La pi�ce d�marre par la vision du spectre d'un d�funt, le roi du Danemark, le p�re d'
Hamlet qui s'appelle lui aussi
Hamlet et qui s'adresse � son fils. C'est une injonction, il lui r�v�le que celui qui est mont� au tr�ne apr�s son d�c�s, son fr�re Claudius, celui qui a aussit�t �pous� la m�re d'
Hamlet, est un assassin et un usurpateur de la couronne, c'est lui qui a empoisonn� le roi qu'il �tait...
Le spectre crie vengeance et d�s lors son fils lui promet de le venger... C'est une question d'�thique.
Le propos fondateur de la pi�ce est donc celui-ci : comment r�tablir la couronne, la l�gitimit�, la dignit�, le sens de l'existence ?
Maintenant je vais vous raconter une autre
histoire, celle d'un lecteur, le lecteur que je suis, peu amateur de lectures th��trales jusqu'ici...
Pour venir �
Hamlet, j'ai choisi la traduction d'
Yves Bonnefoy, po�te que j'aime beaucoup depuis l'adolescence. Pour venir �
Hamlet, j'ai pris mon temps, l'ouvrage sommeillait dans ma biblioth�que. S'il m'est arriv� de voir quelques repr�sentations de pi�ces de
William Shakespeare comme
le Roi Lear, je n'ai jamais vu
Hamlet sur une sc�ne th��trale. Il m'est m�me arriv� il y a bien longtemps de m'inscrire dans une association qui proposait des cours de th��tre afin de vaincre ma timidit� � m'exprimer en public et j'ai ainsi jouer un petit r�le dans
La Nuit des Rois devant un cercle exclusivement compos� de copains, mais c'�tait il y a bien longtemps...
Voil� pour ma seule exp�rience v�cue avec Sir
William Shakespeare.
Cet �t�, un de mes coups de coeur litt�raires fut Hamnet, bouleversant roman de Maggie O'Farrell, sorte de biographie du c�l�bre homme de th��tre sans jamais le nommer, �voquant la mort tragique de son fils... Dans ce roman on devine ais�ment � combien le destin douloureux de son enfant et le chagrin qui s'ensuivit, lui donna l'inspiration pour �crire l'une de ses plus belles trag�dies th��trales...
Alors, je m'�tais promis � la fin de l'�t� de lire
Hamlet et dans la lecture de cette pi�ce que je viens de terminer et qui m'a emport�, bouscul�, o� je n'ai pas tout compris je vous l'avoue humblement, j'ai cru entrevoir quelque chose, non pas un spectre mais mon ressenti :
Shakespeare, dans l'impossibilit� de tenir son r�le, sa place dans sa propre existence va trouver un lieu pour agir, le th��tre, agir en jouant sur sc�ne, en mettant en sc�ne la vie, il y met justement ici en sc�ne le combat que l'on peut jouer et perdre contre la mort...
Avant de lire
Hamlet, j'avais appris que lors des premi�res repr�sentations de la pi�ce,
Shakespeare jouait lui-m�me le r�le du spectre du d�funt, s'adressant ainsi au personnage de son fils
Hamlet... C'est un peu comme s'il avait voulu � travers cette incarnation s'�clipser du monde des vivants et rejoindre celui des morts pour mieux s'adresser � son fils qui venait de mourir quelques mois auparavant. J'imagine que cela fut pour lui une �preuve et peut-�tre aussi une d�livrance. Mais �a, c'est mon interpr�tation et elle n'est pas vraiment th��trale...
Quelle puissance ! Tout y est ici, le th��tre de la vie, l'id�e du sens de la vie, une mani�re de douter avec art, dans une superbe gestuelle qui nous demande de laisser tomber les mots, les mots, les mots pour agir sur la sc�ne de la vie... Quel comble ! Un texte qui nous dit de laisser tomber les mots... Quelle audace tout de m�me !
Qui ne conna�t pas
Hamlet, pi�ce injustement r�duite � peut-�tre la plus c�l�bre r�plique th��trale universelle, mais que se cache-t-il derri�re cette r�plique ?
� Ou inclusif �, � ou exclusif �, telle est peut-�tre la vraie question ! Il n'y a pas d'entre-deux lorsque
Shakespeare nous invite dans
Hamlet � nous interroger sur ce questionnement du sens de la vie.
Emport� par les mots, j'y ai vu une gigantesque �nigme, j'y ai vu des portes � ouvrir � l'infini... Il me reste d�sormais � les franchir. Il est jouissif qu'un texte vous r�siste un peu, ne vous tende pas d'un seul coup toutes les clefs du royaume.
Hamlet c'est l'
histoire d'un �chec et c'est peut-�tre ce qui rend fou son h�ros ou lui donne cette impression de devenir fou aupr�s des autres.
Toute la pi�ce est dans la m�ditation d'une action qui n'agit pas, la hissant jusqu'� � nos propres existences. Et c'est beau.
Formuler des mots, n'est-ce pas d�j� agir ? Pour
Shakespeare, monter sur une sc�ne, avoir une parole po�tique, c'est l'acte supr�me.
Hamlet est touchant dans son impuissance et son �chec � faire l'acte qui lui permettrait d'atteindre l'�thique dict�e par le spectre de son p�re. Tuer ce roi nouveau et usurpateur. Pourquoi ne le fait-il pas alors ? C'est toute l'�nigme de la pi�ce qui montre la n�cessit� de l'acte sur les paroles mais en m�me temps son �chec.
Cette impossibilit� est pos�e au centre m�me de la pi�ce.
Hamlet convoque des com�diens pour jouer une pi�ce qui ressemble � sa propre vie, de mani�re grotesque, presque ridicule, sous forme d'une autod�rision... Pourtant le nouveau roi s'enfuit devant ce qui est repr�sent�, se sentant vis�, touch�, pan dans le mille, ce qui d�montre peut-�tre que c'est sans doute et seulement l� qu'
Hamlet a atteint son objectif.
Apr�s avoir lu ou vu
Hamlet, on ne peut plus retourner dans sa vie d'avant comme si de rien n'�tait.
� Ce n'est pas l'inqui�tude qui rend fou
Hamlet, c'est la certitude. � disait
Nietzsche.
Entre l'�tre et le n�ant, il y a peut-�tre le faire.
Pourquoi aimons-nous le th��tre ? Pourquoi lisons-nous du th��tre ? Pourquoi allons-nous au th��tre ? Pour entendre peut-�tre une parole po�tique qui transforme nos vies...
J'ai aim�
Hamlet pour cela et j'ai envie d'y revenir.
Il est mort, il est mort, madame,
Il est mort, il est enterr�,
� sa t�te est l'herbe fra�che,
Une pierre est � ses pieds.
Oh ! Oh !
[Acte IV, sc�ne V]