Combien de partielles à venir ? - Fondation Jean-Jaurès

Combien de partielles à venir ?

À la suite des nombreux recours déposés suite aux élections législatives de juin dernier, le Conseil constitutionnel a prononcé des annulations et des élections partielles seront organisées. Dans un contexte de majorité relative pour l’exécutif, ces élections, bien que peu nombreuses, pourraient avoir des conséquences sur les équilibres du paysage parlementaire. Émeric Bréhier, directeur de l’Observatoire de la vie politique de la Fondation, livre son analyse.

Le Conseil constitutionnel, cet organe novateur des institutions d’abord, de la pratique ensuite, de la Ve République joue un rôle central dans le cycle électoral qui s’est achevé en juin dernier. Non seulement comme superviseur des opérations électorales, mais aussi en tant que juge de l’élection du président de la République au titre de l’article 58. L’article 59, quant à lui, rappelle que « le Conseil constitutionnel statue, en cas de contestation, sur la régularité de l’élection des députés et des sénateurs ». Les modalités de la procédure ont été déterminées par l’ordonnance n°58-1067 de novembre 1958.

Pour mémoire, rappelons que « l’élection d’un député peut être contestée devant le Conseil constitutionnel par tout électeur de la circonscription intéressée ou par toute personne qui y a fait acte de candidature1« Comprendre le contentieux électoral », Conseil constitutionnel. ». Toutefois, le délai autorisant le recours est bref, puisque celui-ci doit être signifié au préfet ou directement auprès du Conseil dans les dix jours suivant la proclamation des résultats de l’élection. Bien entendu, le requérant comme l’élu dont l’élection est contestée peuvent être assistés ou représentés par un avocat. Une fois ces recours enregistrés, le Conseil peut les rejeter sans instruction contradictoire préalable, estimant les requêtes insuffisamment étayées. Une fois ce premier filtre passé, l’instruction est encadrée par un règlement autorisant d’ailleurs l’audition des parties, parfois même par l’ensemble des membres du Conseil. Une fois ce travail d’enquête, et contradictoire, établi, les juges motivent leur décision qui, pour mémoire, au titre de l’article 62 de la Constitution2« Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. », ne peuvent faire l’objet d’aucun recours. Les juges de l’élection disposent d’une réelle marge de manœuvre quant à leur décision : ils peuvent invalider l’élection tout comme ils peuvent la valider. Mais ils peuvent tout autant tenir compte d’un certain nombre d’arguments des requérants et ainsi modifier le résultat tout en validant l’élection contestée. La possibilité existe de réformer le résultat et de déclarer un autre candidat élu, même si elle n’a jamais été mise en œuvre pour un député.

Il est donc une tradition, heureuse, bien établie au lendemain des élections législatives, de voir fleurir un nombre certain de recours contre l’élection de certains des députés nouvellement élus. Les dernières élections législatives n’ont, au moins sur ce point, pas manqué de respecter cette habitude. Ainsi, près d’une centaine de recours ont été déposés auprès du Conseil constitutionnel dans les délais impartis. Or, si une grosse moitié de ces recours a d’ores et déjà été rejetée par les juges les 29 juillet et 5 août derniers, une petite quarantaine demeurent en suspens dans trente-six circonscriptions. Or, la moitié concerne des députés membres de l’un des trois groupes de la majorité présidentielle : 17 ont été élus sous l’étiquette Ensemble et 1 sous celle d’Horizons. Pour le reste, 6 l’ont été sous celle du Rassemblement national (RN), 5 appartiennent à La France insoumise (LFI), 1 à Europe Écologie-Les Verts (EE-LV), 1 au Parti communiste (PC), 1 fut élu comme dissident Parti socialiste, 2 Divers gauche (DVG) et 2 chez Les Républicains (LR). Finalement, concernant les groupes parlementaires, 17 appartiennent à Renaissance, 2 à Horizons et apparentés, 5 à LFI-Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), 2 à EE-LV-Nupes, 1 au PC-Nupes, 1 au Parti socialiste-Nupes, 2 à LR et 1 à Libertés, indépendants, outre-mer et territoires. Si tous les recours devaient aboutir, ce qui bien évidemment ne sera pas le cas, la majorité relative du camp présidentiel serait plus encore mise en difficulté. Sans que cela n’ait de véritables conséquences sur la hiérarchie entre les autres groupes parlementaires. Même le petit groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, au cas où l’élection d’Olivier Serva serait annulée et que celui-ci ne pourrait se représenter ou serait battu à l’occasion d’une partielle, ne verrait pas son existence menacée puisqu’il pourrait toujours compter sur quinze députés, ce qui constitue la limite fixée par le règlement de l’Assemblée nationale pour constituer un groupe.

