Les voisins, même névrose et délires langagiers 40 ans plus tard

Parmi ces célèbres névrosés qui tentent de combler le vide à tout prix par une parole imprécise, il y a Georges campé dans cette nouvelle production par Jean-Michel Anctil.

Comme Eugène Ionesco avec La Cantatrice chauve, Claude Meunier et Louis Saia ont utilisé en 1980 un déchaînement et des délires langagiers provoquant des dialogues vides de sens. Avec tous ces mots qui cessent de signifier, les personnages en perte d’identité de la pièce-culte du théâtre québécois, Les voisins, errent sans but précis dans la banlieue terne.


À travers leurs passions pour les haies et la mayonnaise, Les voisins ont toujours cette immense volonté de communiquer tout en étant habités par un vide communicationnel, quatre décennies plus tard.

Parmi ces célèbres névrosés qui tentent de combler le vide à tout prix par une parole imprécise, il y a Georges campé dans cette nouvelle production par Jean-Michel Anctil. Ce dernier décrit son personnage comme un amoureux de la vie qui ne veut pas entendre parler de quelconque problème. Surtout pas de la dépression de sa femme, Laurette (Brigitte Lafleur).

«Je pense que c’est un bon voisin à avoir, mais il est un peu téteux», croit son interprète.

«On a hâte d’entendre les rires»

La troupe de comédiens de cette version qui devait célébrer le 40e anniversaire de la mythique pièce en 2020 est remontée sur scène au début du mois de juillet, un peu plus de deux ans après avoir rempli les salles de théâtre et avant que tout s’arrête subitement.

Quand un malaise s’installe par un trop long silence, Georges, lui, veut le meubler.

«On a répété beaucoup pour se remettre les mots en tête et en bouche, dit Jean-Michel Anctil. On a hâte d’entendre les rires et de retrouver le public. Ça fait longtemps que les gens attendent.»

Les voisins, c’est des dialogues de maladresses et de malaises où les possibilités de communication cohérente sont fréquemment détruites. Avec ses répliques phares, mais qui ne signifient rien, il est facile de tomber dans l’exagération, souligne Jean-Michel Anctil. Grâce au travail «rigoureux» du metteur en scène André Robitaille, le comédien a réussi à trouver ses couleurs auprès de ce Georges qui vit dans le déni.

«Il y a des affaires parfois que j’allais trop caricatural et André me ramenait. On n’a pas besoin de pousser le gag, si on s’en tient au texte, ça va faire la job. […] Je l’en remercie de m’avoir fait prendre conscience de ça.»

Toujours d’actualité

Dans une esthétique qui s’installe dans les années 1980, les costumes, les perruques et les décors déclenchent d’emblée quelques rires. Le texte, véritable miroir du consumérisme d’une époque pas si lointaine et toujours d’actualité, agit par lui-même, poursuit Jean-Michel Anctil.

Et quand un malaise s’installe par un trop long silence, Georges, lui, veut le meubler. Dans la scène, «le party plate», où tous les personnages sont assis sur le divan, il le brise en parlant d’un banal cendrier.

Georges est un amoureux de la vie qui ne veut pas entendre parler des problèmes des autres, surtout pas de la dépression de sa femme Laurette (Brigitte Lafleur).

«Un moment donné Georges fait: “c’est pas neuf ce cendrier-là”. “Non, on l’a toujours eu”. Et là, je me lève, je vais montrer le cendrier et je dis: “Laurette, l’as-tu vu le cendrier?” Elle fait: “Oué, oué”. Et je retourne m’asseoir. Ce petit moment-là, ça me fait rire, ça marche ce bout-là. On a tous nos petits moments coups de cœur.»

Cette critique des banlieusards des années 1980 convainc à tous les coups de son actualité. Devant l’absence d’intérêt pour les autres, la misogynie et l’ignorance, certains propos doivent être remis dans le contexte de l’époque, croit Jean-Michel Anctil. Mais la non-communication dont les personnages font preuve et les phrases qui ne veulent rien dire ne se sont pas fatiguées avec le temps.

«Entre nous des fois, on se disait qu’on a fait du voisin aujourd’hui. Tu dis des répliques et tu te rends compte que ça n’a pas de sens ce que tu dis. Comme “j’ai sorti mon char aujourd’hui, ça faisait deux jours qu’il était dans le garage”. Ouin, pis?», illustre Jean-Michel Anctil en riant.

Hommage aux auteurs 

Ce dernier se sent choyé d’interpréter Georges, d’avoir joué le texte de Meunier et Saia devant eux. Et de son metteur en scène, André Robitaille, il n’a que de bons mots.

«Il veut respecter le travail des auteurs. Il fallait que ce soit à la virgule près. “Ça va bien?” ne devient pas “comment ça va?” C’est ça qui est écrit, c’est ça qu’il faut que tu dises. C’est rendre hommage aux auteurs. Il disait qu’il ne faut pas que ça détonne. Il ne faut pas que personne ne tire la couverte parce que ça paraît. Il est patient, il amène de bonnes idées et c’est quelqu’un qui est à l’écoute. J’ai adoré travailler avec lui.»

Dans une esthétique qui s’installe dans les années 1980, les costumes, les perruques et les décors déclenchent d’emblée quelques rires.

La troupe de comédiens qui composent Les Voisins seront sur les planches de la salle Odyssée, à Gatineau, les 5, 6, 12 et 13 août. Mis à part Jean-Michel Anctil dans le rôle de Georges, la distribution réunira Marie-Chantal Perron (Jeanine), Vincent Gratton (Bernard), Brigitte Lafleur (Laurette), Rémi-Pierre Paquin en alternance avec Pierre-François Legendre (Fernard), Tammy Verge (Luce), Pier-Luc Funk en alternance avec Mickaël Gouin (Junior) et Catherine Brunet en alternance avec Élodie Grenier (Suzy).