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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
5 mai 2024

LIVRE : Mikio Naruse : Les Temps incertains de Jean Narboni - 2006

"Il s'agissait d'abord [dans cet ouvrage] de dissiper la brume de clichés sur la musicalité grêle, la fatalité doloriste et la beauté un peu terne et souffreteuse de ce cinéma, pour en souligner au contraire la netteté du trait, la fermeté du récit, la puissance du continu qui y insiste et les vertus d'endurance et de courage qu'il n'a eu de cesse de prôner et de manifester."

 

Pas facile, de prime abord, d'aborder ce cinéma narusien, de ne pas tomber dans la comparaison systématique avec Ozu, un cinéma presque hors du temps, hors des modes et de la politique, un cinéma qui se "contenterait" simplement de s'intéresser aux destins banals des individus, avec leur lot de malheurs, certes, de vie déceptive, mais avec aussi l'envie de montrer des instants de grâce, dans les relations, dans le rapport avec les arts, dans la capacité de jouer, de prendre la vie avec légèreté...  Rien de morne ni de particulièrement spectaculaire chez Naruse, mais une capacité à narrer des histoires très fluides, avec des tournants parfois surprenants, de créer des personnages (de femmes en particulier) attachants, résilients ou combattants. C'est un cinéaste aux traits, au style peut-être moins marqués qu'un Ozu (et merde, c'est reparti : l'ornière...), moins facile sans doute à caractériser, mais dont les films possèdent toujours une âme, un charme qui s'infuse peu à peu dans l'esprit du spectateur. Narboni (difficile ici de revenir sur tous les aspects qu'il évoque, synthétisons au max) évoque avec une grande justesse aussi bien l'art du montage, que celui de la longueur millimétrée des plans du cinéaste, que ces scènes (incontournables quand on a vu tous les films encore existant du sieur) de marche (autant de séquences cruciales dans ses films, des moments où la parole généralement se libère) ou encore ces scènes (nombreuses) d'hôpital des plus signifiantes (comme chez Borzage ? Je ne vous fais pas dire, nom de Dieu). Il est question dans ce livre aussi bien de ses rapports plus ou moins tendus  avec la Shochiku (studio qu'il finit par quitter pour P.C.L puis la Toho), de sa fidélité envers l'écrivaine Fumiko Hayashi (dont il adapta pas moins de six de ses œuvres et ce sans jamais vraiment la rencontrer), ou envers l'actrice Hideko Takamine à l'affiche de dix-sept de ses films, de sa finesse à capter les élans du cœur (souvent meurtri), ou encore de ces personnages féminins si finement ciselés et parfois même difficiles à totalement cernés... Il y a tout cela et beaucoup plus dans ce livre très complet sur l’œuvre narusienne, une œuvre que le gars Narboni semble posséder sur le bout des doigts, faisant des analogies remarquables entre ses films pour en souligner un maximum de caractéristiques marquantes, de traits dominants. Naruse, peintre de la vie courante, un long fleuve jamais tout à fait tranquille ni réellement apaisé, des aléas sentimentaux, portraitiste de femmes où la volonté d'indépendance le dispute aux doutes. Narboni nous ruse et nous fait découvrir tous les boni (subtiles) que l'on pourrait tirer de la vision des films de Naruse. Bien bel ouvrage-hommage tout en analyses pointues entre gris clair et gris foncé.

4 mai 2024

Anselm : le Bruit du Temps (Anselm - Das Rauschen der Zeit) (2023) de Wim Wenders

Vous avez envie de découvrir un artiste contemporain assez fun, qui vous met la patate, provoque en vous des petits rires nerveux ? Passez votre chemin : Anselm Kiefer, artiste contemporain allemand aux œuvres aussi démesurées que "plombantes" (il coule des métaux sur ses toiles, c'est pas franchement un aquarelliste du dimanche... Un type qui fignole ses toiles avec un chalumeau à la main n'est jamais à prendre à la légère), livre une réflexion artistique sur la Mémoire qui vous fait sentir aussi futile qu'une petite plume d'édredon... Affrontant frontalement l'histoire de son pays, n'hésitant pas notamment par le passé (1968-1969) à se mettre en scène dans l'habit de la Wehrmacht du pater en faisant un salut nazi en divers endroits d'Europe (histoire de bien enfoncer le clou sur cette période historique au cas où certains viendraient à la négliger... c'est un peu plus lourd qu'un prépuce, vous en conviendrez), Kiefer livre des œuvres monumentales qui font diablement résonner certaines horreurs humaines dans les couloirs du temps : avions à taille réelle totalement pétrifiés, bibliothèque gigantesque occupée par des livres énormes dans lesquels figurent des images de la Terre vue du ciel, toiles plus grandes que nature traversée par une ligne de chemin de fer terriblement évocatrice, paysages de neige ou de forêt à jamais hantés, travaux rendant hommage au poète roumain d'origine juive Paul Celan, on découvre les yeux grand-ouvert ces œuvres d'art qui s'inspirent aussi bien de l'histoire que de la mythologie...

Wenders nous fait découvrir les divers ateliers de Kiefer au cours de sa carrière avant que l'on ne voie errer l'Anselm dans son domaine impressionnant de Barjac (dans le sud de la France, mais oui) au milieu de ses réalisations. Si l'on goûte sa façon d'aborder la propre histoire de son pays en flirtant plus souvent qu'à son tour avec un poil (de moustache) de provocation, si l'on apprécie ces installations démesurées et ces mises en scène wendersiennes bigger than life (le voir se balader à vélo dans ses locaux est déjà toute une odyssée en soi, le tout étant filmé très classieusement par une caméra avec tout plein de pixels), Wenders n'évite pas non plus parfois quelques petits passages métaphoriques un peu pesants et des scènes de reconstitution (sur l'enfance du sieur) pas toujours probantes.  Avouons tout de même que cet objet filmique permet de donner une certaine ampleur à ces œuvres contemporaines habitées, ce qui n'est pas la moindre des qualités. Prêt pour un voyage pictural dans les affres du temps ? An-selm ! (...)

 

4 mai 2024

LIVRE : Terrasses ou Notre long baiser si longtemps retardé de Laurent Gaudé - 2024

S'il y avait bien un auteur capable de restituer l'émotion drainée par les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, c'était bien Laurent Gaudé. Cette édition arrive donc presque comme une évidence : sa prose profondément humaine, très émouvante, restitue avec beaucoup de profondeur les mille et une sensations qu'ont dû vivre les protagonistes de ces événements ce jour-là. Tous, victimes, médecins, sauveteurs, flics, témoins, familles des victimes, ont leur place, et tous sont emportés dans une écriture magnifique et dans un flot continu et unique. Gaudé choisit en effet le roman choral pour tenter de démêler le flot d'émotions diffuses. Son texte, qui adopte le point de vue global de "ceux qui y étaient", sans narrateur, sans personnage défini, est d'une maîtrise bluffante. On croirait, à lire cette sorte de kaddish, que c'est "l'humanité" qui parle d'une seule voix, cette part en nous qui reste bonne, courageuse, empathique, digne face à la monstruosité. Seul Gaudé pouvait oser le truc, et seul lui pouvait le réussir : faire parler non des personnages, mais une entité, qu'on pourrait appeler la dignité humaine. Le texte n'est pourtant jamais abstrait ou bêtement poétique. Au plus près des événements, il raconte avec précision l'émotion d'être en terrasse d'un café ce soir-là, alors que tout allait bien, alors qu'on avait peut-être rendez-vous avec son amoureuse, alors que deux sœurs pouvaient peut-être se retrouver, alors qu'une dispute avec un conjoint nous avait peut-être emmenée là ; la sensation de peur ou d'incompréhension des coups de feu dans une salle de concert bondé ; la douleur physique et psychique de prendre une balle ou de perdre un amour, un être cher, un parent, un ami ; la lente résilience et ce qui restera d’ineffaçable en nous ; enfin la force qui nous pousse à ressortir malgré tout, à recommencer la vie.

 

Tout ça pourrait être au choix : 1 / cucul, mais Gaudé est si près des gens qui ont vécu ces choses que jamais il n'est pris à tomber dans la mièvrerie, toujours juste quand il s'agit de mettre des mots sur les sensations ; 2 / de l'appropriation culturelle, mais tout est tellement senti qu'on ne peut que voir que tout est vrai, que les protagonistes ont réellement éprouvé ces choses, et que Gaudé ne parle pas "à la place" des témoins de ces drames mais en tant qu'être humain sensible ; 3 / trop lyrique, mais ce défaut (un peu habituel chez lui) est ici effacé par l'aspect concret, trivial, des faits. Terrasses est donc parfaitement réussi, parce qu'il traite le sujet par son biais le plus direct : l'émotion qu'il dégage. Écrit avant tout pour les survivants, comme une tentative de consolation par les mots, il se change peu à peu en manifeste humaniste pour une société résiliente, qui se relève malgré tout et continue à boire, à danser, à rire et à se rencontrer. Certaines réflexions du livre sont bouleversantes, et on sent que le bougre s'est bien renseigné avant d'écrire ces lignes ; d'autres montrent un écrivain très ancré dans le monde contemporain, et on se rappelle de Eldorado, de Danser les ombres ou de La porte des enfers dans cet aspect presque documentaire des choses. Mais c'est surtout la profonde empathie qu'il a pour ses "frères humains" qui finit par emporter complètement l'adhésion. Un très beau texte d'une brûlante nécessité. (Gols 25/04/24)

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"L'Histoire fera le récit des faits.

Qui fera le récit des âmes ?"

