Soixante ans d'histoire des séries télévisées américaines
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Soixante ans d'histoire des séries télévisées américaines

Marjolaine Boutet

Résumé

American TV shows have existed since the birth of this mass media in the United States. These fictions have evolved along with the American society for 60 years. As commercial and artistic works produced for an increasingly competitive market, they are witnesses but also mirrors of the changes of “the American mind” and public opinion. Television in America has given common cultural references and common memories to a very diverse population, scattered over half a continent. This article traces back the history of American TV shows, concentrating on how some major series have portrayed America.

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Texte intégral

Définitions

Qu’est-ce qu’une série télévisée américaine ?

1En anglais, le mot series désigne une suite d’émissions, sans distinction de genre : ce peut être une série documentaire, une série de téléréalité, ou une série d’émissions d’information. Pour les émissions de téléréalité, le terme générique de unscripted series (séries sans scénario) définit d’ailleurs bien mieux ce genre très divers que la mention trompeuse de la notion de « reality shows. » Quand il s’agit de fictions, on désigne par dramales séries dramatiques, par comedyles séries humoristiques, par soap opera les feuilletons quotidiens, par miniséries les séries à nombre d’épisode fixé d’emblée, et par TV movie le téléfilm.

2Une série télévisée peut être définie de façon générique comme une œuvre de fiction à épisodes, créée pour la télévision, diffusée sur un rythme quotidien ou hebdomadaire sur une période indéfinie, dont les personnages, la thématique ou la forme narrative sont des éléments constants. Une série peut être feuilletonnante, c’est-à-dire qu’un épisode est la suite narrative du précédent et fait appel à la mémoire du téléspectateur. Lorsqu’elle ne l’est pas, chaque épisode est construit comme une histoire indépendante de l’épisode qui le suit et de celui qui le précède.

Les grands genres

3Il existe trois grands genres de séries télévisées américaines : les dramas, les sitcoms et les soap operas.

  • 1  Tous les temps de diffusion indiqués comprennent la durée des coupures publicitaires, car c’est en (...)

4Les soap operas(ou soaps) sont des feuilletons quotidiens diffusés du lundi au vendredi dans l’après-midi, par épisodes d’une demi-heure.1 The Young and the Restless (Les Feux de l’amour, depuis 1973) et  The Bold and the Beautiful (Amour gloire et beauté, depuis 1987) en sont les exemples les plus connus en France. Ils ont pris la suite des feuilletons radiophoniques originellement commandités par des fabricants de lessive — d’où leur surnom. Le plus ancien soap opera de la télévision américaine, The Guiding Light, a commencé à la radio en 1937 et s’est poursuivi à la télévision à partir de 1952.

  • 2  Cf. Marjolaine Boutet, « Feuilletons télévisés », in Laurent Gervereau (dir), Dictionnaire mondial (...)

5Les soaps racontent généralement la vie rocambolesque et mélodramatique de personnages riches et beaux, principalement préoccupés par leurs histoires d’amour (mariages, divorces, adultères) et leurs secrets (enfant caché, trahisons, vengeances). Le tournage s’effectue uniquement en studio. Leur forme n’a pratiquement pas changé depuis les années 1950, ni leurs thèmes, à l’exception de l’introduction récente de personnages homosexuels.2

6En 1978 est créé Dallas, le premier night-time soap : le style narratif est semblable à celui des soaps de journée (day-time soaps), mais la diffusion est hebdomadaire, en soirée, et le tournage s’effectue aussi en extérieurs. Outre la naissance d’un nouveau genre de fictions télévisées, Dallas provoque aussi l’introduction d’éléments feuilletonnants dans la plupart des séries américaines à partir de 1979.

7Les sitcoms sont des comédies « de situation », c’est-à-dire qu’elles sont tournées en studio, en public, dans des décors qui ressemblent beaucoup à des scènes de théâtre, avec le fameux « troisième mur », des portes qui claquent et un public qui réagit vivement (les fameux « rires enregistrés », mais aussi des « oooh », des « aaaah », des applaudissements, etc.). Les sitcoms sont filmées avec trois caméras pour saisir simultanément la scène dans son ensemble et  les réactions des différents protagonistes. Traditionnellement, les sitcoms ont pour cadre principal le living room d’une famille, avec quelques décors additionnels tels que la cuisine ou les chambres (ex : I Love Lucy, Bewitched, Married with Children, The Cosby Show, Everybody Loves Raymond, etc.). Certaines ont pour cadre le lieu de travail (Designing Women, Scrubs, The Office) ou bien les lieux de socialisation amicale (Happy Days, Friends, How I met your Mother). Le but de ce type de fictions est de provoquer le rire par des effets comiques comparables à ceux du vaudeville.

8Certaines comédies ne sont pas tournées dans ces conditions, mais dans celle d’un tournage plus cinématographique, avec une seule caméra, comme Dream On ou Sex and the City, et font appel à des ressorts comiques moins théâtraux. La durée d’un épisode de comedy, que ce soit une sitcom ou pas, est d’une demi-heure. Le terme de dramedy a même été forgé pour définir des fictions dont le ton général est celui de la comédie, mais qui incluent des moments plus sérieux et dont les épisodes durent généralement une heure (ex : Ally McBeal).

9La catégorie des dramas est beaucoup moins codifiée formellement que les deux catégories précédentes. Elle inclut toutes les fictions à épisodes d’une heure. Les grands sous-genres des dramas sont les séries policières (de Dragnet à CSI), judiciaires (de Perry Mason à Boston Legal), médicales (de Dr Kildare à House, MD) et fantastiques (de The Twilight Zone à Heroes). Toutefois, nombreux sont les dramas qui appartiennent à plusieurs de ces sous-genres, et même certains à aucun (les dramas familiaux, qui flirtent parfois avec le genre du night-time soap, les westerns, les séries d’espionnage, les séries historiques, etc.)

Soixante ans d’histoire des séries télévisées américaines

10La télévision fait partie du quotidien des Américains depuis les années 1950. Média privé s’adressant à tous les publics, diffusant dans les grandes villes comme dans les territoires les plus isolés, elle a donné au peuple américain des références communes et des habitudes similaires. La télévision est une source d’informations et de divertissement à très faible coût, présente au cœur du foyer. Parce que la télévision cherche à séduire le plus grand nombre, parce que les thèmes « choquants » sont immédiatement rejetés par les téléspectateurs, ses programmes les plus populaires reflètent l’évolution de l’opinion publique au cours des 60 dernières années.

