Paul Deschanel, premier burn-out à l’Élysée

Paul Deschanel, premier burn-out à l’Élysée

Deschanel reste comme le président devenu fou sous les ors de l’Élysée, qu’il quitte après sept mois de mandat. Une biographie remet les pendules à l’heure.

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Paul Deschanel est président de la République du 18 février au 21 septembre 1920.
Paul Deschanel est président de la République du 18 février au 21 septembre 1920.

Temps de lecture : 5 min

De lui, on se souvient de la fameuse chute du train présidentiel au printemps 1920 : en route pour Montbrison pour inaugurer un monument, Paul Deschanel chute accidentellement sur la voie en pleine nuit, alors que le train roule à basse vitesse pour traverser une zone de travaux… Retrouvé errant en pyjama par un garde-barrière, le nouveau président de la République devient rapidement la cible des chansonniers et des journaux satiriques, à l'image du Canard enchaîné qui écrit une complainte de circonstance : « Il est dingo / Ça n'est pas rigolo / Il a un cachalot / Niché dans l'ciboulot. » Et la presse plus classique de s'interroger si le président est en état psychique de remplir ses fonctions… De fait, quatre mois plus tard, Deschanel démissionne. 

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Mais l'histoire n'a pas retenu que la chute du train. Ce pauvre Deschanel a été décrit comme le vrai dingo de l'Élysée, un homme qui signait les décrets Napoléon ou Vercingétorix, qui pêchait des carpes dans le bassin de Rambouillet, grimpant dans les arbres du parc ou se promenant une fois nu comme un ver avec, comme seul costume, le grand cordon de la Légion d'honneur… Rien de plus faux, explique Thierry Billard dans une grande biographie consacrée à ce président incompris et publiée chez Perrin dans une version augmentée. « Peut-on vraiment penser que les parlementaires aient pu envoyer un fou à l'Élysée ?, s'interroge-t-il. Deschanel était un homme brillant, remarquable orateur, ancien président de la Chambre, opposé à la peine de mort, favorable au vote des femmes, à la proportionnelle, au développement du mutualisme, une forme de protection sociale avant l'heure… Mais il n'était pas fait pour la politique politicienne. Ses problèmes à l'Élysée n'ont fait qu'accentuer sa disgrâce aux yeux de l'Histoire : il reste pour toujours celui qui a battu Clemenceau, célébré comme le héros de 14-18. »

Selon lui, toutes ces anecdotes fantaisistes ont été écrites après coup, à la fin des années 1930, par Paul Allard, dans Les Secrets de l'Élysée, et reprises depuis dans nombre d'ouvrages consacrés à l'histoire du palais des présidents. Allard n'y va pas de main morte en décrivant un président zinzin qui barbotait dans les bassins de Rambouillet en « se croyant un brochet », ou encore épaulé par son épouse, qui « lui prenait la main et la guidait » pour signer des décrets et éviter la déconfiture – « car il fallait bien qu'il continuât à signer ». 

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La signature de Napoléon ? Les historiens n'ont retrouvé aucune trace de ces décrets, et son épouse, contrairement aux rumeurs, n'aurait pas non plus imité sa signature pour sauver les apparences… Des recherches menées aux Archives nationales prouvent même que Deschanel a usé pendant tout son mandat de la même écriture, sans altération. La réception d'un ambassadeur où il s'affiche dans le plus simple appareil ? Impossible, un ministre était toujours auprès du chef de l'État pour ce genre de rendez-vous très codifié. L'épisode de la « baignade » dans le bassin de Rambouillet ? Cette fois, il y a bien un début de vérité : le 10 septembre 1920, à 6 heures du matin, un employé donne l'alarme en le voyant entrer jusqu'aux mollets dans l'eau froide, mais sans avoir l'intention de pêcher. On le ramène illico au château, où il dit ne se souvenir de rien… En réalité, le président est en plein burn-out : déprimé, épuisé, les nerfs en compote, le stress de la fonction a fini par le miner entièrement.

Dans son ouvrage, Thierry Billard raconte avec minutie comment la brillante carrière du politique s'est embourbée dans le piège élyséen. Élu après la Première Guerre mondiale, à la barbe de Clemenceau qui avait pourtant mené le pays à la victoire, Paul Deschanel se sent immédiatement investi d'une mission d'envergure : il compte redonner lustre et puissance à la fonction, moderniser les institutions, intervenir en politique étrangère, se positionner en arbitre politique… Levé à 6 h 30 du matin, il consulte les dossiers, enchaîne les réunions, suit les aménagements du palais, préside les réceptions et consulte encore ses collaborateurs jusqu'à 22 heures… Mais il déchante vite face à Alexandre Millerand, chef du gouvernement, qui n'entend lui laisser aucune marge de manœuvre. 

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Le voilà comme les autres, un président potiche, « un manchot constitutionnel », selon la formule connue de Raymond Poincaré. Déprimé, stressé, cet homme émotif multiplie peu à peu les signes évidents de fatigue nerveuse. Le plus grave d'entre eux est sans conteste l'épisode de la chute du train : le président avait pris pour la première fois un hypnotique pour pouvoir dormir, qui a très certainement perturbé ses sens et ses réactions. Il se réveille en pleine nuit, l'esprit embrumé, descend la fenêtre de son wagon pour prendre l'air – elle est très basse pour pouvoir saluer la foule – et bascule sur la voie. Selon la thèse rapportée par Thierry Billard, Paul Deschanel aurait été victime du syndrome d'Elpénor, une affection caractérisée par « un réveil incomplet avec troubles passagers de la mémoire », qui peut déboucher sur des incidents passagers souvent incompréhensibles – la victime peut ainsi prendre une fenêtre pour une porte. « C'est quelque fois à domicile, mais presque toujours hors de chez lui que le sujet présente se réveil incomplet », expliquait ainsi le Dr Logre dans un article du Monde daté de 1948, qui ajoutait que le syndrome pouvait être provoqué par des médicaments, la fatigue ou la dépression. Rien à voir, donc, avec une folie caractérisée.

Après sa démission, Paul Deschanel se repose trois mois dans un sanatorium. « Je suis ridicule », répète-t-il en boucle, conscient d'avoir donné du grain à moudre aux chansonniers pour des décennies… Il reviendra pourtant à la politique, en étant élu sénateur dès le premier tour en 1921. Il croit tenir sa revanche, prépare un discours qualifié « d'explosif », où il entend notamment critiquer la toute-puissance du chef de gouvernement face à la présidence de la République. Il n'en aura pas le temps : la mort vient brutalement l'emporter au printemps 1922. Maudit jusqu'au bout. 

À lire : Paul Deschanel, par Thierry Billard, édition Perrin.

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Commentaires (9)

  • BAUVAN

    Notamment dans notre histoire politique récente, nos dirigeants, lorsqu'ils sont médiocres, eux ne souffrent jamais de burn out ! Il est vrai qu'en réalité il ne font pas grand chose pour nous, au point que mieux vaudrait parfois qu'ils ne fassent rien du tout... Mais leur force est de se cramponner à leurs postes avec une énergie inépuisable qui nous laisse pantois !

  • guy bernard

    J'ai fait un burn out au début des années 90 et personne ne l'avait identifié, y compris des professionnels.
    Ce n'est que très récemment qu'on en prend conscience, parce qu'on a compris que certains problèmes étaient insolubles, quelques soient les compétences mises en œuvre, et que les pressions et les quolibets détruisaient les personnes.
    Des lors, l'histoire est à revoir avec considération et le regard charitable de Valery.

  • Benel

    Mon père me l’a aussi raconté. Lés pieds propres ! Toute une identité.