 

C'est par ces quelques mots préliminaires que l'on ouvre ce dernier Gaudé et faut reconnaître qu'il est fort, le Laurent, pour évoquer ces âmes mortes, comme les vivantes d'ailleurs (blessées, meurtries), qu'il se révèle à la fois le roi de la prosopopée et de l'épopée des gens de bien. Plutôt que de faire le simple récit, précis, d'une ou deux ou trois personnes, il préfère, lorsqu'il évoque ces personnes aux terrasses des cafés, celles au Bataclan, ces médecins, ces policiers, rester plus ou moins dans le vague comme si finalement, même si chacun est unique, ces personnes, ces prénoms étaient presque interchangeables - tant ils font partie du même peuple, le peuple des gens qui aiment, le peuple des gens qui boivent un verre pour le plaisir, le peuple des gens qui dansent, le peuple des gens qui aiment vivre. De l'autre côté, à peine quelques mots pour évoquer ces êtres du sinistre, de l'horreur, de la sauvagerie. Il est préférable de s'intéresser, de rendre hommage à toutes ces personnes qui se sont retrouvés au mauvais endroit au mauvais moment ; car cela aurait pu tout aussi bien être nous, car ces personnes sont et resteront une partie de nous, en nous : des gens qui étaient du côté des vivants, de la vie et que ce putain de hasard dans la main de barbares est venu faucher sans véritable raison. Gaudé trouve les mots justes pour nous conter ces derniers instants avant l'horreur, puis pendant, puis après, trouvant le ton pour évoquer avec pudeur et respect tous ces êtres touchés, détruits à jamais ; il nous troue le cœur à l'occasion en évoquant en quelques mots, en quelques paragraphes, cette Julie mourante, ce Mathieu consolant, deux personnes qui ne s'étaient jamais croisées avant, reliées par le plus grand des hasards dans la mort, soudées pour toujours. Il ne cherche point par ailleurs à surjouer les émotions mais c'est ému que nous quittons cet ouvrage bourré d'humanité, sensible, sensé. Terrassant mais joliment pudique. Praise the Gaudé. (Shang 04/05/24)

3 mai 2024

LIVRE : Les Tourmentés de Lucas Belvaux - 2022

On reste dans les polars relativement captivants, allez, disons-le, avec ce premier essai littéraire assez réussi de l'ami Belvaux. On pourrait tenter de résumer l'histoire en deux lignes :  un ex-mercenaire, Max, au service d'une jeune femme richissime, Madame, va aller chercher dans la rue un ancien camarade de mission impossible, un certain Skender ; Madame, en mal d'aventures et au passé trouble, va proposer 3 millions à Skender pour participer à une chasse à l'homme dont il sera la proie - une aubaine pour ce dernier qui aimerait se racheter aux yeux de son ex-femme et de ses deux gosses. Et c'est parti pour une histoire où, à chaque chapitre, on change de narrateur : Max entraîne Madame pour le jour J (sur un territoire donné en Roumanie, elle a trente jours pour retrouver Skender et le tuer ; s'il survit après ces trente jours, il sera libre), Madame entraîne ses deux chiens , Skender se rapproche des siens et reprend la forme pour être pour ce combat "ultime", suicidaire... Un challenge physique avec la mort en point de mire... Avant ce mois fatidique, chacun tente de donner le meilleur de lui-même : Skender se rend enfin disponible auprès de son ex petite famille, Max, fidèle servant, et Madame, boss intouchable, se découvrent une certaine complicité... Avant la chasse à l'homme, une sorte de chasse sentimentale est lancée. Pour le meilleur ou pour le pire ?

 

Alors oui, je sais, le problème avec ce concept de narrateur différent est de trouver pour chacun un style différent - Belvaux échoue quelque peu à ce niveau-là (il faut ainsi plusieurs lignes, bon dieu, parfois, pour savoir qui a la parole ; de plus, il démultiplie en chemin les narrateurs en donnant la parole à l'ex compagne de Skender et à l'un de ses gamins (n'est-ce pas un peu en trop ?)). Ces quelques réserves émises, avouons que l'on se prend rapidement au jeu de ce challenge morbide, salivant d'avance devant cette chasse zaroffienne tant promise et qui s'annonce sanglante (elle sera armée, pas lui, mais aura l'opportunité, le cas échéant, de la détruire de ses mains...) Même si, même si, Belvaux se fait un malin plaisir à prendre tout son temps pour nous montrer à quel point ces trois êtres si tourmentés et au passé si traumatique tentent, en attendant cet événement crucial, de reprendre pied, voire de reprendre goût à la vie... Nos âmes qui semblaient perdues d'avance nouent des relations amicales, sentimentales avec le commun des mortels et remettent quelque peu en cause, progressivement, leur tendance maladive à l'auto-destruction... C'est assez bien tenu, jusqu'au bout, et on se mettrait presque à croire, malgré ces circonstances de départ on ne peut plus glauques, à un éventuel miracle où chacun pourrait trouver en quelque sorte sa rédemption... Mais le noir n'est-il pas plus fort que tout ? A voir... Quoiqu'il en soit, Belvaux montre au passage une belle capacité à hameçonner son lecteur et à le ferrer jusqu'à l'épuisement. Qui part à la chasse ?

2 mai 2024

Vermines de Sébastien Vaniček - 2023

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Journée "araignées" chapitre 2. Que ça fait du bien de voir un premier film ambitieux, qui impose d’entrée de jeu un style, un regard, une façon de faire, une marque. Ce Sébastien Vaniček arrive vraiment d'une contrée qu'on n'attendait plus sous nos latitudes, celle du film-catastrophe mêlée d'horreur, et apporte une preuve éclatante que le cinéma de genre se porte très bien en France. Le genre, il y est en plein : Vermines s'intéresse à un groupe enfermé dans un immeuble et sujet à une menace de plus en plus grandissante : l'un d'eux à laissé s'échapper une araignée venimeuse, et celle-ci n'est pas prête à se laisser écraser comme un vulgaire faucheux. Se multipliant façon lapin de garenne, elle donne naissance à des araignées de plus en plus nombreuses et grosses, qui se mettent à pulluler dans les cages d'escaliers ou celles, thoraciques, de leurs victimes humaines. Des bestioles parfaitement dégueu que devront affronter en particulier trois garçons et deux filles terrifiés.

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Le décor est une banlieue urbaine classique, avec accent, petits trafics et disputes qui partent au quart de tour. Ce contexte est utilisé, les jeunes acteurs, tous franchement bluffants, rivalisant de coups de gueule et de "ouech" vigoureux. Mais Vaniček n'exploite qu'à peine la symbolique trop facile de la vermine bouffée par la vermine. C'est à peine si on sent la charge anti-flics et l'ostracisation de la jeunesse de banlieue. Vermines n'est pas un film à thèse, n'est pas un film de Kassovitz, n'est pas un film réservé aux jeunes. Mais en lieu et place, on a droit à la mise en scène impressionnante de la terreur, qui confine plus souvent qu'à son tour à la virtuosité. L'utilisation du son, par exemple, est géniale : les araignées se déplacent avec une sorte de petit feulement très discret qui vous rentre dans l'oreille, et leur arrivée est soulignée par une musique anxiogène au possible (le violon et le film d'horreur, tout un poème). Dans des plans souvent longs, qui ne cherchent pas à vous faire prendre des vessies pour des lanternes et du montage cut pour du rythme, il multiplie les moments de bravoure avec un premier degré qui laisse bouche bée : la scène de traversée d'un couloir sous-éclairé rempli de toiles d'araignée, la séquence sadique et hitchcockienne de nettoyage de la tuyauterie par une employée, la longue scène de chaos final, sont autant de grands moments dans lesquels Vaniček nous immerge corps et bien. Les effets spéciaux au taquet (mis à part ce gros monstre final, qui ressemble plutôt à une grosse peluche), les jeunes comédiens crédibles à mort (ma préférence à Jérôme Niel, vraie gueule et diction très originale), le sens inné des situations, le goût pour les effets bien dégueu (le corps de cette vieille femme qui craque sous les attaques des araignées qu'elle renferme), tout ça force le respect : on avait pas été aussi tenu depuis bien longtemps. 

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Par-dessus tout ça, le film dessine une solidarité entre habitants de l'immeuble, une sorte de communauté parallèle qui vit loin de la société, et parle habilement et positivement du monde de la banlieue. Le danger vient plus de l'extérieur que des petites disputes sans conséquences qui se déroulent à l'intérieur : la jolie séquence d'ouverture nous emmène au Moyen-Orient (clin d'oeil à L'Exorciste ?) et déclenchera la réelle menace, l'araignée, donc ; et l'autre ennemi sera les flics, qui préfèrent confiner les victimes des arachnées plutôt que tenter de les sauver. Alors certes, les dialogues ne sont pas tout droit sortis de Shakespeare, certes ça gueule beaucoup, certes Vaniček abuse un peu des morceaux de rap à tue-tête ; mais tout ça n'y fait rien : voilà un vrai grand film d'horreur français, on s'incline avec respect. (Gols 10/01/24)