11Les fictions télévisées en particulier sont le fruit d’un dialogue entre leurs créateurs, des scénaristes éduqués, politiquement progressistes et majoritairement démocrates, souvent originaires de la Côte Est mais installés à Hollywood, et une population socialement, ethniquement, intellectuellement diverse. Les séries télévisées américaines répondent depuis soixante ans à un double objectif : divertir et éduquer. L’étude de l’évolution du contenu de ces programmes permet d’avoir une idée plus juste de ce qu’a pu être la norme du « politiquement correct » à un moment donné aux Etats-Unis. L’évolution de la forme de ces programmes suit également l’évolution des habitudes des téléspectateurs. Le panorama – forcément non exhaustif – dressé ici de l’histoire des séries télévisées américaines depuis les années 1950 se concentre sur les liens étroits entre les séries télévisées, en tant qu’artefacts culturels et commerciaux, et la société qui les produit et les regarde.

Les débuts de la télévision

  • 3  En 1949, seuls 2 % des foyers américains en possèdent un poste de télévision, principalement sur l (...)
  • 4  Aujourd’hui, ABC fait partie du groupe Disney, CBS du groupe Carlyle et NBC de la General Electric

12Si les premières expériences de « télévision » ont eu lieu pendant l’entre-deux-guerres, les postes de télévision ne commencent à être installés dans les foyers américains qu’après la Seconde Guerre mondiale.3 En 1944 se mettent en place quatre réseaux privés de télévision hertzienne : ABC, CBS, NBC et DuMont (qui disparaît en 1956). La particularité de la télévision américaine par rapport aux télévisions européennes est d’avoir été dès l’origine un média essentiellement privé.4 De plus, ces grands réseaux hertziens sont également des réseaux radiophoniques, et les premières émissions de télévision sont simplement des programmes radiophoniques filmés, dans les studios de Radio City à New York.

13Cette deuxième moitié des années 1940 est une période d’expérimentations, où la plupart des programmes sont diffusés en direct depuis New York ou Chicago, capitales de la radio et du théâtre. Les premières émissions de télévision aux Etats-Unis sont par conséquent la retransmission filmée en direct de spectacles de théâtre et de cabaret et d’émissions de radio (feuilletons, jeux, rencontres sportives, informations, etc.). Ce n’est qu’à partir de 1950 que les grilles de programme se stabilisent et qu’Hollywood se met à produire des émissions de télévision dans les immenses studios autrefois réservés au cinéma.

14Dès cette époque, tous les networks commencent leurs programmes au même moment (à l’heure pleine ou à la demi, selon la durée de l’émission), et proposent une grille similaire. La journée est réservée aux soaps operas et aux jeux télévisés, le tout début de soirée aux informations, puis des fictions ou des rencontres sportives à partir de 20h. Les fictions télévisées populaires des années 1950 ont souvent commencé à la radio : The Lone Ranger raconte sur le mode du western les aventures d’un justicier masqué dans l’Ouest américain, Dragnet reconstitue des enquêtes policières ayant réellement eu lieu, et The Adventures of Ozzie and Harriet est une comédie familiale mettant en scène deux stars du music-hall mariés à la ville comme à l’écran, et de leurs deux fils.

« L’âge d’or » des années 1950

15Les séries télévisées des années 1950 constituent pour les historiens un « premier âge d’or », période qui a mis en place des codes et des genres qui ne seront véritablement revisités que dans les années 1980. Au cours de cette décennie, la proportion de foyers américains équipés d’un poste de télévision passe de 2 % à plus de 70 %. La télévision est devenue un média de masse.

16La série emblématique de cette période, qui reste une référence dans l’imaginaire américain, est la première sitcom filmée dans un studio hollywoodien, avec trois caméras et en public : I Love Lucy, diffusée sur CBS de 1951 à 1957. Comme beaucoup de fictions des années 1950, elle est la transposition d’une émission de radio très populaire intitulée My Favorite Husband. Interprétée par Lucille Ball et son mari à la ville Desi Arnaz, elle raconte l’histoire de Lucy, épouse d’un chef d’orchestre d’origine cubaine appelé Ricky Ricardo, qui rêve de quitter ses fourneaux pour faire du music-hall. Cette comédie abordait donc déjà le thème de l’émancipation féminine par le travail, et était l’œuvre d’une femme, Lucille Ball, qui sera la première à concevoir la synergie qu’il peut y avoir sur le plan économique entre le cinéma et la télévision, pour rentabiliser décors, matériels, techniciens et mêmes acteurs regroupés en un seul lieu.

  • 5  Aujourd’hui, les séries télévisées restent un vivier de futures stars de cinéma (George Clooney, p (...)

17Il existe également une synergie sur le plan artistique entre cinéma et télévision, illustrée dès ce « premier âge d’or de la télévision » par la série policière Alfred Hitchcock Presents (CBS, 1955-1962). Cette série est une anthologie, c’est-à-dire que les différents épisodes ne comportent pas de personnages récurrents, mais ont seulement en commun le ton (des enquêtes policières sombres ou des mystères difficiles à élucider) et l’apparition d’Alfred Hitchcock en début et fin d’émission. Ces fictions policières ne duraient à l’époque qu’une demi-heure (il faut attendre les années 1960 pour que les dramas passent à leur durée aujourd’hui canonique d’une heure). Souvent adaptés de nouvelles de grands auteurs anglo-saxons tels que Ray Bradbury ou Roald Dahl, les épisodes de Alfred Hitchcock Presents ont été réalisées par de grands noms d’Hollywood (passés ou à venir) comme Hitchcock lui-même ou bien encore Robert Altman et ont permis à un grand nombre de futures stars (Robert Redford, Steve McQueen, Charles Bronson, Robert Duvall) de faire leur première apparition à la télévision.5 Cette anthologie criminelle a ainsi placé haut la barre de la qualité des séries policières, tant en terme d’écriture que de réalisation et d’interprétation. Dès ses débuts, les fictions américaines sont conçues par des hommes et des femmes venant du théâtre, du cinéma, de la radio et de la littérature.

