Anne-Aymone Giscard d’Estaing : «Je devais être une intermédiaire entre le président et les Français»
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Anne-Aymone Giscard d’Estaing : «Je devais être une intermédiaire entre le président et les Français»

Anne-Aymone Giscard d’Estaing dans la cour de son hôtel particulier, rue Benouville (Paris XVIe ). Elle l’a toujours préféré à l’Élysée. Le 22 juin.
Anne-Aymone Giscard d’Estaing dans la cour de son hôtel particulier, rue Benouville (Paris XVIe ). Elle l’a toujours préféré à l’Élysée. Le 22 juin. © DOMINIQUE JACOVIDES / BESTIMAGE
Interview Cyril Viguier , Mis à jour le

Toute sa vie, elle a cherché à préserver son jardin secret. Pourtant, à l’occasion d’un grand entretien accordé à Cyril Viguier, diffusé le 9 juillet à 22 heures sur TV5 Monde dans «Territoires de France», la discrète de la République se raconte sans détour pour Paris Match. Sa vie proche du pouvoir, sa fondation pour les enfants maltraités, son regard sur les couples présidentiels, les droits des femmes ou l’écologie.

Paris Match. Les Français vous ont connue toujours extrêmement discrète. Pourtant vous avez été une femme très dynamique. Et vous l’êtes encore aujourd’hui. Vous habitez entre la rue Benouville, à Paris, où vous nous recevez, et Authon, le domaine familial…
Anne-Aymone Giscard d’Estaing . Oui, je vis au minimum trois jours par semaine à Authon. Mon enracinement y est très fort car c’est la propriété de mon enfance. Mon mari et notre fille Jacinte y sont enterrés. Ce qui fait une grande partie du charme de cet endroit, ce sont les arbres, les chênes, les châtaigniers, mais aussi des essences plus exotiques comme les cèdres que nous avons plantés. Je suis encore exploitante agricole et forestière et cela demande pas mal de travail administratif.

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Dans sa bibliothèque, un échange avec Cyril Viguier… à livre ouvert.
Dans sa bibliothèque, un échange avec Cyril Viguier… à livre ouvert. © Dominique Jacovides

Vous connaissez donc les difficultés des agriculteurs ?
Un petit peu. Je comprends leurs problèmes. Ils sont confrontés aujourd’hui à toutes sortes d’aléas, notamment climatiques, aux intempéries, aux sécheresses : on n’est jamais certain que tout le travail accompli va aboutir à quelque chose. Et puis on n’est absolument pas maître des prix auxquels on va vendre nos productions. Il se trouve que ces derniers mois, pour la première fois depuis très longtemps, les prix des produits agricoles ont énormément monté. Cela a des répercussions sur le coût de la vie. Pour les agriculteurs, c’est une nouvelle année particulièrement difficile qui s’annonce.

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Le secret de votre extraordinaire forme physique c’est d’être toujours active ?
Je pense que c’est en grande partie grâce au jardinage. J’entretiens, je désherbe… C’est un exercice pas très dur physiquement mais qui mobilise l’ensemble du corps et qui vide la tête. Quand on taille ses rosiers, on ne pense à rien d’autre.

Vous aimez beaucoup les fleurs. Vous avez contribué à l’embellissement de l’Élysée, notamment des extérieurs.
Oui, nous avons fait planter de nombreux massifs et installer des orangers, qui y sont toujours. J’ai passé la plus grande partie de mon enfance à la campagne. J’ai appris, dès mon plus jeune âge, à reconnaître les arbres, le nom des plantes… J’ai toujours aimé la nature.

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Le palais de l’Élysée a beau avoir un grand parc et de magnifiques arbres, en 1974 vous décidez, avec votre mari, de rester rue Benouville…
Tous les présidents de la IIIe et de la IVe République étaient âgés, sans jeunes enfants. C’était le cas aussi du général de Gaulle et de Georges Pompidou. Il n’y avait pas d’appartement conçu pour une famille nombreuse. Nous avions quatre adolescents qui n’avaient aucune envie de vivre dans un lieu officiel, de passer devant les gardes républicains à chacune de leurs allées et venues. De plus, ils n’auraient pas pu inviter leurs amis.