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Oui, bon forcément, il fallait que je mette ma petite patte, histoire de calmer toute euphorie golienne devant la chose... Ce montage ultra-cut donnant des scènes où l'on perd tout repère dans l'espace, ces dialogues trop dans le genre (téma le cetru ! Wesh non, trop te pas !), cet effet de crécelle à chaque fois qu'une araignée gigote (toutes ces putains d'araignées du désert ont bouffé un morceau de ladite crécelle), ces types qui hurlent dès qu'un petit truc galope sur leur main (moi qui ai une vrai phobie des araignées, cela me faisait surtout marrer, diable ! - eh putain, crie moins fort, c'est juste un insecte), cette musique assommante... Pfiou, il fallait bien que je sois à moitié dans le coma pour pouvoir supporter la chose jusqu'au bout... Et pourtant, croyez-moi, je n'ai pas cessé d'essayer de piocher des petits trucs en creux (c'est toujours bien, les trucs en creux, dans les films d'horreur, cela permet de se dire qu'on perd pas complétement son temps) : plongée dans la bonne vieille époque du confinement où chacun, finalement, se méfiant même du voisin (alors qu'un certain élan solidaire semblait pouvoir régner au départ), finit par tenter de penser avant tout à sa petite survie cloisonnée..., évocation d'une véritable "jungle" des banlieues où l'araignée devant survivre dans des conditions encore plus dures que dans le désert (putain, une chanson de Jul, ta mère !) en arrive à se démultiplier et à grossir à vitesse grand V, dézingage en bonne et due forme des flics qui, bien que cherchant à jouer aux sauveurs, déciment la moitié des gens par leur attentisme et leur manque de courage, critique du petit personnel asiatique en charge de la propreté (mais incapable de bien nettoyer dans les coins, bombant à tout va comme des brutes du ménage)... On ne peut pas dire qu'il manque d'éventuelles pistes à explorer en sous-main... Malheureusement, aucune n'est vraiment creusée et on doit souvent se contenter de frémir plus que de réfléchir... C'est surtout là que la bât blesse : après des débuts prometteurs (où est cette putain d'araignée ? l'absence, toujours le meilleur moyen pour foutre les chocottes), on sort la grosse artillerie d'araignées virtuels et les effets spéciaux sont franchement méchamment too much (on se croirait sur un circuit de formule 1)... Même cette traversée du couloir m'a semblé longuette (tu dois juste courir en te penchant, frère, si tu veux t'en sortir, mais cesse de lambiner bordel). Bien tenté, moui, pas convaincu... En fait, c'est surtout les scolos qui me... (Shang 02/05/24)

 

29 avril 2024

Le Squelette de Madame Morales (El esqueleto de la señora Morales) (1960) de Rogelio A. González

Le noir va bien au teint du Mexicain, pour preuve, s'il en fallait encore une, ce magnifique petit récit d'un craquage au sein d'un couple... D'entrée de jeu, et par les temps qui court, on pourrait avoir une certaine tendance à voir en cette histoire un portrait guère flatteur des femmes... Dépassons cela tout de suite, si vous le voulez bien, en annonçant clairement la couleur : notre héros est mariée avec une chieuse intégrale, un poison absolue et l'on pourrait tout aussi bien voir les rôles s'inverser... Même quand l'homme semble vouloir prendre quelque liberté envers sa femme en la poussant un brin pour avoir un rapport conjugal, il finit par être vaincu par la chienlit, les remarques désagréables de sa compagne et se retirer en silence - coupons donc là sur ce thème pour en arriver à l'essentiel : Gonzalez livre avant tout ici un portrait guère reluisant de ses contemporains, se révélant aussi acerbe envers la société cul-bénite, les bourgeois donneurs de leçon qu'envers finalement ces buveurs invétérés dont les propos tournent affreusement en rond... Mais venons-en au fait principal : notre héros, le Dr Morales, décide, après une ultime vexation, de supprimer sa femme ; taxidermiste émérite, dans son laboratoire habité par d'étranges créatures, il a sous la main tous les produits pour 1) la tuer 2) la faire disparaître... Aimant au besoin à discourir sur le crime parfait, il se dit qu'il a peut-être trouvé le meilleur biais pour y parvenir, tout en gardant en tête que le moindre petit oubli pourrait être fatal (en italique, cela s'impose ici).

C'est noir oui, c'est surtout délicieusement caustique tant le portrait de cette humanité ressemble, tout comme ces créatures empaillées, à un petit musée des horreurs : prêtre vénal, prêcheuses opportunistes et incontinentes (pour ne pas dire pisse-froid), bourgeois ultra-moralistes, fêtards invétérés, le Dr Morales passerait presque pour l'être le plus sain au milieu de ses comparses... Il a certes des envies de meurtre (ce qui est mal,  rappelons-le) mais avouons que sa femme fait tout pour le pousser à bout, le manipuler, l'humilier, le frustrer... Lorsqu'il décide de passer à l'acte, ce n'est pas sans avoir un petit rictus malsain de plaisir au bord des lèvres et je me serais presque surpris à ressentir une certaine l'empathie pour le bougre (ce qui est mal, too). Le plus remarquable, messieurs-dames, dans l'histoire, c'est que cela est filmé avec toute une petite grammaire cinématographique absolument gouleyante (plongée sur notre héros rabaissé et écrasé par son sort, contre-plongée troublante sur des personnages complotant, utilisation remarquable de la profondeur de champ pour donner toute sa place et son rôle à ce décor envoutant et inquiétant, noir et blanc superbe avec jeu "parcimonique" sur les ombres et la lumières aux moments opportuns). Gonzales réussit donc parfaitement au niveau du ton (entre drôlerie et cynisme) et de la forme (un huis-clos dans l'antre, dans le zoo malade du professeur où défile toute une faune d'individus peu recommandables...) à nous séduire - et ce jusqu'à ce final d'un noir d'outre-tombe(s). Un noir définitivement bien en chair. CQLT.

 

29 avril 2024

LIVRE : Je ne suis pas un héros (Cause for Alarm) de Eric Ambler - 1938

Petite lecture du gars Ambler (eh ouais, on lit les commentaires... et les conseils avisés) et découverte de ce polar qu'on imagine rapidement pouvoir intéresser un Reed ou un Hitch... Il y a ici divers éléments classiques du thriller : un type un peu naïf (représentant une firme anglaise, il part vendre en Italie (dans cette fin des années 30) des machines pour fabriquer des obus... son prédécesseur est mort prématurément (écrasé en pleine nuit par une voiture) mais rien ne lui met la puce à l'oreille...) va vite se retrouver entouré d'espions en tout genre : italiens, bien sûr, mais aussi yougos, ou allemands ou américains ou russes (le problème des espions, c'est qu'on ne sait jamais vraiment qui ils représentent...)... Des menaces qui se font de plus en plus précises autour de notre homme qui vont le conduire dans une traversée folle et dangereuse de l'Italie (dans tout plein de trains, forcément) jusqu'à la frontière suisse...

 

Oui, c'est assez palpitant, tant notre homme (jeune ingénieur sans le sou, gentil romantique amoureux d'une jeune fille qu'il a laissé derrière lui...), parti un peu la fleur au fusil, va vite voir la situation lui échapper ; alors même qu'il pense au départ uniquement faire son petit boulot sans trop se disperser avec des inconnus, il va se faire embringuer par des individus plus ou moins louches dans des aventures mettant sa vie en péril ; recherché par la police local comme un véritable ennemi public numéro un, notre petit Anglais va plus d'une fois trembler dans son caleçon en fil d'Ecosse à mesure que l'étau se resserre... Des marches forcés, un temps glacial, des individus dangereux, des trains de marchandises ou de voyageurs dont il faut s'extraire avec malice : on aura notre lot de minimes trépidations du cœur... Même si, sur la fin, cet épisode en Suisse paraît un peu "en trop", notamment au niveau du rythme (un  épisode pour dénoncer la paranoïa des hommes en ces temps troubles, la folie des scientifiques ? Peut-être, mais on sort malheureusement un peu platement de la tension mise jusque-là sur la tête de notre héros), on referme le livre déjà pret à se reprendre une petite dose d'Ambler à la moindre occasion. Je ne suis pas un héros : les faux pas finissent toujours par vous coller à la peau...

29 avril 2024

La Ferme des Bertrand (2024) de Gilles Perret

Ah ce "bonheur" d'être un travailleur des champs, d'être paysan, de passer sa vie à travailler sans avoir le temps de s'amuser, puis un jour, enfin, de prendre sa retraite... et de mourir dans la foulée... Lorsque même le repos, après l'absence quasi totale de loisirs tout au long d'une vie, se refuse à toi... Oui, on pourrait garder du film une certaine vision pessimiste de cette vie agricole, notamment par rapport à la vie de ces trois frères célibataires qui ont travaillé toute leur vie comme des dingues, pour "améliorer leur condition de travail", modernisant leur outil, construisant des bâtisses : une vie dévouée au travail pour garantir une certaine pérennité dans leur exploitation (démentielle - ils ont la moitié de la Savoie, les gars, j'exagère à peine...). Traire les vaches, faucher, planter, semer, sortir les vaches, c'est un travail de titan et ces trois frères y ont consacré leur vie... Avec des regrets ? Oui, celui d'avoir mis le doigt dans un engrenage du travail dont il était ensuite devenu impossible de s'extraire... Certes, la nouvelle génération (un neveu et son associé, la trentaine fringante) avec des engins plus perfectionnés, ont un peu plus de temps libre (ils finissent leur travail souvent avant la nuit, les glandeurs...), de temps à consacrer leur famille, mais cela reste partie congrue, malgré tout... Donc disais-je, on pourrait garder de ce reportage (qui s'étale sur 50 ans), que le côté sombre, une image un peu cruelle et guère reluisante de cette vie de forcené...

Heureusement, on sent aussi parfois dans cet attachement à la terre, dans ce goût du travail bien fait, dans cette solidarité entre les membres de cette famille, comme une sorte "d'enracinement" salutaire : c'est un sacerdoce, c'est un sacrifice, c'est un dévouement aveugle mais cette famille continue de vivre de cette terre et de la faire vivre dans une sorte de symbiose évidente... C'est une vie de peu (le seul écart, semble-t-il, étant de s'octroyer une bonne rasade de gnôle dans le café ou deux-trois ptits verres de cidre bus cul-sec : on peut enfin s'identifier quelques secondes avec nos hommes de la terre...), conduisant généralement à une mort soudaine et prématurée (pour au moins trois d'entre eux) ; une sorte de vie en auto-suffisance loin du brouhaha du monde qui, on l'espère, a tout de même ses bons côtés - ne serait-ce que dans la fierté de respecter ce paysage de carte postale... C'est dur, mais pur... Des aspects que le doc illustre avec une belle pudeur, en laissant ici ou là parole à ces hommes (ou cette femme) où filtrent certes des regrets mais où l'on sent un attachement extrême au lieu (que faire d'autre, même quand la vieillesse vous gagne ?).  Question chiffre d'affaire, facteur polluant, avenir économique, le cinéaste semble rester volontairement dans le flou sur ces sujets-là - comme pour mieux souligner cette vie à en suer, ou cette vision un peu idéalisée de la transmission pleine de respect entre génération. C'est sûrement la limite de ce projet filmique qui se contente (mais ce n'est tout de même pas rien) de donner une image très fidèle de cette vie paysanne en constante évolution grâce notamment aux innovations technologiques et à la dévotion de ces forçats de la terre. Un vrai bol d'air et d'amertume.