  • 6  La série actuelle Mad Men (AMC, depuis 2007), située dans le milieu de la publicité à New York au (...)

18Alfred Hitchcock Presents est aussi emblématique de la fiction télévisée américaine par son absence de honte vis-à-vis de son côté commercial : ainsi, le « grand Alfred » lui-même n’hésitait pas dans ses apparitions à vanter les mérites de telle ou telle marque qui sponsorisait l’épisode. Les coupures publicitaires deviennent en effet de plus en plus nombreuses au cours des années 1950 et ont un fort impact sur l’écriture des séries, car il faut donner envie au téléspectateur de voir la suite du programme pour qu’il reste sur la même chaîne et regarde les messages des annonceurs. Les programmes d’une demi-heure sont ainsi classiquement découpés en deux actes, et ceux d’une heure en quatre, en fonction du nombre de coupures publicitaires. L’écriture télévisuelle aux Etats-Unis est indissociable de la nature privée et concurrentielle du média.6

19Autre manifestation de la forte synergie entre cinéma et télévision dans les années 1950 : la mode du western, genre extrêmement populaire au cinéma et dont le succès ne se dément pas sur le petit écran. A la fin des années 1950, sept des émissions télévisées les plus regardées par les Américains sont des séries de style western. La plus célèbre est Bonanza (1959-1973), grande saga familiale contant le quotidien souvent aventureux des Cartwright - le père veuf et ses trois fils – dans leur ranch du Nevada au cours des années 1860. Au nom de la Loi (Wanted Dead or Alive, 1958-1961) fit de Steve McQueen une vedette internationale et lui permettra d’obtenir de grands rôles au cinéma. La carrière de Clint Eastwood commença elle aussi dans une série western, Rawhide (1957-1966) dans laquelle il interprétait  l’un de ces cow-boys chargés d’acheminer des bovins d’un bout à l’autre du territoire américain.

  • 7  En outre, elle était déjà, depuis 1952, un feuilleton radiophonique, ce qui en fait probablement - (...)
  • 8  Contrairement au sheriff, le marshall est un officier de police qui opera au niveau federal, et qu (...)

20Le western télévisé américain peut également se glorifier d’être le détenteur d’un record : la série Gunsmoke est en effet, à ce jour, la plus longue fiction télévisée jamais produite, de 1955 à 1975.7 Racontant les aventures d’un marshall8 dans une petite ville, ce western était davantage destiné à un public adulte qu’aux enfants et adolescents, car ses intrigues privilégiaient les conflits psychologiques aux coups de feu.

  • 9  Ce modèle économique deviendra pas la suite indissociable de la plupart des programmes destinés au (...)

21Les années 1950 voient aussi la diffusion de la première série télévisée qui sera déclinée sous forme de produits dérivés (figurines, livres, costumes, etc.)9 : Zorro (ABC, 1957-1959). Série la plus chère de l’époque (75 000 dollars par épisode), co-produite par les studios Disney, elle montre l’intérêt que la télévision américaine a témoigné très tôt au jeune public, avec des épisodes mêlant drame, comédie et fantastique, et des trames narratives s’étendant sur plusieurs dizaines d’épisodes (Winckler 2005). Son impact sur l’imaginaire des jeunes Américains, mais aussi des jeunes Occidentaux en général qui ont vu cette série régulièrement rediffusée, est indéniable.

22Le dernier grand genre à naître dans cette décennie du « premier âge d’or » est celui du fantastique, avec The Twilight Zone (1959-1964). Cette anthologie raconte comment la vie d’un personnage bascule progressivement ou brusquement dans l’étrange. Ces fables inquiétantes, inspirées de nombreuses nouvelles fantastiques, ont toutes une morale d’autant plus grinçante qu’elle s’applique à des personnages ordinaires et donc, proches du téléspectateur. Elles sont l’œuvre de trois grandes plumes de la télévision et/ou de la littérature américaine : Rod Sterling, Charles Beaumont et Richard Matheson (Winckler 2002).

Les séries des années 1960 et 1970, miroir d’une société en pleine transformation

23Les séries des années 1960 et 1970 résonnent des questions qui agitent la société américaine : la Guerre froide, la conquête spatiale, la question raciale, l’émancipation féminine et la guerre du Vietnam.

24Les séries télévisées sont toujours influencées par les grands succès du box-office au cinéma. Si le succès des westerns ne se dément pas et que les séries des années 1950 continuent pour beaucoup à trouver leur public dans les années 1960, la mode dans les années 1960 est celle des séries mettant en scène des espions, dans l’esprit des James Bond. Sont ainsi créées à la télévision les séries The Man from U.N.C.L.E., Get Smart !, I, Spy et Mission : Impossible, dont le ton est souvent satirique et les espions présentés comme des hommes ingénieux et pleins d’humour plutôt qu’ayant recours à la violence ou à l’intimidation. Enfin, l’heure est déjà à l’hybridation des genres avec The Wild Wild West (1965-1970), série qui mêle espionnage et western, là encore sur un ton loufoque et parodique. Cette série, comme Starsky et Hutch dans les années 1970, est également truffée d’allusions aux liens plus qu’amicaux qui unissent les deux personnages principaux et est à ce titre une série culte pour la communauté homosexuelle. (Doty 1993)

25L’Amérique, et les jeunes garçons en particulier, sont également fascinés dans les années 1960 par la conquête spatiale, et les séries tentent de surfer sur cet engouement. Star Trek (1966-1969) est la grande série de science-fiction des années 1960, racontant les pérégrinations pacifiques de l’équipage d’un vaisseau spatial à la rencontre de mondes inconnus. The Invaders (1967-1968) raconte le combat de David Vincent pour démasquer les extra-terrestres qui ont envahit la Terre. Mais si ces séries fascinent une petite communauté de fans, qui grossira avec le temps, elles peinent à séduire un large public.

