Jean IV de Chalon-Arlay (1443-1502), prince d'Orange, au service de la Bretagne

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JEAN IV de CHALON-ARLAY - Prince d'Orange.

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Un Franc-Comtois au service de la Bretagne.

JEAN IV de CHALON-ARLAY - Prince d'Orange.

Jean IV de Chalon-Arlay (ou Jean de Chalon) (1443 - 8 avril 1502), fils de Guillaume VII de Ch�lon (1414-1475) [Note : Guillaume de Chalon-Arlay �tait le fils de Louis de Chalon-d'Arlay (1388-1463) et de Jeanne de Montfaucon, fille d'Henri de Montfaucon) et de Catherine de Bretagne (ou d'Etampes) [Note : Catherine de Bretagne �tait la fille de Richard de Bretagne (1395-1438), et de Marguerite d'Orl�ans, fille de Louis duc d'Orl�ans. Richard de Bretagne �tait le fils de Jean IV (1339-1399), duc de Bretagne, comte d'Etampes et de Jeanne de Navarre, fille de Charles II, roi de Navarre], �poux de Philiberte de Luxembourg, prince d'Orange (1475-1502), seigneur de la Maison de Chalon-Arlay. Lieutenant g�n�ral de Bretagne, il �tait seigneur de quelques seigneuries en Bretagne dont Lamballe, Moncontour, Rhuys et Lespine-Gaudin. Par sa fille Claude de Ch�lon (soeur de Claude et de Philibert de Ch�lon), le titre de prince d'Orange s'est transmis indirectement � la Maison d'Orange-Nassau jusqu'au roi Willem-Alexander des Pays-Bas.

Place forte des Chalon � Arlay (Jura).

Principale place forte des Chalon � Arlay (Jura)

La maison de Chalon-Arlay (ou maison d'Orange-Chalon apr�s le mariage en 1386 du seigneur Jean III de Chalon-Arlay avec la princesse Marie des Baux-Orange), est une importante dynastie de seigneurs du Jura et de princes souverains de la Principaut� d'Orange, issue des comtes de Chalon et de la Principaut� d'Orange (de l'ancien royaume de Bourgogne).

Place forte des Chalon � Arlay (Jura).

Principale place forte des Chalon � Arlay (Jura)

Note : La tradition attribue la fondation du ch�teau d'Arlay � G�rard de Roussillon, comte-duc de la Haute Bourgogne au IX�me si�cle. Il fut transmis � ses h�ritiers, et attribu� en 1269 � Jean Ier de Chalon-Arlay (1258-1315) seigneur d�Arlay (1266-1315) et vicomte de Besan�on (1295-1315). Ce dernier �tait le fils de Jean Ier de Chalon, dit Jean de Bourgogne, Jean l'Antique ou Jean le Sage, n� vers 1190 et mort le 31 ao�t 1267. Il �pouse vers 1272 Marguerite de Bourgogne, dame de Vitteaux, fille du duc Hugues IV de Bourgogne et de sa deuxi�me �pouse B�atrice de Champagne.

Ch�teau d'Arlay (Jura).

 

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Le 3 juillet 1468, � Damme en Belgique, le duc de Bourgogne, Charles-le-T�m�raire, �pousait en troisi�mes noces [Note : Charles-le-T�m�raire avait �pous� d'abord Catherine de France, fille de Charles VII, morte en 1446, puis Isabelle de Bourbon, morte le 25 septembre 1465 � Bruxelles], la princesse d'Angleterre, Marguerite d'York (Soeur d'Edouard IV, roi d'Angleterre, n�e en 1448, morte en 1503). A l'occasion de ce mariage, celui que l'on appelait le grand-duc d'Occident d�ploya toute sa pompe et sa magnificence. A Bruges, o� la nouvelle duchesse se rendit aussit�t, les f�tes se succ�d�rent pendant plusieurs jours, et le tournoi de l'Arbre d'Or, qui se d�roula dans la vieille ville flamande est le plus c�l�bre dont l'histoire ait gard� le souvenir [Note : Sur ce tournoi, voir : Dufour et Rabut : Description.... des f�tes c�l�br�es � Bruges en 1468, dans M�m. Comm antiq. de la C�te d'Or, IX, p, 311]. D�s la fin de juillet, le bourguignon Olivier de la Marche [Note : Ambassadeur des ducs de Bourgogne, chroniqueur et litt�rateur, n� vers 1426, mort � Bruxelles le 1er f�vrier 1502] envoyait un r�cit fid�le de ces f�tes grandioses � son ami Gilles du Mas, ma�tre d'h�tel du duc de Bretagne, r�cit qu'il a reproduit textuellement dans ses M�moires (O. de la Marche : M�moires, liv. II, ch. 4). Et la cour de Bretagne dut apprendre avec plaisir que le vainqueur de ce tournoi magnifique avait �t� le propre neveu du duc Fran�ois II, Jean de Chalon-Arlay, seigneur d'Arguel (Arguel, canton de Besan�on, Doubs). Mais nul alors, de Brest � Vannes, de Rennes � Nantes, ne soup�onnait le r�le que jouerait bient�t ce jeune homme dans la lutte d�sesp�r�e que soutenait la Bretagne pour son ind�pendance ; d'ailleurs on ne le connaissait pas.

Ce n'�tait pourtant pas un mince personnage que ce grand seigneur franc-comtois, h�ritier de la plus puissante maison de ce pays montagneux. Beau-fr�re de Charles-le-T�m�raire, d'Anne de France, dame de Beaujeu, et du duc de Calabre, oncle de Marie de Bourgogne, neveu du duc de Bretagne, cousin germain de la reine Anne, il allait �tre appel� � tenir une place de premier plan au pays de France ; ne fut-il pas successivement gouverneur de Franche-Comt� pour la duchesse Marie, puis gouverneur de Bretagne pour le roi Charles VIII, de nouveau gouverneur du Comt� de Bourgogne pour l'Empereur, et enfin amiral de Bretagne ?

Le fils de Guillaume VII de Chalon, sire d'Arlay, prince d'Orange [Note : Guillaume de Chalon, fils de Louis de Chalon et de Jeanne de Montb�liard, �tait n� vers 1410 et mourut le 27 octobre 1475], et de Catherine d'Etampes [Note : Catherine d'Etampes, fille de Richard comte d'Etampes et soeur du duc de Bretagne Fran�ois II mourut en 1476], �tait n� en 1443, au ch�teau de Nozeroy (Nozeroy, arrondissement de Poligny, Jura), au Comt� de Bourgogne ; ses parents �taient mari�s depuis cinq ans [Note : Le mariage avait eu lieu le 19 ao�t 1438 ; Arch. du Doubs : E.1321]. Cependant que son p�re, prince l�ger et dissipateur, passait la plus grande partie de son temps dans sa principaut� d'Orange, l'enfant grandit � Nozeroy entre sa m�re et son grand-p�re, le fameux et terrible Louis de Chalon [Note : Louis de Chalon, n� en 1388, �tait fils de Jean de Chalon et de Marie des Baux, � qui il succ�da dans la principaut� d'Orange ; il mourut en 1463. Cf. : F. Barbey : Louis de Chalon]. Il semble bien que Catherine d'Etampes n'ait eu que peu d'influence sur l'�ducation de son fils. Cette princesse, c�l�bre � la cour de France et � celle de Bourgogne pour son �clatante beaut� [Note : E. Clerc : Discours sur Jean de Chalon, dans M�moire, de l'Acad�mie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Besan�on, 1854, p. 2], passait de longues et m�lancoliques journ�es dans ce triste ch�teau, perdu dans la montagne, entour� de for�ts et maigres p�turages, en compagnie de son seul beau-p�re. Et Louis de Chalon entendait bien ne laisser � personne le soin d'�lever le dernier h�ritier de son nom et de ses armes. Dans un int�rieur somptueux mais froid [Note : On sait en effet, par les comptes de la maison de Chalon, les travaux consid�rables faits � Nozeroy par Louis de Chalon], s'�tiraient les longs jours d'hiver, pendant lesquels le jeune homme re�ut les le�ons des clercs et des juristes, dont s'entourait son grand-p�re (E. Clerc, op. cit� p. 3) ; mais il entendit surtout l'enseignement personnel du vieux chevalier, qui n'avait pas h�sit� � s'exiler pour ne pas ratifier le trait� de Troyes en pr�tant hommage au roi d'Angleterre, enseignement sp�cial s'il en f�t, tendant uniquement � p�n�trer le jeune Jean de l'importance, trop souvent m�connue, de la maison de Chaton, � laquelle il convenait de rendre son �clat. L'h�ritier de tant de gloire ne demandait pas mieux ; de bonne heure, il montra du go�t pour les choses militaires, se passionnant de tournois. Courageux comme tous ceux de sa race, il sut montrer qu'il pouvait � l'occasion faire un bon diplomate.

Il avait vingt ans quand mourut Louis de Chalon. Mari� trois fois, le vieux baron laissait plusieurs enfants de ses deux premiers lits [Note : De son premier mariage avec Jeanne de Montb�liard, il avait eu Guillaume ; sa seconde femme, El�onore d'Armagnac, lui donna deux fils, Louis et Hugues, et deux filles ; de sa troisi�me femme, Blanche de Gamaches, il n'eut pas d'enfant], et les fils ne purent s'entendre. Guillaume VII crut se tirer d'affaire en se soumettant � l'arbitrage du duc de Bourgogne, Philippe-le-Bon, et partit pour la Terre Sainte. Son fils Jean se chargea d'occuper tout l'h�ritage de son grand-p�re en d�pit du testament laiss� par le vieillard (Arch du Doubs E. 1325). Cependant Philippe-le-Bon ne se pressa pas de rendre son jugement, et l'affaire n'�tait pas termin�e lorsque la mort le surprit en 1467.

Cette m�me ann�e, Jean de Chalon avait �pous� Jeanne de Bourbon, fille de Charles, duc de Bourbon, et d'Agn�s de Bourgogne [Note : Le contrat de mariage se trouve aux Arch. du Doubs E. 1321. On verra par la suite comment Jean de Chalon sut profiter des nombreuses alliances de sa femme]. Ce mariage devait en faire un puissant personnage � la cour de Dijon, puisqu'il devenait le beau-fr�re par alliance du comte de Charolais, dont la femme Isabelle de Bourbon venait de mourir (Cf., supra, p. I, note I), et surtout l'oncle de la petite Marie, unique h�riti�re du duch� de Bourgogne. Pourtant devenu duc de Bourgogne, Charles n'eut pas pour son beau-fr�re l'attitude que celui-ci se croyait endroit d'esp�rer. Dans l'�t� de 1470, bien que Guillaume VII et son fils l'aient bien servi dans ses derni�res campagnes en Flandre (O. de la Marche, op. dit., liv. II, ch.3), le T�m�raire rendit, dans l'affaire de la succession de Chalon, un jugement s�v�re pour le prince d'Orange et �trangement favorable � ses fr�res, Louis et Hugues de Chalon, dits de Ch�teauguyon [Note : Les fr�res de Guillaume VII obtenaient presque toutes les possessions comtoises de leur p�re, en particulier Arlay et Nozeroy. Louis fut tu� au si�ge de Granson en 1476, et Hugues mourut sans post�rit� en 1490, si bien qu'� cette date Jean r�unit de nouveau dans sa maison tous les biens de Louis de Chalon]. Guillaume VII e�t peut-�tre accept� avec r�signation la sentence de son suzerain, mais Jean, ambitieux, devinant peut-�tre que la fortune ne sourirait plus bien longtemps au grand-duc d�Occident, saisit le pr�texte de ce jugement pour se r�volter et passa � la cour de France.

Bien qu'une tr�ve ait alors �t� conclue entre le roi de France et le duc de Bourgogne, Louis XI accueillit avec joie un transfuge de cette importance et de cette qualit� ; il donna aussit�t � Jean de Chalon le commandement d'une compagnie de gendarmerie. Sans se soucier des cons�quences de ce qu'il allait faire, en pleine tr�ve, Jean se jeta alors sur la petite ville de Jonvelle (Jonvelle, canton de Jusey, arrondissement de Vesoul, Haute-Sa�ne), qu'il prit et saccagea (E. Clerc : op. cit., p. 5). Le roi ne manifesta pas un m�contentement qu'il n'�prouvait sans doute pas, mais en apprenant la trahison du sire d'Arguel, le T�m�raire crut, nous dit Jean de Roye (Jean de Roye : Chronique scandaleuse, �d. Petitot), � enrager et crever de dueil �. Il y avait alors � la cour de Bourgogne une ambassade bretonne (Jean de Roye: Ibidem) ; en pr�sence des ambassadeurs, le duc pronon�a la confiscation des biens du neveu du duc de Bretagne, qui ne put intervenir. Guillaume r�fugi� � Orange re�ut l'ordre de regagner la cour de Bourgogne ; il n'en fit rien et attendit les �v�nements.

