Le lobbyiste et conseiller russe Evgeny Mintchenko.
Le lobbyiste et conseiller russe Evgeny Mintchenko. © Association russe des relations publiques (PASO)/Facebook

Multipliant les commentaires dans les médias, russes comme étrangers, depuis le début de l'offensive russe en Ukraine, Evgueni Mintchenko reste avant tout une star du lobbying et des stratégies d'influence au service des intérêts des autorités. Bien qu'il entretienne, en coulisses, des rapports complexes avec le Kremlin, il demeure à la tête d'un petit empire de relations publiques, tant sur la scène intérieure que dans "l'étranger proche", avec ses sociétés New Image, Minchenko GR-Consulting et le centre d'étude International Institute for Political Expertise.

Loin du lobbying classique proposant aux entreprises privées d'avoir accès au régulateur, le fonds de commerce de Mintchenko est le lobbying à l'intérieur même des élites : le cabinet s'adresse aux aspirants à un poste de gouverneur, à un mandat d'élu local ou régional, leur facturant coaching, mises en relation au sein du Kremlin et assistance dans leur campagne électorale. Ces services de "politechnologie" sont également proposés aux personnalités politiques des pays voisins, dans l'espace postsoviétique.

Entregent et contrats d'influence

Son modèle d'entrepreneuriat repose aujourd'hui sur sa promesse de vendre aux aspirants aux postes politiques un accès à l'appareil central, tout en se faisant l'agent de ce dernier sur le terrain. Dans la pratique, les consultants de ce type ne travaillent pas toujours sur mandat direct du Kremlin, et certaines de leurs missions et alliances sont conclues au gré des occasions. Ainsi, selon les informations d'Intelligence Online, Mintchenko s'est occupé clandestinement en Biélorussie, à partir de 2019, de la candidature d'un opposant au président Alexandre Loukachenko, Sergueï Tikhanovsky. Et ce, jusqu'à ce que son lieutenant Vitaly Chklyarov, dépêché sur le terrain, soit arrêté par le KGB biélorusse, mettant un terme à l'opération. Mintchenko s'inscrivait alors dans une campagne de grande ampleur, commanditée par Moscou et mobilisant acteurs privés, semi-étatiques et services de renseignement, dans le but de déstabiliser le dirigeant biélorusse et de précipiter son rapprochement avec la Russie.

Spécialiste des campagnes électorales d'opposition - dont celles des Démocrates unis et de Ksenia Sobtchak en Russie, et de Grigol Vashadze en Géorgie, en 2018 -, Chklyarov, doté de la double nationalité américaine et biélorusse, a été libéré en octobre 2020 après quelques mois d'incarcération, à la suite de l'intervention du Département d'Etat américain. Il a alors déménagé à Kiev, où il participe aujourd'hui à la résistance armée à l'invasion russe. Tandis que Mintchenko, à Moscou, promeut plus activement que jamais la ligne officielle du Kremlin dans l'espace médiatique russophone.

Du karaté au Kremlin

La trajectoire de Mintchenko illustre les bouleversements qu'a connus le marché de l'influence et de la communication stratégique en Russie ces dernières années. Originaire de Chelyabinsk, il y a débuté comme jeune entraîneur de karaté, puis formateur en "préparation psychologique pour professionnels de la sécurité", avant de se lancer en 1993 dans l'ingénierie de campagnes électorales régionales sous l'enseigne New Image. Dans les années 2000, après la mise en place du pouvoir plus vertical de Vladimir Poutine, Mintchenko a développé son réseau à Moscou. Il s'est rapproché de la direction du parti au pouvoir, Russie unie. Pendant toute la décennie, il a occupé le poste d'expert de la Commission parlementaire pour la sécurité et la lutte contre la corruption, et celui de conseiller de son président, Vladimir Vassiliev - un des éléments clés de l'appareil sécuritaire du régime, successivement secrétaire adjoint au Conseil de sécurité, président du groupe Russie unie au Parlement, conseiller au sein de l'administration présidentielle et chef de la République du Daghestan. Mintchenko a, dans le même temps, œuvré comme conseiller à la Commission parlementaire pour les relations avec la Communauté des Etats indépendants (CEI).

Ces postes lui ont permis de s'imposer sur le marché : pour un aspirant gouverneur ou un homme politique de l'espace postsoviétique, obtenir le soutien de Mintchenko est devenu synonyme de validation officieuse par l'appareil central. A la fin des années 2000, la holding Minchenko Consulting se targuait d'avoir travaillé sur plus de 200 campagnes électorales, dont un petit nombre en Ukraine, au Kazakhstan et en Géorgie.

Le marché du lobbying électoral s'est centralisé à l'aube des années 2010, âge d'or de l'activisme politique du Kremlin dans le "voisinage proche", notamment dans les régions séparatistes de l'espace postsoviétique - Ossétie du Sud, Abkhazie, Transnistrie, Donbass et Haut-Karabakh. Alors que de nombreux consultants du secteur font aujourd'hui faillite, Mintchenko surnage dans le nouveau paysage politique dessiné par la guerre en Ukraine. Ses publications, notamment un classement régulier des gouverneurs "en vogue" ou "dans le rouge" et les études de kremlinologie Politburo 2.0, largement diffusées à l'étranger, lui ont permis de se positionner comme un personnage ayant de l'entregent ; et lui-même joue sur l'incertitude qui plane sur l'identité de ses "chaperons" au pouvoir et le degré auquel ses activités sont validées, voire commanditées par le Kremlin. L'identité de ses clients est souvent secrète, faisant l'objet de rumeurs non confirmées qui lui assurent une certaine publicité dans un secteur où l'informel et l'officieux sont mis en valeur.

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