26Les années 1960 voient l’apparition d’un grand genre de dramas télévisés qui avait été absent du « premier âge d’or » : les séries médicales. Nées la même semaine de 1961, Dr Kildare et Ben Casey remportent pendant cinq ans un succès très vif. Les deux protagonistes en sont pourtant très différents. Kildare (Richard Chamberlain) est un jeune médecin « propre sur lui », poli et parfaitement éduqué — le beau garçon que toutes les téléspectatrices rêvent d’avoir pour fils, pour gendre ou pour mari. Les patients qu’il soigne sont tous sauvés. La série baigne dans les bons sentiments. Ben Casey (Vince Edwards) est l’opposé du propret Kildare : macho et rétif à toute autorité, ce neurochirurgien brillant s’oppose systématiquement à ses confrères. Enfin, Marcus Welby, MD (1969-1976) mettait en scène un médecin de famille sexagénaire qui soignait ses patients avec beaucoup d’humanisme et s’opposait presque systématiquement à son jeune collègue adepte d’une médecine « scientifique. » La série abordait pour la première fois de front des sujets tels que le cancer, l’autisme, la toxicomanie, et des questions d’éthique médicale (Petit 1999, Winckler 1999)

27Les séries télévisées des années 1960 et 1970 sont la caisse de résonnance des interrogations d’une société américaine en pleine redéfinition. Les Américains sont en effet désormais conscients que leur société à des « problèmes » et les solutions possibles font l’objet de débats passionnés dont les séries se font l’écho. The Defenders (1961-1965) est une série judiciaire dont les héros sont des avocats de la défense aux idées résolument progressistes. Cette série montrait les travers comme les qualités du fonctionnement de la justice américaine. Les questions épineuses de la peine de mort, de l’avortement, de la responsabilité légale des malades mentaux, des quotas d’immigration, de la lutte contre le communisme étaient abordées sous des angles contradictoires qui incitaient le téléspectateur à la réflexion. Cette série du début des années 1960 annonce déjà le vent de contestation et de remise en cause qui balaiera l’Amérique dans la deuxième moitié des années 1960 et les années 1970.

28Les séries télévisées des années 1960 et 1970 sont également les témoins de l’avancement de la condition des Noirs dans la société. Greg Morris et Bill Cosby sont les premiers acteurs afro-américains à obtenir des rôles principaux sur le petit écran, donnant la réplique à des acteurs blancs respectivement dans Mission : Impossible et I, Spy. Les castings multiraciaux ne sont pas encore devenus la règle à la télévision américaine, mais ces séries offrent déjà un portrait multiculturel de l’Amérique. D’ailleurs, la diversité des origines des « explorateurs spatiaux » dans Star Trek (une Noire, un Japonais, un Russe, un Ecossais, et même un métis extra-terrestre en la personne de Spock) laisse entendre que l’avenir des Etats-Unis est le mélange des races. Cette série culte de science-fiction est également la première à oser montrer en 1968 un homme blanc (le capitaine Kirk) en train d’embrasser une femme noire (le lieutenant Uhura).

29Dans les années 1970, deux grandes fictions vont ouvertement prendre position contre le racisme et œuvrer pour le rapprochement entre les différentes communautés. All in the Family (1971-1983) est une sitcom qui oppose Archie Bunker, Américain moyen, raciste, sexiste et obtus, et sa femme la bienveillante Edith, à leur fille Gloria et son mari Mike Stivic, tous deux progressistes de gauche, dans le quartier populaire de Queens, à New York. Elle est la transposition sur le mode comique mais néanmoins acerbe des débats qui agitent alors l’Amérique, avec l’affrontement de deux « cultures » opposées.

30Bunker (Caroll O’Connor), homme vulgaire et sans éducation, est contraint de travailler avec une équipe multi-ethnique. Il ne cesse de vitupérer contre les Noirs, les Portoricains, les Juifs et les femmes « qui prennent le boulot des hommes ». Son gendre Mike (qu’Archie traite de « Polak ») tient, lui, des propos provocateurs mêlant antiracisme, pacifisme et féminisme... tout en profitant sans gêne de la table et du confort de la maison de ses beaux-parents. Abordant de front tous les sujets jusqu’ici éludés à la télévision, All in the Family suscite d’abord des réactions mitigées, puis rencontre un succès général et devient le programme de fiction le plus regardé à la télévision américaine entre 1971 et 1976. Tandis que certains spectateurs y voient une caricature de l’Amérique la plus obscurantiste, d’autres s’identifient sans peine à Archie Bunker, dépassé par la transformation rapide de l’Amérique qu’il a toujours connue. Au fil des douze années que durera la série, Archie deviendra progressivement plus nuancé dans ses jugements... comme, d’ailleurs, la société américaine dans son ensemble.

31En 1975, All in the Family donne naissance  à une autre sitcom, non moins anticonformiste : les personnages de The Jeffersons sont en effet le couple de voisins noirs d’Archie Bunker. Propriétaire d’une petite entreprise de nettoyage à sec, George Jefferson fait fortune et déménage avec sa famille dans un appartement cossu de l’« East Side », l’un des beaux quartiers de New York. Caricature du parvenu, la figure de George Jefferson n’est pas moins antipathique que celle d’Archie Bunker, car il est lui aussi pétri de préjugés racistes. Il voit en particulier d’un très mauvais œil ses voisins, les Willis, qui sont un couple mixte (il est Blanc, elle est Noire) et dont la fille devient la petite amie, puis la femme de son propre fils. Cette série reste un exception dans les sitcoms mettant en scène des familles noires car, comme dans le Cosby Show, les personnages ne sont que très rarement en relations étroites et encore moins amoureuses avec des Blancs.

32L’autre grand jalon important de la représentation des Noirs à la télévision américaine fut la mini-série Roots, adaptation du best-seller de Alex Haley diffusée en 1977. Cent millions d’Américains, soit la moitié du pays, suivirent avec passion la saga familiale d’une famille d’Afro-Américains, de l’enlèvement de Kunta Kinte sur les côtes de Gambie en 1750 à l’installation de son arrière-petit-fils dans le Tennessee après la Guerre de Sécession et la fin de l’esclavage. Malgré ses approximations historiques, Roots fit entrer l’histoire afro-américaine dans les foyers américains.

33Les années 1970 sont aussi celles du combat féministe. Dans ce registre, c’est encore une sitcom, The Mary Tyler Moore Show (1970-1977), qui fut la première fiction à raconter les difficultés d’une jeune femme célibataire dans le monde du travail. Mary Tyler Moore, son actrice principale et productrice, produisit pendant les années 1970 et 1980 de nombreuses autres séries audacieuses politiquement, socialement et formellement (Klein 2006).