La sécurité n’était pas un problème ?
Pas du tout. Je n’ai personnellement jamais eu de garde du corps. J’allais faire mes courses, me promener… Les habitants du quartier avaient l’habitude de me voir puisque j’habitais là depuis toujours. Je prenais ma voiture personnelle pour partir à la campagne…

Le 4 avril 1981, au retour d’un meeting à Strasbourg, lors de la campagne présidentielle.
Le 4 avril 1981, au retour d’un meeting à Strasbourg, lors de la campagne présidentielle. © Jean-Claude DEUTSCH / Paris Match

Vous ne résidiez pas à l’Élysée, mais vous y aviez des activités ?
Lorsque j’y suis arrivée, j’ai dit que je voulais avoir un bureau. Cela a semé la panique parce que ce n’était pas prévu : aucune première dame n’en avait jamais eu. Il a fallu remanier une partie des locaux.

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Nous étions une famille unie

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Vous étiez discrète mais décidée…
Oui, cette décision a été la mienne, aucunement celle du président. Et si je suis restée effacée à côté de mon mari, c’est qu’avec sa personnalité il était difficile de lutter pour la lumière !

Cela ne vous a pas empêchée de mener de nombreuses initiatives personnelles. Les Français ne savent pas que vous avez été une première dame des territoires…
Oui, je pensais que je devais être une intermédiaire entre le président et les Français. J’ai donc décidé d’effectuer, presque chaque mois, un voyage dans un département différent. Je passais deux ou trois jours immergée dans la vie locale. Je faisais des visites de monuments et de musées, des rencontres d’artistes, mais je m’intéressais aussi à la vie économique : j’ai visité de nombreuses usines, je suis même descendue dans une mine… Et puis j’étais particulièrement sensible à l’action sociale : je suis beaucoup allée dans des maisons de retraite ou encore dans des maisons pour enfants.

En 1977, vous créez d’ailleurs la Fondation pour l’enfance, que vous avez dirigée pendant trente-cinq ans.
Il n’existait pas grand-chose en matière de protection sociale pour les enfants victimes de violence. On a créé des lieux aménagés pour accueillir leurs témoignages, le numéro vert 119-Allô enfance en danger, des unités médico-judiciaires dans les hôpitaux, des campagnes d’information… Mais aussi des groupes de travail avec des médecins, des juges, des avocats, des policiers, pour essayer de comprendre les raisons du passage à l’acte des agresseurs afin d’agir en amont. C’était, à l’époque, très nouveau.

Ces dernières années, surtout avec #MeToo, on parle beaucoup des violences faites aux femmes. Qu’en pensez-vous ?
La prise de conscience a été longue, car cela fait très longtemps que tous ces faits concernant les femmes sont connus. Il faudrait en faire encore probablement davantage.

La société a beaucoup changé. Désormais, les hommes sont très impliqués dans les problématiques domestiques. Votre mari l’était-il ?
Pas énormément ! Les hommes de sa génération ne faisaient guère de tâches ménagères. Quand j’observe la façon dont mon petit-fils s’occupe de son garçon de 16 mois… c’est très différent ! Quand nos enfants étaient petits, mon mari les voyait quelques instants par jour. Mais l’idée qu’il aurait pu leur donner le biberon, alors là… ! Je pense que c’est bien que les hommes maintenant s’occupent des enfants.

Valéry et AnneAymone Giscard d’Estaing au château de l’Étoile, à Authon (Loir-et-Cher),
Valéry et AnneAymone Giscard d’Estaing au château de l’Étoile, à Authon (Loir-et-Cher), © Jean-Claude SAUER/PARIS MATCH

Et qu’une femme puisse devenir présidente… ?
Je le souhaite, et mon mari aussi le souhaitait beaucoup.