 

27 avril 2024

LIVRE : Lettres à la N.R.F. - Choix 1931-1961 de Louis Ferdinand Céline - 1991

"Le récit commence Place Clichy, au début de la guerre, et finit quinze ans plus tard à la fête de Clichy. 700 pages de voyages à travers le monde, les hommes et la nuit, et l'amour, l'amour surtout que je traque, abîme, et qui ressort de là, pénible, dégonflé, vaincu... Du crime, du délire, du dostoïevskysme, il y a de tout dans mon machin, pour s'instruire et pour s'amuser."

 

Quel beau résumé très concis du Voyage au Bout de la Nuit où on retrouve, en quelques mots délicatement choisis et avec ce phrasé et cette hargne inimitables tout Céline... Des lettres, donc, dans lesquelles on ne peut que reconnaître ce style hallucinant aussi flamboyant que noir mais où l'on voit aussi un homme terriblement aigri, chiant comme la pluie auprès de son éditeur, d'une mauvaise foi absolue (à côté, avec Gols on est définitivement des petits joueurs - on se voit ce week-end, comme une fois tous les dix ans, je prévois deux morts), et affreusement radoteur... Que ce soit ce pauvre Jean Paulhan (avec lequel il finit par se brouiller) ou Gaston Gallimard himself (un rock, inamovible, stoïque), il leur répète trois mille fois les mêmes choses (la parution de ses livres en poche, et surtout... dans la fameuse collection de la Pléiade, des avances, des augmentations...) jusqu'à la lie... Seul Roger Nimier se montrera apte jusqu'au bout à raisonner l'homme et à répondre un tant soit peu à ses demandes... Jusqu'au bout, on ne peut pas lui enlever, Céline se montre en colère, déçu, combattif, chieur, agressif, frustré. Le problème majeur, en quelque sorte, c'est que, s'il n'a rien perdu de sa verve littéraire, ses livres se vendent moins... Il est le premier à vouloir minimiser la publicité autour de ses livres pour ne pas avoir de problème avec le gouvernement et la justice, et le premier à ne pas comprendre qu'on n'essaie pas de faire... plus de battage autour de ses publications... Dieu sait que Paulhan et Gallimard prennent leur responsabilité en essayant de défendre Céline dans cet après-guerre qui ne lui est guère favorable... Au delà de tout intérêt personnel, ils font tout pour que l'écrivain continue d'être lu. Mais Céline n'est pas du genre à éprouver une quelconque empathie à leur égard (même s'il dédicace l'une de ses œuvres à Gaston Gallimard... cet hommage sera vite suivi de multiples noms d'oiseau à son encontre...). Céline, un homme en colère, putain, à vie.

 

A part ces petites querelles de clocher en rapport avec  le monde de l'édition, on peut tout de même parfois, ici ou là, rire des analyses fines que Céline fait de la littérature. Qui d'autre que lui à aussi bien parlé de Proust, et surtout en des termes aussi élogieux ! :  "Oh Proust, s'il n'avait pas été juif, personne n'en parlerait plus ! et enculé ! et hanté d'enculerie. Il n'écrit pas en français mais en franco yiddish tarabiscoté en dehors de toute tradition française. Il faut revenir aux mérovingiens pour trouver un galimatias aussi dégoûtant." Hein ? Oui, bon, ce n'est pas un bon exemple... Il n'a souvent que peu d'égard envers ses pairs contemporains... et les autres. En règle générale, d'ailleurs, on sent qu'il a toujours une petite dent envers les Juifs, les homos, les Gaullistes, les hommes, l'humanité, le cosmos, les trous noirs... Oui. Rares sont les remerciements et les louanges sous sa plume... Mais au niveau du sens de la formule, on se régale plus souvent qu'à son tour : "Ils vont enculer la mouche au vol pour me trouver criminel de je ne sais quel crime... mais ils vont y parvenir !" Enculer une mouche, c'est déjà ardu et pervers... mais en plein vol, avouons que c'est encore plus subtil... Bref. Des lettres qui dévoilent tout le caractère hargneux de cet écrivain aussi génial que (méchamment) provocateur, aussi inventif que mesquin.

26 avril 2024

La Marge de Walerian Borowczyk - 1976

C'est le printemps, les esprits s'émoussent, les extrémités rougeoient, il est temps d'envoyer un peu de film de boule. Mon choix s'est arrêté sur Walerian Borowczyk, dont j'avais entendu vanter les mérites, et qui promet, avec ce film affichant Sylvia Kristel et Joe Dallessandro en vedette, de m'en donner pour mon argent en terme d'érotisme bon enfant. Le bougre s'attaque à l'adaptation d'un livre de Pieyre de Mandiargues, dont je gardais un souvenir assez vénéneux d'une lecture adolescente.  Voici donc l'histoire édifiante de Sigismond, brave père de famille comblé, ayant juré fidélité à sa charmante épouse (dénudée plus souvent qu'à son tour), et qui se voit un jour contraint d'aller à Paris pour raisons professionnelles. Hop, au revoir bibiche, je reviens dans quelques mois continuer notre idylle sans nuage. C'est mal connaître la capitale, qui réserve dans ses bas-quartiers suffisamment de tentations illicites pour briser n'importe quel ménage. Celui de Sigismond va l'être par la présence envoutante de Diana, prostituée fatale qui met à bas toutes les promesses de notre homme. Avec elle il va vivre quelques folles journées toutes de chair offerte, avant de buter sur la triste réalité de la vie : c'est bien beau d'aller forniquer en oubliant femme et enfant, mais le karma se charge de vous rappeler à l'ordre, et le film se terminera dans la tragédie.

Grosse erreur de Borowczyk : avoir inversé l'ordre du roman. Chez Mandiargues, c'est la mort de la femme et de l'enfant de Sigismond qui le pousse à aller vivre cette histoire érotique, comme un chant du cygne, avant de se flinguer. Ici, la nouvelle n'arrivera qu'à la toute fin, et du coup les motivations de notre homme s'en trouvent bien moins glorieuses : il trompe juste son épouse. Ce n'est pourtant pas la seule erreur qu'on trouve là-dedans, la principale consistant surtout à laisser toute trace de rythme et de narration au vestiaire. Le film stagne comme c'est pas permis, ne racontant strictement rien pendant une bonne heure. On assiste simplement aux déambulations du héros dans les bas-fonds de Paris, zyeuté par des filles faciles qui lui font les yeux doux, et qui finissent la plupart du temps par exhiber leurs organes devant la caméra complaisante du cinéaste. Au premier rang desquels, donc, la volontaire Sylvia Kristel, que le cinéaste envisage dans sa seule moitié inférieure. Aucun trouble, aucune audace pourtant dans les scènes érotiques, nombreuses : Borowczyk se montre finalement bien prude dans leur abord, et filme sagement quelques culs nus et quelques poils pubiens sans autre invention. Ce qui fait qu'au final, on a un film tout de même bien chiant, qui ne raconte rien, et d'autre part assez mal monté et joué ; un film inutile en tout cas, si ce n'est pour refaire sa discographie, la somme d'inspirations que le gusse déploie dans la bande originale (de Pink Floyd à Charles Dumont) frôlant la schizophrénie.

 

25 avril 2024

LIVRE : Dead Stars de Benjamin Whitmer - 2024

Benjamin Whitmer, que l'on a toujours apprécié dans ces colonnes, nous revient avec une histoire de famille, forcément rugueuse, mais pas seulement. S'il sera, as usual pourrait-on oser, question de violence (violence du père, de ses deux fils aussi, héritiers malgré eux du principe quelque peu contestable où "la fin justifie les moyens"...), il sera aussi fait allusion, en toile de fond, à cette usine pour le moins opaque qui s'est installée dans ce bled du Colorado et qui a bouleversé totalement son équilibre, son côté paisible... Une entreprise pour le moins secrète et tentaculaire qui deale avec le plutonium et autres matières éminemment dangereuses... Une usine malsaine qui semble, d'une certaine façon, avoir irradié directement les relations humaines...

 

Au départ il y a une disparition : le fils de Hack, Randy, parti en fin de soirée à la recherche d'une vidéo, est introuvable... Hack, qui a en grande partie élevé seul ses enfants et qui est loin d'être un homme exemplaire, va devoir renouer avec ses proches (son frère, Whitey, avec lequel il a quasiment perdu contact, son père, Robin, auquel il ne parle plus tout) et compter sur sa fille, Nat, ado en pente douce sur le chemin de l'alcoolisme, pour mener l'enquête... Quant aux habitants de cette ville de Plainview que Hack s'est mis à dos (en contactant notamment un journaliste qui mène sa petite enquête sur l'entreprise qui fait tourner la bourgade), difficile de croire que ces derniers apporteront leur soutien aux recherches... Bref, Hack, seul contre tous, s'engage sur un terrain miné pour retrouver celui qui compte pour lui (avec sa fille) plus que tout au monde...