L'entente entre Jean de Chalon et le roi de France ne devait pas �tre de longue dur�e : A Orange, Guillaume avait des difficult�s avec le Parlement de cette ville ; son fils crut qu'il pourrait compter sur l'appui de Louis XI, mais pendant que le roi endormait le prince par de belles promesses, il soutenait en sous-main les pr�tentions des bourgeois. La duplicit� royale facilita la r�conciliation des Chalon et du duc de Bourgogne, un accord fut conclu. Mais Louis XI en eut connaissance, et tandis que Guillaume VII regangnait � petites journ�es le Comt� de Bourgogne, le roi le faisait arr�ter au passage du Rh�ne par le baron de Lude, gouverneur du Dauphin� (1473) (Art de v�rifier les dates, II, p. 451). Pendait que son p�re �tait men� en prison � Rouen, Jean restait � la cour de France, cherchant � se maintenir sans doute dans les bannes gr�ces du roi. Apr�s vingt-huit mois de captivit�, Guillaume, le 15 septembre 1475, conclut un accord avec Louis XI auquel il abandonnait en fait la suzerainet� de la principaut� d'Orange (E. Clerc : op. cit., p. 5). Deux mois apr�s il mourait (Supra, note 7).

Prince d'Orange, Jean fit peu apr�s la mort de son p�re une entr�e solennelle dans cette ville, apr�s quoi il fit son premier s�jour en Bretagne, � la cour du duc son oncle. S'il y apprit � conna�tre les gens et les choses, il n'eut pas alors l'occasion d'y exercer son esprit d'intrigue, car de graves �v�nements se pr�paraient au Comt� de Bourgogne. Son suzerain, le duc Charles, �tait aux abois. Jean ne se souciait nullement d'aller le d�fendre ; mais il se souvenait des int�r�ts qu'il avait � prot�ger. Aussi pendant que le T�m�raire se faisait battre � Granson et � Morat, Jean quittait la Bretagne et venait � s'esbattre � secr�tement en Franche-Comt� (E. Clerc : op. cit., p. 6). Sans doute ne lui d�plaisait-il pas de jouir de la d�faite de son rival.

D�s que les �v�nements de Nancy (15 janvier 1477) furent connus, le prince d'Orange s'en fut aupr�s de Louis XI promettre son concours. Se souvenant � propos qu'il �tait l'oncle de la petite duchesse, il s'engagea � user de toute son influence pour obtenir des Etats du Comt� de Bourgogne le rattachement du Comt� � la couronne, et leur consentement au mariage du dauphin Charles avec la princesse Marie. En r�compense, le roi promettait au prince d'Orange de lui donner le gouvernement des Deux Bourgognes et en outre la possession de toute la succession de Chaton. Quand les Etats se furent r�unis � D�le, en f�vrier 1477, le prince d'Orange, appuyant le langage des �missaires du roi, emporta leur d�cision, malgr� d'honorables r�sistances [Note : Sur la r�union des Etats de D�le de f�vrier 1477, cf : E. Clerc : Histoire des Etats G�n�raux et des libert�s publiques en Franche-Comt�, dans M�moires de la Soci�t� d'Emulation du Jura, 1876-1877]. Jean de Chalon crut pouvoir annoncer aux Etats que les n�gociations pour le mariage de la duchesse et du dauphin �taient d�j� fort avanc�es ; le roi ne voulait en somme que prot�ger le pays contre ses ennemis ext�rieurs. Bref, par son exemple et ses paroles, pour satisfaire son ambition d��ue par le T�m�raire, le premier seigneur du Comt� le livrait � la France (E. Clerc : loc. cit. x, p. 171).

Mais Louis XI ne sut pas reconna�tre le service �minent que venait de lui rendre le prince d'Orange. Les villes de Franche-Comt�, Besan�on except�e, avaient � peine re�u leurs garnisons fran�aises (E. Clerc : Discours... loc. cit., p. 7), que le roi, oubliant les engagements qu'il avait pris � Lyon � l'�gard de Jean de Chalon [Note : C'est � Lyon, en effet, que le prince d'Orange �tait all� retrouver le roi en janvier 1477 ; Clerc : ibid., p. 7], donnait le gouvernement des Deux Bourgognes � son lieutenant, Georges de la Tr�moille, sire de Craon [Note : Sur ce personnage, cf. Commynes, �d. Calmette T. II p. 205]. Cette conduite ne s'explique, croyons-nous, que par une crainte l�gitime de la puissance consid�rable qu'aurait donn�e une telle charge au prince d'Orange ; Louis XI ne se souciait pas de reconstituer au profit d'un autre la puissance du T�m�raire.

Pour la deuxi�me fois, le prince d'Orange �tait jou� par le roi de France. S'embarrassant peu de scrupules, il changea imm�diatement de camp, et devint le chef du parti de la r�sistance. Marie de Bourgogne lui confia le gouvernement tant d�sir� du Comt� de Bourgogne. En moins d'un mois, sous sa direction, toutes les villes s'�taient soulev�es et avaient chass� leurs garnisons fran�aises, toute la noblesse comtoise s'�tait retrouv�e pour la d�fense de la province |Note : Sur tous ces �v�nements, tr�s connus, cf. entre autres : les M�moires de Commines et la Chronique de Jean de Roye, et les divers historiens du duch� et du comt� de Bourgogne, Petit, d. Plancher, Gollut etc.].

Il va sans dire que Louis XI n'accepta pas la d�fection du prince d'Orange sans manifester son m�contentement. Il chargea Craon de conqu�rir la Franche-Comt�. Le lieutenant du roi �choua d'abord devait Gray [Note : Non sans avoir mis � mal l'arm�e de secours comtoise, command�e par l'oncle du prince d'Orange, Hugues de Ch�teauguyon, r�concili� momentan�ment avec son neveu]. Pendant ce temps, les n�gociations pour le mariage de la duchesse Marie avec le Dauphin avaient �t� rompues ; mais Jean de Chalon n'en travaillait pas moins activement � trouver un puissant protecteur � sa ni�ce. C'est ainsi que le 18 ao�t 1477, Marie de Bourgogne �pousa � Gand, l'archiduc Maximilien d'Autriche, le futur empereur. Ce mariage exasp�ra encore le roi ; le 7 septembre suivant il mettait Jean de Chalon, sire d'Arlay, prince d'Orange au ban du royaume, et pronon�ait la confiscation de ses biens (Art de V�rifier les Dates, II p. 451). Convaincu de trahison jusqu'� quatorze fois, accus� d'h�r�sie, Jean �tait priv� de l'ordre de Saint-Michel, et pendu en effigie dans plusieurs villes du royaume [Note : Jean de Roye : Chronique Scandaleuse, �d. Petitot, p. 60, avec la date erronn�e du 7 juin].

La lutte dura deux ans. Il est inutile d'en relater ici tous les �pisodes. Le prince d'Orange, dit E. Clerc, � se montra � la hauteur du r�le qu'il avait � remplir. Cette �poque de sa vie a une v�ritable grandeur : d�ployant une activit� inou�e, payant avec effort les Suisses allemands appel�s � la d�fense du pays, il affranchit, enti�rement le Comt� de la domination fran�aise, et fut � la veille de conqu�rir le duch� � (E. Clerc : Discours..., loc, cit., p. 7). Malheureusement les souverains du Comt� ne disposaient pas des m�mes ressources que le roi de France. La trahison s'en m�la ; en 1479, D�le fut prise et br�l�e, la province lentement reconquise par les arm�es du roi. Sans troupes et sans argent, Jean de Chalon ne put livrer aucune bataille. Il se r�fugia dans les montagnes, puis � B�le, promettant aux derniers d�fenseurs du pays des secours qu'il fut incapable de leur fournir (E. Clerc : loc. cit., p. 8).

De B�le, Jean assista impuissant � la d�vastation de la Franche-Comt� par les troupes royales. Ruin� [Note : Non seulement ses biens furent confisqu�s mais ses ch�teaux, sauf Nozeroy, furent demantel�s par ordre du roi], il prit le parti de se r�fugier dans les Pays-Bas aupr�s de sa ni�ce Marie, o� il fut re�u avec toutes les marques de faveur dues � un homme qui avait tout perdu pour d�fendre la cause de la souveraine l�gitime. Il ne faudrait pas croire que le prince n'ait agi que par fid�lit� ou par d�sint�ressemen t; il avait cru trouver une occasion de satisfaire son ambition d�mesur�e ; il avait jou�, il avait perdu, mais il n'attendait que le moment favorable pour essayer de prendre sa revanche. En attendant, il devait lui �tre agr�able de voir qu'il pouvait compter sur la reconnaissance de ceux auxquels il avait li� sa fortune.

A la cour de Flandre, Jean de Chalon trouva vite le moyen de d�ployer son activit�. Il sut profiter habilement de son influence sur sa ni�ce Marie et sur Maximilien. Celui-ci s'effor�ait � se chercher des alliances pour une reprise, toujours possible, de la lutte contre Louis XI. D�j� sa belle-m�re Marguerite d'York lui avait fait conclure, le 5 ao�t 1480, un trait� avec Edouard IV son fr�re (Arch. du Nord, B 2.121, f� 340). Au d�but d'octobre, cette princesse jeta les bases d'un accord qui formerait une v�ritable coalition entre le roi d'Angleterre, Maximilien et le duc Fran�ois II de Bretagne (Pocquet du Haut-Juss�, Fran�ois II et l'Angleterre, p. 226). C'est alors que le prince d'Orange put intervenir utilement. Il avait de bonnes raisons pour cr�er des ennemis au roi de France ; en outre, il �tait � la fois oncle de Maximilien et neveu de Fran�ois II ; il entra imm�diatement dans les vues de la duchesse Marguerite.

Il fut convenu que les ambassadeurs bourguignons et bretons se rencontreraient � Londres. Le 12 d�cembre 1480, Edouard IV mit en train les n�gociations en demandant � Maximilien de lui envoyer des ambassadeurs. Maximilien d�signa le prince d'Orange, auquel il adjoignit le comte de Chimay et l'abb� de Saint-Bertin (Arch. du Nord, B 2.124, f� 169). Les envoy�s de l'archiduc emportaient avec eux l'ancienne charte d'alliance entres Fran�ois II et le T�m�raire (Arch. du Nord, id., f� 85), et des instructions pr�cises qui pr�voyaient une action commune des trois alli�s [Note : Munis de ces instructions, les ambassadeurs quitt�rent Bruges le 1er f�vrier ; Pocquet du Haut-Juss� op. cit., p. 228]. Le prince d'Orange �tait d�j� � Gand, lorsqu'il re�ut copi� d'une lettre �crite par Marie de Bourgogne � Fran�ois II, disant que les ambassadeurs bourguignons iraient d'Angleterre en Bretagne pour le prier de faire � la meilleure et plus brief d�peche que possible � (Pocquet du Haut-Juss�, op. cit., p. 228). D�s le 1er avril 1481, Jean de Chalon informait Maximilien de la bonne marche des n�gociations, mais il sugg�rait la possibilit� de � besongner � contre Louis XI sans le concours du roi d'Angleterre ; Maximilien ne se rallia pas � ce projet, s'en remettant m�me � Edouard IV pour choisir ceux de ses ambassadeurs qui devraient se render en Bretagne, se contentant de faire remarquer que le prince d'Orange paraissait plus particuli�rement d�sign� (Arch. du Nord, registre des lettres missives, t. II, f� 227-284). Jean de Chalon fut en effet � la t�te de l'ambassade bourguignonne aupr�s de Fran�ois II (Arch. du Nord, B 2.124, f� 178 v�). Comment ces premi�res n�gociations n'aboutirent-elles � aucune action efficace, du fait surtout du roi d'Angleterre, il ne nous appartient pas de le redire ici [Note : M. Pocquet du Haut-Juss� vient de le faire dans son r�cent ouvrage d�j� maintes fois cit�]. Mais en cette ann�e 1481, le prince d'Orange avait d�j� su prendre un grand cr�dit � la cour de Bretagne. S'il n'y fut pas envoy� l'ann�e suivante lors de la reprise des n�gociations, son influence s'exer�a � coup s�r, puisque nous voyons Fran�ois II l'en r�compenser en lui faisant servir une pension annuelle de 5.000 livres (Arch. de la Loire-Inf�rieure, E 212). Entra�ner � la fois son oncle et son neveu dans une action commune contre le roi de France ne devait-ce pas �tre le r�ve le plus cher de l'ancien gouverneur du Comt� de Bourgogne ? Ses d�sirs n'�taient pourtant pas pr�s de se r�aliser.

La mort brutale de Marie de Bourgogne [Note : Marie de Bourgogne mourut � Bruges le 27 mars 1482 d'une chute de cheval. Il y avait pr�cis�ment alors une ambassade bourguignonne en Bretagne dirig�e par le comte de Chimay. A cette nouvelle les ambassadeurs regagn�rent la cour de Flandre] vint jeter le d�sarroi dans le parti de la lutte � outrance contre la France. Apr�s quelques mois d'h�sitation, Maximilien, malgr� sans doute les avis de son oncle, dut c�der aux sollicitations du parti flamand, partisan de la paix, et qui mena�ait, de se r�volter : le 23 d�cembre 1482, il signait avec Louis XI le trait� d'Arras qui, par le truchement d'un mariage futur entre le dauphin Charles et la petite princesse Marguerite d'Autriche, consacrait l'abandon � la France de l'Artois et de la Franche-Comt�. Maximilien, pourtant, ne fut pas ingrat pour son oncle ; il obtint du roi que tous les biens en Bourgogne du prince d'Orange lui fussent restitu�s.

