de sous-estimer ses découvertes sur l’électricité et sur le feu. C’est « l’amour de la gloire », écrit-il en 1775, « qui échauffant l’âme des philosophes […], leur fait consumer la vie […] dans la recherche continuelle de la science et de la sagesse165 ».
171Même chose pour Louis-Sébastien Mercier et l’abbé Coyer. En parlant des philosophes, le premier fait remarquer au public qu’« à l’orgueil fondé sur des armoiries, l’orgueil peut-être plus légitime qui tient aux travaux et aux succès de l’esprit166 ». Le second, héraut de la question noble, soutient l’idée que « de braves gens […] montrent aujourd’hui dans le service une âme noble sous la modestie d’une naissance bourgeoise167 ».
172Le noble est étymologiquement un être « remarquable », « qui a de la notoriété », « fameux » (nobilis), qui s’est distingué par ses hauts faits, littéraires dans son cas. Nobilis serait une abréviation de noscibilis, « digne d’être connu ». Ainsi, nous dit Charles de Gourcy, « nobilitas, noscibilitas, noblesse signifie, suivant son acception propre, la condition d’un homme qui a mérité qu’on le distinguât168 ». La fortune vient sanctionner sur le terrain matériel la distinction symbolique incarnée par la gloire, non pas acquise par l’héroïsme, le courage ou la bravoure, mais par le talent, le travail et l’utilité. Certains littérateurs nobles, happés par les Lumières, comme Montesquieu, Helvétius, d’Holbach et Saint-Simon, avaient le luxe d’asseoir leur réflexion sur un imposant patrimoine familial, et ainsi briguer la gloire des lettres sans rechercher la fortune. Mais le sort en est tout autre pour Brissot : « Je pensais quelquefois au bonheur dont j’aurais joui, si le ciel m’avait fait naître riche, si je n’avais pas été forcé d’embrasser un état pour subsister169. »
173À travers la nouvelle éthique du mérite, les philosophes montrent et s’approprient simultanément la nouvelle figure du noble, celle qui se sacrifie pour le bien public. Si l’on se penche de plus près sur leurs revendications, on se rend compte qu’elles ne font que relayer une vieille conception de la noblesse, dont Gilles André de La Roque se fait le rapporteur en 1678 : « les premiers hommes ont encore élevé au-dessus des autres, ceux qu’ils estimaient nobles par leur vertu et par leur esprit : trouvant dans ces perfections une espèce de supériorité ; et la raison imprimant naturellement de l’estime et de la soumission pour ceux que la grandeur de leur génie, l’excellence de leur esprit, et d’autres bonnes qualités ont rendu recommandables170 ».
174Les hommes du peuple éduqués convertissent le mérite en valeur universelle. Ils dévaluent la conception reçue et apparemment figée de la noblesse et, avec elle, sa conception de l’honneur, pour mettre l’accent sur la vertu et l’ennoblissement moral. En faisant cela, les conditions sont posées pour s’ériger de fait comme le type même du noble. Les traits de la nouvelle figure de la noblesse sont calqués sur les siens. C’est un autoportrait. Il s’agit donc bien plus que d’une simple égalisation.
175Cette « nobilisation », ce « devenir noble » de l’homme de lettres roturier, informel et pour soi, c’est-à-dire en dehors de la reconnaissance institutionnelle, implique la réévaluation de son rapport aux autres. Il y a en réalité majoration des philosophes et de leur vertu, d’abord vis-à-vis des aristocrates et de leur raffinement, symbole de superfluité, mais aussi envers l’homme du peuple, captif de son ignorance, de sa crédulité et de ses préjugés.
176Cette nobilisation s’inscrit dans la tradition humaniste, la même qui fait dire à Brissot que « la nature ou l’éducation font des êtres estimables171 ». Il « faut considérer comme nobles », soutient Érasme, « tous ceux qui se cultivent l’esprit par des études libérales. Que d’autres peignent sur leurs blasons des lions, des aigles, des taureaux et des léopards : ceux-là possèdent plus de vraie noblesse qui peuvent peindre sur leurs blasons leur maîtrise des arts libéraux172 ». Érasme ne se contente pas de légitimer ce point, il le réalise déjà pour lui, à l’aube du xvie siècle, à travers « sa fierté d’intellectuel173 ».
177Le premier à utiliser l’expression de République littéraire, Francesco Barbaro, rappelle dans sa lettre adressée au Pogge « que sous l’Antiquité des hommes de lettres avaient été honorés à l’égal des guerriers victorieux », persuadés qu’ils fussent la fine « fleur du genre humain174 ». Quant à Francis Bacon, il voyait dans sa Nouvelle Atlantide comment le puissant génie des savants, à travers la figure de Varron, « s’élève d’une façon merveilleuse, et prend […] la place qui lui est due par-dessus tous les autres175 ».
178Hans Bots et Françoise Waquet nous font remarquer qu’une « même conception élitiste se retrouve, à la génération suivante, sous la plume de Jean Le Clerc qui, en 1684, traçait entre les savants et le “vulgaire” une nette ligne de partage176 ». À écouter également Marc Fumaroli, l’« idéal de l’homme noble (tel qu’il est défini par l’Éthique à Nicomaque et en général par les philosophes antiques) se conjugue au xviie siècle avec le prestige social de la noblesse d’épée, et avec l’idéal, monastique et humaniste, de la “piété lettrée”, pour faire naître des vocations de l’esprit177 ».
179Cet idéal, tracé en filigrane dans la société, bien que plus prononcé dans le monde des lettres, se prolonge le siècle suivant dans l’esprit de littérateurs comme Brissot. Ce dernier soutient en 1782 que les philosophes illustres, « épris pour la vérité », ont « la conscience de leur valeur, de leur supériorité », et ne sauraient par conséquent la rabaisser à la flatterie et à l’adulation pour obtenir « une brillante réputation178 ».
180Cette déclaration fait écho à celle de d’Alembert, qui avance à son tour que la profession d’hommes de lettres, qu’il qualifie également de « plus noble apanage de la condition humaine179 », est « si noble par le but qu’elle se propose d’instruire et d’éclairer les hommes, […] si digne de considération par la renommée qu’elle dispense et par l’opinion qu’elle gouverne180 ». Le marquis de Condorcet, son confrère à l’Académie, enchérit en relayant les propos de Daniel-Charles Trudaine, puisqu’il regarde les savants comme « des citoyens utiles, comme des hommes supérieurs aux autres par leurs lumières181 ». Pour les philosophes, l’égalité s’inscrit dans la nature et la distinction dans l’action. Le mérite noble, c’est la distinction dans l’égalité. Et si l’homme noble est l’homme de la gloire, la gloire des lettres est la rançon du noble littérateur.
181Il existe au temps de Brissot au moins deux catégories de noble littérateur. Celui qui se pense philosophe, témoigne d’un désir de s’instruire et d’instruire ses semblables, publie ses réflexions et fréquente les sociétés d’esprit, en quête des honneurs littéraires. Portée à se confondre avec l’Esprit, cette génération exprime une haute idée d’elle-même. Élisabeth Badinter dit d’elle qu’elle se considère comme une « aristocratie de l’intelligence » qui « se juge bien supérieure à l’autre », celle qu’elle côtoie dans les salons et qui la regarde sous des airs souvent méprisants182.
182Les académiciens d’origine roturière, tels que d’Alembert ou Voltaire, adulés par l’opinion publique et consacrés par les institutions monarchiques, forment une aristocratie de l’esprit183. Leurs nombreuses références aux philosophes de l’Antiquité montrent à quel point ils se voient comme les dignes héritiers des philosophes-rois, les têtes de file de l’esprit humain. En 1754, le chevalier John Nickolls (un nom d’emprunt) remarque qu’en France les « auteurs sont une espèce de nobles, ou de gens vivant noblement de la gloire de leurs ouvrages et de la protection des gens riches184 ». Cette description s’accorde très bien avec la situation des philosophes consacrés. Mais des auteurs comme Brissot étaient bien loin de l’anoblissement littéraire, presque hors d’atteinte. Mais ceci ne les empêchait pas de se regarder comme de nobles littérateurs, dans l’attente d’un couronnement futur.
183Ne perdons pas de vue le talent et le mérite, ces deux lentilles à travers lesquelles les philosophes se lisent. Le mérite se cultive par le travail et l’effort. Mais le talent relève de dispositions naturelles. Il n’est donc pas donné à tous. Si tout le monde est doué de raison, tout le monde ne possède pas les mêmes facilités à la développer. C’est pourquoi d’Alembert était convaincu de l’inégalité des esprits185 et Condorcet que certains hommes étaient « nés pour la vérité186 ».
184Tous ces nobles littérateurs se regardent comme des nobles d’esprit qui conçoivent la noblesse au-delà des titres et des conditions. Pour eux, la véritable noblesse est vertueuse, en acte et non en titre. Robespierre le dit sans ambages : « sans lettres de noblesse le génie est toujours noble187 ». Nous ne nous trahirions pas sa pensée si nous ajoutons : « L’honneur des lettres tient lieu de lettres de noblesse. » Et cela est valable dans l’ensemble du monde culturel dans lequel les fils éduqués du troisième ordre pouvaient se distinguer. C’est le cas notamment de Mozart. De musicien courtisan, il devint compositeur virtuose qui cherchait à faire reconnaître son honneur dans ses relations avec les nobles de cour, qui le traitaient à la fois comme un égal et un individu de second ordre188.