 

Une recherche qui part, on peut le dire, sur de sales bases, qui s'annonce, même, comme une gageure tant les résistances, envers Hack, de la population voire de ses proche, sont sensibles ; nonobstant, ce dernier, ancienne petite gloire du rodéo, avance tête baissée... On peut même dire qu'allié à son frère, on a véritablement affaire à deux terreurs - coups de poings, couteaux, fusils, ils disposent de tout un arsenal pour faire avancer leur enquête. Comme des bourrins, des bulldozers... A défaut de soulever des pistes probantes, ils vont surtout, en cours de route, remuer un passé qui sent la tourbe... Qu'il s'agisse des relations (violentes et jamais apaisées) avec son père, de la disparition de son ex-compagne, Joy, devenue junkie, de ses relations avec Rose, une femme mariée avec un ingénieur, rien n'est simple pour Hack, rien n'est limpide : les révélations vont pleuvoir, les complications s'accumuler... Une recherche à tombeau ouvert, pleine de furie et de drames divers dans un contexte politico-environnemento-économique pour le moins malsain... Plus le livre avance, plus l'on semble s'enfoncer dans les cercles de l'enfer... Un Whitmer qui paraissait, au premier abord, avancer en ligne droite, évoquant de simples petits soucis familiaux mais qui va se révéler, à l'usage, beaucoup plus trouble et complexe, évoquant au passage tous les traumas de ces personnages principaux coincés dans cette Amérique de la périphérie qui prend des allures de cauchemar atomisé. Une plongée glauque (et prenante ; souvent perturbante tant la violence des sentiments fait rage) où chacun va tenter de survivre en laissant "la merde (véritable leitmotiv du bouquin) au niveau de la chaussure" - tout en pataugeant dedans (au moins jusqu'à la taille) de bout en bout...  Des étoiles mortes, du noir, encore un brin d'espoir ? Un polar puissant qui laisse KO debout.  (Shang - 09/04/24)

 

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Arf, oui, on ressort avec une gueule de bois carabinée de ce bouquin, et pas seulement à cause des rasades de vodka que s'envoient les personnages toutes les 3 pages. Ce thriller à la trame finalement assez classique n'est qu'un prétexte pour Benjamin Whitmer pour déployer toute sa noirceur concernant le genre humain, la civilisation américaine et les atavismes de ses contemporains. Armé d'une solide philosophie nihiliste, qu'il nous offre gracieusement au travers de formules imparables tout au long de sa trame, il affiche une amertume déprimante quant à la violence éternelle et inextinguible de la race humaine : pas un personnage pour sauver l'autre dans cette smala torve, ni le "héros principal", nid de rancune et de traumas mal digérés, qu'il tente d’oublier dans les rodéos ; ni son frère, brutasse qui réfléchit après avoir frappé, engoncé qu'il est dans ses vérités toutes faites ; ni leur père, véritable monstre à l'origine de tout ce Mal ; ni même la petite Nath, qu'on plaint au départ d'être née dans ce lit de violence, mais qui effraye de plus en plus au cours du roman, complètement prise dans cette spirale de mort et d'alcool. C'est effectivement l'héritage familial qui a définitivement vicié cette famille, mais c'est aussi l'influence de cette misérable ville-prison (réminiscence du formidable Evasion, précédent roman de Whitmer), construite entièrement autour de l'usine à plutonium, et dont la toxicité semble avoir envahi les habitants eux-mêmes. Car ce n'est pas seulement la famille Turner qui est mortifère ; c'est tous ceux qui les entourent, habitants de Plainview voués au crime, au mensonge, à l'omerta, aux trafics d'armes et d'âmes...

 

Autant vous dire qu'on est pas tout à fait dans des ambiances rose-bonbon. Même si la violence explose relativement rarement, Whitmer préférant de toute évidence les dialogues et les atmosphères à l'action, elle est omniprésente dans les rapports entre les personnages, et elle imprègne tout le livre. Cette philosophie du mal, déployée dans un style impressionnant de sécheresse, toujours intelligente malgré son pessimisme crasse, rythme par ses aphorismes la trame, et finit par la surpasser. On note en effet quelques petites longueurs sur le dernier tiers du livre du côté de l'intrigue qui s'enlise un peu. Mais on reste stupéfaits par l'écriture de Whitmer, qui ne lâche jamais rien au niveau de la noirceur, de l'économie de moyens, de la précision : les dialogues, nombreux, sont des modèles avec leurs ellipses qui sont comme des gouffres (on met souvent deux-trois répliques à savoir de quoi on parle exactement), avec leur rythme impeccable. Mais tout l'univers mis en place grâce au style est impressionnant de maîtrise. Alors même si la trame est un poil surfaite et sa résolution un peu décevante, on ne peut que s'incliner devant la singularité de cet écrivain hors-normes. Genou à terre, même...  (Gols - 25/04/24)

24 avril 2024

Risky Business (1983) de Paul Brickman

Comme nous le rappelait récemment l'un de nos fidèles commentateurs, les années 80, quand même, c'était l'ère cinématographique du fric et du capitalisme roi, non ? Paul Brickman, qui n'est pas resté particulièrement dans les mémoires, trousse un petit film gentiment critique sur ces années Reagan avec dans le rôle-titre le poupon et poupin Tom Cruise (qui est encore, lui, dans les mémoires... et n'a pas pris de rides, le con... ahhh le miracle de la scientologie, cette science humaine pourtant parfois si décriée...)... Sans y aller franchement au scalpel, Brickman parvient tout de même à rendre compte de ces années money money money puisque l'argent domine tous les débats... Par le biais de ce gros naïf de gamin de riche Cruise, il va être question d'un business peu reluisant : ce dernier, papa et maman partis en vacances, va d'abord se la péter dans la Porsche interdite de papa ; puis, encouragé par l'un de ses potes un peu grande-gueule, il va franchir un grand pas dans l'émancipation puis l'esprit de la libre entreprise ; il fait appel tout d'abord à une call-girl (Rebecca de Mornay, la blondasse au grands yeux de poupée vintage) puis, devant rembourser les réparations de la Porsche qu'il a quelque peu abîmée, par l'intermédiaire de Rebecca, à tout un réseau de jeunes femmes ; fournir des gonzesses de luxe à ses potes friqués, voilà un business pour le moins juteux... pas sans risque, non (un méchant petit maquereau revanchard veille), mais tellement succesful...

De la thune, de la donzelle tout en brushing peu farouche, des soirées classieuses entre potes bien élevés... On savait s'amuser à cette époque, c'était tellement mieux avant, comme diraient en choeur Pascal Praud et Sardou - et surtout dans la politesse et le respect des genres (chacun dans son rôle, quoi)... Tout ça est filmé de façon aussi lisse que les lunettes noires de Cruise sur lesquelles glissent les questions morales ; et il est même possible, en se moquant au passage de papa-maman si frustrés et vieux jeu, en (bon chasseur de) prime, que notre héros trouve l'amour (enfin disons l'intérêt commun) avec sa blonde... Chicago 1983, Capone reviens putain !!!! Ça ne pète pas très haut, certes, mais cela constitue un témoignage doucettement satirique de ces eighties si auto-entreprenantes et dévouées au dieu argent. Mignon, comme les bajoues toutes rondes du Tom avec sa coupe de play(boy)-mobil.

 

24 avril 2024

LIVRE : La plus précieuse des Marchandises de Jean-Claude Grumberg - 2019

Le syndrome Matin brun est de retour. Souvenez-vous de ce minuscule bouquin qui avait fait un succès monstrueux, et qui, quand on l'ouvrait, ne savait que vous raconter un conte un peu bêbête sur l'intolérance, renvoyant Orwell et Huxley à leurs études. La plus précieuse des Marchandises, même s'il est beaucoup mieux, même s'il est travaillé avec plus d'intelligence, est sur le même créneau : raconter des événements connus de tous, mais traumatiques pour tous, et le faire dans une langue simple, accessible à tous, presque enfantine, pour lui donner toute l'universalité nécessaire. Autrement dit, comme dans un conte, il re-raconte toujours la même histoire, la façon de le faire faisant la nuance plus que les détails de la trame. Bon. J'ai peu d'estime pour Matin Brun, et j'ai grincé des dents au départ de ce petit livre, écrit comme un conte d'Andersen, ou en tout cas dans une écriture qui tente d'en copier le style. Le style de Grumberg, rompu, depuis des années qu'il écrit pour le théâtre, à l'humour ironique et aux bons mots, n'a plus grand chose à faire pour être brillant ; encore faut-il qu'il soit pesé, et là, dans cette parodie de contes, il échoue un peu à tous les postes : et à rendre les personnages attachants et autres que caricaturaux, et à instiller de l'horreur et de l'étrange, et à cultiver le merveilleux, et même les règles essentielles du conte ne sont pas vraiment respectées (en terme de répétitions, de montée du suspense, de contrepoint). Bref, c'est bizarre mais on dirait que Grumberg n'a jamais lu de contes traditionnels, ou n'en a retenu que la surface, ou au mieux qu'il tente dès les premières pages de balancer le genre aux orties. Curieux alors d'avoir choisi ce genre-là pour raconter son histoire.