Mais Jean de Chalon n'�tait pas homme � se contenter d'une situation amoindrie, d�e � la cl�mence royale. Lui, du moins, n'abandonnerait pas la lutte. Maximilien avait fait la paix ; soit. Fran�ois II r�sistait encore : il irait offrir ses services � son oncle.

***

Au moment o� il arrivait en Bretagne, Jean de Chalon avait tout juste quarante ans. Les premi�res ann�es de sa vie, nous l'avons vu, avaient �t� bien remplie s; les explications que pr�c�dent, quoique sommaires, �taient indispensables � l�intelligence du r�le que devait bient�t jouer cet �tranger aupr�s de Fran�ois II.

Le prinde d'Orange �tait alors plein de rancune contre tout le monde. Son ambition avait �t� d��ue de tous les c�t�s. Seul, Maximilien avait reconnu ses m�rites et l'avait r�compens� suivant ses moyens ; en outre, une m�me animosit� contre le roi de France unissait l'oncle et le neveu ; Maximilien ne se r�signait pas sans peine � consid�rer la paix d'Arras comme d�finitive, et la restitution de ses biens, amoindris et d�vast�s, ne pouvait �tre une satisfaction suffisante pour un homme comme le prince d'Orange.

Il devait trouver sa revanche en Bretagne. Le terrain �tait favorable. L'ind�pendance bretonne �tait gravement menac� depuis vingt ans par Louis XI, mais le roi, qui avait r�ussi partout ailleurs, n'avait pu entamer les domaines de Fran�ois II. Il n'y a pas lieu de raconter ici la lutte de la Bretagne contre Louis XI, ni les p�rip�ties de cette lutte. Constatons seulement que le prince d'Orange trouvait � la cour de son oncle des gens qui d�testaient le roi autant que lui-m�me ; il esp�rait cultiver cette haine, et la faire servir � ses int�r�ts personnels.

A-t-il con�u d�s cette �poque un vaste complot r�unissant tous les ennemis du roi, Maximilien et la Bretagne, d'autres encore ? Son r�le dans l'alliance anglo-bretonne et bourguignonne nous autoriserait � le croire. En tout cas il semble bien que Dom Morice ait vu juste, lorsqu'il �crivait : � Ce Prince �tait venu en Bretagne sous pr�texte de passer quelque temps aupr�s de son oncle, mais en effet pour traiter du mariage de l'Archiduc Maximilien avec la Princesse Anne � (Dom Morice : Histoire de Bretagne, II, p. 145). Ce projet, qui devait plus tard prendre corps, �tait sans doute encore assez vague dans l'esprit du prince et de son neveu ; mais ne perdons pas de vue ce qui fut l'id�e ma�tresse de la vie et des actes de Jean de Chalon : il y avait l�-bas dans l'est, un pays o� son nom avait brill� d'un �clat sans pareil, pays qu'il avait gouvern� et o� il n'�tait plus rien, mais o� il voulait � tout prix reprendre un jour la premi�re place.

L'appui de son oncle de Bretagne lui paraissait indispensable ; il �tait d�cid� � jouer aupr�s du faible Fran�ois II le r�le de conseiller intime et �cout� ; en arrivant, il trouva la place prise. Depuis vingt ans, mais surtout depuis 1480, le grand tr�sorier, Pierre Landais, tout puissant sur l'esprit du duc malgr� ses nombreux ennemis, �tait le v�ritable ma�tre de la province [Note : Sur Landais, cf. : Dom Morice, op. cit., II, p. 143 et sv. ; � De la Borderie (continu� par B. Pocquet) ; Histoire de Bretagne, IV, p 490-519 ; � Alain Bouchart : Grandes Chroniques de Bretaigne, �d. Bibl. Bret., f� 228 v. sv.] ; il avait presque s�questr� son souverain ; � il le faisoit tenir en chambre, dit Alain Bouchart, sans ce que personne parlast � luy, fors ceulx qui servoient autour de sa personne � (Alain Bouchart : Grandes Chroniques, �d. Bibl. Bret, f� 229 v�). Jean se rangea imm�diatement parmi les m�contents. En grand seigneur qu'il �tait, il supportait mal, comme tous les nobles bretons d'ailleurs, d'�tre men� par un roturier ; en outre, il sentit bien vite que le tr�sorier, pr�occup� seulement de l'ind�pendance de la Bretagne, serait toujours l'adversaire d'un projet de mariage entre Maximilien et la princesse Anne. Il lui fallait briser Landais et le supplanter. Il n'avait qu'� profiter des haines que le tr�sorier s'�tait attir�es.

Bien des seigneurs bretons, dont le mar�chal de Rieux [Note : Jean IV de Rieux, mar�chal de Bretagne depuis 1470, n� en 1447, mort le 9 f�vrier 1518, avait alors 37 ans. C'�tait un chef militaire de grande valeur, mais frondeur et ambitieux] et le prince de Gu�men� Louis de Rohan [Note : Louis de Rohan, prince de Gu�men�, �tait le beau-fr�re du mar�chal de Rieux et le fr�re du mar�chal de Gi�], s'�taient jur� la perte de Landais, qui les tenait �loign�s du pouvoir et avait achev� de les exasp�rer en maintenant prisonnier depuis trois ans, sans aucune raison, le chef de l'opposition, le chancelier Guillaume Chauvin (Sur la captivit� de Chauvin, cf. De la Borderie : op. cit., IV, p. 500 -502). Louis XI venait de mourir (Le 30 ao�t 1483, � sept heures du soir, � Plessis-les-Tours), mais il apparut tout de suite que la r�gente Anne continuerait la politique de son p�re � l'�gard de la Bretagne. Lors des Etats de Tours, Landais eut des entrevues secr�tes avec les ducs d'Orl�ans et de Bourbon r�volt�s et que la force des choses amenait � rechercher l'appui du duc de de Bretagne (De la Borderie : op. cit., IV, p. 505). D'autre part, � il para�t certain que les grands feudataires bretons avaient d�j� eu des rapports secrets avec la r�gente ; naturellement celle-ci encourageait leurs ressentiments � (De la Borderie : op. cit., IV, p. 506). Or, l'interm�diaire d�sign� entre Mme de Beaujeu et les Bretons devait �tre pr�cis�ment le prince d'Orange, beau-fr�re de la r�gente qui eut toujours pour lui des �gards, parfois m�me assez inexplicables. [Note : En particulier lorsque apr�s Saint-Aubin-du-Cormier le prince d'Orange fut envoy� en captivit� par Mme de Beaujeu � la cour de Riom, la r�gente eut pour lui des attentions qui contrastent singuli�rement avec la rigueur avec laquelle elle traita son autre prisonnier, le duc d'Orl�ans. Nous reviendrons plus loin sur cette int�ressante question]. Et c'est ainsi que Jean de Chalon, que rien ne semblait plus particuli�rement d�signer jusqu'alors pour tenir ce r�le, se trouva � la t�te de la noblesse bretonne pour diriger le complot contre le grand tr�sorier, Pierre Landais.

Le mardi 6 avril 1484, on apprenait � Nantes o� se trouvait la cour ducale, que le chancelier Guillaume Chauvin �tait mort la veille [Note : Sur la date de la mort de Chauvin, cf. : De la Borderie, op, cit., IV ; 502, note I] des suites de ses longues tortures. Ce fut une explosion de fureur ; le prince d'Orange et le mar�chal de Rieux d�cid�rent d'agir imm�diatement; en moins d�une journ�e, ils form�rent un complot et recrut�rent des adh�rents. On r�solut de se saisir de Landais, mort ou vif. Le lendemain mercredi 7 avril, un peu avant la nuit, une quarantaine d'hommes [Note : Vingt-sept des rebelles sont nomm�ment connus; ce sont : Jean de Chalon, Jean de Rieux, Louis de Rohan, Pierre du Pont, Jean de Co�tmen, Fran�ois Anger du Plessis, Jean de la Chapelle, Jean du Perrier, Jacques Le Moyne, Guillaume de Bogier, Pregent Prevost, Jean de Trevecat, Raoul de Landugen, Andr� Rochereul, Jean Le Prestre, Herv� Garlot, Antoine de la Motte, Louis de Chef du Bois, Fran�ois de Tournemine, Pierre Mellier de Vitr�, Jean de Lambilly, Jean Papin, Jean Saulnier, Jean Tr�guz, Gallais Chauvin, Pierre de Pr�auv� et Jean Sorel], conduits par le prince d'Orange, le mar�chal de Rieux et Louis de Rohan, entr�rent par surprise dans le ch�teau de Nantes et referm�rent les portes derri�re eux. Ce fut une v�ritable visite domiciliaire � la recherche du tr�sorier ; la chambre m�me du duc ne fut pas �pargn�e, et le pauvre prince �tait si �mu de cette affaire qu'il ne pouvait parler. Alain Bouchart nous a laiss� un pittoresque r�cit de cette m�morable entreprise : � Ces barons icy... entr�rent en la chambre du duc par force et violence... pour savoir si le tr�sorier Landoys y estoit, mais ilz ne ly trouverent pas... Quelque ung de la place saillit sur les murs du Chastel devers la ville, s'escria � haulte voix : � A la force �, disant que les barons vouloient oultrager et prandre le duc ; ceulx de la ville, officiers du duc, archiers de sa garde, et les habitans de Nantes qui riens ne savoient de ceste entreprinse se assemblerent environ le chasteau en tres grand effroy, crians alerme. A la fosse (le bassin du port) de Nantes y avoit quelque nombre de baleniers et navires du port du Croisic et autres parties de Bretaigne, dont les �quipages se tirerent en la ville, et de toutes pars fut ce chasteau assailly, tant par dehors que par dedans la ville, et furent plusieurs serpentines et autres grosses pieces d'artillerie affust�es devant ce chasteau pour abatre portes, murs et tours ; ceux qui dedans le chasteau estoient murerent en diligence de grosses pierres qui estoient audit chasteau les portes et les poternes d'i�eluy, en maniere que on n'y eust sceu entrer ; ce bruit se effor�oit de heure en heure, tellement que ceulx qui le fait avoient entreprins se trouverent en n�cessit� de leur corps dedans le chasteau, car personne de la place ne mettoit la teste aux creneaulx qui ne fust en danger de traict et d'estre affoll�. Quand le prince d'Orange, le mareschal de Rieux et autres de leur bende qui dedans estoient enfermez virent ce bruit, pour plus seurement parlementer avec ceulz de la ville, ilz menerent le duc sur les murs, le montrerent au peuple et derriere luy se targeoient (se prot�geaient) de paour tout traict ; finablement, fut advis� que quelques gens entreroient dans ce chasteau pour conclure l'expedient en cest affaire, et y entrerent Phelippe de Montauban [Note : Philippe de Montauban, mort en 1518, fut chancielier de Bretagne sous la duchesse Anne. Nous aurons maintes fois l'occasion d'en reparler] et deux autres, lesquelz remonstrerent au prince d'Orange et ses aliez que force leur seroit de vuider le pays, car le peuple estoit si tres esmeu, et de toutes contr�es de Bretaigne venoient gens a Nantes en telle habondance que si tumboient entre les mains du peuple ilz seroient hachez en pi�ces et personne ne les sauroit garder. Et pour exp�diant affin de faire cesser la clameur de ces Bretons qui estoient desriglez comme sangliers chassez et eschauffez, fut appoint� que ceulx qui ainsi avoient invad� et assailly le duc, et qui en telle aust�rit� avoient attent� a sa personne et a son logis auroient grace et r�mission, et par la riviere tireroient contremont Loire a Ancenix et de la hors de Bretaigne. Si furent exp�di�es lettres en forme d'abolicion que ces seigneurs emporterent et du chasteau sortirent le lendemain � (Alain Bouchard : Grandes Chroniques..., �d. Bibl. Bret., f�. 228 v�).

Le coup de main du prince d'Orange contre le ch�teau de Nantes se terminait par un piteux �chec ; les conjur�s n'avaient pas �t� plus heureux dans leur exp�dition simultan�e � la Paboti�re (maison de campagne, � une lieue en amont de Nantes) ; Landais, qui s'y trouvait, sut �chapper aux gens d'armes d'Orange et de Rieux (De la Borderie : op. cit., IV, p. 509). Les seigneurs bretons n'avaient plus qu'� suivre le conseil de sagesse que leur avait donn� Philippe de Montauban ; ils se r�fugi�rent � Ancenis, pla�e qui appartenait au mar�chal de Rieux. La place fut fortifi�e et les bateaux qui descendaient la Loire �taient arr�t�s, dans le but �vident d'affamer la ville de Nantes (De la Borderie : op. cit., IV, p. 510). D'Ancenis, les barons r�volt�s pass�rent � Angers, terre fran�aise, pour chercher l'appui de la r�gente. Pourtant, Fran�ais II, pouss� par Landais, ne laissa pas impunie la tentative du 7 avril ; le 21 mai 1484, une ordonnance ducale d�clarait les auteurs de l'attentat rebelles et tra�tres � leur pays, ordonnait de les poursuivre comme criminels de l�se-majest� et confisquait leurs biens (Dom Morice, Preuves, III, col. 433-437). Le prince d'Orange ne dut pas beaucoup s'�mouvoir d'une sentence qui personnellement le touchait assez peu ; les biens que pouvait lui confisquer le duc �taient peu de chose et les col�res de Fran�ois II n'�taient gu�re r�doutables pour un homme qui avait tenu t�te � Louis XI. Ayant tout � gagner et rien � perdre � la continuation de la lutte, il s'employa de son mieux � la poursuivre avec succ�s.

