1914 : le directeur du Figaro assassiné dans son bureau

Gaston Calmette, à son bureau. Rue des Archives/Rue des Archives/Tallandier

IL Y A CENT ANS DANS LE FIGARO - Tous les week-ends, Le Figaro explore ses archives de l'année 1914. Le 17 mars, le journal raconte, sous le choc, le meurtre de Gaston Calmette par Henriette Caillaux, épouse du ministre des Finances.

Retrouvez chaque week-end sur lefigaro.fr un fragment de l'actualité d'il y a un siècle, tel que publié à l'époque dans nos colonnes. Une plongée dans les archives du journal pour revivre les événements historiques, culturels ou sportifs… comme si vous y étiez.

• Le directeur du Figaro, Gaston Calmette, est assassiné par l'épouse du ministre des Finances

• La Ligue Patriotiques des Françaises lance une offensive contre les vêtements «contraires à la décence»

• Un chroniqueur du Figaro s'en amuse et pointe l'absurdité de cette campagne

• Le journal intime d'un homme utilisé contre lui lors d'une procédure de divorce


Rue des Archives/©Rue des Archives/RDA

Assassinat de Gaston Calmette

Lire le dossier spécial du Figaro.fr sur l'assassinat du directeur du Figaro par l'épouse du ministre des Finances dans notre édition Abonnés.

Article paru dans le Figaro du 17 mars 1914.

Notre Directeur, Gaston Calmette, est mort cette nuit, 17 mars 1914, assassiné.

Notre Directeur avait accusé M. Caillaux:

De cumuler ses fonctions publiques de ministre des finances avec celles de président du conseil d'administration d'une banque étrangère;

D'avoir, par une inconcevable négligence, facilité à ses amis un coup de bourse sur la Rente;

D'avoir commis une forfaiture en suspendant l'action de la justice au bénéfice d'un escroc;

D'avoir déclaré, en 1901, qu'il avait «écrasé l'impôt sur le revenu en ayant l'air de le défendre».

Au réquisitoire de notre Directeur, M. Caillaux n'a pas répondu à la tribune. Il n'a pas poursuivi en Cour d'assises, il n'a pas envoyé de témoins; mais, hier soir 16 mars 1914, à six heures et demie, la femme du ministre des finances, Mme Joseph Caillaux, est venue au Figaro, et elle a assassiné M. Gaston Calmette.

Ce crime soulèvera la colère et l'indignation dans tout le pays. Quant à nous, ses collaborateurs et ses amis de chaque jour, après les heures d'atroce angoisse que nous venons de subir, nous sommes accablés de douleur. Nous avons perdu le chef le plus noble et le plus tendre, le maître et le compagnon de tous nos efforts et de toutes nos pensées.

Il est tombé vaillamment, dans la lutte la plus loyale et hardie à laquelle un écrivain patriote ait voué sa bravoure et son talent.

Quand on l'a emporté, frappé à mort, de la maison ou depuis trente ans il donnait, l'exemple quotidien du labeur souriant, du devoir accompli fermement, il a trouvé encore un peu de voix pour dire ces derniers mots que nous n'oublierons pas et qui peignent toute son âme: «Dites-bien que je n'ai voulu faire de mal à personne et que j'ai fait, mon devoir...»

Ne faire de mal à personne, c'était son beau scrupule. Et quand la défense des idées l'obligeait à l'attaque des hommes, il en soutirait amèrement. Il sacrifiait alors au bien public son admirable indulgence et la douceur de son caractère: il le faisait avec une élégante crânerie.

Nous l'aimions. Il nous est impossible de concevoir que nous ne le verrons plus, qu'il nous est pris, -qu'il est mort.

Nous étions auprès de lui une famille; nous le pleurons avec désespoir.

Il était charmant; il était bon.

Dans nos chagrins, nous allions vers lui: aujourd'hui, dans notre chagrin si cruel, pour la première fois, nous ne l'avons plus.

Et nous pleurons, tout frissonnants de l'horreur du crime.

Par la rédaction


Aux femmes du monde

Article paru dans le Figaro du 10 mars 1914.

On nous communique la lettre suivante:

Dans son avertissement, le vénéré cardinal Amette, en accord avec les autres évêques de France, demande aux femmes: «de se liguer pour abolir l'usage des vêtements contraires à la décence».

Nous inspirant de ce désir, nous venons, au nom de la Ligue patriotique des Françaises, faire appel aux femmes du monde, pour leur demander de protester avec nous contre les modes qu'on veut nous imposer.

Nous demandons à toutes les femmes élégantes et jeunes qui donnent le ton à la mode, non seulement de ne pas céder à l'ambiance, mais encore de se mettre courageusement en travers du mouvement actuel et de prêcher d'exemple. Qu'elles pensent à la responsabilité qu'elles encourent; ce qu'elles feront, d'autres femmes de condition plus modeste, dont les yeux sont fixés sur elles, le feront à leur tour.