 

L'histoire est d'autant plus émouvante qu'on apprend à la fin qu'elle a pour base la réalité concrète de son auteur. Pendant la déportation des Juifs, un bébé est lâché d'un train en pleine forêt, son père avide d'offrir un espoir de survie à sa fille. La "marchandise" est récupérée par une brave bûcheronne miséreuse qui va braver le froid, la faim, et la milice pour faire vivre sa fille adoptive. Une histoire de Juste, donc, comme on en a lues des centaines, mais qu'il est toujours bon de se remettre sous les yeux de temps en temps histoire de vérifier que, même au plus profond de l'horreur, l'espoir de voir fleurir l'Humanité est toujours là. Grumberg n'a rien à raconter de plus que ça, c'est-à-dire cette histoire tristement horrible de déportation, de mort, de lutte pour la survie, et si elle ne l'avait pas touché de près, on se demanderait un peu le pourquoi de cette énième pierre apportée au devoir de mémoire, d'autant que le livre est beaucoup trop court pour être vraiment édifiant ou pour creuser le sujet. La distance apportée par la narration en forme de conte est presque malheureuse parfois dans ce contexte, on imagine la tronche qu'aurait faite Lanzmann à la lecture du livre. Mais, allez, il faut reconnaître que l'émotion pointe son nez, surtout sur la fin, dans ce petit récit enfantin et assez brutal, simple et "amèrement léger". Le gars sait travailler un mélodrame discret, modeste, et sait très bien gérer la montée des sentiments. Mais son livre reste à la lisière de quelque chose, ce qui, pour une histoire aussi ample, est bien dommage.  (Gols - 17/04/19)

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Séance de rattrapage pour Hazanavicius sélectionné de dernière heure pour Cannes 2024 et séance de rattrapage pour moi-même qui n'avais point lu ce petit "conte" ancré dans l'Histoire (c'est un paradoxe, oui) écrit tout en délicatesse et en émotion : un train (qui part de Drancy...), un bois, un bébé lâché d'une fenêtre par un père prévoyant, un bébé miraculeusement récupéré par une bucheronne et le reste... est un conte de fée et de monstres... Les monstres ce sont ceux qui sont à la poursuite de ces soi-disant "sans-cœurs", les Juifs pour ne point les nommer, alors même que le leur est en pierre ; les bonnes fées ce sont les personnes qui vont se pencher sur la vie de ce bébé, notre bucheronne au petit soin, son bucheron (au cœur résistant puis fondant), cet homme des bois (laissé-pour-compte d'une humanité qu'il fuit, blessé qu'il fut par le passé par la sauvagerie des hommes)... Un éternel combat entre des êtres de bonne volonté et des assassins du genre humain... Grumberg (homme de théâtre... et co-scénariste des dialogues du Dernier Métro : cela marque des points, évidemment) sait trouver des mots simples, des mots tendres, pour nous conter ce récit toute en finesse et en justesse de cœur. On est pris, rapidement, dans le tourbillon de ce sauvetage incroyable (le sacrifice d'un père, la volonté protectrice d'une bucheronne) dans une époque tout aussi improbable... par sa lâcheté, sa soif de sang, son jusqu'au-boutisme infernal... Un peu d'espoir dans cette forêt, loin du monde, alors même que le monde devient fou, s'aveugle, s’auto-détruit... On est rapidement de tout cœur avec cette femme qui, seule contre tous au départ, permet de croire en la dernière étincelle d'humanité existante. C'est narré avec une grande douceur, une infinie pudeur alors même que l'horreur fait rage. On espère (et on y croit) qu'Hazanavicius, avec son adaptation animée sera à la hauteur de ce petit ouvrage précieux (recommandé par Léa Salamé !!! Diable... Où sont passés les critiques littéraires ?).  (Shang - 24/04/24)

23 avril 2024

Au Coeur de la Nuit (Dead of Night) (1945) d’A. Cavalcanti, C. Crichton, B. Dearden et R. Hamer

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Un fil conducteur réalisé par Dearden et cinq histoires « étonnantes » - on est quand même loin du film d’horreur… au mieux fantastique, ou tout bêtement « intrigantes » ou mystérieuses - réalisées par ses camarades et lui-même. Le fil conducteur est basé sur l’idée de déjà vuuuu - à l’anglaise - avec un homme qui se rend dans une demeure à la campagne et qui est persuadé que les gens qu’ils rencontrent alors sont ceux qu’il croise chaque nuit dans ses rêves… Un rêve qui se transforme généralement en cauchemar mais avant d’en arriver là, chacun va y aller de sa petite anecdote étrange : un homme qui après un accident de voiture va avoir la vision de sa propre mort (belle et impressionnante apparition de cet attelage « funéraire » - quasi buñuelien avant l’heure…) ;  un type qui voit dans le miroir un décor qui n’est pas le sien et qui va finir par péter un plomb - comme l’ancien propriétaire du miroir qui a assassiné sa femme (très longuet et bien peu de frisson, si ce n’est ce regard effrayé - mais classique - de cette femme qui voit son gentil mari devenir incontrôlable) ; deux potes, joueurs invétérés de golf, qui jouent une fille sur un parcours (la classe) - le perdant se sabordera en allant recta dans un lac mais tentera de se venger de son ami tricheur (le golfeur golfé en quelque sorte… adapté, un peu platement, d’une nouvelle de Wells), une histoire de cache-cache qui tourne bizarrement (une jeune fille découvre dans sa chambre un ptit garçon censé avoir été assassiné des années auparavant… absolument pas inquiétant de bout en bout…) et enfin l’histoire d’un ventriloque (je déteste autant les ventriloques que mon camarade blogueur les clowns… c’est comme ça…) dont la marionnette se montre terriblement rebelle (un cas classique de schizophrénie, une maladie souvent fatale chez ces cons de ventriloques - pardon je dérape et refermons cette trentième parenthèse) : guère original…

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La mise en scène est fluide, c’est souvent bien propret dans la réalisation, honnêtement joué (à l’anglaise…)… le seul problème c’est qu’on ne vibre pas un seul instant et qu’on finit même par méchamment trépigner d’impatience… Une fois qu’on a compris qu’on est à dix mille lieues d’un film gore, on est prêt à accepter ces gentilles historiettes contées avec cette indéniable english touch (so curious and so strange, ohohoh). Malheureusement, plus les récits s’enchaînent, plus on a du mal à s’imprégner de leur atmosphère. Si, à la limite, la première histoire (de Dearden d’ailleurs) laisse flotter un petit parfum d’étrangeté - la tronche de ce croque-mort/employé de bus ! -, on reste relativement frustré par la suite : aucune peur ni frisson, guère d’inquiétude, mais plutôt une certaine lassitude qui finit par nous gagner… Malgré un final qui se doit d’être un point « culminant » (belle idée que ce héros qui retraverse les cinq histoires… avant le retour infernal à la case départ… open your eyes, open your eyes…), on reste franchement un peu morose devant ce film à sketches qui fout jamais les boules… On regretterait presque de ne pas s’être plutôt repenché sur certains vieux épisodes de Hitch présente ou de Twilight Zone ; au moins parfois le suspense était haletant, le mystère prenant. Déçu, d’autant que ce ne sont pas des manches aux manettes. Peu troublé...  (Shang - 26/01/13)

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Oh, injuste, très injuste, mon gars Shang, sur ce coup-là ; il devait être dans un mauvais jour pour ne pas voir la somme de petits trésors qui émanent de ce film très singulier, qui aborde chacune des histoires, a priori classiques, avec un ton qui n'appartient qu'à elles. La mise en scène, le jeu des acteurs, l'écriture, tout est sans cesse gentiment surprenant, et on est sans cesse en porte-à-faux, éprouvant très agréablement un trouble étrange à la vue de ces histoires fantastiques du meilleur effet. Prenez le sketch réalisé par Charles Crichton, sur les deux joueurs de golf rivaux en amour : au milieu d'un film assez sérieux, qui se pique de nous inquiéter, voilà que la comédie macabre s'invite et qu'elle ne jure pas du tout avec l'ensemble. Éminemment anglaise dans son ton et sa réalisation, cette partie a d'autre part l'immense intérêt de nous faire retrouver le duo de A Lady vanishes, Basil Radford et Naunton Wayne, et de tricoter des scènes drolatiques au bord du non sens : ce type qui s'enfonce doucement dans l'eau sous les yeux de son acolyte, ce fantôme qui accompagne son pote à l'autel du mariage, cette résolution phallocrate et poilante : vous m'en montrerez, des films qui savent aussi bien cultiver la rupture de ton et le contrepoint.

Ce n'est pourtant qu'une des mille petites qualités de la chose. Si on excepte le sketch réalisé par Cavalcanti sur le petit fantôme, effectivement fade, tous ont leur intérêt. Le fil rouge (réalisé par Dearden), avec cette construction très originale en boucle, avec cette scène qui continue sur le générique de fin, comme un cauchemar, avec cette ambiance façon Agatha Christie, avec ces personnages gentiment caricaturaux à la Cluedo, ravit ; ce cocher de corbillard (Dearden également), qui va faire un tour vers le surréalisme, vers un onirisme fantastique à deux doigts du burlesque, là aussi étonne par son changement d'ambiance, par ses images fortes. Mais ce sont les deux autres histoires qui emportent vraiment l'adhésion. Cavalcanti renouvelle les histoires de ventriloque avec cet homme hanté et dépassé par sa marionnette, sorte de prolongation de son surmoi bien entamé : elle balance des horreurs, affiche la virilité qu'il n'a plus, négocie sa carrière, alors que le marionnettiste (excellent Michael Redgrave, lui aussi issu de A Lady vanishes) est un loser introverti et faible. Cette histoire va ouvrir la voie à tous ces films psys sur les rapports entre créateur et créature, une vraie réussite.

Enfin, la meilleure partie selon moi : l'histoire du miroir hanté, réalisée par Robert Hamer. Non pas tant par ce qu'elle raconte que par l'extraordinaire façon qu'a le réalisateur de jongler avec les points de vue. On est tantôt dans le regard du mec envouté, qui voit dans le miroir un autre décor que le sien, tantôt dans celui de sa femme, qui le voit s'enfoncer dans la folie, tantôt dans celui d'un narrateur omniscient, sans que jamais on ne soit gêné par ces allers-retours, tant le film est d'une fluidité magique. Magnifique plans alternés entre le couple devant le miroir et le reflet vu par l'homme, lui seul, la voix de sa femme se faisant entendre comme extérieure au décor. Une école de mise en scène. Qu'on ne tremble pas devant ces histoires est évident, a-t-on sincèrement peur devant un film depuis qu'on a quitté l'adolescence, a fortiori devant un film des années 40 ? Moi, j'ai trouvé ce petit film merveilleux.  (Gols - 23/04/24)

 

22 avril 2024

Une Aventure de Billy le Kid (1971) de Luc Moullet

Si vous avez envie de vous octroyer une petite balade délirante dans les Hautes-Alpes, je vous ai trouvé pour ce faire le meilleur guide qu'il soit : Jean-Pierre Léaud ; un Jean-Pierre encore dans sa prime jeunesse, fougueux, romantique, dingue comme un scalp... On sent bien que Moullet, désireux de trousser une sorte de série B à la française, ne se pose pas vraiment de question au niveau du scénario : il reste surtout concentré sur son cadrage de façon à placer ses deux personnages principaux un peu dingues au beau milieu de ce décor naturel transcendant... (les décors le sont, le film moins). Léaud is Billy the Kid : après avoir attaqué une carriole et dézingué une poignée d'individus, poursuivi par une meute de types mal habillés, il rencontre dans sa fuite une donzelle ensevelie (le décor se révélera plein de surprises, le film moins)... Il lui jette au départ à peine un coup d'œil, on devine déjà la suite... Mais, autant vous le dire promptement, cette "relation" s'avèrera beaucoup plus complexe qu'elle en a l'air (bon, je ne vais pas non plus vous dévoiler le seul twist de la chose...)...