Cependant que Landais demandait l'appui de l'�tranger contre les seigneurs rebelles, ceux-ci s'adress�rent naturellement � Mme de Beaujeu ; cette derni�re �couta assez facilement son beau-fr�re et le mar�chal de Rieux qui assist�rent au sacre de Charles VIII � Reims le 30 mai 1484. Mais la r�gente ne voulait pas encore prendre l'initiative d'une rupture avec le duc de Bretagne ; pendant six mois, r�sistant aux sollicitations du prince d'Orange, elle eut une politique en apparence contradictoire, dont B. Pocquet a fort bien d�m�l� les raisons. Ce n'est que lorsque le comte de Richemont se fut r�fugi� en France [Note : Henri Tudor, comte de Richemont, d'abord r�fugi� en Bretagne, vint chercher asile pr�s de Mme de Beaujeu dans l'�t� 1484 ; il deviendra roi d'Angleterre sous le nom d'Henri VII] et lui eut constitu� par sa pr�sence un gage s�rieux contre l'Angleterre, que la r�gente prit plus nettement position en faveur des seigneurs bretons (De la Borderie, op. cit., IV, p. 511). Auparavant, elle exigea d'eux un engagement formel, et il s'en trouva cinq pour souscrire � ses exigences. A Montargis, le 28 octobre 1484, le prince d'Orange, le mar�chal de Rieux, Jean du Perrier, sire de Sourd�ac, Pierre de Villebranche, sire de Broons et Jean Le Bouteiller, sire de Maupertuis, signaient avec la r�gente un trait� rest� justement c�l�bre (Dom Morice, Preuves, III, col. 441). Comme il avait jadis livr� la Franchec-Comt�, Jean de Chaton, avec ses complices, livrait cette fois la Bretagne � la France ; si Fran�ois II mourait sans h�ritier m�le, ce qui �tait au moins probable, le duch� devait appartenir � � bon et juste titre � au roi de France, qui s'engageait � maintenir et d�fendre les privil�ges de la noblesse bretonne. Quelques jours apr�s, Rieux et les trois seigneurs Bretons ci-dessus nomm�s promettaient par serment d'accepter les conditions du trait� de Montargis et de ne point reconna�tre d'autre duc que le roi � la mort de Fran�ois II (Dom Morice, Preuves, III, col. 443). Le prince d'Orange �tranger � la Bretagne ne prit aucune part � cet engagement. Ses int�r�ts primordiaux n'�taient pas l� ; il voulait bien servir d'interm�diaire entre les seigneurs bretons et la cour de France, mais il n'entendait pas s'engager trop pr�cis�ment pour l'avenir. Il s'occupait des affaires bretonnes, parce qu'il n'avait rien de mieux � faire, et qu'il esp�rait bien y trouver quelque profit ; il pouvait � sa guise exercer son habilet� diplomatique, jouir de la place pr�pond�rante que lui valaient ses parent�s et ses alliances, mais il n'oubliait pas que toutes ces intrigues devaient aboutir � un retour triomphal en Bourgogne et qu'il lui fallait se r�server l'avenir.

L'on sait comment les �v�nements se pr�cipit�rent (De la Borderie, op. cit., IV, p. 512-514), et comment l'arm�e ducale envoy�e pour combattre les barons r�volt�s les rencontra � Ancenis le 24 juin 1485 [Note : L'arm�e des barons �tait command�e par le prince d'Orange et le mar�chal de Rieux, celle du duc par Fran�ois d'Avaugour et Jean de Co�tquen]. Alain Bouchart nous dit que � furent par aucunes notables personnes entreprisses paroles d'appoinctement, tellement que ses deux arm�es se joignirent ensemble � (Alain Bouchart, Grandes Chroniques..., �d. Bibl. Bret., f� 231 v�). Dans les deux camps se trouvaient nombre de seigneurs li�s entre eux par les liens du sang, et par leur haine commune contre le tr�sorier Landais. Plut�t que se combattre, les deux troupes pr�f�r�rent s'unir et marcher de concert sur Nantes pour exiger du duc le renvoi de Landais.

Cette nouvelle extraordinaire parvint � Nantes le lendemain 25 juin. R�solument, Landais essaya une seconde fois de tenir t�te � la conjuration. Tout fut inutile, et malgr� l'appui du duc il fut emprisonn� (De la Borderie, op. cit., IV, p. 516) ; son proc�s commen�a aussit�t ; sans que Fran�ois II ait pu intervenir, le tr�sorier �tait condamn� � mort et ex�cut� le jour m�me, 19 juillet 1485 (De la Borderie, op. cit., IV, p. 519). De la part que le prince d'Orange prit au proc�s de Landais, nous ne savons rien sinon qu'il y assista et que dans les chefs d'accusation retenus contre Landais il �tait question d'une certaine quittance du prince d'Orange montant � 2.500 livres, que le tr�sorier aurait employ�e deux fois (De la Borderie, op. cit., IV, p. 517). Mais il r�sulte surtout de l'interrogatoire de Landais que son proc�s fut avant tout politique et que les seigneurs bretons, y compris Jean de Chalon, se veng�rent de leur �chec de l'ann�e pr�c�dente et des tentatives faites par le tr�sorier pour les combattre efficacement [Note : Nous n'avons plus qu'une copie de deux interrogatoires de Landais, Arch. Nat., K 73, n� 31, qui a �t� publi�e dans la collection des documents in�dits, Proc�dures politiques du r�gne de Louis XII, par R. de Maulde, p. 1085-1090].

Landais disparu, le prince d'Orange va pouvoir enfin jouer le r�le de premier plan qu'il ambitionnait.

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Landais avait � peine pay� de sa vie le crime d'avoir trop longtemps exerc� le pouvoir que d�j� ses ennemis, en particulier le prince d'Orange, le rempla�aient dans la faveur du faible Fran�ois II. Les r�sultats de ce changement d'influence ne se firent pas attendre. D�s le 9 ao�t 1485, sous la pression des seigneurs reconnaissants de l'appui qu'ils avaient trouv� aupr�s de Mme de Beaujeu, le duc acceptait les bases d'un accord avec le roi (Dom Morice, Preuves, III, col. 491). Quelques jours apr�s, le 12 ao�t, dans une ordonnance c�l�bre, le duc reconnaissait avoir �t� tromp� par son tr�sorier et se plaisait � vanter la loyaut� et les bons services des bannis de l'ann�e pr�c�dente (Dom Morice, Preuves, III, col. 471). Le premier � profiter de ce retour de la fortune fut le prince d'Orange, que Fran�ois II nomma capitaine des quatre-vingt pensionnaires de sa maison et peu apr�s lieutenant-g�n�ral du duch� (Dom Morice, Histoire de Bretagne, II, p. 155, d'apr�s un registre de chancellerie aujourd'hui perdu) ; il devait, d'ailleurs, partager cette derni�re dignit� avec le mar�chal de Rieux et Fran�ois d'Avaugour, jusqu'alors seul titulaire (Dom Morice, Histoire de Bretagne, II, p. 156).

La Bretagne allait enfin conna�tre quelques mois de paix. Les derniers efforts des princes contre la r�gente se termin�rent par la capitulation de Beaugency [Note : La capitulation du duc d'Orl�ans et l'exil de Danois � Asti mirent fin � la guerre folle], sans que Fran�ois II ni les seigneurs bretons aient pris aucune part aux derni�res phases de la lutte. Tout au contraire, le trait� conclu � Bourges le 2 novembre 1485 entre le roi et le duc parachevait l'accord, dont les bases avaient �t� jet�es � Nantes au mois d'ao�t pr�c�dent (Dom Morice, Preuves, III, col. 489). Mais ce ne pouvait �tre qu'une tr�ve : � la question de l'h�ritage de Fran�ois II restait ind�cise et planait comme une �nigme redoutable sur l'avenir de la Bretagne � (De la Borderie, op. cit., IV, p. 520).

Il n'est pas dans nos desseins de rapporter ici par le d�tail comment se posait la question de la succession de Bretagne ; redisons seulement que le roi de France �tait tout pr�t � invoquer les trait�s de Gu�rande [Note : Trait� du 12 avril 1365, pr�cisant les droits de la maison de Penthi�vre, c�d�s au roi de France par Nicole de Brosse] et de Montargis [Note :  Sur la l�gitimit� des droits du roi, cf. De la Borderie, op. cit, IV, p. 522- 524] pour frustrer les filles de Fran�ois II (Anne et Isabeau) de l'h�ritage de leur p�re. Or, le duc et tous les Bretons �taient bien d�cid�s � tout mettre en oeuvre pour conserver son duch� � la petite princesse Anne. Mais encore fallait-il assurer � cette enfant un protecteur qui puisse utilement faire valoir ses droits. C'est pourquoi la politique bretonne va d�s lors �tre domin�e par la pr�occupation du futur mariage de la princesse. Deux pr�tendants avaient jusqu'alors �t� d�clar�s : Maximilien, soutenu par le prince d'Orange, et le fils du vicomte Jean de Rohan [Note : Jean de Rohan, chef de la maison de Rohan, apr�s des d�m�l�s retentissants avec Fran�ois II avait �t� prisonnier au Bouffay de d�cembre 1479 � f�vrier 1484, et n'avait recouvr� la libert� qu'en renon�ant � toutes ses pr�tentions sur le duch� ; il n'avait donc d'autre ressource que de marier son fils � l'h�riti�re de ce duch�], patron� par le mar�chal de Rieux [Note : Rieux s'�tait engag� � faire �pouser � ses deux cousins les deux filles du duc, Dom Maurice, Preuves, III, 463]. Au d�but de l'ann�e 1486, aucun engagement s�rieux n'avait, pourtant �t� pris.

Quel va �tre le r�le du prince d'Orange ? Sa politique est toute faite d'intrigues secr�tes dont les documents conservent peu de traces, et pourtant son influence fut toujours pr�pond�rante. �tranger � la Bretagne, il n'agissait pas par patriotisme, et n'avait en vue, nous ne saurions trop le r�p�ter, que de r�aliser ses ambitions personnelles. Quand il �tait arriv� � la cour de Fran�ois II, c'�tait pour se faire l'instrument de son neveu Maximilien. Le mariage de ce prince et de la petite princesse Anne n'avait pour lui que des avantages ; Maximilien et Fran�ois II ne pouvaient que lui en �tre reconnaissants et l'aider � affermir sa situation. Mais il avait voulu aller trop vite ; il avait eu besoin de recourir aux bons offices de sa belle-soeur, Mme de Beaujeu. La r�gente, comme bien on pense, n'avait pas donn� son appui � Jean de Chalon sans exiger en retour quelques compensations ; elle avait obtenu le trait� de Montargis, elle entendait bien que les signataires de ce trait� et plus particuli�rement son beau-fr�re, ne le consid�rassent pas comme un chiffon de papier. Le prince d'Orange promit tout ce qu'on voulut, d'autant plus facilement que pour mieux l'attacher, la r�gente lui fit, servir une pension (De la Borderie, op. cit. ; IV, p. 527) ; ni l'un ni l'autre ne devaient avoir de grandes illusions sur la valeur de ces promesses.

On vient de voir comment le prince d'Orange. avait d'abord us� de son influence pour faire signer au duc de Bretagne la paix avec le roi de France. Par ce premier succ�s, il semblait donner comme une preuve de fid�lit� � Mme de Beaujeu. Mais en m�me temps, il continuait � entretenir une correspondance secr�te et active avec Maximilien, relativement au mariage projet� ; force postes allaient de Bretagne en Flandre (D'Argentr�, Histoire de Bretaigne, �d. 1611, p. 1098). Bien plus, il assista, avec d'autres, aux �tats de Rennes de f�vrier 1486, qui proclam�rent les deux filles de Fran�ois II seules souveraines l�gitimes � la mort de leur p�re [Note : De la Borderie, op. cit., IV, p. 525 ; on trouvera le texte de la d�lib�ration prise par les Etats dans Dom Morice, Preuves, III, col. 500-504]. Le seul fait de donner son adh�sion � un tel acte, en contradiction formelle avec le trait� de Montargis, montre bien le double jeu assez dangereux que jouait Jean de Chalon.

S�r de la d�cision des Etats de Bretagne, il s'employa � brusquer le mariage d'Anne et de Maximilien. Celui-ci venait d'�tre �lu roi des Romains (le 16 f�vrier 1486). Il serait un des plus puissants souverains d'Europe. Fran�ois II, d�sireux de trouver un gendre qui puisse r�sister victorieusement aux pr�tentions fran�aises, �couta volontiers les instances du prince d'Orange. Le 16 mars 1486, un trait�, avec promesse de mariage [Note : L'�ge d'Anne, n�e le 25 janvier 1477, ne permettait pas d'�changer plus que des promesses], �tait conclu � Bruges (De la Borderie, op. cit., IV, p. 526) : Maximilien s'y engageait � d�fendre les �tats du duc. En m�me temps Fran�ois II s'assurait l'appui de l'Angleterre [Note : Une th�se de M. B. Pocquet du Haut-Juss�, a pour sujet les rapports de Fran�ois II et de l'Angleterre].