185Si l’anoblissement formel n’est pas une fin en soi, il vient cependant confirmer le mérite exceptionnel de quelques hommes à talent. La raison est à la noblesse d’esprit ce que le bras est au noble d’épée. La noblesse d’esprit fonde son mérite et son honneur sur ses productions, culturelles ou matérielles ; la noblesse d’épée sur les faits d’armes de ses ancêtres. Les lettres, le commerce ou la justice sont sa lice, lui, le champ de bataille.
186L’anoblissement littéraire passe surtout par les pensions. Aucune n’est délivrée sans une enquête préalable, sanctionnant la vertu de l’aspirant. Un des certificats produits pour appuyer la candidature du poète Gilbert en 1776 atteste de son mérite et montre qu’il a maintenu, même « dans la plus affreuse indigence, la noblesse qui sied à l’homme d’honneur189 ». L’anoblissement littéraire se fait d’emblée pour les quelques rares talents qui allient, tout comme le chevalier de Jaucourt, « la noblesse du sang à celle de l’esprit190 ».
187La nouvelle élite culturelle peut aussi être consacrée. Mais elle n’a pas besoin d’obtenir de telles grâces pour se considérer comme un noble d’esprit, consciente de son caractère distinctif. L’anoblissement formel n’est qu’un aspect de la nobilisation, dont l’autre aspect se joue dans l’opinion. Sont considérés comme nobles tous ceux qui se distinguent par leur mérite. Et si la naissance est le critère le plus évident, car le plus établi, il agit pour certains au même titre que l’éducation, la fortune, les emplois, le savoir ou le « degré d’esprit », pour parler comme le baron Alexandre-Stanislas de Wimpffen191. À la différence que l’envers n’est plus le roturier, mais l’inculte. Nous restons dans la catégorie du « vulgaire », dans laquelle l’ignorant se substitue à l’ignoble, image-miroir du processus de déposition en cours du gentilhomme par le philosophe.
L’itinéraire de la conscience. Rompre avec sa part de vulgaire pour correspondre à son image
188Nous avons évoqué plus haut une phrase des encyclopédistes sur laquelle il nous semble important de revenir pour bien saisir la double implication de la noblesse d’esprit en matière de reconnaissance sociale. La voici : le mérite est « une qualité qui donne droit de prétendre à l’approbation, à l’estime et à la bienveillance de nos supérieurs ou de nos égaux, et aux avantages qui en sont en suite192 ». Il ressort de cette définition deux paliers, qui renvoient à deux champs de la reconnaissance de l’homme de lettres : celui de « nos supérieurs » et celui de « nos égaux ». Celui-ci se rapporte au Royaume de France et à la société d’ordres, celui-là à la République des Lettres et à la communauté fraternelle des savants. Deux champs de reconnaissance pour deux terrains d’anoblissement, faisant eux-mêmes référence à deux types de noblesse littéraire, l’une instituée, l’autre officieuse. Ces deux noblesses se recoupent et se chevauchent en de nombreux points.
189À chaque altérité engagée dans ce jeu de reconnaissance, qu’elle soit régnicole ou philosophique, s’accordent une estime différente, et, en conséquence, différentes rétributions. La noblesse instituée sanctionne une reconnaissance temporelle. Seuls les institutions, les administrations et les puissants de ce monde (ou patrons) peuvent l’accorder. Les premiers d’entre eux sont le roi, les ministres, et, dans le monde des lettres, les académiciens.
190Matériellement, ces pourvoyeurs de reconnaissance permettent à l’homme d’esprit de gagner en position, en état et en argent (le plus souvent à travers des pensions). Symboliquement, il peut gagner en réputation et en gloire. Du point de vue des philosophes, l’honneur est un « témoignage d’estime » et une « marque extérieure193 » qui « est due à la vertu, et au mérite de la gloire, et de la réputation194 ». Autrement dit, l’honneur ne peut qu’être octroyé par ces pourvoyeurs de reconnaissance, que nous appellerons dès lors des altérités significatives – à tous les niveaux.
191La reconnaissance peut également être attribuée par la communauté informelle des savants. Sur le plan temporel, elle permet à l’impétrant d’évoluer parmi ses pairs et d’œuvrer, conjointement et en leur compagnie, au progrès des lettres (et, à partir du xviiie siècle, à l’amélioration du genre humain). C’est la promesse de la République des Lettres faite depuis Érasme et tenue à sa façon par d’Alembert, qui soutient en 1753 que « le moyen plus sûr de se faire respecter est de vivre unis195 ».
192Deux termes sont ici mis en dialectique : l’estime de nous-mêmes et l’estime des autres, chacun étant guidé par un substrat commun, la vertu. L’estime des autres est celle dont parle Jean-Baptiste Mercier Dupaty dans sa lettre à Brissot le 20 juin 1781196 et Hugues-Bernard Maret dans celle de mars 1784, tout comme le font les encyclopédistes lorsqu’ils affirment de concert : « nous reconnaissons que ceux qui répondant à leur destination sont ce qu’ils doivent et contribuent au bien du système de l’humanité, sont dignes de notre approbation, de notre estime, et de notre bienveillance ; qu’ils peuvent raisonnablement exiger de nous ces sentiments, et qu’ils ont quelque droit aux effets qui en sont les suites naturelles197 ».
193L’estime de soi-même est ce qui habite et anime l’homme d’esprit, ce qui le fait tendre vers l’Absolu, soit l’amour de la vérité, de la vertu ou de l’humanité. Ainsi, en œuvrant dans ce sens, il sait sa destination et estime son action. En retour, il reçoit l’estime des autres, le second moment de la dialectique, où l’« honneur est cette considération personnelle qu’attirent au citoyen ses vertus, ses qualités, ses talents, ses actions. C’est le bien le plus précieux pour l’homme qui pense. Sans lui, point de véritable existence civile198 ».
194Mais il est possible que l’équation des honneurs révèle une inconnue, ou plutôt un manque. Ce manque surgit lorsque l’estime de soi ne trouve pas d’écho en l’autre. Ce moment caractérise le sentiment éprouvé par le nouveau venu qui comme Brissot sait sa valeur, mais ne la trouve pas confirmée dans le regard de ses pairs. Dans ce cas, la noblesse de l’homme d’esprit n’est ni instituée ni officieuse, mais présumée, en attente de confirmation. Lui seul sait quel souffle le porte. La fortune et la gloire restent putatives, autant temporellement que spirituellement.
195Sa noblesse d’esprit s’exprime alors dans l’épreuve, qui attend l’estime pour être couronnée. Les encyclopédistes ne disent-ils pas que la gloire « suppose toujours des choses éclatantes, en actions, en vertus, en talents, et toujours de grandes difficultés surmontées199 » ? Brissot est en cela un pèlerin philosophe. Sa consécration dépend de sa quête. Il manifeste à son amante, probablement vers 1780, son engagement dans la voie de la philosophie qui résonne comme un sacrifice : « Opiniâtre dans mes affaires, et résolu de les pousser jusqu’au bout, je ne reculerai point, et une fois lancé dans la carrière, je réussirai ou je périrai. Tous mes sens, tout mon être sont tournés vers ce point200. »
196Le jeu de contact et de croisement social entre la noblesse et la bourgeoisie a donné naissance à la noblesse d’esprit, manifestation du devenir noble de la frange éduquée du peuple, comme à la noblesse libérale, manifestation du devenir bourgeois de la frange éduquée de la noblesse. Il est le milieu social de leur convergence qui, dans le monde de l’esprit, surmonte la dialectique entre le noble et le commun après intériorisation réciproque de chacun des termes. L’un dans l’autre, tous deux réconciliés, ils apparaissent désormais coconstitutifs.
197Le désir de gloire est un désir d’altérité, désir d’être un autre soi, désir de devenir autre dans la société. Il renvoie pour Brissot à un désir de noblesse, de se distinguer dans la société monarchique par son mérite et son talent. Il fait office de puissance d’altération, effort et travail de transformation de soi : « J’ai prodigieusement aimé la gloire » reconnaît Brissot dans son « Legs à mes enfants » : « c’est l’amour de la gloire qui dès l’âge de 9 ans me faisait travailler la nuit dans mon lit, qui me faisait feuilleter les livres latins, et dévorais les histoires. J’avais sans cesse sous les yeux l’image des grands hommes qui s’étaient rendus célèbres par leurs écrits, et j’écrivais201 ». La puissance d’altération est une puissance d’émulation dans laquelle le devenir autre passe par l’autre. Même s’il ne s’agit pas ici de n’importe quel autre, mais d’un autre éminent et privilégié qui ouvre le soi à l’élévation par un processus d’identification. Désir de s’attirer les honneurs, désir d’excellence et demande de sa reconnaissance, désir de noblesse.