Un type armé (aussi crédible que moi en MMA), une donzelle rotonde attachante, des poursuivants un peu lourdauds, des Indiens, et c'est parti pour une course-poursuite assez bon enfant !... Bon, il faut avant tout aimer les pitreries de Léaud pour sourire de temps en temps à la chose (heureusement, relativement courte) : que notre gars se retrouve perdu au fond d'un trou, coincé sous des pierres ou avec une corde à son cou, c'est à chaque fois des yeux au ciel, des ahanements de dingue (Léaud fait admirablement bien le scrogneugneu quand il est énervé), des petits poings serrés qui frappent le ciboulot... Comme Moullet a en plus une certaine tendance à accélérer quelque peu les images de son film (à moins qu'il s'agisse d'une décision de Jean Eustache himself préposé au montage - histoire d'en finir plus vite ?), on a souvent l'impression d'assister à une comédie muette ultra vintage avec, en prime, parfois, les petits cris du Jean-Pierre... Sur ce fil plus que mince, Moullet nous montre les trésors de ces paysages et va même, en bout de course, à bout d'imagination sans doute (!), nous livrer sa propre vision linguistique du monde indien - du doux délire... Un "western d'amour alpestre" tourné à la vitesse à laquelle Lucky Luke dégaine - pas aussi efficace mais rigolo parfois... Once again, pour fan averti de Léaud... et ceux qui aiment chez Moullet (s'il en existe) ces petites atmosphères légères sans grande prise de tête... Léaud the Kid...

Léaud the King

22 avril 2024

LIVRE : La Crème des Hommes (Portrait of a Mobster) de Harry Grey - 1959

Dans les polars, généralement, quand un type se fait buter, on ressent autant d'émotion que lorsqu'on allume une allumette - après tout, ce n'est jamais qu'un être de papier. Chez Harry Grey (l'auteur de The Hood, base d'Il était une Fois en Amérique), quand le personnage principal (Dutch) bute un mec... on se dit que le mec est vraiment mort, qu'il fut vraiment un être de chair et qu'il a, le bougre, plus ou moins souffert (cela dépend en fait généralement du nombre de balles reçus et de l'endroit du corps atteint)... On fait donc un peu moins le malin. Dans cet ouvrage, on retrouve un petit caïd de quartier qui se prend à rêver de prendre le contrôle total du Bronx (pour ce qui est de la distribution de la bière et des jeux d'argent tels que la loterie) ; pour ce faire, il lui suffit se dit-il de s'encadrer d'une poignée d'hommes, de jouer les gros bras auprès des Irlandais, des Italiens mafieux et d'autres petites teignes locales et d'installer son business : il fait le tour des popottes et se montre vite convainquant - c'est oui ou... ou ? c'est oui, donc ; il aime, au cas où, se faire justice lui-même avec ses petits poings cagneux ou son flingue porte-bonheur ou (plus spectaculaire mais tout autant efficace) demander à l'un de ses bras droits de poser une bombe pour faire sauter un appart ou tout un immeuble... Faut pas le contredire, quoi, le retour est rapide, ce d'autant qu'il est un peu nerveux, limite alcoolique, voyez... Dès le premier chapitre, avec cette longue scène d'attente d'un tueur dans son propre antre, attente que Dutch passe en discutant le bout de gras avec la donzelle du tueur, on sent chez notre héros comme un petit goût pour la perversité macabre et sexuelle... Le tueur qui finira par se pointer en fera les frais... tout comme la donzelle d'ailleurs puisqu'il la prendra ensuite sous son aile (enfin disons même dans son lit) , ainsi que sa petite soeur (dans le lit, toujours), et que sa mère (dans le lit, aussi - il a un faible pour les rouquines...)... Une montée en puissance, dans la violence, le pouvoir, une ivresse des sommets qui a tout de même ses limites... Des trahisons ici, puis là, puis la paranoïa, cette putain de paranoïa qui fait le reste... L'égo de Dutch a beau se situer au moins à ce niveau (geste probant), le stress + l'alcool + le doute + les coups de sang vont avoir quelque peu tendance à le faire redescendre sur terre... Un polar classique en soi, la chute après avoir flirté avec le summum... sauf que tout cela sonne comme terriblement crédible et réaliste. Saignant et moite. Grey, mon pote le tueur... Je continuerai volontiers sur ma série (noire) - sachant qu'il ne reste de toute façon plus qu'un petit bouquin du gars Grey à découvrir... Dommage, on y prenait goût.

21 avril 2024

Terminator (The Terminator) (1984) de James Cameron

Rien de tel qu'un petit film d'art et essai pour conclure le week-end. Quoi ? Je vous ferai remarquer tout d'abord que Cameron est fêté actuellement à la cinémathèque, que mon camarade Gols, sûrement sous le coup à l'époque (and still) de l'ivresse des profondeurs, tient Abyss pour un chef-d’œuvre ou encore que Gilles Lellouche est en course pour la Palme d'or... Alors bon, ne me parlez plus de frontières dans le septième art... Et ce Terminator sinon ? On est dans la fine dentelle (détruire), dans le film à thèse (détruire), dans le rôle d'une  vie (Schwarzenegger en robot, il fallait y penser : tu n'exprimes rien, tu marches comme un meuble, tu t'imposes même contre les murs - c'est génial). Si l'histoire semble au départ quelque peu alambiquée (un homme-machine (the Terminatur) est envoyé par des machines : un pur, un dur qui vient du futur pour détruire la mère d'un futur résistant contre lesdites machines), on sourit devant le simplissime fil conducteur : Sarah Connor, protégée par un résistant qui vient également du futur, doit échapper par tous les moyens au bourrinus terminatus armé jusqu'aux dents, sans foi, ni lois, ni foie. Une banale course-poursuite à la con, classique, basique...

On rit dès le départ de ces effets spéciaux vintage en ouverture, de ce meuble en cuir tout aussi vintage qu'était alors Schwarzi, de la coupe de cheveux de cette pauvre Sarah amoureuse sûrement en son temps du Playmobil tennisman Jimmy, de cette musique eighties électronique qui ferait passer Jean-Michel Jarre pour un esthète... On rit et puis peu à peu, malgré tout, on se prend au jeu de ce terminatus qui décanille du flic à la douzaine comme de vulgaires cloportes (ahahah, un type qui vient du futur... il rentre dans leur bureau en bagnole et les trucide les uns après les autres... Tous les flics sceptiques tombent dans la fosse...) : cette escapade nocturne pour échapper à la mort (Sarah et le résistant du futur faisant équipe seuls contre tous, faisant d'ailleurs rapidement plus qu'équipe...) devient un véritable jeu de massacre, une course contre la mort, contre un futur inéluctable : une femme peut, éventuellement, encore sauver la planète... Il lui faut juste survivre face à cette violence mi-homme mi-machine lancée contre elle...  Ce truc indestructible (dont on est en partie responsables et qui prend en quelque sorte sa revanche : exterminer ces cons d'humains) nous fout les miquettes et son regard rouge-laser lancé à pleine vitesse sur sa moto ou au volant d'un semi nous fait plus que frémir... Bon, c'est bourrin en diable mais l'on sent chez Cameron ce terrible sens de l'efficacité et du jusqu'au boutisme - ça partait comme une petite partie de rigolade genre serial-killer sans imagination (toutes ces Sarah Connor qui morflent sans savoir pourquoi eheh), ça s'achève dans le feu et le sang - l'enfer du terminator. Aussi con que la mort et la violence extrème, un genre est né - le fin mot de Cameron. Collector.

20 avril 2024

LIVRE : Ça sur moi de Sébastien Joanniez - 2018

Autoportrait en pièces détachées, ce recueil de petites pièces poétiques du très attachant Sébastien Joanniez est une merveille de simplicité. Modestement, sans se la ramener, par une écriture qui n'en rajoute pas, qui cherche le bon mot au bon endroit et sait s'arrêter dès que la sensiblerie s'annonce, il tente de se comprendre lui-même, en tournant autour de quelques thèmes : sa dépression, son couple, sa maladie, son quotidien le plus trivial (courses au supermarché, discussions entre mecs au bistrot, coups de fil de sa femme). Il parvient ainsi, par tout petits coups de burin qui entament à peine sa surface, à donner l'image d'un être, imparfait, névrosé, pitoyable parfois, mais aussi volontiers joyeux. Ces pièces disposées comme des cailloux sur la page (le bougre est un adepte de l'anagramme), ont en commun, outre leur tentative de portraiturer leur auteur, un humour, une légèreté, une posture simple par rapport à la vie ; autant de tendances que vient démentir la dépression latente qui vient faire un tour dans presque toutes. Joanniez évite à tout prix le livre auto-centré ("Je ne cherche pas à faire de moi / Le sujet rêvé / D'un livre nombril"), tente au contraire d'universaliser son expérience ("Et peut-être suis-je / Trop présent ici / Dans ce cas / Laissez ce livre / Et prenez un miroir."), de dresser en quelque sorte le portrait du mâle ordinaire occidental d'aujourd'hui. Il y parvient en empruntant la toute petite porte, mais il y parvient tout aussi efficacement que les grands livres ambitieux. En notant minutieusement les minuscules soubresauts du quotidien, en évoquant avec la politesse de la simple évocation son passé, en haussant le ton mais juste un tout petit peu (ces "Elles m'énervent" de plus en plus gros dans la page, cette page emplie uniquement des mots "Indispensable" et "Inutile"), en rompant toute sentimentalité trop appuyée par des petits dessins naïfs (d'Aurélie Blanchin), mais en ne se privant pas du sentiment ("JE NE SAIS RIEN / QUE LA LUMIÈRE DU JOUR / ET LE JOUR ATTEND / QUE JE ME LÈVE"), il nous offre une pépite de délicatesse, drôle et très émouvante.