De toutes les premières dames qui vous ont succédé, avec laquelle étiez-vous le plus en accord ?
Probablement Bernadette Chirac. Je l’avais connue quand Jacques Chirac était Premier ministre. Mais avec l’antagonisme entre son mari et le mien, nous n’avons pas pu vraiment maintenir de lien. Je n’ai jamais eu de contact avec Danielle Mitterrand. Nous n’avions pas beaucoup de points communs.

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Le président Mitterrand a voulu tout changer. Le président Chirac, lui, souhaitait qu’on ne fasse aucune comparaison. 

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Et avec Brigitte Macron ?
Au moment de l’élection de son mari, elle m’a appelée pour me demander si je pouvais lui donner quelques conseils. C’est très difficile, chacun a sa personnalité et vit les choses à sa façon. Je ne sais plus ce que je lui ai dit, mais ce devait être assez général. En tout cas, il me semble qu’elle exerce bien sa fonction. J’ai l’impression que la pandémie a considérablement réduit ses activités.

Pour de nombreux Français, les années 1970 sont synonymes d’années heureuses. Au début du septennat, on a beaucoup dit du président Giscard d’Estaing qu’il avait le goût du bonheur.
Nous étions une famille unie. Je pense que sa jeunesse a redonné du dynamisme aux Français. Il y avait un sentiment de renouvellement. Je rencontre encore souvent des gens qui me disent : “En 1974, j’ai fait la campagne, on était tellement enthousiastes !”

Dans ses Mémoires, votre mari raconte avoir été hué, à son départ de l’Élysée, par des partisans du nouveau président. Pour vous aussi cette expérience a été douloureuse ?
Très douloureuse. Parce que nous nous sommes sentis pratiquement exilés dans notre propre pays. On a voulu complètement occulter ce qu’avait fait mon mari. Il y a eu des mesures parfaitement choquantes. Par exemple, lorsque nous étions invités dans des pays étrangers ou par des chefs d’État, les ambassades de France avaient instruction de ne pas nous recevoir.

Aujourd’hui encore, vous pensez que le septennat de votre mari n’a pas été assez mis en valeur au regard de l’Histoire ?
Le président Mitterrand a voulu tout changer. Le président Chirac, lui, souhaitait qu’on ne fasse aucune comparaison. Les successeurs de mon mari n’ont rien fait ne serait-ce que pour laisser l’Histoire juger de son septennat. Ce matin, je lisais un éditorial où étaient cités les présidents Pompidou, Mitterrand, Chirac, Sarkozy. Mais pas mon mari. À l’époque, il en a été très affecté. C’est sans doute pour mieux faire connaître la période de son septennat que, en 2011, il crée la Fondation Valéry Giscard d’Estaing, aujourd’hui présidé par notre fils Louis.

De toutes les actions de sa présidence, laquelle est la plus importante à vos yeux ?
Ce qu’il a fait dans le domaine de l’art et de la culture est immense. Il a notamment créé le musée d’Orsay et l’Institut du monde arabe. Mais ce qui me tient le plus à cœur, c’est tout ce qu’il a entrepris pour améliorer la condition féminine.

En décembre dernier, à l’occasion du premier anniversaire de la mort de Valéry Giscard d’Estaing, le président Macron l’a honoré en disant notamment qu’il “a rendu l’Union européenne plus solide et plus solidaire”…
Oui, c’était un discours au Parlement européen très centré sur l’engagement pour l’Europe de mon mari, une implication qui n’a jamais faibli.

Considérez-vous Emmanuel Macron comme un héritier de Valéry Giscard d’Estaing ?
Le mot héritier ne convient pas exactement. Mais beaucoup des idées du président Macron rejoignent celles de mon mari, et ça, sans l’ombre d’un doute. 

Retrouvez Anne-Aymone Giscard d’Estaing dans « Territoires de France », le 9 juillet à 22 heures sur TV5 Monde.

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