198Cette affirmation nous amène à souligner la place cardinale de l’altérité et les liens de dépendances originaires entre l’individu et son milieu social : la réflexion du regard de soi par l’autre permet au sujet de boucler, temporairement, son processus identitaire202. Jacques Lacan évoque ce phénomène de réfraction à travers la théorie du « stade du miroir », qu’il nous invite à comprendre « comme une identification au sens plein que l’analyse donne à ce terme : à savoir la transformation produite chez le sujet, quand il assume une image203 ». Celle-ci permet à l’individu d’« établir une relation de l’organisme à sa réalité », médiatisée par un autre204. On parle alors d’auto-objectivation imaginaire lorsque l’image de soi renvoyée par l’autre permet au sujet de confirmer – ou non – son identité.
199Jean Laplanche et Jean-Bernard Pontalis regardent le « stade du miroir » moins comme un « degré » ou une « étape » que comme une « phase » et un « moment » dans la formation de l’identité205. Car cette formation reste un processus de renégociation continue. Il ne faut donc pas se cantonner à ce que Lacan appelle la fonction « orthopédique ». D’autres identifications suivront ce moment primordial, à travers d’autres imagos, aboutissant à d’autres objectivations et à d’autres formes d’unité. Il s’agit donc de se focaliser sur la fonction imaginaire pour comprendre les fondements de la subjectivité et le processus intersubjectif et dynamique de reconnaissance mutuelle et continuelle206.
200La théorie du « stade du miroir » s’inscrit dans une longue tradition qui prend racine dans la dialectique de l’identification développée par Georg W. F. Hegel207. Ce dernier soutient dans La phénoménologie de l’esprit que la conscience de soi apparaît en soi et pour soi après le passage de la reconnaissance de soi par autrui. C’est le « parlêtre » de Lacan. L’idée, la réalité et le sens de son unité sont d’ordre relationnel. Pour Hegel, la conscience de soi en soi, c’est-à-dire le Soi, et la conscience de soi pour soi, autrement dit le Moi, sont en rapport constant l’un avec l’autre. Elle aborde par conséquent la question de la valeur que le sujet croit être pour soi et celle que l’autre lui attribue.
201Il existe, toujours selon Hegel, deux altérités, qui sont deux modalités d’objectivation : la première est symbolique et transcendantale, la seconde imaginaire et sociale. La première renvoie pour Hegel au moment fondateur de la conscience de soi. Elle est ce que Lacan appelle le « grand Autre », « lieu de déploiement de la Parole », d’où « se pose la question de son existence », mais aussi où se fixe « le désir de l’homme208 ».
202Cette altérité transcendantale donne un sens à l’existence humaine, transforme le monde inconnu en monde connu, devenu immédiatement accessible et pleinement compréhensif. Il permet en retour d’orienter et d’aiguiller les êtres sociaux qui l’ont intégrée comme une boussole intérieure et une référence collective. Tous les sujets qui sont reconnus et se reconnaissent en elle sont liés a priori, et font a priori partie d’une communauté de reconnaissance identique. Comme Parole, l’altérité transcendantale est le sens esthético-normatif d’une société, un sens où se confondent valeurs et normes, le bon sens et l’action droite. Elle ne fait pas que donner la bonne et commune manière de s’exprimer, de comprendre, de penser, de sentir, d’agir et d’être, elle est la condition sine qua non du rapport à soi, aux autres et au monde. Impossible donc de la décrire sans investir immédiatement le terrain temporel.
203Le second mode d’objectivation est d’ordre intersubjectif. Nous touchons là à la reconnaissance de deuxième niveau. Lacan l’appelle le « petit autre ». Il parle de lui pour décrire l’identification imaginaire au corps de l’autre. Mais la portée de cette altérité va bien au-delà du schéma visuel. Elle se déploie à chaque moment où est en jeu la reconnaissance de soi par soi. C’est à travers l’image de l’autre que se constitue l’autre nœud d’idéalité de l’image de soi et que le sujet peut en retour se constituer comme un, grâce à cette image.
204Chaque altérité, transcendantale ou sociale, fait l’objet de son désir, c’est-à-dire que la conscience de soi cherche en l’autre ce qui lui manque209. En résulte une boucle de rétroaction qui prend place sur deux terrains où le sujet cherche à faire reconnaître l’image de l’autre en soi. Celui de la reconnaissance symbolique, où il projette son désir dans l’altérité transcendantale, moment inaugural de la constitution du Soi. La conscience de soi sort physiquement d’elle-même, mais non imaginairement, car elle salue la part de soi dans l’Autre. Et celui de la reconnaissance imaginaire, qui amorce le retour vers soi et relance la reconnaissance dans l’image du Moi en rapport constant avec l’altérité qui la médiatise – c’est le pour soi. La boucle de rétroaction identitaire termine provisoirement sa course lorsque l’autre renvoie l’image attendue de soi que lui a transmise originairement l’altérité transcendantale, pour reprendre aussitôt sa révolution dans la société, en quête d’une confirmation sans cesse renouvelée du regard de l’autre. C’est ce qui nous fait dire que l’unité mentale est à la fois profondément adventice et jamais assurée d’avance.
205Il n’est pas question d’attribuer à la dialectique de la reconnaissance de Hegel une valeur opérative universelle et de faire de Brissot un prétexte pour l’illustrer. La théorie hégélienne de l’identité nous aide à comprendre l’itinéraire de la conscience de Brissot parce qu’ils sont tous deux des jeunes pousses de la pensée libérale, séparées seulement par quelques décennies. Et en dépit des différences contextuelles, cette pensée agit en eux à la manière d’une matrice cognitive qui anime leur expérience et leur rapport au monde.
206L’itinéraire de la conscience de Brissot est une histoire d’union et de désunion. Union avec l’altérité transcendantale, rupture puis recomposition de son rapport avec elle après avoir déposé l’ancienne pour une nouvelle, plus proche de ses aspirations profondes et à la base de la réorientation de son désir. Union avec ses parents, qui tourne court dès la petite enfance. Union avec sa famille, qui ne résiste pas à la sécheresse du père et à l’ingérence des prêtres – même s’il retrouve dans l’amour de ses sœurs un bref succédané. Union avec ses professeurs qui pallie sa scission avec son père et dans laquelle désir de l’Autre et désir des autres se percolent pour satisfaire son désir d’affection et de distinction, à l’origine de l’image idéale du soi du noble littérateur. Tel est le destin de Brissot vu sous l’angle du désir210.
207Première identification manquée et première image de soi à surmonter : sa famille. Brissot nous raconte qu’il est né doté d’une faible constitution. Il est mis en nourrice par ses parents quelques semaines après sa naissance. Mais, faute de soins, il commence à dépérir : « ma mère, en m’arrachant à ses mains infidèles, me donna une seconde fois la vie211 ».
208Nous savons ce qu’il en est pour le père : austérité, sévérité, même s’il nous dit qu’il fut aussi, quelquefois, aidant et bienveillant. Toujours est-il qu’il le traite « toujours rudement » : « jamais je ne vis sur son visage le doux sourire de la paternité212 ». Il est important de prendre la mesure de cette image conflictuelle de la filiation, opposant une mère attentive et attentionnée à un père violent et indifférent. Elle est pour lui le noyau d’une famille dissonante. Cette image est récurrente chez Brissot. Elle trouve sa contrepartie et son identification dans le nouvel ancrage que lui offre la famille du tourneur. Il y est accueilli à l’âge de 6 ans, y apprend à lire et à écrire : « Je conserverai toute ma vie de la reconnaissance pour les soins qu’on m’y prodigua. […] [Cette] famille offrait l’exemple le plus touchant d’une heureuse union213. » Il est d’ailleurs tout à fait envisageable que cette expérience de la famille retrouvée le conduise à associer son désir d’affection satisfait avec son goût précoce pour les études.
209Ses parents le retirent de ce doux foyer et le mettent en pension chez son oncle à Écublé pour apprendre les rudiments du latin. La transition est cruelle pour Brissot. D’autant que la suite n’est pas de meilleur augure. Placé chez le principal du collège, il subit les tourments d’une éducation spartiate, vivant constamment sous la menace des coups de verge. Il est extirpé de cet enfer par sa mère, qui le sauve une seconde fois.
210En dépit de ces expériences malheureuses, son éducation aux arts libéraux inaugure le déploiement inspiré de sa conscience. Il reconnaît la dette qu’il a envers sa mère. Elle a insisté pour le mettre au collège, « frappée des vices qu’entraîne le défaut d’éducation, et qui en avait un exemple dans mon père214 ».
211On voit ici poindre une nouvelle distinction et avec elle une nouvelle association : ignorance/vice contre éducation/vertu. Ces associations ont leur image. Le père pour la première, l’instituteur pour la seconde : « mon amour prodigieux du travail […] vint de l’encouragement et des secours que me donna un professeur qui m’avait pris en amitié. Je me croirais un monstre, si je ne le citais pas avec reconnaissance215 ».
212Ce professeur, l’abbé Comusle, le « chérissait comme son enfant », et « fier de sa prédilection, voulant la justifier par de grands succès, je travaillais sans cesse216 ». Brissot trouve en lui un père de substitution et un succédané de reconnaissance et d’affection paternelle. Ce zèle pour le travail était pour lui autant un objet de fierté devant son professeur qu’un interdit pour son paternel. Il couvrait la lanterne que lui donnait sa sœur dans les petites heures du matin de peur de réveiller son père qui mettrait un terme à ses élans matiniers. Aux yeux de Jacques-Pierre, Guillaume Brissot est incapable de comprendre les succès de son fils à sa juste valeur : « même au milieu de succès de mon éducation, lorsque je revenais la tête chargée des lauriers du collège, mon père ne m’embrassait qu’avec une sécheresse qui pénétrait jusqu’à mon cœur et le resserrait217 ».