20 avril 2024

Festival de Jean-Claude Rousseau - 2010

Mon attirance ponctuelle pour les films expérimentaux m'a mis sur les traces de ce Jean-Claude Rousseau, que je ne connais pas du tout mais dont la biographie et les passions (pour Straub et Huillet, notamment) sont pour le moins tentantes. Au hasard, boum : Festival, qui devrait vous rassasier si vous êtes dans la même recherche. On reste assez saisi par ce film, qui ne fait pourtant rien pour se faire aimer et qui cultive une épure qui confine à l'aridité. Sans avoir vraiment saisi ce que ce diable de Rousseau a bien pu vouloir dire, disons que le truc travaille sur la durée, sur l'occupation de l'espace de l'écran, sur la longueur de plan.

Deux parties clairement séparées : la première est certainement la plus facile, puisque Rousseau y travaille un certain humour reposant sur la critique de son propre film en train de se faire. Un homme se déclare incapable d'écrire, une femme qui essaye de l'enregistrer se rend compte qu'elle ne parvient à capter que les "espaces blancs" entre les mots. On le voit : il va donc être question d'une incapacité, d'un échec, et d'aller chercher les interstices entre les actions plutôt que l'action elle-même. On a donc droit à une série de plans très longs, la plupart du temps vides, rues désertes, bouts de trottoir, chambres inoccupées. Le cinéaste y fait l'essai d'un cinéma privé de tout ce qui fait cinéma d'ordinaire. C'est à peine si de temps en temps la présence muette d'un homme dans le champ peut faire penser à un début de trame, surtout que ses actions semblent obéir à une motivation précise : dans sa chambre d'hôtel, il déplace ses vêtements, scrute l'extérieur comme s'il attendait quelque chose, fait bouger l'eau de sa baignoire, on peut même penser à un moment qu'il va se défenestrer. Autant de minuscules pistes de narration qui ne seront pas menées au bout, le cinéaste préférant filmer ces plans témoins de son impuissance à lancer une action. Ce qui est assez marrant, c'est qu'en voix off, on entend un collègue à lui (interprété par Guiraudie) critiquer ce qu'on voit à l'écran : qu'est-ce que c'est que ces plans trop longs, on s'ennuie, à côté de Straub c'est du pipi de chat. Rousseau insère donc dans son film une critique de son film, enlevant pas mal de poids à la chose. Et on se surprend à aimer particulièrement certains de ces très longs plans (surtout que les cadrages sont parfaits, les couleurs très bien pensées, la longueur très mesurée dans sa démesure), qui forcent d'autant plus le respect qu'ils sont mis en question par Guiraudie.

Ça se gâte un peu dans la deuxième moitié, puisque Festival se radicalise un peu plus en ne montrant strictement plus rien, ou presque : l'homme vu plus haut, désormais livré à une solitude extrême et à des rituels sans sens qui le conduisent à arpenter une vielle salle de cinéma, à en essayer les sièges un par un, à s'asseoir dans le foyer, à se branler dans sa chambre d'hôtel, à zapper sans envie sur la télé, à guetter toujours on ne sait quoi par la fenêtre. Plus de mots, que des plans fixes, très longs, que cette caméra fixe qui enregistre le néant. On s'emmerde pas mal, je peux vous le dire, et il faut s'accrocher pour prendre encore un certain plaisir à scruter ces plans certes parfaits. On le trouvera (le plaisir) en s'efforçant d'éprouver quelque chose de cette durée imposée par le cinéaste, de chercher à voir ce qu'elle nous fait, à décrypter les possibles pistes scénaristiques dans cette suite de gestes sans affect. Un peu comme quand on regarde un film des Straub, donc, l'ennui fait partie des sentiments qu'on éprouve, et la rêverie cède vite la place à la concentration sur le film... ce qui a son intérêt, je ne dis pas. Au final, on se réveille de trois bons quarts d'heure de rêve éveillé, et on a l'impression d'avoir traversé un moment de cinéma, dirais-je de façon un peu hasardeuse. Avec ma soif d'expérimental assouvie pour l'instant.

20 avril 2024

SERIE : Samuel d'Emilie Tronche - 2024

Voilà : on envoie une petite série animée un peu au hasard, un peu par désœuvrement, en se disant qu'on regarde un épisode et au lit, et on tombe sur une petite merveille qui vous tient toute la soirée. Samuel m'a troué le cœur, c'est pas compliqué. Avec une économie de moyens totale, avec modestie, avec un sens même du dénuement (21 épisodes d'une poignée de minutes à chaque fois), Emilie Tronche nous offre une fresque dans un verre d'eau, une traversée de l'enfance, une chronique ultra-sensible et pertinente sur ce que sont ces années, sur ce qu'elles déterminent de nos années d'après, sur les mile petits outrages, espoirs, joies, tragédies, questionnements qu'elles déclenchent. Dès le premier épisode, on est happé par la justesse du ton : on est à hauteur de gosse, dans le principe (certes très classique) du jeune héros qui rédige le journal de son quotidien, et nous raconte par le menu ses petites aventures ordinaires. On restera jusqu'au bout dans ce fragile rapport-là d'un enfant qui nous raconte, avec ses mots et sa personnalité, sa vie : pas d'apport adulte, pas de contrepoint moral ou psy, juste un témoignage. Et à constater l'authenticité de ce regard, on se dit que Tronche n'est pas sortie de l'enfance. Samuel est absolument craquant avec son flegme, sa distance, sa capacité à s'auto-critiquer, son regard déjà désabusé sur le monde, son humour, ses accès de sensibilité (voire de sensiblerie), et la série, d'une délicatesse miraculeuse, nous replonge en deux-deux immédiatement dans les émotions de nos 10 ans.

La série ne raconte que ça : les amours de Samuel pour la belle Julie, sa bande de potes, son ennemi juré, la voisine et ses chats, ses cauchemars, ses rapports conflictuels avec la brune Bérénice, ses émotions quand il assiste à un ballet de danse de sa mère ou qu'il reste en apesanteur au fond d'une piscine, son copain qui perd sa grand-mère, ses colères, la joie de sécher un cours... Mais il le raconte avec toujours ce petit ton irrésistible, capable de vous faire sourire et de vous mettre les larmes aux yeux dans le même instant. Plus fort que ça, je ne vois que Céline Sciamma, dont la série rappelle le magnifique Ma Vie de Courgette. Comme elle, Tronche comprend profondément ce monde, et le respecte : il n'y a aucune moquerie dans Samuel, aucune distance, aucune "mignonnerie". C'est aidée par un trait de crayon étonnant que la réalisatrice parvient à cette magie : c'est épuré en diable, avec ces personnages grossièrement griffonnés, ces décors à la Saint-Ex, ce noir et blanc simplissime, cette animation "amateure". Tout tient dans le timing, dans la douceur des voix, dans le sens précis du détail (les yeux qui bougent au bon moment millimétré) ; et aussi à la justesse des situations (qui n'a pas été humilié par le connard de service plus beau et plus fort que nous ? Qui n'a pas souhaité hurler et danser dès que la fille qu'on aime nous a regardé ?) et au choix des musiques, sentimentales, nostalgiques, parfaites. Le fait que le tout soit découpé en tout petits épisodes ajoute à l'aspect "bonbon" : on pioche dans ces souvenirs comme dans un bol de fraises Tagada ; mais celles-ci sont parfois chargées d'amertume, la série ne refusant jamais d'explorer aussi les cruautés de l'enfance, ses grands désespoirs, ses injustices. Au bout des 21 fraises, on est ravagé, bouleversé, rassasié et ému aux larmes, sans que la film ne nous l'ait jamais demandé : un trésor. (Gols 14/04/24)

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Merci à Gols pour cette petite découverte artéesque qui rythma joliment ces dernières vacances familiales... Oui, c'est parfaitement écrit (il y a des réminiscences de Bref ou c'est moi ?), cela nous replonge avec joie et mignonne nostalgie dans cet entre-deux âges (10-12 ans), dans une certaine époque aussi (tiens des Petits Cœurs...) même si Tronche use des références passéistes avec parcimonie et c'est surtout (j'enfonce le clou) impeccablement mis en musique et mis en mouvement : la plupart des épisodes peut être caractérisée par une petite chansonnette (et souvent en prime une petite danse superbement chaloupée et animée) ; c'est un florilège de petites choses datées et envoutantes (d'Abba à Julie London), de French songs indémodables (de Sheller à Jonasz - le solo sur "Un Homme heureux" est redoutable), de musiques de film inoubliables (du Chase midnightexpressif de Moroder à Ryuichi Sakamoto lawrencesque), ou encore de petites compos plus récentes mais tout aussi efficaces (de Bruno Mars à Swamp Dogg)... Une musique qui vient à chaque fois délicieusement souligner les états d'âme quelque peu cyclothymiques  de notre Samuel, amoureux novice et aveugle - un état d'esprit qui peut durer une vie entière, je vous l'accorde. Son journal (auquel il reste fidèle), sa bande de potes (fluctuante), ses amours (il y a toujours deux filles en compétition, c'est une sorte de règle), ses doutes, ses envies, ses craquages, ses mini-euphories... Chaque épisode (21) se consomme comme un tendre petit œuf en chocolat au goût varié et unique et le 21ème épisode nous laisse tout dépité (roooh, c'est déjà fini ! Ah les vacances aussi, remarque...). Incontournable - la bande-son de l'été ? Vous y allez fort, mais allez... (Shang 20/04/24)