N'oublions pas aussi que nous devons avoir le souci du bon renom de la France, au point de vue de l'élégance et du goût qui ont été jusqu'ici son apanage.

Conclusion: celles qui voudront nous suivre dans ce mouvement de protestation, à quelque milieu qu'elles appartiennent, sont priées de donner leur nom à la Ligue Patriotique des Françaises, 368, rue Saint-Honoré, car nous désirons pouvoir, agir d'une façon utile vis-à-vis des principaux couturiers et des grands magasins; or, plus nous serons nombreuses, plus nous aurons d'influence.

Pour le conseil central de la L. P. D. F.

Les membres de la commission:

Vicomtesse DE VELARD, marquise DE MONTAIGU, marquise DE JUIGNE, Mme DELACOURT, marquise DE MOUSTIERS, comtesse DE VILLÈLE, duchesse DE MAILLÉ.

La nouvelle pudeur

Article paru dans le Figaro du 14 mars 1914.

C'est avec un grand sentiment de satisfaction, et même de soulagement, que les personnels raisonnables assistent à l'excellente campagne menée, depuis quelque temps, contre les tenues inconvenantes et les vêtements immodestes.

Mais, dira-t-on, qu'est-ce qu'une tenue inconvenante et qu'est-ce qu'un vêtement immodeste?...

Eh bien! mais ce sont ces robes impalpables, et comme invisibles, qui se trouvaient en usage l'année dernière, ainsi qu'en 1912. Or, nous apprenons que de toutes parts, une grande levée de boucliers se fait contre ces ajustements incorrects et risqués. Des mandements, émanés de haut lieu, les ont condamnés. Voici maintenant que des personnes éminentes, appartenant à la meilleure société parisienne, se liguent ouvertement afin d'influencer messieurs les couturiers, et d'obtenir ainsi que les femmes soient habillées d'une manière décente et honorable.

Encore une fois, cette courage initiative ne saurait que réunir tous les suffrages, et notamment ceux des hommes qui...

Mais, un instant! Ne serait-ce point; par hasard, quelque noir sentiment d'envie qui anime contre les robes trop légères, trop «collège d'athlètes», une partie de notre jeunesse sérieuse, si éprise de boxe, de football, de performances et de modèle à l'antique? IL faut songer, en effet, que cette grande jeunesse n'est point tout à fait la même aujourd'hui qu'il y a dix ou quinze ans.

À cette époque barbare, avant 1900, un «monsieur» n'était qu'une figure surmontant un amas de vêtements. Aujourd'hui, un «monsieur» veut être un athlète, qui chaque matin s'adonne à sa culture physique, qui fait du punching-ball, qui monte à cheval, qui abat des kilomètres au golf, bref un svelte gaillard qui a des pectoraux, des biceps, des triceps et des obliques émouvants.

Or, n'est-il pas un peu vexant, pour ce nouvel Apoxyomène, de songer qu'en 1912 et en 1913 les femmes pouvaient porter des toilettes si favorables à la critique athlétique, à l'appréciation libre des muscles et des proportions plastiques, alors que les meilleurs champions de l'hippodrome, du ring et des terrains de golf en étaient réduits à se montrer dissimulés et cachés sous ces espèces de sacs de pommes de terre qu'on appelle nos vestons, nos pantalons et nos pardessus?

Pendant ce temps, que faisaient les jeunes femmes, s'il vous plaît? Elles se laissaient divinement habiller par leurs couturiers, qui les voilaient exquisément, bien qu'à peine, avec des étoffes légères comme la brume. Si bien que quiconque les voyait passer au bal, au tennis, ou même dans la rué, n'ignorait presque rien de leur ligne sculpturale...

Allons, il y avait là vraiment une injustice flagrante. Le héros Carpentier était forcé d'aller dîner en smoking, quand la moindre de ces dames pouvait revêtir une robe non seulement décolletée, mais quasi-privée de corsage et de jupe. Trouvez-vous cela équitable?

Mistress Pankhurst, qui pousse ses adeptes à commettre des crimes intolérables, réclame l'égalité des sexes: nous serions surpris qu'elle ne fût pas ici de cet avis.

Mais même en dehors de notre austère jeunesse, qui donc pourrait ne pas se réjouir à constater que nos dames entrent enfin dans une ère de raison et de dignité? Il est doux et réconfortant d'approuver le mouvement unanime de réprobation qui condamne chez les couturiers certains modèles particulièrement audacieux et choquants. Enfin, ce sera donc fini bientôt de ces tuniques en toile d'araignée, sans manches et sans cols. Nous revenons à une plus saine appréciation de ce que l'on doit au bon goût et à l'élégance française. Il était vraiment grand temps que cette révolution si heureuse se produisit dans nos moeurs et nos vêtements.