34Maude (1972-1978), autre sitcom dérivée de All in the Family (où Maude était la cousine riche, éduquée et progressiste d’Edith Bunker), raconte la vie d’une femme de plus de quarante ans qui décide de se lancer en politique, se fait faire un lifting, subit un avortement (ce qui fit scandale) et affronte ensuite la ménopause et l’impuissance de son mari. Ces deux comédies proposaient une image très éloignée des « poupées Barbies » que l’on voyait habituellement sur le petit écran, comme les Charlie’s Angels (1976-1981), par exemple.

35Enfin, les séries des années 1970 se font également l’écho des protestations contre la guerre du Vietnam avec la sitcom anticonformiste et pacifiste M*A*S*H (1972-1983). Reprenant les personnages du film éponyme de Robert Altman ayant obtenu la Palme d’Or en 1970, cette comédie située dans un hôpital militaire en Corée pendant le conflit qui opposait les Américains aux communistes dénonçait l’absurdité de toute guerre, prônait la liberté sexuelle et la désobéissance à des ordres absurdes (Wittebols 1998). La diffusion de son dernier épisode en 1983 détient le record d’audience de l’histoire de la télévision américaine.

36Mais la fin des années 1970 voit aussi le succès de séries de super-héros, adaptés des comic-books comme The Incredible Hulk (1978-1982) et Wonder Woman (1976-1979), ou bien nés des progrès de la technologie : The Six Million Dollar Man (1974-1978) et son équivalent féminin The Bionic Woman (1976-1978) sont tous deux des victimes de terribles accidents dotés de membres artificiels surpuissants qui leur servent à défendre les Etats-Unis. Ces séries peuvent être analysées comme un moyen de rassurer la population traumatisée par la défaite au Vietnam sur les « superpouvoirs » de l’Amérique et annoncent le retour des « héros » rassurants dans les années 1980 (Boutet 2004)

37Les séries des années 1960 et 1970 sont à l’image de la société américaine de l’époque : pleines de contradictions. Toutefois, les thèmes que certaines osent aborder sont de plus en plus osés et reflètent l’évolution des mentalités américaines. Le retour au conservatisme politique des années Reagan ne remettra pas en cause les avancées en matière de représentation des minorités, ni l’aisance grandissante des scénaristes dans leur façon de raconter des histoires et de décrire la société américaine.

Les années 80, le deuxième « âge d’or » des fictions télévisées

38La décennie 80 est celle d’un nouvel « âge d’or » de la télévision américaine (Thompson 1996), et les fictions télévisées s’éloignent résolument des modèles des années 1950 en terme de narration. L’apparition de la télécommande, du magnétoscope, des premières chaînes câblées, change radicalement l’attitude des téléspectateurs américains face à leur petit écran. L’ère du « zapping » commence, et la compétition entre les chaînes s’accroît. Il leur faut désormais innover pour séduire et surtout garder un public de plus en plus exigeant. Contrairement à leurs aînés les adultes des années 1980 ont en effet grandi avec la télévision, ils en connaissent les codes et les genres et ont soif de nouveauté.

39La première révolution en matière d’écriture de fiction télévisée apparaît à la fin des années 1970 avec le night-time soap Dallas (1978-1991). Cette série est en effet la première fiction hebdomadaire avec des épisodes « à suivre » dès sa deuxième saison, en 1979. Située dans le milieu des richissimes producteurs de pétrole texans, Dallas traite essentiellement de trois sujets : le pouvoir, le sexe et l’argent, en mettant en scène des personnages caricaturaux. Dallas est aussi la première série à répondre directement aux attentes de ses très nombreux téléspectateurs (80 % des foyers américains regardèrent l’épisode diffusé en 1980 révélant qui avait tiré sur J.R., l’anti-héros de la série) en ramenant à la vie le personnage de Bobby par un tour de passe-passe scénaristique.

40La deuxième révolution apparaît avec le premier ensemble show, c’est-à-dire une série qui n’est pas centrée autour d’un héros charismatique, mais sur un groupe de personnages dont l’importance est égale et dont les lignes narratives s’entrecroisent en permanence. Hill Street Blues (1981-1988) dépeint dans un style très réaliste (tant au niveau du grain de l’image que des dialogues) la vie d’un commissariat dans un quartier défavorisé d’une grande ville américaine, avec des personnages en demi-teinte et un mélange de scènes comiques et tragiques. Si cette série ne rassemble pas un large public, elle séduit néanmoins la critique et les franges les plus riches et les mieux éduquées de la population américaine, cible très recherchée par les annonceurs. Le principe de l’ensemble show sera décliné dans l’univers médical avec St. Elsewhere (1982-1988) et dans l’univers judiciaire avec L.A. Law (1986-1994), et deviendra pratiquement la règle dans les dramas des années 1990 et 2000.

41L’une des grandes innovations de ce « deuxième âge d’or » peut-être qualifiée de « post-moderne » (Feuer 1995) : certains personnages de série s’adressent plus ou moins directement aux téléspectateurs, en voix-off comme dans Magnum, P.I (1980-1988) ou bien en s’adressant directement à la caméra comme dans Moonlighting (1984-1988). Les séries des années 1980 annoncent donc la création de séries télévisées plus complexes et plus réflexives, même si les fictions les plus populaires de la période ne sont souvent pas les plus inventives.

42Les dramas des années 1980 défendent néanmoins dans leur majorité une morale néo-conservatrice (Boutet 2004) et les sitcoms de la période sont en majorité des sitcoms familiales qui parlent des petits tracas de la vie quotidienne et évitent les questions politiques, à l’instar du Cosby Show (NBC, 1984-1992), la comédie la plus regardée de la période qui met en scène une famille noire mais n’aborde jamais les questions du racisme, de la discrimination ou de la pauvreté. A quelques exceptions près, la télévision américaine des années 1980 est politiquement correcte et suit les néo-conservateurs dans leur campagne pour redonner confiance et fierté aux Américains.

