La galaxie Mulliez, ce groupe qui ne veut pas dire son nom | Les Echos
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Analyse

La galaxie Mulliez, ce groupe qui ne veut pas dire son nom

L'Association familiale Mulliez n'est pas un groupe au sens juridique du terme. C'est la position officielle des dirigeants d'Auchan, Pimkie, Boulanger, Leroy Merlin ou Décathlon. Pourtant, ce qui était au départ une philosophie propre à encourager la prise de risque - chaque enseigne est indépendante - s'est mué en stratégie visant à tirer parti de la complémentarité des marques. De quoi affronter la crise que traverse la distribution.

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(Pascal Garnier pour Les Echos)

Par Philippe Bertrand

Publié le 4 mai 2021 à 12:03Mis à jour le 5 mai 2021 à 09:08

Ce n'est pas un sujet. Pour Barthélémy Guislain, la question ne mérite pas d'être posée. Le président de l'Association familiale Mulliez, l'AFM, n'y répond donc pas. Pour les près de 500 parents de Gérard Mulliez, le fondateur d'Auchan, actionnaires d'une myriade d'enseignes de distribution, la « galaxie » n'est pas un groupe au sens propre et juridique du terme. Ce n'est qu'un holding qui gère des participations diverses.

La question est presqu'aussi vieille que la distribution moderne. Les syndicats des Auchan, Pimkie, Boulanger, Leroy Merlin ou Décathlon tentent depuis plusieurs années de faire reconnaître la structure de groupe par la justice. Ils exigent la possibilité de reclassement dans les milliers de magasins de la « galaxie » en cas de fermeture de tel ou tel autre point de vente.

« En finir avec le conte familial »

En 2012, par exemple, l'avocat Stéphane Ducrocq a entamé une action devant le tribunal de grande instance de Lille contre 25 sociétés liées à l'AFM pour faire reconnaître les constellations Mulliez comme une entité juridique. L'homme de loi recensait 18 holdings et sous-holdings en plus d'Auchan, d'Adeo, la maison mère de Leroy Merlin, de HTM, celle de Boulanger, Saint-Maclou et Happychic, pôle de mode masculine.

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Son argument frappait par sa simplicité : selon le Code du travail, « fait partie d'un groupe […] une société dont le capital est détenu à plus de 50 % par une autre », expliquait-il aux « Echos ». La justice ne lui donnera pas raison, pas plus que l'Autorité de la concurrence n'a jamais considéré la « galaxie » Mulliez comme un bloc économique.

L'actualité récente fait pencher la balance en faveur des tenants de la notion de groupe, comme le comptable Benoît Boussemart, qui a consacré dix ans de sa vie à décortiquer les arcanes des affaires Mulliez et a publié, entre autres, « Le groupe Mulliez 2006-2011, pour en finir avec le conte familial » aux éditions Estaimpuis.

A l'automne 2020, Alinea, la chaîne de meubles qui a déposé le bilan, a été reprise par ses anciens actionnaires au prix de la fermeture de 17 magasins sur 26 et de 1.000 licenciements. Le tribunal de commerce de Marseille apprécie que la « famille » Mulliez propose plus de 900 postes en CDI dans les autres magasins de sa « galaxie », dont 756 chez Auchan. Dans ce cas, l'AFM a agi comme un groupe qui reclasse dans ses autres branches les salariés d'une filiale en difficulté. Pourtant, depuis deux ans, Alinea ne faisait officiellement plus partie du groupe Auchan.

Soutien quasi systématique

Que s'est-il passé ? Selon nos informations, lors de la cession de l'enseigne à Alexis Mulliez, Alinea est resté en réalité la propriété d'un holding de tête d'Auchan, sans même que les cadres d'Auchan le sachent !

Toujours fin 2020, le tribunal de commerce de Lille accorde la reprise de Phildar, l'enseigne mère de l'Association familiale Mulliez, à ses dirigeants. Quelque 120 salariés sont licenciés. Là aussi, aides et reclassements au sein d'autres enseignes de l'AFM seront proposés.

Lorsqu'en 2018, Happychic, le spécialiste de la mode masculine (Brice, Jules) avait lancé un premier plan social, la direction avait argué que l'AFM n'était pas un groupe. Mais elle avait accepté de solliciter l'aide des autres enseignes. En deux ans, l'AFM est passé du soutien exceptionnel au soutien quasi systématique.

La distribution tangue dans la tempête de l'e-commerce. La philosophie des Mulliez change. Gérard Mulliez considérait l'AFM comme un incubateur : un membre de la famille créait une activité avec ses fonds propres, la famille lui apportait son soutien financier et se gardait de toute intervention dans la gestion. Chaque affaire conservait son indépendance par la volonté du fondateur de l'AFM d'encourager la prise de risque. La crise a changé la donne. Les étoiles Mulliez travaillent désormais ensemble.

« Family office »

En 2019, Auchan, Boulanger et Kiabi montent le projet Valiuz, qui met en commun leurs porteurs de cartes de fidélité. L'alliance touche 29 millions de foyers. L'AFM chasse en meute sur le nouveau territoire de la gestion des données.

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Quand, un an plus tard, les 14 marques de la « galaxie » Mulliez, y compris Décathlon, publient ensemble dans la presse une publicité qui vante leurs actions en matière de responsabilité sociale et environnementale, avec une vingtaine de chantiers transversaux, le travail en commun devient public.

L'AFM fonctionne comme un grand « family office » et effectue des arbitrages d'actifs qui ne sont pas différents de ceux d'un « vrai » groupe. Quand les hypermarchés Auchan sont en difficulté, la famille renonce à ses dividendes. Dans le même temps, la maison mère de Leroy Merlin cède 500 millions de murs de magasins et d'entrepôts. « Cette opération n'a pas de lien avec la politique de rémunération des actionnaires », indique la direction aux « Echos ». Pourtant, plusieurs sources dans le Nord estiment que cet apport de cash compensait la baisse des dividendes versés par Auchan.

Quoi qu'il en soit, les dirigeants de l'Association familiale Mulliez jouent avec ses actifs comme avec des pions sur un échiquier. L'heure est à la réduction des grands hypermarchés ? Des corners Décathlon et Boulanger viennent boucher les espaces vides chez Auchan. Les crises usent les dirigeants ? L'AFM fait son mercato en interne.

Edgard Bonte, qui a redressé Kiabi, vient au secours d'Auchan. L'expérimenté Francis Cordelette a été directeur général des hypers Auchan en France, il est passé à la présidence de Boulanger et revient aujourd'hui chez Auchan. Yves Claude, qui a assumé la direction générale de Décathlon, prend la présidence d'Auchan Espagne et Portugal.

Dans la galaxie Mulliez, membres de la famille et dirigeants sautent d'une étoile à l'autre. Ils forment, avec leurs salariés, un ensemble de personnes ayant quelque chose en commun. La définition même que donne Le Robert à « groupe ».

Philippe Bertrand

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