Le trait� de Bruges ne faisait pas l'affaire de Mme de Beaujeu. Le roi des Romains, confiant en l'assistance du duc de Bretagne, ne dissimulait pas ses intentions belliqueuses. La r�gente craignait, en outre, un soul�vement du comte de Bourgogne en faveur de Maximilien ; elle n'ignorait pas que le prince d'Orange entretenait de nombreuses et actives intelligences en Comt�. Aussi le 24 mai 1486, fit-elle r�unir les Etats � Salins par l'�v�que de Langres et Philippe Pot [Note : Philippe Pot, seigneur de la Roche, joua un grand r�le lors de l'annexion du duch� de Bourgogne], pour demander aux seigneurs, aux pr�lats et aux villes un serment de fid�lit� (E. Clerc, Histoire des Etats..., Soc. cit. p. 213). Cette manoeuvre habile r�ussit. Quand Maximilien envahit l'Artois au d�but de juin, la Comt� resta paisible, et les troupes fran�aises, command�es par le mar�chal d'Esquerdes, n'eurent aucune peine � arr�ter cette offensive.

A l'automne 1486, Fran�ois II tomba gravement malade. On crut sa fin prochaine. Imm�diatement Mme de Beaujeu, d�masquant ses projets, quitta Compi�gne, o� elle se trouvait avec la cour, pour venir r�sider avec le roi � Tours, d'o� elle pouvait plus facilement surveiller les affaires de Bretagne et agir suivant les circonstances (De la Borderie, op. cit., IV, p. 526). Malgr� les relations r�centes du prince d'Orange avec Maximilien, elle croyait pouvoir compter sur lui et sur les autres barons bretons.

La gu�rison inesp�r�e du duc interrompit toutes ces intrigues. Cependant � l'entendement et la disposition corporelle du duc �toient si affoiblis que plus il ne scavoit entendre aux publiques affaires de sa duch� � (Alain Bouchart, Grandes Croniques..., �d. Bibl. Bret., f� 233 v�). Un tel �tat de sant� devait faire de cet homme, qui s'�tait toujours laiss� dominer par quelqu'un, un v�ritable jouet aux mains de ses conseillers du moment. Ceux-ci �taient pour lors le prince d'Orange et le vieux comte de Comminges [Note : Odet d'Aydie, sire de Lescun, amiral et grand g�n�ral de Guyenne, comte de Comminges depuis 1472, �tait alors �g� de soixante-dix ans ; aussi intrigant et d�nu� de scrupules que le prince d'Orange, il recevait aussi une pension du roi].

Est-ce, � eux, ou au duc d'Orl�ans, qu'il faut attribuer l'initiative de la nouvelle ligue qui se forma alors contre la r�gente ? Un ne sait (De la Borderie, op. cit., IV, p. 527). Jean de Chalon �tait trop habile homme pour se mettre en avant, mais il semble certain qu'il entretenait des relations amicales avec le duc d'Orl�ans, h�ritier pr�somptif ; Comminges, par contre, penchait nettement en faveur des princes. Quoi qu'il en soit, il se forma au mois de novembre 1486 une v�ritable coalition comprenant le duc d'Orl�ans, le comte de Dunois, le duc de Bourbon, le duc de Lorraine, le comte d'Angoul�me, le comte de Nevers, le comte d'Aumale, le sire d'Albret et son fils Jean d'Albret, roi de Navarre, auxquels se joignirent bient�t Maximilien et son fils l'archiduc Philippe, sans compter le menu fretin (De la Borderie, op. cit., IV, p. 528). Le succ�s de cette ligue d�pendait avant tout de l'attitude de la Bretagne. Or les hommes qui soutenaient le parti du duc d'Orl�ans, Orange et Comminges, s'ils �taient tout puissants sur Fran�ois II �taient loin d'avoir toutes les sympathies de la noblesse bretonne ; on commen�ait � se m�fier de ces � �trangers �. Pourtant le premier des seigneurs bretons, le mar�chal de Rieux, encore en bonne amiti� avec Jean de Chalon, son principal complice de l�affaire Landais et combl� de faveurs par le duc, se d�cida � donner son adh�sion � la ligue ; son exemple fut suivi [Note : Fran�ois II accorda au mar�chal de Rieux une pension de 4.000 livres, et une somme de 3.632 livres pour l'indemniser des pertes qu'il avait subies lors de la r�bellion d'Ancenis]. Le 3 d�cembre 1486, l'acte solennel par lequel les barons bretons se rangeaient aux c�t�s des princes r�volt�s �tait sign� par Jean de Chalon, prince d'Orange, Fran�oise de Dinan, comtesse de Laval et dame de Chateaubriand, Jean de Rieux, sire de Rieux et mar�chal de Bretagne ; dans cet acte il est dit que le comte de Comminges avait d�j� donn� son adh�sion � la Ligue (Dom Morice, Preuves, III, col. 527). Ce trait�, que resta secret pendant quelque temps, avait pour but avou� de d�fendre le patrimoine des filles de Bretagne contre les pr�tentions royales ; en r�alit�, chacun poursuivait ses rancunes personnelles et ses int�r�ts particuliers [Note : Il �tait dit express�ment dans l'acte : � lesquelles (conclusions des Etats) n'ont est� accomplies, mais ont est� annichil�es par l'ambition et convoitise d'aucunes personnes estantes de present autour du roy, quels ont entrepris rompre et enfraindre l'alliance estante entre le roy et le duc, duquel nous suymes pareras et subgets, conseillant au roy de priver nos tres redoubt�es dames les filles du duc de la succession du duc en son duch� de Bretaigne, contre tout droit et raison, parquoy voulans obvier.. etc. �].

Vers la fin de d�cembre, Mme de Beaujeu envoya une ambassade � Fran�ois II pour lui demander des explications sur ses rapports avec Maximilien ; le 30 d�cembre le duc r�pondit en termes tr�s fermes et n'h�sita pas � reprocher au roi ses vues sur le duch� (Dom Morice, Preuves, III, col. 528-533). Pas une fois, il n'est fait mention, dans ce long document, du r�le jou� par le prince d'Orange ; il ne voulait pas encore se laisser compromettre. Mais les partisans de la Ligue continuaient � agir sur l'esprit du duc ; celui-ci, le 6 janvier 1487, envoya � ses d�put�s � Amboise une note leur ordonnant d'informer le roi que � le deshonneur et dommage � qui seraient faits au comte de Dunois, l'�me de la coalition, � il les reputeroit faiz � sa personne � (Dom Morice, Preuves, III, col. 533). C'est alors que la r�gente envoya au duc d'Orl�ans l'ordre de rejoindre la cour � Amboise ; celui-ci feignit d'ob�ir, mais passa en Bretagne et arriva � Nantes le 13 janvier.

Jean de Chalon, jusqu'au bout joua son r�le de fid�le serviteur de la r�gente ; cet homme, qui avait �t� un des promoteurs du trait� du 3 d�cembre, �crivit au roi le 14 janvier une lettre qui m�rite d'�tre cit�e, car elle montre bien sa duplicit� : � Sire, le plus humblement que faire puis, je me recommande en vostre bonne gr�ce, et vous plaise scavoir, Sire, que hier au soir bien tard arriva en cette ville Monseigneur le Duc d'Orl�ans, et m'envoya le Duc (Fran�ois II) au devant de lui entre cy et Clisson avec les gentilshommes de sa maison. J'ai longuement devis� avec mondit seigneur, et a ce que j�ai pu tirer de lui, il n'est point pour dire ni faire chose qui vous deust deplaire, mais seulement pour voir le duc ; et quand je reconnoistray qu'il voudra faire ou dire chose qui soit au prejudice de vous ou de vostre royaume, soyez seur, Sire, que je vous en advertiray, ensemble de toutes choses qui surviendront, a l'aide du benoist fils de Dieu, qui, Sire, vous doint tres bonne vie et longue avec l'accomplissement de vos tres hauts et tres nobles desirs. Escrit a Nantes le 14 janvier, vostre tres humble et tres ob�issant serviteur, J. de Chalon � (Dom Morice, Preuves, III, col. 495). La pr�sence du duc d'Orl�ans � la cour de Bretagne pouvait bien pourtant passer pour un acte d'hostillit� d�clar�e. Malgr� ses protestations, le prince d'Orange n'�tait pas parvenu � tromper la r�gente sur ses v�ritables sentiments ; Anne lui fit �crire par le conn�table de Bourbon [Note : Jean II, duc de Bourbon, conn�table de France, �tait le fr�re du sire de Beaujeu ; son d�vouement � la cause royale n'�tait d'ailleurs pas � toute �preuve il mourut en 1488], lui faisant ainsi comprendre qu'elle n'�tait pas dupe. En d�pit de l'�vidence, Jean persista dans son attitude ; le 18 f�vrier, il r�pondait au conn�table pour l'assurer de sa fid�lit� aux int�r�ts du roi, n'h�sitant pas � qualifier de mensonges les dires de ceux que avaient insinu� qu'il avait sa large part de responsabilit� dans la venue du duc d'Orl�ans � Nantes (Dom Morice, Preuves, III, col. 504). On reste confondu devant tant de dissimulation.

A son tour, Dunois, menac� dans Parthenay, �tait venu se r�fugier aupr�s de Fran�ois II. Nous avons d�j� dit l'influence pr�pond�rante du prince d'Orange et du comte de Comminges sur le duc ; alli�s aux princes fran�ais, ils finirent par le dominer compl�tement (De la Borderie, op. cit., IV, p. 529). Le joug de ces �trangers parut insupportable aux seigneurs bretons, surtout au mar�chal de Rieux et � la comtesse de Laval. Une soixantaine de gentilshommes se r�unirent au d�but de mars 1487 chez la comtesse � Ch�teaubriant [Note : On en trouvera les noms dans Dom Morice, Histoire de Bretagne, II, p, 165] ; l�, le mar�chal de Rieux leur exposa leurs griefs contre les intrus. Comment les chasser sans l'appui de la R�gente ? Celle-ci envoya � Ch�teaubriant l'archev�que de Bordeaux, Andr� d'Espinay, et le sire de Bouchage, pour rallier les ind�cis. Le roi promettait d'envoyer en Bretagne autant d'hommes qu'il serait n�cessaire, mais bien des Bretons comprenaient le danger qu'il y avait � ouvrir aux arm�es royales les portes de la Bretagne (Alain Bouchart, Grandes Croniques..., �d. Bibl. Bret., f� 234 v�). � Mais comme toujours, dit B. Pocquet, des habiles d�couvrirent un exp�diant : ce fut de dresser un acte fixant limitativement les conditions de l'intervention du roi et de l'entr�e en Bretagne des troupes royales. Andr� d'Espinay, au nom de la r�gente, accorda tout � (De la Borderie, op. cit. IV, p. 531).

Le dernier article du trait� portait que le roi retirerait ses troupes sans difficult� d�s que le duc d'Orl�ans, le prince d'Orange, les comtes de Dunois et de Comminges et leurs gens seraient sortis de Bretagne (Alain Bouchart, idem). Inform� de cette trahison, Fran�ois II d�p�cha des ambassadeurs aux rebelles pour essayer de les ramener ; l'un d'entre eux passa � l'ennemi (le sire de Sourd�ac), et le baron d'Avaugour lui-m�me prit les armes contre son p�re [Note : Fran�ois d'Avaugour �tait le fils naturel de Fran�ois II et de Madame de Maignelais].

C'est ainsi que le prince d'Orange, avec les princes �trangers qu'il avait attir�s en Bretagne, allait se trouver dans la n�cessit� de d�fendre l'ind�pendance de cette province contre les Bretons eux-m�nes.

***

L'arm�e fran�aise, forte de 15.000 hommes [Note : Au lieu de 6.000, maximum promis par l'archev�que de Bordeaux au nom du roi, dans sa n�gociation avec les seigneurs de Bretagne], p�n�tra, en Bretagne � la fin de mai 1487. D�puis longtemps, Fran�ois II se pr�parait ; l'arm�e bretonne, compos�e surtout de Bas-Bretons, �tait cantonn�e � Malestroit ; le duc s'�tait rendu � Rennes, et seul le prince d'Orange �tait rest� � Nantes, pour la d�fense de cette place (Dom Morice, Histoire de Bretagne, II, p. 166). Le mar�chal de Rieux et la comtesse de Laval livr�rent aux arm�es du roi les places d'Ancenis et de Ch�teaubriant. Bient�t le si�ge fut mis devant Plo�rmel, place forte qui couvrait l'arm�e ducale. Fran�ois II voulut se porter au secours de la ville, mais les milices bretonnes entra�n�es par Maurice du Men� [Note : Maurice du Men�, capitaine des archers de la garde ducale, �tait un gentilhomme bas-breton ; sa d�fection fut de courte dur�e, et il joua par la suite un r�le important] firent d�fection [Note : Alain Bouchard, Grandes Croniques..., �d. Bibl. Bret., f� 235 v�, rapporte en quels termes Maurice du Men� pr�cha la r�bellion aux milices : � Enfants, advisez que vous ferez, vous voiez que nostre duc est men� par les Fran�ois, mieulx vous seroit estre en voz maisons que de vous exposer au danger de la bataille �] et le duc n'eut d'autre ressource que d'aller s'enfermer dans Vannes. Plo�rmel succombait le 1er juin, et l'arm�e royale, accompagn�e des barons de Bretagne en armes, marcha sur Vannes (De la Borderie, op. cit., IV, p. 533).