Depuis 1990 : réalisme et « politically incorrectness »

431990 constitue un tournant dans l’histoire des séries télévisées américaines. C’est en effet l’année où la chaîne câblée HBO commence à produire ses propres séries, qui reçoivent immédiatement un excellent accueil de la part de la critique et des téléspectateurs les plus riches et les plus éduqués. La particularité des chaînes câblées est qu’elles n’ont pas à se soumettre aux directives de la Federal Communications Commission (F.C.C.), qui imposent deux tabous principaux aux chaînes hertziennes, pour tous leurs programmes : la nudité et le langage « obscène. » Les séries HBO vont donc briser allégrement ces deux tabous, mais surtout imposer progressivement le « politiquement incorrect » dans les fictions télévisées américaines.

44La première série marquante produite par HBO est Dream On (1990-1996), une comédie « à une caméra » créée par Martha Kaufman et David Crane, qui créeront ensuite la célébrissime Friends (1994-2004) pour NBC. La particularité de Dream On, outre sa liberté en matière de langage et de représentation de la sexualité, est que son héros est un baby-boomer élevé avec la télévision et que ses pensées sont traduites à l’image par des extraits de séries et de films qu’il y a vus (et que les téléspectateurs ont vus également). Les archives télévisuelles sont donc utilisées dans cette série comme des références qui créent une proximité avec le téléspectateur et comme des ressorts comiques ou nostalgiques. Cette exploration de la « mémoire audiovisuelle » des quarante dernières années est également exploitée dans une série contemporaine diffusée sur NBC : Quantum Leap (1989-1993). Cette série fantastique raconte en effet les aventures d’un voyageur temporel, qui sont fortement imprégnées de, et parfois directement calquées sur, les scénarios de films et de séries entrés dans la « mémoire collective » américaine.

45Après la grande tendance des années 1980 qui a été les night-time-soaps et les sitcoms, celle des années 1990 est aux dramas réalistes, et souvent très sombres. La série policière et judiciaire Law and Order (créée en 1990 et encore en production aujourd’hui, ce qui en fait la plus ancienne série actuelle) est une véritable caisse de résonnance des débats légaux et éthiques qui agitent la société américaine et un véritable document sur l’évolution de la ville de New York sur les vingt dernières années. NYPD Blue (1993-2005), Murder One (1995-1997), Homicide (1993-2000), puis The Wire (2003-2008) sont eux aussi de grands drames sombres et réalistes situés dans l’univers de la police. Oz (1997-2003), diffusée sur le câble, est un portrait ultra-violent et sans concession de l’univers carcéral américain. FX, une autre chaîne du câble, propose à partir du 2002 un portrait lui aussi ultra-violent d’un flic corrompu à Los Angeles dans The Shield.

46La tendance « réaliste » touche aussi les séries médicales avec E.R. (depuis 1994), qui est une révolution en matière de réalisation : les scènes et les dialogues s’enchaînent à un rythme effréné et la caméra virevolte entre les différentes actions. Le montage des séries, et en particulier des dramas, devient de plus en plus serré et dynamique à partir de la deuxième moitié des années 1990. La grande série décrivant le fonctionnement de la politique au plus haut sommet, The West Wing (1999-2006), peut également se prévaloir d’un grand réalisme mais aussi d’une virtuosité dans l’écriture et la réalisation qui rendent des dialogues interminables dans des bureaux exigus à propos de débats législatifs « cinématographiques » et divertissants.

47A côté de ces grands drames qui dressent un portrait tout en nuances de l’Amérique contemporaine, la période 1990-2008 connaît d’autres tendances lourdes : l’apparition des teen dramas, ces séries qui ont pour personnages principaux des adolescents et se passent essentiellement dans le cadre du lycée (de Beverly Hills 90210 à Gossip Girl en passant par Buffy the Vampire Slayer et Smallville pour les teen dramas fantastiques, My So-Called Life pour ceux à tendance réaliste et Saved By the Bell pour le genre de la sitcom). L’apparition de ce nouveau sous-genre dans les fictions télévisées américaines témoigne d’une segmentation croissante des téléspectateurs, dans un pays où l’on compte désormais plusieurs postes de télévision par foyer, où le nombre de chaînes disponibles se compte en centaines, et la création en conséquence de programmes de plus en plus ciblés. Les nouveaux networks des années 1990 (WB et UPN, qui ont fusionné en 2006 pour créer The CW) cherchent d’ailleurs avant tout à séduire le public adolescent, cible très recherchée par les annonceurs.

  • 10 Star Trek : The Next Generation (1987-1994), Star Trek : Deep Space Nine (1993-1999), Star Trek : V (...)

48Les années 1990 voient également le retour de grandes séries de science-fiction, avec de très nombreuses spin-offs de Star Trek produites entre 1987 et 200510 et la très populaire The X-Files. Les voyages intersidéraux continuent aujourd’hui avec la très belle et très politique Battlestar Galactica  (FX, 2003-2009). Les sitcoms restent très populaires dans les années 1990 avec notamment Seinfeld, Friends et Everybody Loves Raymond, qui rassemblent un très large public (20 millions de téléspectateurs en moyenne).

49La satire et le politiquement incorrect s’affirment également dans les séries télévisées des années 1990-2000, en particulier dans deux séries animées qui passent la société américaine au vitriol : The Simpsons, créé en 1990 sur la Fox (network apparu en 1986) et South Park, créée en 1997 sur la chaîne câblée Comedy Central. Les deux grands chefs d’œuvre d’HBO des années 2000, The Sopranos et Six Feet Under, osent briser les tabous de la mort et du meurtre en décrivant avec empathie le quotidien d’un parrain de la mafia et d’une famille de « croque-morts ». Sex and the City, toujours sur HBO, donne la parole aux femmes en matière de sexualité. The L Word et Queer as Folk explorent le milieu homosexuel, tandis Nip/Tuck se complait dans la mise en scène de toutes les transgressions sexuelles, tout en s’interrogeant sur la place prépondérante de la beauté physique dans le monde actuel. Même les dealeurs de drogue, grands méchants des séries des années 1980, font l’objet d’un portrait empathique avec Weeds, de même que les Mormons polygames dans Big Love. A l’exception de l’avortement, sujet qui effraie encore la plupart des annonceurs et reste une question très controversée aux Etats-Unis, il semble que les séries télévisées américaines, en particulier celles diffusées sur le câble, se plaisent à parler avec beaucoup de second degré de tout ce qui était jusque là considéré comme « politiquement incorrect » et immontrable à la télévision. Le « politiquement incorrect » est donc plus ou moins devenu banal, voire même « correct », et l’on peut s’interroger aujourd’hui sur ce que sont les nouveaux tabous de la société américaine.

