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Pedro Almodóvar part à la conquête de l'ouest avec son premier western, Strange Way of Life

De passage au Festival de Cannes pour présenter son court-métrage Strange Way of Life, Pedro Almodóvar est revenu sur les origines de ce western sensuel, son rapport au genre et sa fructueuse collaboration avec Saint Laurent.
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Au Festival de Cannes, Pedro Almodóvar (au centre) est venu présenter Strange Way of Life en compagnie de ses acteurs : George Steane, Jason Fernández, José Condessa, Ethan Hawke et Manu Rios.© Rémi Pujol

Lorsqu’on évoque l’histoire récente du Festival de Cannes, le nom de Pedro Almodóvar est l’un de ceux à être le plus rapidement prononcés. Le cinéaste espagnol y a présenté quelques-uns de films les plus emblématiques, de Tout sur ma mère au bouleversant Douleur et Gloire, avec Antonio Banderas en double du réalisateur, en passant par Volver pour lequel il a remporté le prix du meilleur scénario en 2006. L’évolution de Pedro Almodóvar en tant que metteur en scène est intimement liée à celle du Festival de Cannes, et chacun de ses films est attendu avec la même excitation. Ceux présents cette année sur la Croisette, lors de la présentation de Strange Way of Life, ont pu en témoigner. Même sous une pluie battante, les admirateurs du cinéaste n’ont pas défailli et patienté plusieurs heures pour découvrir en avant-première mondiale la première incursion du réalisateur dans le fabuleux monde du western.

L’attente en a valu la peine. Pour sa première collaboration avec la maison de couture Saint Laurent, qui a également diffusé le dernier film de Jean-Luc Godard à Cannes et vient d’annoncer la création de sa propre société de production, l’artiste de 73 ans est allé s’aventurer sur le terrain chéri du grand cinéma hollywoodien des années 50. Mais Strange Way of Life ne correspond en rien pour lui à un retour au temps de la jeunesse et de la découverte du cinéma, comme Steven Spielberg a pu le faire récemment avec The Fabelmans. “J'ai découvert les westerns à l'âge adulte, avoue le cinéaste. Enfant, je ne jouais pas aux cow-boys et aux Indiens et, bien que le genre soit très populaire, seuls les westerns spaghetti étaient montrés dans mon village. Ils ne m'intéressaient pas. Lorsque je me suis installé à Madrid, à l'âge de 18 ans, et que j'ai commencé à aller à la cinémathèque tous les jours, c'est devenu ma seule école. C'est là, à ma grande surprise, que j'ai découvert un genre majeur.”

Pedro Almodóvar en Saint Laurent par Anthony Vaccarello.© Rémi Pujol

Débute alors, pour le jeune cinéphile, une phase d'exploration durant laquelle il découvre les chefs d’œuvre du western : La rivière rouge de Howard Hawks mais aussi La prisonnière du désert de John Ford, monument sépulcral du genre qui annonçait dès 1956 la fin d’un âge d’or. “Dans les années 1990, j'ai essayé de porter sur grand écran L'homme qui tomba amoureux de la lune de Tom Spandbauer. L'histoire se déroule pendant la deuxième ruée vers l'or à la fin du 19ème siècle dans l'Idaho. Les Indiens et les cow-boys y étaient abordés d'une façon inédite. Pour la première fois dans une histoire de western, j'ai trouvé des Indiens et des cow-boys homosexuels. J'ai fait une première adaptation en espagnol, mais je n'ai pas réussi à trouver un coscénariste pour la version finale en anglais, et j'ai laissé tomber le projet.”

Près de 30 ans après cette première tentative, Strange Way of Life offre enfin l'opportunité au réalisateur de La Mauvaise Éducation de se confronter au genre et de l'aborder sous l'angle qu'il souhaitait : celui du désir, entre deux hommes séparés par le destin, que le danger réunit de nouveau. Tout en étant entouré d'une distribution très élégante : Ethan Hawke incarne Jake, ancien tueur à gage devenu shérif, tandis que Pedro Pascal, passé en quelques mois au rang de superstar grâce à la série The Last of Us, campe Silva. Après 25 ans sans se voir, les deux hommes sont réunis par un motif macabre qui va transformer ces émouvantes et sensuelles retrouvailles en un dilemme déchirant. La jeune garde du cinéma européen prend également part au voyage : Manu Ríos, Jason Fernández, George Steane ou encore le Portugais José Condessa.