213L’image du père de substitution concorde avec l’image de soi de Brissot. Cette association s’étend sur toutes ces années de collège. Même après sa reconversion à la philosophie, il continue de rechercher le regard de ses maîtres, notamment de l’abbé Thierry, qui, aux dires de Brissot, « avait de l’amitié pour moi218 ». Il le voyait d’ailleurs plus comme un religieux de convention que de conviction. Qu’il soit ou non l’expression d’une réduction inconsciente de sa dissonance, son unité subjective demeure intacte. Grâce à cette image, Brissot peut dire : il est celui à travers lequel je peux dire que je suis son fils.
214Son entrée dans le monde de l’esprit inaugure sa sortie du milieu familial. Nous savons comment Brissot prend ses distances avec son père et comment il trouve en ses professeurs la source de son identification secondaire. Même si la rupture n’est pas aussi franche avec le reste de sa famille, son éducation, et l’image qu’il se fait de lui-même en tant qu’être éduqué, accentue leur différence et consomme leur séparation : « du moment où je devins instruit, il me sembla que je leur devenais étranger et que nous ne nous entendions plus219 ». C’est désormais à travers l’esprit qu’il se mire et oriente son désir. Et c’est par le truchement de ce nouvel Autre qu’il revient en lui-même, se transforme en un autre et réévalue son rapport à soi, aux autres, au monde et au transcendant.
215Brissot baigne dans la « culture première » de ses parents, de leur sens commun, teinté de dévotion et de tradition. Appelons-la « culture coutumière », axée sur une vision conventionnelle de la morale. Puis survient un deuxième temps, celle d’une « culture seconde », qui s’annexe à la première avant de la recouvrir, puis de la tourner et de la fléchir dans un sens nouveau. Fernand Dumont appelle cela l’« objectivation du mouvement réflexif de la culture220 ». Appelons-la dans le cas de Brissot la « culture philosophique ».
216Le passage d’une culture à une autre provoque chez lui un basculement dans ses rapports familiaux. Lui et sa famille ne partagent plus le même en soi, cette part d’absolu qui les réunit a priori. Cette phrase de Guillaume Brissot adressée à son fils en 1779 en rend parfaitement compte : « Si vous voulez rétablir tout commerce entre elles [ses sœurs] et vous comme avec moi, revenez à Dieu mon fils, revenez à Dieu, et vous trouverez en moi un bon père. […] [P]our mettre le comble de ma satisfaction, faites que dans les autres, par votre conduite, je reconnaisse ceux d’un chrétien pour son Dieu221. » Sa profession de foi philosophique et l’intégrité de ses actions envers son image l’empêchent de satisfaire les désirs de son père, liés à l’ignorance et à la superstition. Cela fait dix-sept ans qu’il oriente ses désirs en direction de ses pères de substitution, et qui, après ses années de collège, se fixent dans l’image d’hommes cultivés que représentent Linguet, Swinton et Mentelle222.
217En prenant en compte ses doutes et ses errements, sa quête de reconnaissance imaginaire et intersubjective concorde depuis l’âge de 7 ans dans sa communion symbolique avec la culture philosophique. C’est dans cette direction que Brissot oriente son désir du désir de l’autre223.
218Ce qu’il désire au fond, c’est être désiré par un autre qui partage la même image de soi. Ce qu’il désire avant tout, c’est entrer en communion de sentiment et d’esprit, communion qu’il cherche dans l’amour fraternel, dans l’autre qui pourra lui dire : je suis ton frère. Gaillard, l’artisan de sa démystification est sans doute le premier en date. C’est lui qui l’initie à Rousseau et au combat contre les préjugés et la superstition.
219Il y a aussi son ami du collège Pierre Charles Blot, chez qui « la solidité de son caractère, la simplicité de ses goûts, son amour pour la vie champêtre » lui assurent cette « conformité d’idées224 », qui est pour Brissot une communion d’identité. Et en 1782, ce sera en la personne de François Dupont, son récent beau-frère, envers qui il témoigne son désir d’union :
« J’espère trouver en lui un bon frère, confie Jacques-Pierre Brissot à Félicité Dupont, et cette idée me fait plaisir. J’aime ceux que le ciel m’a donnés, mais à l’exception du seul que je compte m’attacher de plus en plus. Il y a une si grande distance entre toute ma famille et moi, pour les sentiments et les goûts, que je ne puis guère jamais former de grandes liaisons avec eux. Si le tien est disposé à aimer, s’il a le caractère sensible, chère amie, ce sera un nouveau lien qui m’unira à toi, nous ne formerons qu’un seul tout225. »
220Ces propos font écho à ceux qu’il tient quelques mois auparavant, confiant à son amante que c’est pour lui « une jouissance […] d’augmenter le nombre des personnes qui m’aiment226 ».
221L’ensemble de ces images lui permet de faire l’apprentissage de sa singularité, un mariage d’affection et de distinction. Dans sa jeunesse, sa singularité passe notamment par des rêves de substitution. Si ce qu’il nous dit dans ses Mémoires est vrai, elle se manifeste dans son désir de destituer le roi, désir de puissance par excellence : « J’ai détesté les rois de bien bonne heure ; dès ma plus tendre jeunesse, je me délectais dans l’histoire de Cromwell ; je pensais que j’avais le même âge que le Roi [Louis XVI], et dans mes rêves d’enfant je ne voyais pas pourquoi il était sur le trône, tandis que j’étais né fils d’un traiteur. Je prévoyais avec quelque complaisance que je pourrais le voir tomber du trône et que je pourrais y contribuer227. » Vrai ou pas, il lève le voile sur une de ses lectures, qui structure le cours de son identification.
222Désir d’affection associé à un désir de distinction, désir conjugué qui parvient à un juste milieu entre l’image de la personne honorable établie dans la France monarchique et celle réactualisée par les Lumières. Désir liminal qui nous montre comment sa quête de reconnaissance se chevauche entre la société d’ordres et la République des Lettres. Au final, il s’agit de reconnaître dans le regard de l’autre la part noble qu’il voit en lui. Les moyens diffèrent cependant entre la posture de l’homme de lettres qui la recherche dans l’anagogie et le service philosophique, et celle du noble qui la montre par sa généalogie et sa bravoure au combat. Le philosophe est la figure limite qui symbolise cette alliance entre les deux mondes. Il est vrai qu’il ne peut se targuer de faire partie du deuxième ordre, ce qui ne l’empêche pas de côtoyer son monde et ses membres, ni d’en prendre les atours. Mais sa consécration par le régime monarchique l’intègre dans le magister de l’esprit. L’Académie est son église. Ses archétypes sont Voltaire et d’Alembert.
223L’objectif de Brissot est d’atteindre l’image éminente et privilégiée de l’altérité significative, celle qui compte le plus pour lui228. Lacan dirait que son appel désirant vise le « Moi idéal » en cherchant à s’identifier à des personnages exceptionnels et prestigieux. Il désire le désir du noble. Un noble à sa façon, puisque son champ de prédilection est l’esprit, même si, par le mérite, le chemin reste le même : en désirant ton désir, je suis identique à toi, je suis à ton image. Cette phase transitionnelle de nivellement fictif où l’appel de l’autre se mue en demande déguisée est également le moment zéro de la demande. Avant de demander que l’autre me reconnaisse, il nous faut un terrain commun à partir duquel nous pouvons nous reconnaître, un objet partagé de nos désirs, qui, dans le monde de la culture, a le mérite comme étalon de la valeur.
224Impossible de saisir précisément la teneur de cet appel, oscillant entre le conscient et l’inconscient. Nous pensons que Brissot ne se rend pas entièrement compte que l’image du noble médiatise son rapport à lui, aux autres, au monde et au transcendant. Ce que son éducation change au gré de ses années de collège, c’est la forme de cette image. Non plus le roi, mais les philosophes. C’est de cette manière qu’il résout la contradiction entre ses rêves et sa réalité, en cherchant la reconnaissance des pairs qui sont à son image. Telle est la synthèse entre sa quête de noblesse et sa quête d’esprit, qui se rencontre dans la figure paroxystique de l’académicien, alliant l’excellence de la réflexion, la recherche de la vérité, et le service à l’humanité aux titres et aux pensions. Synthétisant le mieux la nature de la jouissance spirituelle et temporelle qu’il désire, le noble littérateur est l’image à travers laquelle il s’identifie et recherche en retour la reconnaissance qu’il est en droit d’attendre des autres. Il la recherche dans les yeux des philosophes, qui sont ses pairs et ses frères, en attendant de recevoir les lauriers littéraires.