50Même si elles ne vont pas aussi loin dans la transgression morale, les séries des networks sont de plus en plus politiquement engagées, et n’hésitent pas à prendre position contre la guerre du Vietnam, à dénoncer la corruption à tous les niveaux, à mettre en garde contre le réchauffement climatique et la pollution de l’environnement, contre les excès sécuritaires de l’après-11 septembre, ou encore à prendre pour cible tous les fanatismes religieux.

  • 11  A la fin des années 2000, les séries policières et médicales restent des genres très populaires au (...)

51Les deux grandes tendances des séries américaines dans les années 2000 semblent être le caractère « scientifique » des enquêtes policières, avec les trois séries CSI, Bones ou encore N.C.I.S., et de la médecine avec House, MD. Les avancées scientifiques sont présentées comme les armes ultimes pour démasquer les criminels et lutter contre la maladie et la mort.11 L’autre grande tendance des années 2000 est le retour en force du feuilleton : le night-time soap est remis au goût du jour avec Desperate Housewives , mais l’on assiste surtout à l’apparition de feuilletons de genres nouveaux, dans lesquels les ressorts de l’intrigue ne relèvent plus du mélodrame mais du film d’action comme dans 24 et Prison Break ou du fantastique avec Lost et Heroes. Cette dernière série témoigne de plusieurs influences nouvelles dans sa structure narrative : les jeux vidéos en particulier et la culture japonaise en général.

  • 12  American Idol, télé-crochet dont le concept est vendu dans le monde entier, est le programme télév (...)
  • 13  Mode de transmission de données audio et vidéo sur le net. Ces dernières sont transmises en flux c (...)

52A la fin de la décennie 2000, les séries télévisées américaines ont de plus en plus de mal à rassembler de larges audiences (rarement plus de 20 millions de téléspectateurs, et les séries qui en rassemblent moins de 8 millions sont menacées d’annulation faute de rentabilité), car le public leur préfère souvent un programme de téléréalité concurrent.12 La diffusion en streaming13 et le téléchargement sur Internet offre de nouveaux moyens de diffusion pour les séries américaines, mais le modèle économique qui permettra de les rentabiliser est encore au stade de l’expérimentation, de même que les mesures d’audience sur ce nouveau média. La grève des scénaristes de 2008 a mis en évidence la crise de la fiction télévisée « scénarisée » aux Etats-Unis. On peut toutefois imaginer que cette « industrie » se remettra de cette crise comme elle a su le faire après la précédente grande grève, en 1988, liée elle aussi aux changements technologiques affectant spécifiquement la télévision et à une crise économique généralisée.

53Les séries télévisées américaines sont nées avec la télévision et ont accompagné la société américaine dans son évolution depuis 60 ans. Œuvres audiovisuelles soumises à des objectifs commerciaux, à une concurrence qui n’a cessé de s’accroître depuis les années 1980, et à un public de plus en plus exigeant et volatile, leur histoire est aussi celle des Américains. Les séries télévisées ont accompagné, reflété et parfois guidé l’évolution des mentalités américaines et ont unifié par des souvenirs et des références communes cette nation-continent multiculturelle et dispersée. Leur analyse et leur mise en perspective en tant que produits culturels nous apparaît d’autant plus importante que leur achat et leur diffusion dans le monde entier est aussi un facteur d’américanisation des sociétés, en particulier occidentales.

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Bibliographie

Ouvrages généraux

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Sites web

www.tv.com

www.museum.tv

Références des séries citées dans cet article

The Adventures of Ozzie and Harriet (ABC, 1952-1966)

Alfred Hitchcock Presents (Alfred Hitchcock Présente, CBS, 1955-1962)

All in the Family (CBS, 1971-1983)

Ally McBeal (Fox, 1997-2002)

Battlestar Galactica (Sc-Fi, depuis 2003)

Ben Casey (ABC, 1961-1966)

Beverly Hills 90210 (Beverly Hills,Fox, 1990-2000)

Bewitched (Ma sorcière bien-aimée, ABC, 1964-1972)

Big Love (HBO, depuis 2006)

The Bionic Woman (Super Jaimie, ABC, 1976-1977, NBC, 1977-1978)

Bonanza (NBC, 1959-1973)

Boston Legal (Boston Justice, ABC, depuis 2004)

Buffy the Vampire Slayer (Buffy contre le Vampires, WB, 1997-2001, UPN, 2001-2003)

Charlie’s Angels (Drôles de Dames, ABC, 1976-1981)

Columbo (NBC, 1968-1978)

The Cosby Show (NBC, 1984-1992)

CSI (Les Experts, CBS, depuis 2000)

Dallas (CBS, 1978-1991)

The Defenders (CBS, 1961-1965)

Designing Women (CBS, 1986-1993)

Dr. Kildare (NBC, 1961-1966)

Dragnet (NBC, 1951-1959)

Dream On (HBO, 1990-1996)

E.R. (Urgences, NBC, depuis 1994)

Everybody Loves Raymond (Tout le monde aime Raymond, CBS, 1996-2005)

Friends (NBC, 1994-2004)

Get  smart  ! (Max la Menace, CBS, 1965-1969, NBC, 1969-1970)

Gossip Girl (CW, depuis 2007)

Gunsmoke (CBS, 1955-1975)

Happy Days (ABC, 1974-1984)

Heroes (NBC, depuis 2005)

Hill Street Blues (Capitaine Furillo, NBC, 1981-1988)

House, MD (Dr. House, Fox, depuis 2004)

How I met your mother (CBS, depuis 2005)

I Love Lucy (L’extravagante Lucy, CBS, 1951-1957)

I Spy (NBC, 1965-1968)

The Incredible Hulk (CBS, 1978-1982)

The Jeffersons (CBS, 1975-1985)

Kojak (CBS, 1973-1978)

The L Word (Showtime, depuis 2004)

L.A. Law (La loi de Los Angeles, NBC, 1986-1994)

Law & Order (NBC, depuis 1990)

The Lone Ranger (ABC, 1949-1957)

M*A*S*H (CBS, 1972-1983)

Magnum, P.I. (Magnum, CBS, 1980-1988)

