« Bushman » de David Schickele: un film-fantôme inclassable déboule dans nos salles

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Le distributeur Malavida s’attaque aux films américains: jamais sorti, le brûlot (et brûlant) Bushman s’offre une inespérée résurrection sous nos latitudes en forme de restauration 4K!

Vous ne connaissiez pas ce film avant qu’il ne fasse sensation à Bologne, Lumière et plus récemment Toute la mémoire du monde? Pas d’inquiétude, c’est tout à fait normal: cet étrange docu-fiction n’est jamais sorti en salles, en dépit de son prix au Festival de Chicago en 1971. Trop déstabilisant pour l’industrie américaine de l’époque – qui en avait pourtant un peu plus dans les cages thoraciques que celle d’aujourd’hui -, Bushman est né de la rencontre entre un réalisateur américain blanc et un jeune enseignant nigérian réfugié sur la côte est des États-Unis, un an après le déclenchement de la terrible guerre opposant la province sécessionniste du Biafra au pouvoir fédéral nigérian. Le premier s’appelle David Schickele et le second Paul Eyam Nzie Okpokam, et c’est peu dire qu’ils vont livrer un film absolument unique dans l’histoire du « cinéma US hors des clous ».

Le tournage commence en 1968, date à laquelle le super-démocratique Oncle Sam constate que ses leaders progressistes (Martin Luther King, Bobby Kennedy et Bobby Hutton) se font zigouiller à vitesse grand V, et où la contestation contre le cauchemar des boys au Vietnam devient mondiale. Hippies mal coiffés et répressions policières sont également de la partie. La vie d’exil du professeur Gabriel (Paul Okpokam, donc) est donc jalonnée de rencontres, d’escapades amoureuses et d’errances sans grand lendemain, dans cette capitale du progressisme qu’on appelle San Francisco (be sure to wear flowers in your hair).

Tel l’Ingénu de Voltaire, notre “naïf” va servir de relais au spectateur pour observer et passer au peigne fin une société sûre de ses mœurs et de ses changeantes coutumes. Là où le film s’avère génial, c’est qu’il ne vise pas uniquement le racisme solidement enraciné dans ce pays phare-de-la-civilisation où certains États avaient encore l’habitude de lyncher les Noirs il y a de ça quatre décennies: les assignations à résidence et autres sorties de route exotiques proviennent également des milieux (bien) éduqués, où l’on ne jure que par les théories déconcertantes de Marshall McLuhan, même au coin de l’oreiller… Ni afro-américain, ni wasp, ni révolutionnaire à la petite semaine, ni rien du tout de ce qu’on attend de lui, notre Boudu sauvé des eaux ne peut qu’enrayer la souriante machine intégratrice. Sans jamais sortir la sulfateuse, mais avec une sagace ironie, le film dit les impensés d’une société qui a voulu un temps croire que les clivages étaient derrière elle, jusqu’à ce que le long-métrage ne se retrouve soudainement empêché par la réalité elle-même, pour une raison que vous découvrirez en salle (notamment au Reflet Médicis, pour nos lecteurs parisiens!)…

Avec en prime un très jeune Jack Nance (futur Eraserhead et Pete Martell de Twin Peaks) dont on a vu la bouille dans quasiment tous les machins lynchiens qui existent, jusqu’à sa mystérieuse mort en 1996. G.R.

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