225En tant que philosophe, Brissot leur dit : tu es celui qui peut me dire que j’œuvre à tes côtés dans et pour le même sens. Il a longuement hésité à s’adresser à Rousseau, son alter ego philosophique. Il part en quête de cet écho en écrivant à Marmontel, à d’Alembert et à Voltaire, « ce grand poète, ce grand philosophe, [ce] […] dieu, si l’on veut, au pied duquel j’aurais voulu déposer mon hommage229 ». Et enfin Franklin, auquel il adresse sa Théorie des lois criminelles, par l’intermédiaire duquel il veut se montrer digne, par ses idées et ses propositions, de sa « protection230 ».
226Le travail de l’esprit lui permet de satisfaire son désir d’affection et de distinction, les deux termes de l’équation qui mène à sa demande de reconnaissance. Elle se catalyse dans son désir d’être noble littérateur, par la reconnaissance de ses pairs et de ses frères philosophes, accessoirement par les institutions monarchiques comme l’académie de Châlons-sur-Marne, mais aussi par la reconnaissance de Félicité, son amante, qui incarne pour lui la compagne idéale. Il voit en elle l’image aboutie de l’amour conjugal. Elle est celle qui peut faire dire à Brissot : je ne suis ni mon père, ni ma famille ; je suis en elle le noble littérateur au-dessus de la classe des hommes :
« Je connais ou je pressens comme vous le poids des chaînes du mariage. De jour en jour, je m’en serais dégoûté, si votre image ne m’eut arrêté. C’est en voyant la sympathie de nos goûts, de nos sentiments, de nos humeurs, que j’espérais alléger ce poids. Je me disais : avec une âme si belle, puis-je être malheureux ? Riche, jouissant d’une réputation distinguée, elle embellira mes jours par les agréments de son esprit. […] Elle est philosophe, elle pèsera comme moi dans la balance de la sagesse les honneurs, les richesses, et toutes les misérables futilités de ce monde, elle saura apprendre le vrai bonheur, mes études seront les siennes, je la tirerai de la classe des femmes, elle fera de moi plus qu’un homme231… »
227Vers 1780, il lui rappelle ce qui les unit l’un à l’autre : « esprit, sensibilité, amour de la sollicitude, mépris des bagatelles du monde, amour de l’humanité, de la philosophie surtout232 ». Le 30 juillet 1782, il lui avoue qu’il a trouvé en elle « l’amante, l’épouse dont il y a dix ans mon imagination romanesque traça le modèle233 ». Si « je lis Émile, je te vois dans Sophie. […] que de traits tu as d’elle234 ». Puis poursuivre dans une autre lettre : « Je vais donc réaliser le beau projet de vie que j’avais toujours regardé que comme une chimère. Vivre avec une femme philosophe, une femme au-dessus des petites faiblesses de son sexe, ayant ses vertus et aucun de ses vices235. » « Se raisonner ! », s’enthousiasme-t-il, en août 1782 : « Voilà ce qui te distingue de toutes les autres. C’est en cultivant cette précieuse faculté […] que tu ennobliras ton être236 », et que « mon être s’ennoblira de ta noblesse237 ». Bien plus qu’un mariage heureux, Félicité lui ouvre la voie de la perfection philosophique et de l’idéal du moi.
228Mais Félicité est aussi le médium à travers lequel réaliser son idéal de la famille unie, harmonieuse et aimante, pourvoyeur de l’image du Moi uni, harmonieux et aimant. Avant qu’il ne développe toute relation complice avec elle, cet idéal s’imprime chez lui en négatif. Par un abandon surtout, lui qui fut mis à l’index par sa famille pour ses idées trop iconoclastes. « Malgré leur opprobre », confie-t-il à son ami Horeau le jeune, « je leur serai toujours dévoué, et mes sœurs qui ont contribué par leurs conseils à mes malheurs, seront toujours qu’elles n’ont nui qu’à un homme qui les aime et qui ne se vengera que par des bienfaits ». Mais cet amour qu’il éprouve envers sa famille ne peut compenser le rejet qu’elle lui renvoie : « J’ai écrit 3 lettres et je n’ai pas reçu une seule réponse238. »
229Sa relation avec Félicité est en cela en tournant. Transporté par ses rêveries, il lui fait part de l’image qu’il se fait de leur future famille :
« Fais quelquefois comme moi des Châteaux en Espagne. Par exemple, je m’amuse infiniment de l’éducation de nos enfants. Je les vois le matin se jouant dans notre chambre sur un tapis, mon amie près de moi, prenant un léger déjeuner. Je jouis de la vivacité, de la gaieté de nos petits. Je te regarde. Je saisis une larme qui s’échappe de ton œil, tes regards me disent que tu es heureuse et ta main qui serre la mienne me le confirme. Ô ma Félicité, je pleure en te traçant ce tableau239. »
230Cette image fait continuellement irruption lors de son voyage helvétique. D’abord à Lyon, puis à Berne et enfin à Neuchâtel240. Il n’est pas question de mariage, de naissance et de lignage, mais d’union conjugale, filiale et familiale. En d’autres termes, le symbolique anime le biologique et lui donne sens.
231La primauté de l’amour sur le sang, voire la subversion du sang par l’amour, se traduit presque de manière emblématique dans la franc-maçonnerie. La communication universelle, sans entrave, est le maître-mot de la confrérie. Elle se veut un « espace de circulation libre, harmonieux et fraternel, par-delà les obstacles géographiques, politiques, religieux et linguistiques241 ». C’est pourquoi Irène Diet dit qu’elle est le « point de départ d’une transformation des relations “interpersonnelles”, des rapports des hommes entre eux242 », en tant que nouvelle forme d’association reposant sur une base volontariste, sur l’égalité présumée de tous, située en dehors des affiliations conventionnelles, des corps, des ordres ou des états243.
232Même si, comme dans les salons, la liberté et l’égalité se heurtent encore aux préjugés et aux convenances244, les adeptes de l’« Art royal » forment une « société de pairs245 », un cercle intime « d’amis choisis246 ». Ils sont des élites par ses marqueurs (civilités, éducation, bon goût et bonnes mœurs), reconnues et reconnaissable parmi les siens, distinctes de l’élite instituée. Par certains traits, elle représente une aristocratie élective et inclusive, qui aspire à contribuer activement au bonheur de ses semblables, et, ainsi, à se distinguer de l’aristocratie en place, sélective et exclusive, accusée d’œuvrer pour ses intérêts seuls.
233À certains égards, elle était une nouvelle mouture de la noblesse, sécularisée, foncièrement civile, sensible aux principes généreux des Lumières, car mettant l’accent sur le talent et le mérite, et universelle dans son amplitude, s’illustrant par ses actions utiles, au bénéfice de sa patrie et du genre humain.
234Le désir de noblesse de Brissot se manifeste autant par l’union que par la séparation. Sur le plan familial, il passe par un travail de désidentification de la part inscrite et dissonante de son identité. D’abord à l’encontre de son père, qui symbolise toutes les valeurs agrestes qu’il a en horreur : la bassesse, la brutalité, la rusticité, l’ignorance, l’obtusité, la dévotion, le philistinisme, forcément dirigé contre lui. Le rejet de la figure paternelle est un rejet d’une partie de soi que Brissot refuse. À la fois image inverse qu’il a de lui-même, lui l’éduqué, le civilisé, le bienveillant, l’ambitieux, le vertueux et le distingué, mais aussi haine de soi et tentative de s’en défaire.
235Cette haine de soi est aussi une haine de la classe qui l’a vu naître et dans laquelle il fut élevé, haine de la bourgeoisie chartraine. Elle atteint son apogée lors de son long séjour à Chartres au printemps-été 1780 : « En arrivant ici, j’ai senti une espèce d’aversion pour ma patrie. Je me suis rappelé la tienne [Boulogne-sur-Mer], et j’ai fait un grand serment de n’y jamais vivre. Que ma Félicité serait ici déplacée. Les hommes y sont ignorants et vains. Les femmes y sont bêtes et précieuses247. »
236Il renchérit quelques semaines plus tard : « nous n’habiterons jamais ce pays. Que les têtes en sont étroites, que les caractères sont méprisables […] [que c’]est une race insupportable que celle de ces bourgeois. […] Le ton assommant des hommes, le bégueulisme des femmes me feraient toujours craindre ce séjour248 ». Sa présence à Chartres fait ressortir en lui sa haine du vulgaire, cette part superstitieuse et superficielle qui renvoie aux premières années de sa vie :
« Aussi […] quand je te mets en parallèle avec ces imbéciles dévotes qui ne croient qu’aux oracles de leurs directeurs, dont la stupidité égale l’aveugle soumission, quand je compare à leur ignorance, ton esprit philosophique […], ton ingénuité, ta candeur, à leur goût pour la coquetterie, et les vanités, ton aversion pour la mode et le beau monde, […] que je me trouve heureux, ma chère amie, de posséder un cœur que le tien. C’est ici que j’apprends à en connaître tout le prix. C’est ici que j’apprends à connaître le pouvoir de l’éducation249. »
237Guillaume Brissot incarne cette bourgeoisie chartraine. Mais il ne se résout pas à cette image. Son état avantageux ne peut faire oublier sa primordiale appartenance à la roture, au peuple de province, à la vilenie. Plus Jacques-Pierre Brissot se considère comme un homme d’esprit, plus il tâche de se dégager de l’image du père.