Bien assurément, nul ne peut présager de ce que seront les décisions des juges du Conseil constitutionnel à l’issue de l’instruction contradictoire en cours. Bien des motifs peuvent provoquer l’annulation d’une élection. Précisons également que le recours peut ne pas concerner le résultat du second tour, mais bien celui du premier tour. Ainsi, une élection peut fort bien être annulée en raison du faible écart de voix constaté entre les deuxième et troisième candidats, avec des motifs jetant une légitime suspicion sur le résultat du premier tour. Toutefois, même si cela n’est en rien automatique, il est fréquent qu’un écart de voix très faible au second tour puisse impliquer une annulation. À cet égard, constatons que, dans quelques-unes des 36 circonscriptions encore concernées par les recours, les écarts au second tour en nombre de voix (et non pas en pourcentage) ont été très faibles : la 1re de Charente avec 24 voix, la 1re du Haut-Rhin avec 119 voix, la 11e des Yvelines avec 116 voix, la 1re de Seine-Maritime avec 78 voix, la 5e de l’Essonne avec 18 voix, la 7e de l’Essonne avec 214 voix, celle de Wallis-et-Futuna avec 16 voix, la 8e de Seine-et-Marne avec 4 voix, la 6e de la Haute-Garonne avec 4 voix, la 4e de la Sarthe avec 87 voix, la 3e du Pas-de-Calais avec 71 voix, la 5e du Loiret avec 11 voix, la 8e des Français de l’étranger avec 193 voix et la 3e de la Côte-d’Or avec 66 voix. Soit 14 circonscriptions, dont 10 avec des députés de la majorité présidentielle et seulement 2 de LFI (1 face à LREM et 1 face au RN), 1 du PC (face au RN) et 1 chez LR (face à LREM). Sur les 10 concernant des députés de la majorité présidentielle, 4 avaient été remportées face à des candidats LFI, 1 face au Parti socialiste, 2 face à des EE-LV, 1 face à un DVG, 1 face au RN et 1 face aux LR. D’autres circonscriptions mériteront également d’être suivies avec attention compte tenu du faible écart en pourcentage quand bien même il fut bien plus important en nombre de voix. Ainsi en est-il de celle remportée par Clément Beaune à Paris (658 voix mais 50,73% des suffrages exprimés) ou bien celle d’Éric Girardin dans la Marne (51,43% des suffrages et 939 voix).

Une fois les décisions du Conseil constitutionnel rendues, le gouvernement doit fixer par décret les dates des élections législatives partielles. L’article LO178 du Code électoral prévoit que celles-ci doivent être organisées dans un délai de trois mois. De manière perlée, ou à l’inverse, regroupée. D’ordinaire, ces élections partielles sont rarement favorables pour la majorité présidentielle du moment. Il n’y a là évidemment aucune automaticité. Ainsi, lors de la mandature précédente, la majorité présidentielle parvint à conserver la 2e de Guyane, la 5e des Français de l’étranger ou bien encore la 1re de l’Essonne, mais perdit la 1re du Val-d’Oise. Par contre, lors de la XIVe législature, la majorité de gauche d’alors perdit la 6e de l’Hérault, la 1re et la 8e des FFE ainsi que la 3e du Lot-et-Garonne. Et si l’on remonte plus loin encore dans le temps, sur les quatre élections législatives partielles métropolitaines organisées en 1982, la majorité présidentielle qui en détenait trois sur quatre perdit les trois : dans la Marne, à Paris et en Seine-et-Marne (où Alain Peyrefitte reconquit son siège face à Marc Fromion).

