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4 avril 1944 : quand le Parti communiste français entre au gouvernement

Le 4 avril 1944, après de longs mois de négociations, deux ministres communistes sont nommés au Comité français de libération nationale. Pour la première fois de son histoire, le Parti communiste français devient un parti de gouvernement… sous de Gaulle !

Publié le 12 avril 2024 Mis à jour le 12 avril 2024 à 10:42

Mercredi 5 avril 1944. Sur les ondes de la BBC, Radio Londres traverse la Manche. Lucie Aubrac, la voix teintée d’émotion, s’adresse à la France combattante : « Je pense aux camarades communistes qui vivent dans les prisons allemandes à côté des camarades de la Résistance, qui se taisent à côté d’eux sous la torture, qui meurent à côté d’eux en chantant “la Marseillaise”. » La veille, à Alger, pour la première fois de son histoire, le PCF est entré au gouvernement.

Plus précisément, le Parti communiste a accepté la proposition du général de Gaulle de faire partie du Comité français de libération nationale (CFLN), fondé un an plus tôt. François Billoux est nommé commissaire d’État, et Fernand Grenier commissaire à l’Air. Pour Lucie Aubrac, après quatre ans de lutte clandestine, ces nominations ne sont ni plus ni moins que « la consécration du coude-à-coude dans la lutte pour la liberté de la France ».

Le PCF dans la « drôle de guerre »

Lorsqu’il prend ses fonctions à Alger, le 4 avril 1944, Fernand Grenier n’est pas un inconnu pour le général de Gaulle. Les deux hommes se sont déjà rencontrés à Londres, en 1943. Grenier est né le 9 juillet 1901 à Tourcoing. Son père, domestique et militant socialiste, est décédé dans une prison allemande en 1917. Plusieurs fois licencié car syndiqué, Grenier adhère à la Section française de l’internationale communiste (SFIC) en 1922 : « J’avais sans m’en rendre compte découvert le chemin de la vie : la joie de servir le peuple auquel on appartient », écrira-t-il plus tard dans ses mémoires1. Président des Amis de l’URSS, il est appelé à Paris dans les années 1930. Grenier est élu conseiller municipal à Saint-Denis, puis député en 1937. Au Parlement, il siège dans une commission particulièrement complexe : celle des Affaires étrangères.

En août 1939, Hitler lorgne la Pologne et Staline déclare la guerre… à « la guerre impérialiste ». La signature du pacte germano-soviétique, préparé dans le plus grand secret à Moscou, ébranle le PCF. Pourtant, le mois suivant, dès l’invasion allemande de la Pologne, les députés communistes français votent les crédits de guerre, et les militants répondent à l’ordre de mobilisation générale. Grenier en sera.

Déchu de ses deux mandats par le gouvernement Daladier début 1940, démobilisé après l’armistice, il rentre à Saint-Denis au mois d’août. Malgré l’interdiction officielle du PCF, il remet en marche les organisations communistes de la ville, à ciel ouvert, en pleine occupation nazie. Rien n’y fait : le Parti communiste français – le plus puissant d’Europe occidentale – disparaît peu à peu de la scène politique.

Dans les mois qui suivent la remise des pleins pouvoirs au maréchal Pétain, l’État français poursuit la chasse aux communistes entamée sous la IIIe République. Grenier est arrêté le 5 octobre 1940, interné dans un camp en Seine-et-Oise, puis transféré dans la Loire. Il s’évade le 19 juin 1941 et reprend immédiatement contact avec le parti, passé à la clandestinité. Trois jours après son évasion, Hitler rompt son alliance avec Staline et attaque l’URSS : le PCF entre officiellement dans la guerre.