238Nous en avons un exemple entre 1770 et 1773. Deux voyageurs anglais s’étaient proposé d’initier Gaillard et lui-même aux rudiments de leur langue. Concentrant toute son énergie dans ce nouveau défi, il nous dit dans ses Mémoires que ces derniers « furent fort étonnés de recevoir au bout de quelques jours une lettre dans leur idiome ; ils me répondirent très honnêtement en m’invitant à dîner. La réponse fut apportée par leur valet de chambre à mon père, qui n’entendit rien à cette invitation, et qui la reçut au milieu des travaux de sa cuisine. Je ne voulus pas paraître ; une fausse honte, qui a terni longtemps mon caractère250 ».
239Cette « fausse honte » resurgit lorsque Paris se déplace à Chartres. La fille de Mentelle avait par mégarde décacheté une lettre adressée à Brissot. Mentelle, pour réparer sa maladresse, se sentit obligé de la lui redonner en main propre. Brissot, qui séjournait alors dans la maison familiale, fut navré de ne pouvoir inviter son respectable ami à dormir chez eux, brocardant qu’il ne put décemment le loger « avec quatre dévotes ». Puis le prévenir : « pour moi, vous me verrez en bon campagnard, comme M. Rondou, vous régaler de quelques vieilles futailles, et de quelques mauvais propos de province251 ».
240Il soutient en 1782 dans son De la vérité, cette fois avec une solennité philosophique, que l’« homme du peuple n’a ni le temps, ni les qualités qu’exige la recherche de la vérité. […] L’homme du peuple, sans cesse enchaîné au travail, n’a ni le loisir d’observer, ni le courage de méditer, ni la force de raisonner par lui-même. […] Il est donc perpétuellement l’esclave de son éducation, des gens qui l’entourent, qui lui sont supérieurs et qui maîtrisent son opinion. Il vit donc dans une éternelle ignorance252 ». Difficile de ne pas supposer qu’il a sa famille en tête lorsqu’il écrit ses mots.
241Mais le progrès de la vérité passe également par ce bas peuple. En tant que philosophe, il se doit de les tirer de son abrutissement, de trouver les moyens de l’éclairer. La question posée par l’académie de Châlons-sur-Marne en 1781 lui permet de se pencher sur un « plan d’éducation pour le peuple », qui n’est pas « pour les gens aisés, mais pour la partie la plus à plaindre, pour celle qui nous fait vivre et que nous méprisons253 ». Les propos qu’il tient l’année suivante dans son Sang innocent vengé résument crûment sa vision du peuple : le mal qu’il « fait est le fruit de l’ignorance […] ; le peuple est un sauvage qu’il faut éclairer254 ».
242Brissot se place en dehors du vulgaire pour affirmer sa distance et mieux marquer sa noblesse. N’oublions pas que le noble est d’abord et avant tout celui qui par ses qualités s’élève au-dessus du commun. Parce que Brissot fait partie de la classe des êtres cultivés, la manière dont il se voit et se pense est en complète rupture avec son milieu d’origine. Ses attributs intellectuels en attestent. Brissot ne se considère pas comme un roturier. Il se pense philosophe, ou du moins homme d’esprit, comme à son jeune âge. Subjectivement, il se comporte comme un noble, et plus singulièrement encore comme un noble d’esprit.
243Nous avons qualifié précédemment par le terme de « nobilisation » ce processus par lequel Brissot s’accorde avec une image idéale qui renvoie à l’élévation totale de son être, autant spirituelle que temporelle. Il permet de transfigurer l’homme du peuple qu’il est en un homme d’esprit. Deux sens à cet anoblissement.
244Il est d’abord psychique. Il renvoie au Soi de la méditation philosophique qui lui permet de penser et d’agir sur les autres et sur le monde autant que sur lui-même. L’agrandissement spirituel est intellectuel et moral : double champ d’application de la vertu. Sans aborder le thème de l’infinitude humaine par la glorification du sujet et son entrée dans la postérité (qu’il est cependant utile d’avoir en tête), deux lectures se démarquent de sa posture de philosophe.
245La première est normative. Elle renvoie à l’image de soi qu’il présente aux autres. En prenant conscience et en révélant sa finitude au monde, Brissot la combat et la dépasse, et se dirige tout droit vers l’Absolu, tout comme le chevalier la combat et la dépasse en mourant sur le lit d’honneur. En parlant du philosophe, voici ce qu’il nous dit : « Je veux que sa mort honore sa vie, et que d’un air calme et intrépide, il se jette dans le sein de la Divinité dont il s’approcha toujours par ses vertus255. » La seconde est positive, et renvoie à l’image de soi qu’il a de lui-même. Pour l’illustrer, rappelons simplement ces mots adressés à Félicité : « une fois lancé dans la carrière, je réussirai ou je périrai ». La reconnaissance temporelle dicte l’accès à la transcendance. L’Absolu est sa seule issue. Elle est heureuse dans le cas où il accède à la sagesse par son ancrage temporel ou fatale lorsque l’absence de reconnaissance temporelle pousse son esprit à retrouver l’Absolu dans la mort.
246Le deuxième sens de l’anoblissement psychique se joue dans l’appel du Moi : devenir noble dans l’identification à des images nobles. Elles sont pour lui des images d’union qui lui permettent de résoudre sa dissension intérieure. Ceci renvoie au stade du miroir. La conscience d’un sujet peut retrouver dans une image l’unité mentale qui lui fait défaut. Ce qui passe par la reconfiguration de l’image paternelle, conjugale, familiale et fraternelle.
247L’anoblissement prend également place sur le terrain social. Nous rentrons là dans la demande du Moi. Trouver en soi ses marques pour chercher à convertir ses qualités intérieures en qualités sanctionnées socialement. Le courage et le mérite se transposent en honneur, pourvoyeur de privilèges. L’élévation sociale vient confirmer l’élévation morale. La quête d’unité se déplace de l’individuel au collectif, avec le sens et la conscience de sa place. Du côté de la République des Lettres, l’image fraternelle des philosophes confirme la perfection et la supériorité de leur morale et de leur intelligence, en attente des lauriers académiques. En bref, l’anoblissement social est comble lorsqu’à la reconnaissance de l’altérité significative envers laquelle mon regard se dirige s’adjoint la reconnaissance en soi des qualités élevées dans le panthéon axiologique et valorisées par la société et par tous ses membres.
Notes de bas de page
1 Perroud, 1911a, p. 42.
2 « Sur ma vie passée », AN 446 AP/15.
3 Hobsbawm, 1969, p. 23.
4 Mousnier, 1972, p. 302 et 1969, p. 62.
5 Perroud, 1911a, p. 25-27.
6 Perroud, 1911b, p. 464.
7 Société archéologique d’Eure-et-Loir, 1901, p. 122.
8 Huart (d’), 1986, p. 12.
9 ADEL, G 1686.
10 Vovelle, 1980, p. 135-137.
11 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Ce mercredi soir », AN 446 AP/1 dossier 2.
12 Perroud, 1911a, p. 28.
13 Lettre de Guillaume à Jacques-Pierre Brissot, « Chartres, le 3 janvier 1779 », AN 446 AP/1 dossier 9.
14 « Legs à mes enfants », AN 446 AP/15.
15 Perroud, 1911a, p. 29.
16 Ibid., p. 37.
17 Ibid., p. 39.
18 Ibid., p. 109.
19 Vovelle, 1980, p. 167-170.
20 Ibid., p. 170.
21 Perroud, 1911a, p. 34.
22 Ibid., p. 34-36.
23 « Mes Motifs pour ne point suivre la profession d’avocat au parlement de Paris », AN 446 AP/15.
24 Perroud, 1911a, p. 65-66.
25 Chaussinand-Nogaret, 1984.
26 Smith, 1996, p. 11 et 27.
27 Goubert, 1969, p. 172 et supra.
28 Richard, 1974.
29 Coyer, 1756, p. 16 et Bedos de Celles, 1784, p. xi.
30 Voir l’article « Mérite », dans Furetière, 1708.
31 Voir l’article « Mérite », dans Diderot et d’Alembert, 1778c, p. 598.
32 Coyer, 1756, p. 11.
33 Smith, 2000, p. 346 et 374.
34 Brissot de Warville, 1782c, p. 344-345.
35 Lettre de Brissot à Linguet, « 14 mars 1783 », AN 446 AP/21.
36 Lettre de Guillaume à Jacques-Pierre Brissot, « Chartres, le 3 janvier 1779 », AN 446 AP/1 dossier 9.
37 Perroud, 1911a, p. 193.
38 « Mes motifs pour ne point suivre la profession d’avocat au Parlement de Paris » 1782, AN 446 AP/15.
39 Perroud 1911a, p. 144.
40 Ibid., p. 121.
41 Projet de lettre de Brissot à Marmontel, sans date [1777], AN 446 AP/1 dossier 1.
42 « Jacques-Pierre Brissot de Warville à Benjamin Franklin, 22 décembre 1781 », in FO, [https://founders.archives.gov/documents/Franklin/01-36-02-0201], consulté le 15 avril 2017.
43 « Jacques-Pierre Brissot de Warville à Benjamin Franklin, 7 mars 1782 », in FO, loc. cit.