The Man from U.N.C.L.E. (Agents très spéciaux, NBC, 1964-1968)

Mannix (CBS, 1967-1975)

Marcus Welby, MD (Docteur Welby, ABC, 1969-1976)

The Mary Tyler Moore Show (CBS, 1970-1977)

Married with Children (Mariés Deux Enfants, Fox, 1987-1997)

Maude (CBS, 1972-1978)

Maverick (ABC, 1957-1962)

Mission: Impossible (CBS, 1966-1973)

My So-Called Life (Angela, 15 ans, ABC, 1993-1994)

Nip/Tuck (FX, depuis 2003)

NYPD Blue (ABC, 1993-2005)

The Office (NBC, depuis 2005)

Oz (HBO, 1997-2003)

Quantum Leap (Code Quantum, NBC, 1989-1993)

Queer as Folk (Showtime, 2000-2005)

Rawhide (CBS, 1959-1966)

The Rockford Files (NBC, 1974-1980)

Roots (ABC, 1977)

Scrubs (NBC, depuis 2001)

Sex and the City (HBO, 1998-2004)

The Simpsons (Les Simpsons, Fox, depuis 1990)

The Sopranos (Les Sopranos, HBO, 1999-2007)

The Shield (FX, depuis 2002)

Six Feet Under (HBO, 2001-2005)

The Six Million Dollar Man (L’Homme qui valait Trois Milliards, ABC, 1974-1978)

Smallville (WB, 2001-2006, CW, depuis 2006)

South Park (Comedy Central, depuis 1997)

St. Elsewhere (NBC, 1982-1988)

Star Trek (NBC, 1966-1969)

Star Trek : Deep Space Nine (syndicated, 1993-1999)

Star Trek : Enterprise (UPN, 2001-2005)

Star Trek : The Next Generation (Star Trek : La Nouvelle Génération, syndicated, 1987-1994)

Star Trek : Voyager (UPN, 1995-2001)

The Twilight Zone (La Quatrième Dimension, CBS, 1959-1964)

Wanted Dead or Alive (Au nom de la Loi, CBS, 1958-1961)

Weeds (Showtime, depuis 2005)

The West Wing (A la Maison Blanche, NBC, 1999-2006)

The Wire (Sur Ecoute, HBO, 2003-2008)

Wonder Woman (CBS, 1976-1979)

Zorro (ABC, 1957-1959)

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Notes

1  Tous les temps de diffusion indiqués comprennent la durée des coupures publicitaires, car c’est en fonction d’elles que les fictions américaines sont calibrées. Sur les networks, les coupures publicitaires interviennent toutes les 7 à 12 minutes. Un épisode dit d’une demi-heure dure donc environ 20 minutes sans les coupures publicitaires, et un épisode d’une heure 40 à 45 minutes. Certaines chaînes câblées comme HBO ou Showtime ne proposent pas de coupures publicitaires, les épisodes des fictions qu’ils produisent sont donc plus longs et moins rythmés que ceux produits pour les networks.

2  Cf. Marjolaine Boutet, « Feuilletons télévisés », in Laurent Gervereau (dir), Dictionnaire mondial des images, Paris, Hors Collection, 2006.

3  En 1949, seuls 2 % des foyers américains en possèdent un poste de télévision, principalement sur la côte Est. Mais en 1956, ils sont déjà 70 %. Aujourd’hui, on compte environ 115 millions de foyers américain équipés.

4  Aujourd’hui, ABC fait partie du groupe Disney, CBS du groupe Carlyle et NBC de la General Electric.

5  Aujourd’hui, les séries télévisées restent un vivier de futures stars de cinéma (George Clooney, pour donner l’exemple récent le plus connu), mais elles permettent aussi à des acteurs de cinéma de venir y chercher un second souffle pour leur carrière (ex : Sarah Jessica Parker) ou bien d’y interpréter des rôles plus intéressants que ce que le cinéma peut leur proposer (ex : Glenn Close).

6  La série actuelle Mad Men (AMC, depuis 2007), située dans le milieu de la publicité à New York au début des années 1960, offre des exemples de ce lien étroit entre télévision et publicité qui se noue dès les années 1950 et se renforce par la suite.

7  En outre, elle était déjà, depuis 1952, un feuilleton radiophonique, ce qui en fait probablement - hors du domaine des soap-operas quotidiens - l’une des plus longues fictions qui soient...

8  Contrairement au sheriff, le marshall est un officier de police qui opera au niveau federal, et qui s’occupe notamment de retrouver les fugitifs.

9  Ce modèle économique deviendra pas la suite indissociable de la plupart des programmes destinés aux enfants et aux adolescents, qui deviennent dès les années 1960 une cible marketing privilégiée et très sensible à l’identification aux personnages de fiction qu’ils voient sur le petit écran (ex : la série pour enfants et jeunes adolescents Hannah Montana, également produite par Disney, a non seulement lancé la carrière de chanteuse et d’actrice de cinéma de la jeune Miley Cyrus, mais est également une manne financière en terme d’espaces publicitaires, de vente de disques, de poupées, de vêtements, d’accessoires, de DVD et de tickets de cinéma).

10 Star Trek : The Next Generation (1987-1994), Star Trek : Deep Space Nine (1993-1999), Star Trek : Voyager (1995-2001) et Star Trek : Enterprise (2001-2005)

11  A la fin des années 2000, les séries policières et médicales restent des genres très populaires aux Etats-Unis, mais les nouvelles créations mettent davantage l’accent sur les sciences humaines que sur les sciences « dures. »

12  American Idol, télé-crochet dont le concept est vendu dans le monde entier, est le programme télévisé le plus regardé aux Etats-Unis depuis 2005.

13  Mode de transmission de données audio et vidéo sur le net. Ces dernières sont transmises en flux continu dès que l'internaute sollicite le fichier plutôt qu'après le téléchargement complet de la vidéo et de l'extrait sonore. C’est en quelque sorte l’équivalent du fait de regarder une émission de télévision en direct, plutôt qu’un programme enregistré.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marjolaine Boutet, « Soixante ans d'histoire des séries télévisées américaines »Revue de recherche en civilisation américaine [En ligne], 2 | 2010, mis en ligne le 29 juin 2010, consulté le 27 octobre 2024. URL : http://journals.openedition.org/rrca/248

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