À ce stade, nul ne peut donc présager des décisions du Conseil constitutionnel, pas plus que de celles du gouvernement sur la convocation des partielles et encore moins du contexte politique national, mais aussi dans chacune des circonscriptions éventuellement concernées, qui pourraient présider à chacune des prochaines élections partielles. Toutefois, il est plus que probable que le groupe parlementaire le plus touché soit le groupe Renaissance et donc le cœur de la majorité présidentielle. Si tel devait être le cas, les conséquences sur la vie parlementaire ne seraient pas minces.

D’abord, en réduisant un peu plus encore le nombre de députés du groupe Renaissance, cela renforcerait encore un peu plus le poids relatif des deux groupes alliés que sont le MoDem et Horizons. La recherche de compromis serait encore plus délicate au sein de la majorité présidentielle. Mais cela affaiblirait encore la capacité et la marge de manœuvre du gouvernement dans sa recherche de voies de passage entre une Assemblée nationale sans majorité nette et un Sénat où Les Républicains constituent l’ossature de la majorité sénatoriale. Bien évidemment, les possibilités offertes par le texte constitutionnel demeureraient, mais leur utilisation en serait rendue encore plus complexe. Et la dépendance du gouvernement vis-à-vis de tout, ou partie, du groupe LR n’en serait que renforcée. Sans évoquer même l’éventuel renforcement de certains des groupes d’opposition au cas où les députés de la majorité présidentielle éventuellement invalidés venaient à perdre la nouvelle élection. Bien sûr, on pourra arguer du fait que quelques annulations pourraient également concerner des députés des groupes d’opposition. C’est vrai. Toutefois, comme nous l’avons signalé plus haut, à ce stade, et une nouvelle fois sous réserve des décisions des juges de l’élection, le nombre de cas pouvant les concerner est singulièrement moins nombreux. Et ceci d’autant plus que, depuis les dernières élections législatives, nulle dynamique politique au sein du camp présidentiel ne semble avoir pris une véritable ampleur ces derniers mois. Certes, on peut estimer que le temps du débat budgétaire, à tout le moins, permettra à la majorité présidentielle d’affirmer certaines lignes politiques renvoyant les oppositions à leurs propres impasses politiques. Mais dès lors que ce débat budgétaire se tiendra dans le même temps que les congrès de nombre de formations d’opposition (et singulièrement celui des Républicains), il y a de fortes chances que l’utilisation du 49-3 s’impose d’elle-même et renvoie l’image d’une majorité relative isolée et incapable de trouver des voies de passage autorisant des compromis avec certaines des forces d’opposition.

La stabilisation du contexte parlementaire n’est donc pas pour tout de suite. D’abord car les congrès à venir d’EE-LV, du Parti socialiste, du PC, de LR et du RN pourraient avoir quelques conséquences sur la vie parlementaire de chacune de ces entités. Ensuite car de probables futures élections législatives partielles pourraient là aussi modifier l’importance numérique de chacun des groupes à l’Assemblée nationale et réduire d’autant, ou étonnamment accroître, les marges de manœuvre gouvernementale. Enfin car en septembre 2023 auront lieu les élections sénatoriales au cours desquelles la moitié des sièges des sénateurs sera renouvelée. Avec là aussi quelques éventuelles modifications des équilibres politiques au sein de la Haute Assemblée.

  • 1
    « Comprendre le contentieux électoral », Conseil constitutionnel.
  • 2
    « Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. »

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