La ville et sa garnison �taient incapables de r�sister bien longtemps ; la situation du duc �tait critique, il risquait de tomber aux mains du roi, ainsi que tous les princes qui l'accompagnaient. Une heureuse initiative de son neveu, Jean de Chalon, le tira de ce mauvais pas. � Le prince d'Orange, dit Alain Bouchart, qui � Nantes estait demour�, fut adverti de la prinse de Plo�rmel et comment le duc s'estoit retir� � Vennes. Si partit le prince par la rivi�re de Laire, descendit en la ville du Croesic et la trouva foeson de navires et ung bon nombre de gens de guerre, par mer, lesquelz il fist charger en leurs navires et tirerent par mer a Vennes. Incontinant que le prince d'Orenge et les navires du Croesic furent arrivez a Vennes, le duc, monseigneur d'Orl�ans, messeigneurs de Dunoys et Comminge, Olivier de Coetmen et autres chefz de la bende entrerent dedans ces naves en diligence, car suyviz estoient de si pres par l'arm�e du roy que plusieurs d'eulx laisserent a Vennes partie de leurs bagues (bagages), ce qu'ilz n'eurent pas loisir de tout serrer, tir�rent par mar au Croesic ou le duc et les autres princes et seigneurs se refreschirent ung iour ou deux, et puis par mer et par Laire tirerent � Nantes � (Alain Bouchard, Grandes Croniques� �d. Bibl. Bret, f� 235 v�). Une autre partie de l'arm�e ducale se retira sur Dinan, et le 5 juin, Jacques Le Moyne, grand �cuyer de Bretagne, rest� presque seul dans la place rendait Vannes aux Fran�ais (Alain Bouchard, Grandes Croniques..., �d. Bibl. Bret., f� 235 v).

A Nantes, on se pr�parait � subir le si�ge, la ville �tait bien fortifi�e, et le prince d'Orange, en l'absence du duc, avait su prendre toutes les mesures n�cessaires, faisant mettre en �tat les murs et les foss�s, s'occupant et des hommes et de l'artillerie (Arch mun. de Nantes, EE 183 � 191) ; son z�le et son activit� lui valaient alors la reconnaisance de la population nantaise, qui lui faisait cadeau de vin de Beaune, dont en bon comtois, il �tait fort amateur (Arch. mun. de Nantes, EE 188). Ces pr�cautions n'�taient pas superflues ; le 5 juin l'arm�e royale prenait ses positions autour de la ville, et le 19 le si�ge commen�ait. La r�gente, qui se trouvait � Ancenis avec le roi (Alain Bouchart, Grandes Croniques..., �d. Bibl. Bret., f� 236 r�), s'en montra ravie ; le mar�chal de Rieux refroidit son enthousiasme, en lui disant que Nantes �tait autre chose que l'on ne croyait et que les troupes du roi ne s'en empareraient pas aussi facilement qu'elle semblait le croire (Alain Bouchart, Grandes Croniques..., �d. Bibl. Bret, f� 236 r�). Les �v�nements justifi�rent les pr�visions du mar�chal de Rieux ; le si�ge fut lev� le 6 ao�t.

Les d�fenseurs de la ville avaient pourtant craint pendant un moment de ne pouvoir r�sister, et la diplomatie bretonne ne resta pas inactive ; des d�marches furent faites aupr�s du roi d'Angleterre et de Maximilien. Ce dernier seul fut fid�le aux engagements contract�s envers son oncle, le prince d'Orange, et envers le duc de Bretagne ; son mariage avec Anne lui tenait au coeur ; il envoya 1.500 Flamands qui d�barqu�rent � Saint-Malo et arriv�rent � Rennes le 1er ao�t (De la Borderie, op. cit, IV ; p. 535, note 2) ; ces troupes ne purent donc prendre part � la d�fense de Nantes, comme le dit dom Morice (Dom Morice, Histoire de Bretagne, II, p. 168). Dunois de son c�t� avait pens� � faire appel au sire d'Albret, en lui faisant esp�rer la main de la princesse Anne ; le duc d'Orl�ans et le prince d'Orange ne se ralli�rent pas sans difficult�s � la proposition de Dunois ; ils se dirent sans doute l'un et l'autre que les promesses n'engageaient � rien, et laiss�rent faire. Albret flatt� envoya un secours, qui f�t arr�t� en Guyenne (Dom Morice, idem, et de la Borderie, loc. cit., p. 535).

On retrouve le prince d'Orange en novembre, marchant au secours de Guingamp, assi�g�e par le vicomte de Rohan. Il �tait � Dinan le 17 ; de cette ville il �crivit aux habitants de Guingamp pour les informer du d�part de Maurice du Men� avec de l'infanterie ; lui-m�me avec l'artillerie comptait partir le lendemain (Dom Morice, Preuves, III, col, 563). Rohan ne l'attendit pas et leva le si�ge (Dom Morice, Histoire de Bretagne, II, p. 170). Mais la Bretagne commen�ait � �tre lasse de la guerre ; de nouveau, les �trangers furent accus�s d'en �tre la cause ; � Nantes le 30 novembre 1487, �clate un v�ritable �meute ; le peuple de cette ville, oublieux des services rendus par les princes lors du si�ge, envahit les rues et tenta de p�n�trer de force dans le ch�teau, en prof�rant des cris de mort contre le duc d'Orl�ans, le prince d'Orange, Dunois, Comminges et autres (De la Borderie, op. cit., p. 539). L'�meute �choua, mais les princes commenc�rent � r�fl�chir et peut-�tre song�rent-ils � rentrer en France. Jean de Chaton, pourtant, poursuivait la lutte contre les arm�es fran�aises et leurs alli�s bretons. Dans le courant de d�cembre, il se pr�para � reprendre, pour le duc, Quintin et La Ch�ze, mais le plus grand nombre des seigneurs qu'il commandait, l'abandonn�rent ; il se retira d'abord � Malestroit, puis � la fin du mois renon�a � son entreprise (Dom Morice, Preuves, III, col. 565).

L'on sait comment sur ces entrefaites, le mar�chal de Rieux, rabrou� par la R�gente et d�sol� des cons�quences de sa d�fection, passa de nouveau au parti breton. Ce retour raffermit pour un temps la situation des princes �trangers. La campagne de 1488 commen�a par des succ�s pour l'arm�e ducale qui reprit la ville de Vannes (le 3 mars), fit reculer partout les arm�es fran�aises, et le prince d'Orange inqui�ta s�rieusement le vicomte de Rohan, rest� au parti de la r�gente, en assi�geant ses places de Rohan, La Ch�ze et Josselin (Dom Morice, Preuves, III, col. 571). C'est alors que La Tr�moille prit le commandement de l'arm�e royale. Au lieu de se porter au secours de Rohan, comme on l'en pressait, le jeune g�n�ral pr�f�ra laisser l'imprudent vicomte capituler assez honteusement (Dom Morice, ibid. Capitulation du 26 mars), pour porter tout son effort sur les places de la fronti�re. Cette tactique r�ussit pleinement  : Ch�teaubriant succombait le 23 avril et Ancenis le 19 mai (De la Borderie, op. cit., p. 544-545). L'arm�e bretonne faible et d�sorganis�e n'avait pu se porter au secours de deux places.

Inquiets des succ�s fran�ais, Fran�ois II et les princes cherch�rent � n�gocier avec la r�gente. Une ambassade fut envoy�e � Chinon, o� elle arriva le 16 mai, pour demander des sauf-conduits pour le prince d'Orange, Dunois et Comminges (Correspondance de Charles VIII avec Louis de La Tr�moille, p. 98). Apr�s la prise d'Ancenis, Anne de Beaujeu consentit � des pourparlers ; elle envoya � Nantes l'archev�que de Bordeaux et le sire Morvilliers ; les ambassadeurs royaux se rencontr�rent avec le prince d'Orange et les autres conseillers du duc (Correspondance de Charles VIII avec Louis de La Tr�moille, p. 121), et une tr�ve fut conclue le premier juin pour quinze jours, et prorog�e � quatre reprises jusqu'au 6 juillet (De la Borderie, op. cit., IV, p. 546). Nul, pourtant, ne pensait s�rieusement � la paix. L'arm�e bretonne se pr�parait de son mieux, et les comptes nous ont laiss� des traces de l'activit� de Jean de Chalon pour cette pr�paration (Arch. de la Loire-Inf�rieure, B II, passim.), cependant que La Tr�moille m�rissait son projet de p�n�trer en Bretagne par le nord.

La tr�ve avait � peine cess� que La Tr�moille mettait le si�ge devant Foug�res (De la Borderie, op. cit., IV, p. 547), apr�s avoir re�u le 9 juillet une lettre du roi l'informant que tous les pourparlers �taient rompus (Correspondance de Charles VIII avec Louis de La Tr�moille, p 173). Le 19, la ville �tait prise. D�s le d�but du mois, l'arm�e bretonne s'�tait concentr�e � Rennes ; mais l'accord �tait loin de r�gner entre les chefs. Au moment m�me o� ils auraient eu besoin de rassembler toutes leurs �nergies pour lutter efficacement contre un adversaire aussi r�solu que La Tr�moille, ils donnaient libre cours � leurs dissensions � propos du mariage de la princesse Anne, le duc d'Orl�ans et prince d'Orange tenant pour Maximilien [Note : Le duc d'Orl�ans �tait peut-�tre pr�tendant pour lui-m�me � la main d'Anne de Bretagne, mais il estimait sans doute qu'il �tait encore trop t�t de le laisser para�tre], le sire d'Albret, appuy� par Comminges, y pensant pour lui-m�me. Le mar�chal de Rieux ne supportait qu'avec peine la pr�sence de tous ces �trangers. Le d�saccord �tait tel qu'on en eut connaissance � la cour de France ; car Charles pouvait �crire le 15 juillet : � L'on nous escript de plusieurs lieux que les Bretons sont en grant division et tres mal prez d'assieger ne de combatre � (Correspondance de Charles VIII avec Louis II de La Tr�moille, p. 178).

Le 23, pourtant, l'arm�e se mit en route pour aller d�livrer Foug�res, prise depuis le 19 [Note : Si incroyable que cela puisse en effet para�tre, la prise de Foug�res ne fut connue que le 26 par l'arm�e bretonne]. Du 24 au 26 l'arm�e campa � Andouill�, o� avait eu lieu la montre g�n�rale ; c'est l� seulement que l'on apprit la capitulation de Foug�res. Les chefs furent tous d'accord pour d�cider d'aller assi�ger Saint-Aubin-du-Cormier ; on se dirigea sur Vieux-Vy, et l'on s'�tablit le soir en forte position sur le coteau d'Orange. On savait l'arm�e fran�aise toute proche et l'on s'attendait � la rencontrer le lendemain ; � celuy jour, qui fut le dimenche, au plus matin, se confess�rent ceulx de l'arm�e de Bretaigne qui se confesser voulurent � (Alain Bouchart, Grandes Croniques..., �d. Bibl. Bret., f� 239 r�). L'imminence de la rencontre surexcitait les esprits et bient�t de f�cheux bruits de trahison se r�pandirent parmi les troupe s; Alain Bouchart, qui recueillit le t�moignage de survivants de la bataille, raconte que � les gens de pi� se mutinerent pour quelque bruit qui survint entre eulx par aucuns qui semerent que les princes francoys qui en l'arm�e de Bretaigne estoient avoient entendement aux chefs de l'arm�e de France, et que Bretons estoient venduz, dont cuida venir ung grant meschief, pour lequel eschever fut advis� que le duc d'Orl�ans et le prince d'Orange se mettroient a pi� en la bataille avec les Allemans � (Alain Bouchart, Grandes Croniques..., �d. Bibl. Bret., f� 239 r�). C'�tait une sage d�cision ; le duc d'Orl�ans combattit dans le rang, cependant que Jean de Chalon n'eut que le commandement de 800 Allemands et d'un millier de francs-archers bretons portant la croix noire, sous les ordres du sire d'Albret qui �tait � la t�te du corps de bataille (De la Borderie, op. cit., IV, p. 550).

La rencontre eut lieu le lundi 28 juillet 1488 pr�s de Saint-Aubin-du-Cormier. Ce fut un d�sastre pour l'arm�e bretonne, trop connu pour que nous ayons � le relater ; qu�il nous suffise de dire la part qu'y prit le prince d'Orange. A pied, � la t�te de ses Bretons, il se battit avec le courage de sa race, et resta le dernier sur le champ de bataille o� � il y fit de grandes armes � ; mais que pouvait-il devant le sauve-qui-peut g�n�ral qui suivit la d�bandade de l'avant-garde ? � Quant il vit ceste deffaicte, dit encore Alain Bouchart, et qu'il estoit a pi�, il se mist contre terre a dans entre les mors et dessina sa croix noire ; ung archer des gens du roy le congnut et luy dist : Monseigneur, si vous voulez je vous saulveray. � Mon amy, dist-il, a qui cuide tu parler. � Monseigneur, dist l'archer, vous estes monseigneur le prince, j'ay autreffoyz est� de votre compaignie. � Mon amy, dist le prince, si tu me saulves, je te feray riche a jamais. Adonc ala l'archer querir quelque nombre de ses compaignons auquelz le prince se rendit, et par ce moyen le saulverent comme prisonnier � (Alain Bouchard, Grandes Croniques..., �d. Bibl. Bret., f� 239 r� v�).