Cependant quelqu'un m'aborde, quittant la maison du couturier en vogue:

- Savez-vous bien, me dit ce quelqu'un, que ces messieurs couturiers ont déjà changé toute la mode? Je viens de voir les modèles de printemps, et à ma grande stupeur j'ai admiré des formes à longues manches, à hauts cols Directoire, à étoffes raides et empesées, des taffetas de toutes sortes. Enfin, ces messieurs vont nous donner, pour la saison qui vient, des vêtements dignes de cette appellation et non de ces écharpes vaguement enroulées, que l'on nommait des robes durant les deux dernières années...

-Mais alors, répondis-je, serait-ce donc que la grande levée de boucliers en faveur des robes décentes ne viendrait qu'après l'initiative des couturiers, et par conséquent suivrait la nouvelle mode, au lieu de la précéder et de l'influencer?...

À ces mots, mon interlocuteur, s'il faut tout avouer, a pris le large sans me rien répondre, et la question demeure pendante.

Voici donc qu'au moment juste où se dessine une si bonne campagne contre les toilettes trop légères, la mode en est passée. Coïncidence merveilleuse! Enfonçons cette porte... Bon, mais elle est ouverte?... Il n'importe, d'ailleurs, car l'intention vaut tout, et ici, l'intention est sage, comme l'accord parfait.

Par Marcel Boulenger


Le calvaire du mari

Article paru dans le Figaro du 12 mars 1914.

Tribunal civil (4e Chambre)

Au dix-huitième siècle, le libraire Hardy tenait sur un gros registre son journal; et ces notes du libraire donnent sur les menus événements du règne de Louis XVI les documents les plus précieux. Le quincaillier qui plaidait hier 11 mars 1914 à la 4e Chambre ne notait pas les petits faits de la politique contemporaine, mais seulement ses malheurs conjugaux, ses histoires, ses colères; et le calepin du quincaillier du quartier des Batignolles nous fait entrer dans un ménage de petits boutiquiers. Pas de style, pas de recherches d'«effets» dans ces notes hardies, mais combien douloureuses! C'est une «tranche de vie» bourgeoise, comme l'on dit aujourd'hui.

4 février 1905: À propos d'une erreur que je n'ai pas commise et que le client reconnaissait, elle (c'est sa femme) m'a appelé idiot. Je l'ai traitée de crapule.

15 février: Scène à propos d'une commande de clous. Toute la journée désagréable.

11 mars: Elle a fait des avances; j'ai feint d'oublier pour avoir la paix.

3 avril: Toute l'après-midi, à propos d'une vente de vis, elle m'a traité de paresseux stupide. Je l'ai calmée par une grossièreté.

4 juillet: Suis revenu vingt minutés plus tard. Elle a commencé une scène. Je ne lui parle plus.

26 juillet: Elle m'a cherché des chicanes tout le jour et le lendemain, mais le soir la paix était faite.

28 juillet: Elle a commencé une de ses apologies sur mes défauts, et comme cela menaçait de ne pas finir, cela m'a tapé sur les nerfs et je lui ai pris le poignet en le lui serrant. Je lui ai enjoint de quitter le magasin et de me laisser travailler.

28 octobre: Depuis huit jours je ne parle plus à Émilie, las de supporter ses propos blessants et vindicatifs.

24 janvier 1906: Elle m'a mis en colère à midi. Je n'ai pas déjeuné, mais me suis contenu. Je suis plus fort.

11 mars: Après des provocations, elle m'a menacé, me disant de faire attention à mes paroles. C'est la troisième fois qu'elle fait cette menace.

23 mars: Lendemain de mi-carême. Cette journée ne s'est pas trop bien terminée. Des reproches faits pour une facture m'avaient causé du dépit. Aussi étais-je d'humeur ombrageuse, lorsque à propos d'une cliente elle me fit des reproches incroyables. Alors m'irritant, résolu à avoir la paix, je criai mon désespoir et hurlai ma colère. Elle voulut me renvoyer de mon magasin. Je m'avançai vers elle, lorsque je brisai un carreau d'un coup de coude. Alors vite, affolé, je la saisis par l'épaule en lui disant de se taire. Je serrai et crus que j'allais l'étrangler lorsqu'une vague pensée: mes enfants! me permit de réfléchir et je me calmai subitement.

1er juin: Un store est tombé sur elle. Alors elle s'en prend à moi, me traitant de brute.

Et dans ces notules, ils apparaissent tous deux, lui et elle, d'une vérité saisissante.

Un beau jour, elle s'empara du calepin et demanda le divorce. Nul témoin de ces scènes. Mais le «journal» du quincaillier était là, contenant des aveux. Il avait pu souffrir, mais il avait eu des violences; et le divorce fut prononcé contre lui. Ce carnet, où il se consolait en déversant toute l'amertume de son coeur, pour la justice contenait l'aveu de ses torts.

Retrouvez notre dossier sur l'assassinat de Gaston Calmette par Henriette Caillaux

1914 : le directeur du Figaro assassiné dans son bureau

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7 commentaires
  • walkuren

    le

    Moralité faites comme Madame Caillaux qui a été acquitée Aux mêmes causes les mêmes effets.

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