« Le compromis gaullo-communiste »

Grenier est chargé de poursuivre les contacts engagés par le parti avec la France libre. Sa mission ? Faire comprendre aux gaullistes la nécessité de coordonner l’action des différents groupes résistants en France occupée. Il gagne Londres en janvier 1943 en compagnie du colonel Rémy qui, malgré son propre anticommunisme, favorise le ralliement des communistes métropolitains à la France libre. Bien des années plus tard, ledit colonel écrira : « Le PCF a longtemps représenté sous l’occupation ennemie la seule organisation cohérente, disposant d’un excellent appareil mis en place de longue date, d’une stricte discipline chez tous ses membres et, par-dessus tout, d’une foi profonde chez ceux-ci. » 2

Face à cet état de fait, Rémy comme de Gaulle savent que la France libre ne pourra pas se passer du parti pour préparer la Libération. « Le général avait besoin des communistes pour imposer son hégémonie sur la Résistance métropolitaine », souligne Léo Rosell, agrégé d’histoire3. Pour les communistes aussi, « quatre ans de clandestinité ont levé les barrières idéologiques antérieures », ajoute l’historien. En 1936, le PCF avait opté pour une représentation au « ministère des masses » plutôt que d’intégrer le Front populaire – mais huit ans plus tard, il n’a pas d’autre choix que de s’imposer comme parti de rassemblement… et de gouvernement.

En intégrant le CFLN, le parti s’assure que la France libérée reconnaîtra sa contribution et ses sacrifices, et espère effacer les tristes séquelles du pacte germano-soviétique. « C’est du pur pragmatisme, conclut Léo Rosell. Le PCF a besoin de De Gaulle pour se réintégrer dans la communauté nationale, et de Gaulle a besoin du PCF pour s’y intégrer et affirmer sa légitimité face aux Alliés. »

Dans le cadre de ce « compromis gaullo-communiste », de Gaulle propose à Grenier un poste de commissaire du CFLN, en août puis en septembre 1943. « J’étais le tout premier communiste qu’il avait vu ! », s’amusera ce dernier quarante ans plus tard face à cette insistance du général. « Les choses étant ce qu’elles sont, j’entends employer au salut public tout ce qui en est capable », écrira quant à lui de Gaulle dans ses « Mémoires de guerre ».

Refusant de s’engager personnellement, Grenier en réfère à Jacques Duclos, responsable clandestin du parti en France occupée. Depuis sa cachette en banlieue parisienne, Duclos tranche : les communistes accepteront de participer au CFLN à condition que les commissaires soient choisis par les communistes eux-mêmes, parmi les ex-détenus de la prison algéroise de Maison-Carrée. Ce qui exclurait Fernand Grenier.

« Algérie rouge »

François Billoux, lui, a été libéré de ladite prison en février 1943. Ce fils d’une famille paysanne naît en 1903 dans la Loire. Élevé dans un « esprit de révolte de petit paysan constamment humilié, d’antimilitarisme et [de] soif sentimentale de justice »4, il adhère aux Jeunesses socialistes dès 1917. Neuf ans plus tard, il est élu au Comité central du PCF. Poursuivi pour ses activités antimilitaristes, Billoux entre dans la clandestinité dès 1929. Il vivra caché pendant trois longues années. Député à Marseille à partir de 1934, il prendra ensuite le chemin de l’Espagne dans les Brigades internationales.

Arrêté dès octobre 1939, déchu de son mandat, il est condamné à cinq ans de prison. Après l’armistice, le régime de Vichy le transfère à la centrale de Maison-Carrée à Alger, où sont emprisonnés 27 autres parlementaires communistes. Il ne sera libéré que début 1943. Lorsqu’une Assemblée consultative provisoire est constituée à Alger le 3 novembre, Billoux est tout désigné pour y siéger, avec cinq autres députés communistes… dont Fernand Grenier.

Deux semaines plus tard, Billoux prend la parole devant 10 000 militants à Alger, et réclame la représentation du PCF au gouvernement du CFLN. Dans une lettre adressée aux députés communistes, de Gaulle acquiesce, et se dit « extrêmement désireux de pouvoir achever une telle union dans le gouvernement lui-même grâce à la présence et à l’action de deux représentants communistes »… que le général désigne d’emblée. « C’est mon affaire de tenir les rênes », justifiera-t-il plus tard dans ses « Mémoires ».

Cela n’empêchera pas le quotidien collaborationniste de Jacques Doriot « le Cri du peuple », à Paris, de titrer sur l’« Algérie rouge » et de qualifier Billoux de « secrétaire général des staliniens en Afrique du Nord ». La IIIe République renaît de ses cendres à Alger et, avec elle, les querelles politiques d’avant-guerre.