Le soir m�me, La Tr�moille r�unit sous sa tente les prisonniers bretons, en particulier le duc d'Orl�ans et le prince d'Orange. Une l�gende horrible, en contradiction formelle avec le caract�re de celui que nous connaissons comme �tant le chevalier sans reproche, a fait longtemps fortune depuis Nicolas Barth�l�my de Loches, prieur de Notre-Dame de Bonne Nouvelle, � Orl�ans, auteur d'une vie anonyme de Louis XII, publi�e par Godefroy (Histoire de Charles VIII, 1684, in f�, p. 273-274). Ce soir-l� donc, La Tr�moille aurait invit� � souper le duc d'Orl�ans et le prince d'Orange, ainsi que les principaux officiers fran�ais faits prisonniers pendant la bataille. A la fin du repas, alors que les princes auraient occup� la place d'honneur d�e � leur rang, le vainqueur aurait fait entrer deux moines franciscains. Les invit�s n'auraient pas dout� un instant que ces deux pr�tres ne fussent venu pour autre chose que pour les pr�parer � la mort ; s'adressant au duc d'Orl�ans et au prince d'Orange, La Tr�moille leur aurait dit : � Princes, je n'ai pas de pouvoir sur vous, votre sort d�pend du jugement du roi, mais vous, chevaliers, vous avez trahi votre foi, votre pays et votre roi, vous allez mourir �. Et sans vouloir �couter les supplications et les pri�res de ses deux principaux prisonniers, La Tr�moille aurait envoy� � la mort les autres chevaliers pris sur le champ de bataille de Saint-Aubin-du-Cormier [Note : Ce qui a pu donner naissance � cette l�gende est probablement l'ex�cution, � Saint-Aubin, de deux hommes d'armes fran�ais, rapport�e par A. Bouchard, mais il s'agissait d'une ex�cution publique apr�s jugement. Cf. : de la Borderie : La l�gende du souper de La Tr�moille apr�s la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier dans Cabinet historique, mars-avril 1877]. Ce r�cit, pour dramatique qu'il soit, est une pure l�gende ; La Tr�moille se montra au contraire, tr�s doux et humain pour ses prisonniers, � tel point que le roi se crut oblig�, d�s le 30 juillet, de lui faire des recommandations � leur sujet : � Au surplus, �crivait-il, vous ne nous avez point escript le nombre des autres prisonniers, ne comme il va de tout le demeurant ; toutesfois gardez vous bien que on n'en mecte ung seul a ran�on ne que on n'en laisse point aller, mais les faictes bien tous garder � (Correspondance de Charles VIII avec Louis II de la Tr�moille, p. 197).

Le m�me jour (30 juillet), le sire de Morvilliers, chambellan du roi, et Jacques de Silly, capitain� des gardes royaux partaient du Verger, o� se trouvait la cour, pour se rendre aupr�s de La Tr�moille, avec mission de ramener le duc d'Orl�ans, le prince d'Orange, Aymar de Prie, Georges d'Auxy, Walleran Goujat, Tinteville et d'autres prisonniers ; et les recommandations de pleuvoir de nouveau sur le terrible g�n�ral : � Si voulons et vous mandons tres expressement que les croies (Morvilliers et Silly) et faictes ce qu'ilz vous en diront de par nous comme pour nostre propre personne, sans y faire difficult� ; et leur faictes bailler lesditz prisonniers, entre les mains de qui qu'ilz soient, et gardez comment que ce soit et toutes excusacions cessans qu'il n'y ait point de faulte � (Correspondance de Charles VIII avec Louis II de la Tr�moille, p. 197). Charles VIII et Mme de Beaujeu ne risquaient pas de laisser �chapper leur proie.

Conform�ment aux instructions royales, pendant que le duc d'Orl�ans �tait conduit prisonnier au ch�teau de Bourges, le prince d'Orange �tait enferm� aux Ponts-de-C�, avant d'�tre transf�r� quelques jours apr�s au ch�teau d'Angers.

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Vaincu et prisonnier le prince d'Orange arriva � Angers le 6 ao�t 1488. Dans cette ville, dont le ch�teau allait lui servir de prison, il rencontra le roi et Mme de B�aujeu [Note : Nous savons en effet par la Correspondance de Charles VIII avec La Tr�moille que le roi et la cour �taient � Angers quand y arriv�rent les deux prisonniers]. Nous aimerions savoir ce que put �tre cette entrevue ; comment Jean de Chalon expliqua-t-il sa duplicit�, pour ne pas dire sa trahison ? H�las ! les documents sont muets et nul chroniqueur ne nous a dit les reproches que la terrible r�gente ne dut pas m�nager � son beau-fr�re. On sait seulement que la col�re d'Anne de France fut grande : le duc d'Orl�ans et le prince d'Orange ne tard�rent pas � s'apercevoir que la fille de Louis XI ne savait pas mieux pardonner que son p�re.

A Angers, Jean de Chalon eut tout le loisir de m�diter sur sa situation ; elle ne dut pas lui appara�tre fort brillante. Il avait jou� et il avait perdu ; personnellement, il n'avait plus rien ; la souverainet� d'Orange appartenait toujours au roi de France, ses biens en Franche-Comt� restaient sous la garde de sa femme Jeanne de Bourbon et son influence dans ce pays �tait bien r�duite ; quant aux donations nombreuses que lui avait faites le duc son oncle en Bretagne, il ne savait trop ce qu'il allait en advenir [Note : Nous reviendront plus tard sur les biens du prince d'Orange en Bretagne]. Il ne pouvait compter sur des secours ext�rieurs ; le duc d'Orl�ans �tait comme lui prisonnier ; Dunois, Comminges, le sire d'Albret avaient tout int�r�t � ne pas trop lier leur cause � celle des grands vaincus de Saint-Aubin-du-Cormier, et Jean de Chalon savait par exp�rience qu'il ne devait pas se fier � la fid�lit� de ses alli�s de la veille. Certes, il pouvait croire que Fran�ois II ferait son possible pour le tirer de ce mauvais pas, mais que pourrait le duc apr�s la d�faite qui le livrait � la merci du vainqueur ? Quant � Maximilien, il ne pouvait rien, du moins pour le moment ; le prince d'Orange n'ignorait certainement pas que son neveu ne causait plus d'inqui�tude au roi, puisque le 5 ao�t l'amiral de Graville disait dans une lettre adress�e d'Angers � La Tr�moille. � Le mareschal de Gy� m'a escript que le duc d'Austriche et les Almens se sont retirez devers Envers et sont bien taillez de ne faire pas fruyt ceste ann�e � (Correspondance de Charles VIII avec Louis II de la Tr�moille, p 203). Ainsi donc, tout l'abandonnait.

Et les mauvaises nouvelles ne tard�rent pas � venir augmenter les craintes du prisonnier. Apr�s la capitulation de Saint-Malo (Saint-Malo avait capitul� le 30 juillet), il �tait impossible � Fran�ois II de r�sister plus longtemps ; le malheureux duc se r�signa � faire la paix avec Charles VIII. Il accepta toutes les conditions qui lui �taient faites : faire sortir imm�diatement du duch� les princes et tous les �trangers ; ne pas marier ses filles sans l'assentiment du roi ; abandonner les places de Saint-Malo, Foug�res, Dinan et Saint-Aubin, les deux premi�res jusqu'au r�glement d�finitif des droits � la succession ducale, les deux autres jusqu'� l'accomplissement de toutes les clauses du trait�. Cette paix d�sastreuse, connue sous le nom de trait� du Verger, fut conclue le 19 ao�t 14881 (Dom Morice, Preuves, col. 598). Le duc de Bretagne avait essay� en vain d'obtenir quelque promesse de la r�gente en faveur des prisonniers ; bien plus, il avait d� consentir � � violer les lois de l'hospitalit� et � livrer � la justice du roi les Fran�ais qui s'�taient fi�s � son honneur � (De la Borderie, op. cit., IV, p. 558). Un des derniers espoirs du prince d'Orange s'�vanouissait.

Mais un �v�nement plus grave encore, si possible, allait suivre. Fran�ois II, malade depuis longtemps, ne put survivre � la rancoeur que lui causait ce trait� ; il tomba peu apr�s malade d'une fi�vre qui devait l'emporter en peu de jours � Coiron o� il s'�tait retir� [Note : La cour avait d� fuir Nantes, o� s�vissait alors une grave �pid�mie]. Sur son lit de mort encore, il faisait entendre des g�missements, en pensant au sort de ceux qui l'avaient bien servi et qui �taient livr�s � la rancune de Mme de Beaujeu (De la Borderie, op. cit., IV, p. 659) ; se sentant gravement atteint il fit son testament; le mardi 9 septembre 1488, le dernier duc de Bretagne rendait le dernier soupir (Alain Bouchon, Grandes Croniques... �d. Bibl. Bret., f� 241 r�).

Cette mort fut un rude coup pour le prisonnier d'Angers. La tutelle des petites princesses, qui aurait d� lui revenir comme �tant leur plus proche parent, avait �t� confi�e au mar�chal de Rieux, et la grosse question du mariage de la duchesse Anne, d'un si puissant int�r�t pour son ambition, allait sans doute se r�gler sans lui. Il savait Rieux et la comtesse de Laval oppos�s � l'alliance avec Maximilien, pour laquelle il n'avait cess� de travailler depuis des ann�es et en laquelle il avait mis tous ses espoirs. Il savait encore que Maximilien, priv� d'appui en Bretagne, �tait trop loin pour pouvoir d�fendre efficacement sa chance. Alors il dut bien croire la partie d�finitivement perdue : heureusement pour les projets du prince d'Orange, Anne, si jeune qu'elle f�t, n'�tait pas fille � se laisser faire ; si Jean de Chalon l'ignorait encore, il, n'allait pas tarder � l'apprendre. Laissons-le un moment languir dans sa prison, et jetons un coup d'�il rapide sur les �v�nements qui se d�roul�rent en Bretagne pendant sa captivit�.

Fratkois II �tait � peine mort, que Rieux, Comminges et Mme de Laval se mirent en devoir de faire �pouser � Anne leur candidat, le sire d'Albret, cependant que Mme de Beaujeu essayait d'imposer aux filles de Bretagne la tutelle royale (Dom Morice, Histoire de Bretagne, II p. 190).

Ni les uns ni l'autre ne r�ussirent, mais ce ne fut pas faute d'avoir intrigu� tant qu'il le fallait. Le roi, avec l'appui du vicomte de Rohan, qui esp�rait toujours faire �pouser � ses fils les princesses Anne et Isabelle, ne put que porter de nouveau la guerre en Bretagne et s'emparer successivement de Guingamp, de Concarneau et de Brest [Note : Guingamp succomba le 22 janvier, Concarneau et Brest vers le 15 f�vrier]. De m�me, le mar�chal de Rieux et la comtesse de Laval ne pouvaient parvenir � vaincre l'obstination d'Anne, qui se refusait tout net � prendre d'Albret pour �poux ; ce pr�tendant avait d'ailleurs quarante ans, il avait sept enfants l�gitimes sans compter les b�tards ; de plus il �tait laid et Anne n'en voulait � aucun prix ; le mar�chal de Rieux commen�a par traiter cette r�sistance de caprice d'enfant, mais il ne tarda pas � s'apercevoir que sa pupille avait une volont� de fer, capable, de tenir t�te � quiconque se mettrait au travers de ses desseins (De la Borderie, op. cit., IV, p. 562). Bref, en janvier 1489, cependant que les Fran�ais se promenaient en vainqueurs en Basse-Bretagne, Rieux exasp�r� de la r�sistance de sa pupille se r�voltait contre elle, et lui refusait l'entr�e de la ville de Nantes (De la Borderie, op. cit., IV, p. 565). Anne �tait soutenue par Dunois, et surtout par le chancelier Philippe de Montauban, que Rieux d'ailleurs destitua pour le remplacer par Gilles de la Rivi�re, le 24 janvier (Dom Morice, Preuves, III, col. 616). Si J'on ajoute � cela les diverses n�gociations avec Maximilien qui fit une exp�dition et s'empara de Saint-Omer, avec les rois de Castille et d'Angleterre, on reconna�tra qu'en f�vrier 1489 la situation au duch� de Bretagne �tait plut�t confuse, et bien faite pour tenter un p�cheur en eau trouble comme l'�tait le prince d'Orange.