44 Roche, 2003, p. 709.
45 Lilti, 2005, p. 419-420.
46 Perroud, 1911a, p. 67.
47 Mele, 2010.
48 Perroud, 1911a, p. 102.
49 Brissot et Gaillard, 1777, p. 54.
50 Perroud, 1911a, p. 70.
51 Ibid., p. 179.
52 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Ce lundi 9 heures du soir », AN 446 AP/1 dossier 2.
53 Guyot, 1785, p. 377.
54 Roche, 1964, p. 906.
55 Brissot de Warville, 1781b, p. i.
56 Caradonna, 2012, p. 499.
57 Brissot de Warville, 1781d, p. v.
58 « Brissot à Servan. Paris, 22 octobre 1781 », dans Perroud, 1911c, p. 27.
59 Perroud, 1911a, p. 233 et Roche, 1964, p. 907.
60 Brissot de Warville, 1781a.
61 Lettre de Whil van Irhoven van Dam à Brissot, « Utrecht, 31 mai 1782 », AN 446 AP/1 dossier 1.
62 Lettre de Blot à Brissot, « 25 septembre 1781 », AN 446 AP/1 dossier 1.
63 Perroud, 1911a, p. 35-36.
64 Ibid., p. 177.
65 Ibid., p. 305.
66 Maspéro-Clerc, 1985, p. 527-531 et Burrows, 2010a, p. 189-201.
67 Darnton, 2010a, p. 420-421.
68 Ce dernier volet n’est pas nommément exprimé dans son prospectus, mais fait partie de son agenda caché : voir le modèle de la lettre à Mme la comtesse de Genlis [1783], AN 446 AP/14.
69 Lynn, 1999, p. 469.
70 Hans, 1953, p. 513-524.
71 Moreau de Saint Méry, 1805, p. 8-9.
72 Condorcet, 1847, p. 472.
73 Voir Jacques-Pierre Brissot de Warville, The London Literary Lyceum, or, an Assembly and Correspondance Established at London, for Promoting the Union and Facilitating the Communication of Intelligence between the Literati of all Nations, and for the Publication of an Account of the Actual State of the Arts and Sciences in England, Under the Direction of J. P. Brissot de Warville, AN 446 AP/2 dossier 4, p. 5.
74 Brissot de Warville, 1782a, p. 73.
75 Perroud, 1911a, p. 338-339.
76 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Ce samedi soir », AN 446 AP/1 dossier 2.
77 Perroud, 1911a, p. 339.
78 Bien qu’il retranche cette épithète en 1783 « pour éviter les équivoques qu’elle a fait naître » : Brissot de Warville, 1783e, p. 3.
79 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Ce samedi soir », AN 446 AP/1 dossier 2.
80 Perroud, 1911a, p. 244.
81 « Copie de la lettre de Mde la Court de G. à M. d. W. du 25 mars, signée le 5 mars 1783 », AN 446 AP/1 dossier 2.
82 Roche, 2003, p. 706.
83 Pinaud, 1993a, p. 363.
84 Lettre de Clavière à Brissot, « 29 avril 1782 », AN 446 AP/7.
85 Lettre de Brissot à X, « Paris, le 19 mai 1779 », AN 446 AP/1 dossier 1.
86 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Paris ce 30 juin », AN 441 AP/1 dossier 2.
87 Hans, 1953, p. 517 et Amiable, 1897, p. 4.
88 Dans lequel il abjure ses anciennes postures philosophiques : « On croira peut-être qu’en affaiblissant ici la certitude du rapport de sens, […] que je veux faire revivre le pyrrhonisme universel. Loin de moi cette idée : elle est destructive de toute vertu, de toute connaissance » : Brissot de Warville, 1782a, p. 50.
89 Brissot ne fait pas partie des noms répertoriés dans le tableau des membres de la Royale Loge des Neuf-Sœurs de 1782 (« Tableau de Pastoret, Loge des Neuf Sœurs », SRMML, Lexington, MA 003) et de 1783 (FM 2 Baylot/48 : Annuaire de 5838 de la L.·. des Neuf-Sœurs, constituée à l’O.·. de Paris, au Rite Français, par le G.·. O.·. de France, sous la date du 11 du 1er M.·. 5776, O.·. de Paris, 1838, p. 57-60). Un arrêté du Grand Orient dissout l’Atelier des « Neuf Sœurs » en 1779, dont l’activité reprend en 1782, ce qui peut expliquer le caractère officieux de sa probable réception et son absence des registres. D’autant que son départ à Londres en 1782 l’en a éloigné, et a peut-être joué un rôle dans cette omission. Mais cette explication nous semble difficilement tenable, car son absence du « Tableau des frères de la loge des Neuf Sœurs, de l’O.·. de Paris, L.·. D.·. L.·. V.·. L.·. 5787 » de l’année 1787 écarte cette hypothèse….
90 Liris, 2013, p. 555.
91 Perroud, 1911a, p. 134. Brissot nous déclare avoir été reçu dans une « loge allemande de franc-maçonnerie ». À suivre le fichier Bossu, il intègre la loge parisienne « La Bienfaisance » autour de 1777-1778 : FB (45). Voir également Faucher et Ricker, 1967, p. 178.
92 Ibid.
93 Lettre de Burney à Brissot, « Ce 25 mars 1783 », AN 446 AP/6 dossier 2.
94 Olleson, 2012.
95 Perroud, 1911a, p. 346-347 et lettre de Macauley-Graham à Brissot, sans date, AN 446 AP/6 dossier 2.
96 Brissot de Warville, 1784h, p. 196.
97 Black, 1963, p. 61.
98 Lettre de Brissot à Mentelle, « Le 18 juillet 1784 », AN 446 AP/2 dossier 1.
99 Lettre de Macauley-Graham à Brissot, « 15 juillet 1783 », AN 446 AP/6 dossier 2.
100 Uglow, 2010, p. v.
101 Crane, 1966, p. 212 et 222-223.
102 Brissot de Warville, 1784c, p. 243.
103 Brissot de Warville, The London Literary Lyceum, AN 446 AP/2 dossier 4, p. 11-12.
104 Dybikoswki, 1987, p. 84-85.
105 Brissot avait rencontré Romilly lors de son voyage en Suisse : Brissot de Warville, 1783b, p. 166.
106 Lettre de Clavière à Brissot, « 17 avril 1783 », AN T//646 dossier 1. Voir également Powell McNutt et Whatmore, 2013, p. 351-355.
107 « Mirabeau à Brissot. Du château de Mirabeau, 11 août 1783 », dans Perroud 1911c, p. 65.
108 Jupp, 1970, p. 29.
109 Brissot de Warville, 1784e, p. 369.
110 Brissot de Warville, 1785a, p. 349.
111 Hans, 1953, p. 519.
112 Brissot de Warville, 1784d, p. 315-316.
113 Cité dans Dybikowski, 1987, p. 72.
114 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Lyon vendredi 14 juin », AN 442 AP/2 dossier 2.
115 Lettre de Brak à Brissot, « Göttingen, 9 septembre [1783] », AN 446 AP/1 dossier 3.
116 Lettre de l’abbé de Bassinet à Brissot, « À Paris, au Palais Royal 4 février 1784 », AN 446 AP/2 dossier 4.
117 Lettre de Whil van Irhoven van Dam à Brissot, « Utrecht, 31 mai 1782 », AN 446 AP/1 dossier 1.
118 Lettre de Brissot à Lefebvre, « Copie d’une lettre écrite le 20 décembre 1783 », AN 446 AP/2.
119 Voir l’article « Qualité », Furetière, 1727b.
120 Voir l’article « Dignité », dans Diderot et d’Alembert, 1777, 1047 et l’article « Noble », dans Diderot et d’Alembert, 1778d, p. 7.
121 Voir l’article « Condition », Furetière, 1727a.
122 Thierriat de Lochepierre, 1606, p. 7.
123 Chaussinand-Nogaret, 1984, p. 37.
124 Brissot de Warville, 1782b, p. 152 et 155.
125 « De la noblesse », AN 446 AP/21.
126 Brissot de Warville, 1782b, p. 156.
127 Ibid., p. 154-155.
128 Ibid., p. 156.
129 Ibid., p. 153.
130 Holbach (d’), 1776, p. 43.
131 Voir l’article « Qualité », dans Diderot et d’Alembert, 1779, p. 34.
132 Voir l’article « Mérite », dans Diderot et d’Alembert, 1778c, p. 597.
133 Brissot de Warville, 1781a, p. 194.
134 Voir l’article « Talent », dans Diderot et d’Alembert, 1780c, p. 662.
135 Robespierre, 2011a, p. 20.
136 Cité dans Brissot de Warville, 1781b, p. 62.
137 Alembert (d’), 1822, p. 354.
138 Spivak, 1990, p. 228.
139 Hegel, 2006, p. 342-350.
140 Reinhard, 1956, p. 20-24.
141 Bourdieu, 2015, p. 25-26.
142 Perroud, 1911a, p. 67.
143 La métairie évoquée par Brissot est celle de « Ouarville ». Comment peut-on expliquer son glissement à « Warville » ? Écoutons Brissot : « Ce fut dans le commencement de ma fureur pour cette langue [l’anglais] que se fit dans mon nom la métamorphose dont on m’a fait un crime ; et puisqu’il faut rendre compte de tout, pour ne pas laisser la prise la plus légère à la malignité, je dirai qu’elle en fut la cause. […] je portais pour être distingué d’eux [ses frères], suivant l’usage de mon pays, le nom du village où mon père possédait quelques terres. Il s’appelait Ouarville. Il me prit fantaisie de donner à mon nom un air anglais, et je substituais à l’Ou français le W anglais. » « Mémoire pour J. P. Brissot de Warville contre les Srs Desforges, Swinton propriétaire du Courrier de l’Europe, abbé Aubert censeur, comte d’Apremont. Sur une plainte en diffamation. 1785 », AN 446 AP/3 dossier 1.