« La Rose et le Réséda »

Dix jours plus tard, François Billoux et André Marty (un des six députés communistes) donnent une conférence de presse. Dans le quotidien « France », publié à Londres, on lit qu’ils accusent de Gaulle de ne pas comprendre les « coutumes démocratiques » de la France en voulant nommer lui-même leurs deux représentants. Les accusations relatées se font menaçantes : « Si les choses en restent là où elles sont actuellement, souligne Marty, je ne sais quels seront les rapports entre de Gaulle et le peuple. »

Les députés accusent aussi le CFLN de ne pas suffisamment insister sur la nécessité d’envoyer plus d’armes aux patriotes français et cela, expliquent-ils, « parce que l’on craint le peuple ». Et Billoux de conclure : « L’armée française devrait être unifiée sous un seul drapeau et non pas sous la croix de Lorraine. »

Suite à ces fortes tensions, et après de longs mois de négociations, un compromis est enfin trouvé. Le 4 avril 1944, deux commissaires communistes sont nommés par le Comité central. Billoux sera commissaire d’État, et Grenier commissaire à l’Air. Fervents défenseurs du programme du Conseil national de la Résistance, adopté le 15 mars 1944, les communistes entrent au gouvernement.

Cette décision politique inscrit le CFLN dans une logique d’unité nationale, sur laquelle de Gaulle compte plus que jamais à deux mois du débarquement. « C’étaient les années de « la Rose et le Réséda » ! », résume Léo Rosell, en référence au poème de Louis Aragon, appel à l’unité dans la Résistance par-delà les clivages politiques et religieux. Le 21 avril 1944 – deux semaines après sa nomination –, Grenier va encore plus loin. C’est lui qui dépose l’amendement qui donnera le droit de vote et d’éligibilité aux femmes françaises.

L’influence du PCF ne cesse de croître après la guerre

Peu de temps après le débarquement, cependant, un grave différend oppose le commissaire communiste au président du gouvernement provisoire de la République française. Grenier accuse de Gaulle d’avoir abandonné le maquis du Vercors en rendant impossible l’intervention de l’unité aérienne qu’il a lui-même mise sur pied à cet effet. Lors d’une conférence de presse, il rend le général responsable de la violente répression subie par ce maquis. Le mandat de Grenier prend fin, et Charles Tillon le remplace à l’Air.

Dans l’immédiat après-guerre, l’influence du PCF ne cesse de croître. Dès octobre 1944, le « parti des fusillés » ancre sa légitimité dans son action résistante – un travail de mémoire qui lui vaut de nombreux succès électoraux entre 1945 et 1947. Premier parti de France aux élections législatives d’octobre 1945, le PCF obtient cinq postes ministériels dans le nouveau gouvernement provisoire (Maurice Thorez, Ambroise Croizat, François Billoux, Marcel Paul et Charles Tillon). Après la démission du général, la présence des communistes ne fait que s’affirmer, et semble partie pour s’inscrire dans le temps long. En novembre 1946, le PCF obtient même le plus grand succès électoral de son histoire, avec 28,3 % des suffrages.

La guerre froide marque la fin des années de « la Rose et le Réséda ». Les tensions au sein de la IVe République se multiplient et, le 4 mai 1947, les communistes sont évincés du gouvernement. « Quatre-vingts ans plus tard, souligne Léo Rosell, cette première expérience gouvernementale permet au PCF de légitimer sa place dans l’histoire politique française, de rappeler son héritage en termes de conquêtes sociales, et de s’affirmer comme un parti historique de gouvernement. »

  1. Voir « Ce bonheur-là » de Fernand Grenier, Éditions sociales, 1974. ↩︎
  2. Voir « le Livre du courage et de la peur » de Rémy, Éditions Raoul Solar, 1947 (Préface de Joseph Kessel). ↩︎
  3. Doctorant, il consacre sa thèse au député communiste Ambroise Croizat, qui sera lui aussi ministre sous de Gaulle. ↩︎
  4. Voir le long article autobiographique publié par François Billoux dans « l’Humanité » du 21 avril 1956. ↩︎

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