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Frantz Fanon pour clôturer le Festival Cinéma du Réel...

Le mardi 02 avril 2024, par Laurent Sapir
Une fiction pour conclure le festival Cinéma du Réel, cela peut paraître singulier et pourtant, lorsqu'il filme Frantz Fanon soignant les patients algériens de l'hôpital psychiatrique de Blida, Abdenour Zahzah n'oublie jamais la vocation documentaire de son propos.

Il aura fallu attendre très longtemps pour qu'un long-métrage de fiction prenne Frantz Fanon (1925-1961) comme personnage principal. Le cinéaste et plasticien britannique d'origine antillaise Isaac Julien avait bien signé Frantz Fanon, peau noire, masque blanc dans les années 90, mais le résultat relevait surtout d'un panachage entre images d'archives et reconstitutions en studio. Le cinéaste algérien Abdenour Zahzah, a opté quant à lui pour un vrai travail de fiction sans pour autant s'abstraire de la vocation documentaire de son propos. C'est d'ailleurs le sens même du titre du film. Chaque mot est pesé dans Chroniques fidèles survenues au siècle dernier à l'hôpital psychiatrique Blida-Joinville au temps où le docteur Frantz Fanon était chef de la cinquième division entre 1953 et 1956. Même minutie, comme l'a d'ailleurs revendiqué le réalisateur en interview, que les frères Lumière lorsqu'ils nommaient ce qu'ils filmaient en gare de La Ciotat...

Fanon psychiatre, donc, alors qu'on connaît surtout l'essayiste et le combattant anti-colonial. Entre 1953 et 1956, ce natif de Martinique va soigner autrement les patients décrétés "aliénés " dans l'hôpital psychiatrique de Blida. Le simple fait d'ouvrir une fenêtre pour laisser passer la lumière et les bruits de la nature a pour lui valeur de thérapie. Même désir chez Fanon d' "aérer", en quelque sorte, la relation entre le médecin et le patient, mais c'est surtout auprès des internés musulmans qu'il fait œuvre d'émancipation: la création d'un journal, l'organisation d'un match de foot, une animation avec un chanteur ou encore la restauration d'une mosquée sont autant d'antidotes aux conditions de vie choquantes dans l'unité musulmane de l'hôpital, surtout en pleine nuit coloniale.

La guerre est déclarée. En butte aux théories de la fameuse École dite d'Alger pour qui les arabes et les noirs n'utilisent qu'une partie de leur cerveau pour penser, Frantz Fanon noue quasi-naturellement contact avec les combattants du FLN. Il lui faut toujours en même temps se contenir face à une situation de plus en plus cauchemardesque, à l'instar de cette sidérante séquence où un commissaire ayant pratiqué la torture lui confie sa dépression. Sans aller jusqu'à l'empathie, Abdenour Zahzah filme de manière assez étonnante cette scène mi-terrifiante, mi-grotesque. Pour le reste, son film enrobé d'un beau noir et blanc ressemble à son personnage principal, tout en élégance et en rage sourde.

La mise en scène s'épargne également toute éruption façon Shock Corridor dans la description des malades, privilégiant plutôt un ton aux accents parfois bressoniens qui pourrait virer à une forme de théâtralité si les interprètes n'étaient pas habités par leur rôle, à commencer par la performance d'un jeune acteur d'origine haïtienne, Alexandre Desane, tour à tour impassible et sensible face aux tourments endurés par son personnage. On notera également la participation d'Olivier Fanon, le fils de Frantz Fanon, qui incarne un ami de son père. On attend à présent avec impatience la sortie en salle de cette belle œuvre intransigeante.

Chroniques fidèles survenues au siècle dernier à l'hôpital psychiatrique Blida-Joinville au temps où le docteur Frantz Fanon était chef de la cinquième division entre 1953 et 1956, Abdenour Zahzah (film de clôture du festival Cinéma du Réel à Paris)

 

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