Manu Ríos.© Rémi Pujol
Jason Fernández.© Rémi Pujol

Des paysages sublimes, des chevaux majestueux et des cow-boys prêts à dégainer à tout moment si une menace se présente face à eux : avec Strange Way of Life, pas de doute, nous sommes bien dans un western. Mais cet imaginaire d'épopées et de fantasmes est enrichi par la petite mélodie de la filmographie d'Almodóvar. Fort logiquement, on y retrouve donc des souvenirs torrides qui remontent et font chanceler les plus inébranlables des hommes, cette mélancolie qui abonde et du désir, encore et toujours du désir, pour sublimer des existences mouvantes et inconstantes. “Ces dernières années, on a pu voir au cinéma The Rider de Chloé Zhao, First Cow de Kelly Reichardt et The Power of the Dog de Jane Campion. Trois exemples de westerns réalisés par des femmes, avec un point de vue différent des classiques. Outre ses paysages grandioses, le western est l'expression ultime de l'épopée américaine, avec tous les éléments pour construire une histoire profonde et humaine”, explique Pedro Almodóvar.

En à peine trente minutes, Strange Way of Life retravaille l'identité même du western en préférant, aux bagarres de saloon et bandits impitoyables, les discussions à cœur ouvert de cow-boys vieillissants, l'évocation d'une sensibilité souvent mise à l'écart par les maîtres du genre. Si vous vous êtes toujours demandés ce que seraient devenus Jake Gyllenhaal et Heath Ledger dans Le Secret de Brokeback Mountain, s'ils avaient pu vieillir ensemble, Strange Way of Life en imagine en partie le scénario. “J’ai écrit ce film en réaction aux westerns traditionnels. Je n’ai rien contre, mais je trouve qu’il n’y a que des personnages masculins stéréotypés et que les personnages féminins n’ont que très peu de force ou d’importance. À ce stade de ma carrière, ce que je voulais, c’était de faire ce qui m’intéressait dans le genre du western. Et ce qui m’attirait, c’était d’avoir deux personnages d’âge mûr qui parlent de leurs désirs. C’est vraiment le cœur du film. D’ailleurs, la première scène que j’ai écrite, c’est cette longue conversation entre les deux cow-boys, après cette nuit orgiaque d’alcool et de sexe, où chacun donne sa vision du désir. C’est le cœur du film.”

Au cœur de cette collaboration avec Saint Laurent, Anthony Vaccarello, le directeur artistique de la maison de couture, joue également un rôle essentiel. C'est lui qui a imaginé les costumes portés par les personnages du film en s'inspirant de ses souvenirs de spectateur. Pedro Almodóvar décrit leur partenariat : “La maison Saint Laurent se caractérise souvent par ses couleurs noires, grises, sombres, et les premières propositions d’Anthony allaient plutôt dans ce sens. Mais j’ai décidé de m’inspirer des westerns classiques et de voir comment ces films avaient habillé les cowboys, comment le cinéma a donné à voir cette période. Nous avons fait ce travail ensemble et nous nous sommes aperçus que pendant des décennies, les hommes étaient tout le temps habillés de la même façon. La seule chose qui changeait était le gilet. Les shérifs étaient très élégants avec une veste et une cravate bolo-tie (également appelée cravate texane, qui consiste en une cordelette attachée par une barre ou une agrafe ornementale, ndlr), et parfois des gilets de soie.”

José Condessa.© Rémi Pujol
George Steane.© Rémi Pujol

Après s'être associé notamment avec Gaspar Noé pour le moyen-métrage Lux Æterna en 2019, Anthony Vaccarello a accueilli avec un grand enthousiasme son travail en compagnie du maître espagnol. “Nous avons beaucoup discuté de ce western gay, de ses références et des miennes, de là où on voulait aller et de là où on ne voulait pas aller. Toujours avec beaucoup de respect de ma part, car c'est un exercice très nouveau, quand lui et les autres réalisateurs ont une expérience immense. S'ils n'ont pas besoin de mes conseils, ils sont intéressés par ce que je fais et par le dialogue.”

Le début d'une nouvelle aventure entrepreneuriale pour Saint Laurent ? “Pour moi c’est une approche nouvelle. Peut-être que ça va ouvrir le marché à de nouveaux consommateurs de la marque, mais ce n’est pas le but. Je pense que si quelqu’un est attiré par Saint Laurent, il sera aussi attiré par les films que je produis, parce qu’ils se rejoignent sur la vision créative et ce en quoi je crois. L’idée n’est pas du tout la rentabilité. Rien dans ce que je fais chez Saint Laurent n’a ce but. Je pense que plus on est authentique dans ce qu’on fait, plus ça marche car les gens reconnaissent encore cette valeur. Du moins je l’espère.” Avec Strange Way of Life, Pedro Almodóvar a trouvé plus qu'une cure de jouvence artistique mais un allié artistique capable de l'appuyer dans tous ses futurs projets, qu'on espère aussi personnels et inspirés que celui-ci.

Strange Way of Life sortira le 16 août 2023 dans les salles de cinéma françaises.


CRÉDITS PRODUCTION

Photographe : Rémi Pujol

Remerciement à Saint Laurent.

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