Chroniques du Cinéphile Stakhanoviste: La Nuit des généraux - The Night of the Generals, Anatole Litvak (1967)
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vendredi 10 mai 2024

La Nuit des généraux - The Night of the Generals, Anatole Litvak (1967)


 Varsovie, 12 décembre 1942 : Maria Kupiecka, une prostituée qui travaillait secrètement pour le renseignement allemand, vient d'être sauvagement assassinée, alors que dans Varsovie se profilent les prémices de la destruction du ghetto de Varsovie. Selon un témoin, le meurtrier serait un général de la Wehrmacht (reconnu à la bande rouge distinctive sur le pantalon de sa tenue d'officier). L'enquête est confiée au major Grau. Ce dernier ne tarde pas à soupçonner trois hommes sans alibis : le général Kahlenberge, le général Seydlitz-Gabler et le général Tanz

La Nuit des généraux est un assez captivant mélange de thriller et de film de guerre, dans le cadre d'une prestigieuse coproduction internationale orchestrée par Sam Spiegel. Le film adapte le roman éponyme de Hans Hellmut Kirst publié en 1962, et auquel il incorpore des éléments de La Culbute de James Hadley Chase datant de 1952. On reste dans cette tonalité haut de gamme avec un scénario écrit par Joseph Kessel et Paul Dehn (ainsi que Gore Vidal pas crédité) et l'impressionnant casting dominé par Peter O'Toole et Omar Sharif (acceptant leurs rôles par redevabilité à Sam Spiegel qui fit d'eux des stars avec Lawrence D'Arabie (1962)), et comprenant aussi Donald Pleasence, Charles Gray (l'occasion d'avoir des interactions entre deux Blofeld), Tom Courtenay et Tom Courtenay.

Le récit se divise entre trois époques, deux longuement exposées et rapprochées temporellement avec la Pologne de 1942 et la France de 1944, et une plus lointaine entrecoupant les deux premières et se déroulant vingt ans plus tard. Le lien entre ces périodes concerne des assassinats sadiques dont furent victimes des prostituées et dont les suspects se dégagent assez vite avec trois généraux sans alibis le soir des faits. Cette narration sert la mécanique de l'enquête criminelle à travers l'abnégation et la droiture du Major Grau (Omar Sharif) en charge de l'enquête, mais aussi un certain portrait des hautes sphères de l'armée allemande au fil de la Seconde Guerre Mondiale. La première partie brosse le portrait d'un roublard intriguant avec le général Kahlenberge (Charles Gray), du mystérieux et secret Seydlitz-Gabler (Donald Pleasence) et de l'inquiétant héros de guerre Tanz (Peter O'Toole). La facilité des deux premiers à se dérober aux questions de Grau, puis les pulsions sadiques étalées à une échelle spectaculaire et sanglante pour Tanz (avec une traque sanglante et destructrice des résistants dans le ghetto de Varsovie) dressent une impunité des officiers allemands qui rend le coupable potentiel insaisissable et inaccessible.

La seconde partie parisienne, sur fond de défaite imminente alors que les Alliés se rapprochent dangereusement de la capitale, change la dynamique. Grau retrouvant ses trois anciens suspects décide de reprendre son enquête, aidé de l'inspecteur Morand (Philippe Noiret). La toile de fond dresse des officiers allemands aux abois pour des raisons différentes. D'un côté e fameux complot Walkyrie visant à assassiner Hitler (dépeint dans le détail par le film Walkyrie de Bryan Singer (2006)) ramènent l'individualisme et les ambitions personnelles pour sortir du conflit en évitant le chaos promis par le jusqu'au boutisme du Führer. De l'autre notamment les ressources ne sont plus les mêmes pour assouvir les élans meurtriers de Tanz forcé de prendre une permission durant laquelle il va se défouler d'une autre manière, peut-être déjà expérimentée. 

Anatole Litvak navigue très bien entre les périodes, personnages et enjeux à l'échelle intime et géopolitique - les conséquences de l'attentat raté sur l'enquête débouchent sur un rebondissement mémorable. La tension se fait froide mais prenante dans la partie concernant le complot, réellement angoissante lorsque la vérité s'éclaircit quant à la partie criminelle, et plutôt touchante grâce aux points d'ancrage bien introduit que sont Philippe Noiret, Omar Sharif, Tom Courtenay et Joanna Pettet. C'est du travail bien fait et une logistique parfaitement menée auxquels il manque néanmoins un petit éclair formel, une bizarrerie et inventivité plus imprévisible notamment sur la partie thriller trop sage.

Cela est rattrapée par les prestations du casting. Peter O'Toole ravive toute l'ambiguïté, l'étrangeté et la tension déjà présents dans son incarnation de Lawrence d'Arabie mais, au lieu de servir un héros aux pieds d'argiles il s'agit là de personnifier un véritable monstre. L'acteur est vraiment impressionnant, entre le froid calcul et les pulsions meurtrières (en sourdine ou sous couvert du pouvoir militaire) où se maintient une attitude raide et un regard dément. Omar Sharif est particulièrement habité dans sa soif de justice au-dessus des enjeux militaires qui l'entourent, tandis que Philippe Noiret (à l'anglais toujours aussi impeccable dans ses rôles internationaux) impose un flegme humaniste.

La partie contemporaine est là pour traduire visuellement (et jouant sur l'évolution des environnements entre passé sous Occupation et présent) et surtout thématique la rupture, la vérité et surtout la justice se dessinant enfin. Le film ose tout de même montrer une frange d'ancien nazis célébrant leurs hauts faits passés dans l'Allemagne contemporaine, la trame policière les confrontant après les crimes de guerres à leurs abjections privées restées impunies durant cette période. Comme toujours il manque ce soupçon de génie à Litvak pour rendre la confrontation finale plus mémorable visuellement, mais la construction efficace du film rend tout de même la conclusion très puissante. Une superproduction originale et ambitieuse.

Sorti en dvd zone 2 français chez Sony

 

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