« Aucun rapport avec Jean Seberg. Les fervents du cœur brisé sont priés de s’adresser ailleurs. » Ces quelques mots sont les derniers laissés par Romain Gary, au moment de son suicide. Un an après celui de l’actrice américaine, qui partagea sa vie pendant une dizaine d’années. Dans les années 60, l’icône de la Nouvelle Vague et l’écrivain primé vivent une histoire passionnelle au dénouement tragique.

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Tout commence en 1959, lors d’une soirée organisée entre les murs du Consulat de France, à Los Angeles. Romain Gary a 45 ans, et est déjà un auteur reconnu, lauréat du prix Goncourt pour « Les Racines du ciel ». Jean Seberg, elle, est une jeune comédienne de 21 ans dont la notoriété dépasse les frontières depuis son rôle de Jeanne d’Arc dans le film d’Otto Preminger, « Sainte Jeanne » (1957), et celui de Cécile dans l’adaptation du roman de Françoise Sagan, « Bonjour tristesse ».

Entre Romain Gary et Jean Seberg, c’est le coup de foudre

Au moment de leur rencontre, ni l’un ni l’autre ne sont disponibles. Jean Seberg est fraîchement mariée au réalisateur et producteur français François Moreuil. Quant à Romain Gary, il épouse Lesley Blanch en avril 1945. Mais l’amour a ses raisons que la raison ignore… Le coup de foudre est tel qu’en dépit de leur situation maritale et de leur différence d’âge – scandaleuse pour l’époque –, ils entament une liaison et divorcent de leur moitié respective. « J’adore Jean, comprenez-le bien, mais j’ai 90 ans. J’ai beaucoup vécu et c’est cuit, écrit Romain Gary dans une lettre adressée à son amie Sylvia Agid. J’espère rester avec elle le temps de quelques sourires. »

Désireux de vivre leur idylle sans perdre de temps, le couple fait d’un appartement, situé au 108 rue du Bac, son cocon. C’est à cette même période que sort le film de Jean-Luc Godard, « À bout de souffle », avec Jean-Paul Belmondo. Jean Seberg se hisse alors au rang d’icône de la Nouvelle Vague et continue d’attirer tous les regards.

Mais en 1962, Jean est enceinte. Et elle refuse de donner naissance à un enfant hors-mariage. Les deux tourtereaux décident donc de s’exiler quelque temps en Espagne où leur fils, Alexandre Diego, naît en toute discrétion, le 17 juillet 1962. Les jeunes parents s’unissent l’année suivante dans un petit village en Corse. Un mariage célébré dans le plus grand secret, en octobre 1963. Une dizaine de jours plus tard, ils annoncent officiellement la naissance de leur enfant.

Tromperies, alcool et pensées suicidaires

Si Jean Seberg et Romain Gary semblent tout avoir pour être heureux, la réalité est plus sombre. Leurs démons s’en mêlent : entre consommation excessive d’alcool, pensées suicidaires et tromperies. De quoi fragiliser leur histoire.

En 1964, l’écrivain publie une nouvelle baptisée « Les Oiseaux vont mourir au Pérou », et décide de l’adapter lui-même au cinéma. Il choisit son épouse pour camper le rôle de la femme infidèle. Lorsque le film sort sur grand écran en 1968, les critiques sont unanimes, le film n’est pas bon.

Après cet échec, Jean Seberg s’envole pour les États-Unis et y passe le plus clair de son temps. Là-bas, elle tourne « Kermesse de l’Ouest », un western avec Clint Eastwood. En plus de partager l’affiche, les deux acteurs partagent brièvement le même lit. Fou de rage, Romain Gary aurait pris le premier avion afin de provoquer son rival en duel.

La descente aux enfers de Jean Seberg

Le couple bat alors de l’aile et ils finissent par divorcer en 1970. Cette nouvelle décennie signe le début d’une longue descente aux enfers pour Jean Seberg. À cette époque, elle est enceinte de son deuxième enfant et s’amourache de Hakim Abdullah Jamal, cousin de Malcom X. Une liaison que Romain Gary évoque dans son livre « Chien Blanc » (1969). Proche du mouvement des Black Panthers – qu’elle soutient aussi bien idéologiquement que financièrement – sa relation attire l’attention du FBI qui mène une vaste campagne de diffamation. Le « Los Angeles Times », sous la houlette du bureau fédéral, révèle que le père de cet enfant est un militant des Black Panthers – alors qu’il s’agit en réalité d’un autre de ses amants, Carlos Navarra. Déjà fragile psychologiquement, Jean Seberg vacille. Après avoir accouché d’une petite fille morte-née – que Romain Gary reconnaîtra –, elle sombre dans une profonde dépression.

« Romain mon amour, quand tu as réalisé ce film, c’était en partie dans le but de me sauver la vie »

Malgré leur rupture, les ex-amants restent dans la vie l’un de l’autre. Ainsi, lorsque la jeune femme dépérit après sa fausse couche, Romain Gary tente de lui redonner goût à la vie en lui proposant un rôle dans son nouveau film, « Kill ». Rebelotte. Les critiques assassinent le long-métrage. Dans une lettre adressée à l’écrivain en janvier 1972, l’actrice écrit : « Romain mon amour, quand tu as réalisé ce film, c’était en partie dans le but de me sauver la vie. Personne ne pensait que je serais même capable de travailler à nouveau. C’était un acte d’amour ».

Mais le 30 août 1979, la comédienne est portée disparue. Nul ne sait où elle est, jusqu’à ce qu’elle soit retrouvée par la police, le 8 septembre. Son corps, inanimé, est enveloppé dans une couverture à l’arrière de sa voiture, stationnée près de son appartement du 16e arrondissement. Les forces de l’ordre retrouvent à ses côtés un mot adressé à son fils : « Pardonne-moi, je ne peux plus vivre. Sois fort. » Plus tard, l’autopsie révèle la présence d’une forte dose d’alcool et de médicament. Jean Seberg se serait suicidée. Dévasté et en colère, Romain Gary convoque la presse pour jeter une lumière crue sur la responsabilité du FBI dans la mort de son ex-femme, pour qui il nourrit toujours une profonde tendresse.

Le 2 décembre 1980, Roman Gary se suicide à son tour en se tirant une balle dans la bouche. Près de lui, une note, sur laquelle est écrit : « Jour J. Aucun rapport avec Jean Seberg. Les fervents du cœur brisé sont priés de s’adresser ailleurs. »