144 Goubert, 1969, p. 146 et Brissot de Warville, 1784f, p. 31.
145 Minvielle, 2010, p. 165.
146 Huart (d’), 1986, p. 13-14.
147 Perroud, 1911a, p. 25-26.
148 « Mémoire pour J. P. Brissot de Warville contre les Srs Desforges… », art. cité.
149 Alembert (d’), 1821b, p. 210.
150 Brissot de Warville, 1782a, p. 5-7.
151 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, sans date, AN 446 AP/1 dossier 2.
152 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Ce vendredi soir », AN 446AP/1 dossier 2.
153 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Chartres, ce mercredi midi », AN 446 AP/1 dossier 2.
154 Lettre de Blot à Brissot, « Lyon, 18 novembre 1781 », AN 446 AP/1 dossier 1.
155 Lettre de Blot à Brissot, « Le 26 janvier 1782 », AN 446AP/1 dossier 1.
156 « Mémoire pour tous ceux qui s’intéressent à mon bonheur et à ma réputation » [fin 1781-début 1782 ?], AN 446 AP/15.
157 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Le 30 mai », AN 446AP/1 dossier 2.
158 Lettre de Clavière à Brissot, « 29 avril 1782 », AN 446 AP/7.
159 Mathiez, 1920, p. 417.
160 « Villar à Brissot. 15 mars 1783 », dans Perroud 1911c, p. 47.
161 Lettre de Hugues-Bernard Maret à Brissot, « 17 mars 1784 », AN 446 AP/1 dossier 1.
162 Cette idée de la gloire comme triomphe de la vertu et fin noble du philosophe est avancée notamment par Iverson, 2001, p. 211-218.
163 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Ce vendredi soir », AN 446 AP/1 dossier 2.
164 Pahin de la Blancherie, 1783, p. iv.
165 Marat, 1775, p. 321 et 309.
166 Mercier, 1783b, p. 29.
167 Coyer, 1756, p. 15.
168 Gourcy (de), 1786, p. 163.
169 Perroud, 1911a, p. 57.
170 La Roque (de), 1678, p. 2.
171 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Neuchâtel, ce 6 juillet », AN 446 AP/1 dossier 2.
172 Cité dans Elias, 1973, p. 159.
173 Ibid., p. 158.
174 Carolus Fredericus Romanus, 1698, cité dans Bots et Waquet, 1997, p. 20.
175 Bacon, 1702, p. 250.
176 Bots et Waquet, 1997, p. 96.
177 Fumaroli, 2015, p. 180.
178 Brissot de Warville, 1782a, p. 244.
179 Alembert (d’), 1822, p. 360.
180 Alembert (d’), 1787, p. xxxiii.
181 Condorcet, 1847, p. 238.
182 Badinter, 1999, p. 18.
183 Bénichou, 1996.
184 Nickolls, 1754, p. 45.
185 Alembert (d’), 1787, p. xxxiv.
186 Waquet, 1996, p. 561.
187 Robespierre, 2011b, p. 113.
188 Elias, 1991a, p. 27-30.
189 Laffay, 1898, p. 249.
190 Sadrin, 1989, p. 44.
191 Wimpffen (de), 1797, p. 52.
192 Diderot et d’Alembert, 1778c, p. 597.
193 « Honneur », dans Académie française, 1694, p. 568.
194 « Honneur », dans Furetière, 1708.
195 Alembert (d’), 1822, p. 372.
196 Lettre de Dupaty à Brissot, « À Bordeaux, 20 juin 1781 », AN 446 AP/9.
197 Diderot et d’Alembert, 1778c, p. 597.
198 Brissot de Warville, 1781a, p. 79.
199 « Gloire, glorieux », dans Diderot et d’Alembert, 1779, p. 244-245.
200 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Si ta lettre ne m’avait pas consolé du mépris de ta mère », AN 446 AP/1 dossier 2.
201 « Legs à mes enfants », AN 446 AP/15.
202 Ce point fait l’unanimité chez les tenants des approches psychanalytique, fonctionnaliste, psychosociale ou phénoménologique : Fischer, 1987, p. 164-169 et Moessinger, 2000, p. 107-115.
203 Lacan, 1966, p. 93.
204 Ibid., p. 95 et 97.
205 Laplanche et Pontalis, 1971, p. 453.
206 Honneth, 2000, p. 33.
207 Hegel, 2006, p. 201-211.
208 Lacan, 1991, p. 106.
209 Lacan, 1966, p. 181 et 2013, p. 569-570.
210 Lacan, 2004, p. 273.
211 Perroud, 1911a, p. 31.
212 Ibid., p. 28.
213 Ibid., p. 32.
214 Ibid., p. 29.
215 Ibid., p. 33.
216 Ibid.
217 Ibid., p. 41.
218 Ibid.
219 Ibid., p. 28.
220 Dumont, 1971, p. 54.
221 Lettre de Guillaume à Jacques-Pierre Brissot, « 3 janvier 1779 », AN 446 AP/1 dossier 1.
222 Linguet est pour lui un « ami, et presque [s]on père » (lettre de Brissot à Linguet, « Le 14 mars 1783 », AN 446 AP/21), tout comme Swinton, d’autant qu’il alimente le désir de marier sa fille Isabella, et Mentelle qui, plus qu’un « excellent ami » et un « frère » (respectivement lettre de Brissot à X [Mentelle], « Loué cent fois mon cher et digne ami… », AN 446 AP/1 dossier 2 et Perroud, 1911a, p. 179), il remplit le rôle de père. Il l’accueille en effet chez lui à Paris pendant près de deux ans, lui ouvre grand ouvert sa famille et son réseau, lui prête de l’argent, l’assiste, le protège et le conseille.
223 Hegel, 2006, p. 198.
224 Perroud, 1911a, p. 44.
225 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Ce samedi matin », AN 446 AP/1 dossier 2.
226 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Ce samedi soir », AN 445 AP/1 dossier 2.
227 Perroud, 1911a, p. 2.
228 Brissot de Warville, 1783a, p. 29.
229 Perroud, 1911a, p. 145 et 147.
230 « Jacques-Pierre Brissot de Warville à Benjamin Franklin, 22 décembre 1781 », loc. cit.
231 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, sans date, « Je désirais, belle miss, une réponse de votre main », AN 446 AP/1 dossier 2.
232 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Ce vendredi soir » [1780], AN 446 AP/1 dossier 2.
233 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Ce mardi soir », AN 446 AP/1 dossier 2.
234 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Ce lundi 9 heures du soir », AN 446 AP/1 dossier 2.
235 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Ce samedi matin », AN 446 AP/1 dossier 2.
236 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Chartres ce 17 août », AN 446 AP/1 dossier 2.
237 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, sans date, AN 446 AP/1 dossier 2.
238 Lettre de Brissot à Horeau le jeune, « Boulogne » [entre le printemps 1778 et l’été 1779], AN 446 AP/1 dossier 1.
239 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Ce mardi 18 h du Soir » [1782 ?], AN 446 AP/1 dossier 2.
240 Il dit de la famille de Pierre Poivre que « c’est le ménage le plus uni » (Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Lyon ce 3 juin », AN 446 AP/1 dossier 2). Le président de la Société économique, Friedrich von Freudenreich, lui montre « le tableau le plus parfait de l’amour conjugal » (Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Berne, ce mercredi 25 juin », AN 446 AP/1 dossier 2). Il y voit « des mariages heureux, et des grands papas bien-aimés par leurs enfants » (Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Neuchâtel ce 30 juin », AN 446 AP/1 dossier 2).
241 Beaurepaire, 2010, p. 298.
242 Diet, 1991, p. 33.
243 Halévi, 1984.
244 Brengues, Mosser et Roche, 1981, p. 115 et Roche, 1981, p. 114.
245 Beaurepaire, 2001, p. 39.
246 Beaurepaire, 2002, p. 125.
247 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Chartres, ce dimanche midi », AN 446 AP/1 dossier 2.
248 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Ce vendredi 10 août [1781] », AN 446 AP/1 dossier 2.
249 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Chartres, ce dimanche midi », AN 446 AP/1 dossier 2 (nous soulignons).
250 Perroud, 1911a, p. 48.
251 Lettre de Brissot à Mentelle, « Loué cent fois mon cher et digne ami », sans date, AN 446 AP/1 dossier 2.
252 Brissot de Warville, 1782a, p. 265-266.
253 Lettre de Brissot à Félicité Dupont, « Chartres, ce dimanche midi », AN 446 AP/1 dossier 2.
254 Brissot de Warville, 1781d, p. 61.
255 Brissot de Warville 1782a, p. 200.
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