Sa captivit� avait �t� tr�s adoucie, gr�ce � l'intervention de sa femme Jeanne de Bourbon. La princesse d'Orange, qui semble pourtant n'avoir pas eu trop � se louer d'un mari qui la d�laissait beaucoup, n'h�sita pas � aller implorer sa belle-soeur en faveur du prisonnier. Mme de Beaujeu se laissa-t-elle attendrir ; ou jugea-t-elle plus politique de m�nager un homme susceptible de lui rendre encore bien des services ? Toujours est-il que le prince d'Orange fut tir� du ch�teau d'Angers d�s Novembre 1488 et suivit, prisonnier sur parole, la cour de sa belle-soeur � Riom ; cette mesure de cl�mence ne l'emp�chait d'ailleurs nullement de prof�rer apr�s boire maints propos s�ditieux (Cf. : De Maulde : Proc�dures politiques du r�gne de Louis XII, p. 1.142). Malgr� tout, l'inaction lui pesait ; il surveillait attentivement ce qui se passait en Bretagne ; apr�s la r�volte de Rieux contre sa pupille et le si�ge de Vannes par les troupes fran�aises [Note : L'arm�e fran�aise, qui avait mis le si�ge devant Concarneau le 1er f�vrier, entrait dans cette ville le 15 et �tait � Vannes le 19], il sut - par quelles promesses ? - persuader � Mme de Beaujeu que sa pr�sence en Bretagne �tait indispensable. A la fin de f�vrier 1489, il arrivait pr�s de sa cousine, accompagn� de Turquet, ma�tre d'h�tel du roi (Dom Morice, Histoire de Bretagne, II, p. 195).

Jean de Chalon, au nom de la r�gente, commen�a par faire � la duchesse quelques propositions de paix, qu'il savait inacceptables ; peut-�tre m�me conseilla-t-il lui aussi de ne pas les accepter. Maintenant qu'il �tait libre, il allait pouvoir reprendre ses intrigues et servir les uns et les autres au mieux de ses int�r�ts personnels. Or la r�volte Rieux lui permettant de prendre une place pr�pond�rante en Bretagne, il oublia vite qu'il �tait un ambassadeur de Mme de Beaujeu, � laquelle il se garda bien d'aller aussit�t rendre compte de l'�chec de sa mission, pour se ranger d�lib�rement aux c�t�s de la duchesse Anne. L'essentiel d'ailleurs �tait, pour lui, et m�me pour la r�gente, d'emp�cher le mariage avec d'Albret [Note : C'est ce qu'avait fort bien vu dom Morice, op. cit., II, p. 196]. Anne n'�tait pourtant pas assez s�re des bonnes dispositions de son cousin pour ne pas prendre ses pr�cautions, d'autant que la seule venue du prince avait suffi pour que Rieux s'obstin�t davantage encore dans sa r�volte [Note : De la Borderie, Choix de documents in�dits sur le r�gne de la duchesse Anne en Bretagne, dans M�moires de la Soci�t� Arch�ologique d'Ille-et-Vilaine, F. VI 1868 p. 243 et sq.]. Elle envoya donc une ambassade en Angleterre pr�venir Henri VII de l'arriv�e en Bretagne du prince d'Orange, lui faire part des propositions fran�aises, et demander du secours [Note : De la Borderie, Choix de documents in�dits sur le r�gne de la duchesse Anne en Bretagne, dans M�moires de la Soci�t� Arch�ologique d'Ille-et-Vilaine, F. VI 1868 p. 243 et sq.].

L'on sait comment des secours anglais arriv�rent en Bretagne fin mars, suivis en mai par 2.000 Espagnols, et comment les Fran�ais perdirent rapidement, tout ce qu'ils avaient conquis en Bretagne, o�, en juillet 1489, ils ne conservaient plus que cinq places : Foug�res, Saint-Aubin, Dinan, Saint-Malo et Brest (De la Borderie, Histoire de Bretagne, IV, p. 568).

Pendant toute cette campagne, Jean de Chalon se tint prudemment dans la coulisse. Certes, d�s son arriv�e aupr�s de la duchesse, il avait repris une grande influence : Philippe de Montauban, son plus s�r auxiliaire, �tait redevenu chancelier. Mais il ne voulait pas m�contenter trop ouvertement Mme de Beaujeu. Son neveu Maximilien, depuis si longtemps candidat possible � la main de la duchesse, s'int�ressait vivement aux affaires de Bretagne, mais aux prises avec les Flamands et les Hongrois, il ne pouvait s'engager dans une guerre contre le roi de France (De la Borderie, Histoire de Bretagne, IV, p. 569). Le prince d'Orange travailla sans aucun doute � la paix : le trait� de Francfort fut conclu entre Charles VIII et Maximilien le 22 juillet 1489 (Arch. de la Loire-Inf�rieure, E. 102). La Bretagne n'y �tait pas oubli� : Charles VIII abandonnerait les places conquises, et Anne s'engageait � renvoyer les troupes anglaises ; mais la question des quatre villes mentionn�es au trait� du Verger restait en suspens juqu'� ce qu'intervienne une d�cision d'arbitres, dans le d�lai d'un an. Il va sans dire qu'Anne n'accepta pas sans r�sistances le trait� de Francfort ; le prince d'Orange soutenu par Dunois dut user de toute son influence pour le lui faire ratifier ; il dut s'entremettre dans de longues et laborieuses n�gociations avec Maximilien d'une part, et le roi d'autre part ; finalement Anne ratifia le 3 d�cembre (De la Borderie, Choix de Documents. In�dits... loc. cit.).

Jean de Chalon jouait de nouveau le premier r�le en Bretagne : il avait repris son titre de lieutenant-g�n�ral, et Anne l'avait nomm� capitaine de Rennes, la plus fid�le de ses villes [Note : Nous ne savons exactement � quelle date le prince d'Orange fut nomm� capitaine de Rennes ; il l'�tait certainement d�s 1489]. Cependant qu'en cette derni�re qualit�, il pr�parait d�s 1489 la d�fense de cette vine qu'il munissait d'artillerie (Arch. mun. de Rennes, liasse 159), il allait comme lieutenant-g�n�ral tenter de mettre � la raison Rieux toujours r�volt� �t� engag�es avec le mar�chal (De la Borderie, Histoire de Bretagne, IV, p. 570-572). En d�cembre, il s'�tait rencontr� avec le prince d'Orange et Dunois et avait convenu avec eux d'une pacification qui devait �tre conclue le 6 janvier 1490. Il ne semble pas que cette tr�ve ait r�ellement eu lieu ; Rieux ne pardonnait pas � la duchesse les faveurs dont elle comblait ses ennemis, en particulier le prince d'Orange qui avait d�j� re�u les biens confisqu�s sur Pierre Becdeli�vre et que allait recevoir, le 19 avril, l'opulente seigneurie de Toffou (De la Borderie, Choix de documents In�dits..., loc. cit.). Il est � remarquer d'ailleurs que dans toute sa campagne de 1490, Rieux, dans ses lettres, affecte de n'avoir d'autre adversaire que le prince d'Orange (De la Borderie, Choix de documents In�dits..., loc. cit.). D�s la fin de mars, celui-ci avait quitt� Rennes, se mettant en marche vers Josselin, pour lever un fouage de 4 l. 10 s. par feu d�cr�t� par la duchesse le 21 mars (De la Borderie, Choix de documents In�dits..., loc. cit.). Il n'avait d'autre part pas perdu son temps et obtenu de Maximilien qu'il envoya un secours � la duchesse. Rieux, retir� � Hennebont, apprit que l'arm�e du prince mena�ait le nord et le centre de la Bretagne. Le 22 avril il se mit en marche vers Pontivy ; Orange de son c�t� �tait arriv� aux abords de cette ville, mais les deux arm�es ne se rencontr�rent pas. Le 3 mai enfin, la duchesse ordonnait de lever une nouvelle arm�e qui devait se mettre sous les ordres d� son lieutenant-g�n�ral, son tr�s aim� cousin le prince d'Orange. Heureusement, les deux arm�es en pr�sence, on en reste l�. Une tr�ve fut conclue d�s le d�but de mai et des n�gociations furent engag�es ; on d�cida de s'en remettre � l'arbitrage des Etats de Bretagne qui furent convoqu�s � Vannes pour le 4 juillet. Rieux se soumit, moyennant une large r�tribution p�cuni�re, et se r�concilia avec Orange et Montauban.

L'heure n'�tait plus d'ailleurs aux querelles intestines.

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Le trait� de Francfort, en effet, �tait rest� lettre morte. Le roi n'avait pas �vacu� Brest ; et ses troupes continuaient � ravager le pays. Il est vrai que lieux, par sa r�bellion, avait fourni au roi un excellent pr�texte, et Anne elle-m�me n'avait-elle pas appel� les Allemands de Maximilien � son secours (De la Borderie, Histoire de Bretagne, IV, p. 572). Plus que jamais le prince d'Orange va essayer de s'entremettre. Depuis qu'il est rentr� en Bretagne, il a reconquis tout son prestige aupr�s de la duchesse. Mais il craint pour sa situation ; il se m�fie des intentions de la R�gente � son �gard. Il n'a plus que de rares nouvelles de Franche-Comt� ; les comptes de ses receveurs ne lui sont pas envoy�s r�guli�rement et il les r�clame en vain [Note : Les archives du Doubs et les archives du ch�teau d'Arlay (Jura) contiennent de tr�s curieux renseignements sur les difficult�s financi�res du prince d'Orange � cette �poque]. Sa femme Jeanne de Bourbon fait de son mieux pour sauvegarder les biens de son �poux, � la merci d'un mouvement de col�re du roi de France [Note : Jeanne de Bourbon, d�j� tr�s malade, n'avait pas suivi son �poux en Bretagne]. Heureusement, Anne ne lui m�nage pas les compensations en Bretagne ; apr�s Toffou, elle lui a donn� Succinio et sa riche seigneurie, d'autres biens encore (Dom Morice, Preuves, III, col. 658). Mais cette situation privil�gi�e durera-telle ? Le mariage de la duchesse ne saurait �tre retard� ind�finiment, et le sort du prince d'Orange d�pend du choix qui sera fait. Il a r�ussi � �carter d'Albret, ce qui lui a valu pour un temps la bienveillance de Mme de Beaujeu : cette victoire est bien pr�caire. Il lui faut donner � sa cousine un mari avec lequel il puisse conserver toute son autorit�. Maximilien, auquel il n'a jamais cess� d'�tre fid�le de coeur, sinon en fait � mais la vie � de telles n�cessit�s ! � est tout indiqu�.

Nous ne voulons pas entrer dans le d�tail de toutes les n�gociations diplomatiques qui eurent lieu dans le courant de l'ann�e 1490 [Note : On en trouvera le d�tail dans l'Introduction de la Borderie, � ses Choix de documents In�dits..]. La correspondance secr�te entre Maximilien et son oncle avait repris d�s le d�but de l'ann�e (Archives du ch�teau d'Arlay, Comptes de 1489 et 1490) ; Anne, d'ailleurs �tait pr�te � accueillir le roi des Romains, et Jean de Chalon ne fut pas �tranger � la d�cision prise par Maximilien d'envoyer en m�me temps que les troupes dont nous avons parl�, des ambassadeurs extraordinaires charg�s d'�pouser par procuration, au nom de leur ma�tre, la duchesse de Bretagne. C'est ainsi qu'en mars 1490,. Wolgang de Polham, mar�chal de cour, Jacques de Gondebaud, secr�taire de Maximilien et Loupian, son ma�tre d'h�tel, avaient �t� envoy�s en Bretagne (Choix de documents In�dits..., loc. cit., p. 314). Le but de leur voyage devait rester secret ; tant que Rieux n'�tait pas soumis, il fallait �viter de provoquer une nouvelle invasion fran�aise. Mais ce projet de mariage souriait � tous ; Maximilien y voyait le moyen de reprendre l'ancienne politique de l'� �tau � autour de la France, et les Bretons fid�les pensaient assurer ainsi l'ind�pendance de leur pays (De la Borderie, Histoire de Bretagne, p. 573).

Rieux soumis se rallia lui aussi au projet. Mais il fallait endormir la m�fiance fran�aise. De nombreuses n�gociations, dirig�es du c�t� breton par le prince d'Orange lui-m�me et Rieux furent poursuivies pendant toute la fin de l'ann�e. En juillet, Maximilien avait accord� au roi de France un nouveau trait�, sign� � Ulm (Dom Morice, Preuves, III, col. 674) : il venait seulement de terminer sa guerre victorieuse contre le roi de Hongrie, Mathias Corvin, et avait besoin de reprendre des forces. Le trait� d'Ulm, qui �tait une confirmation du trait� de Francfort, comprenait naturellement la Bretagne. Le 11 ao�t, Anne envoyait le prince d'Orange en Allemagne : il portait � son neveu l'adh�sion de sa cousine � la convention (Choix de documents In�dits..., loc. cit. p. 258, 306) ; mais d�s cette ambassade extraordinaire il pr�para le coup de th��tre qui devait �clater � la fin de l'ann�e. A son retour d'Allemagne, Jean de Chalon fut envoy� aupr�s de Charles VIII et mena si habilement les n�gociations que le trait� d'Ulm fut ratifi� par le roi le 10 octobre 1490 et par la duchesse le 15 (Choix de documents In�dits..., loc. cit., p. 314, 315, 326. � Dom Morice, Preuves, III, 675-677).

La France endormie pour un temps, on pouvait faire para�tre au jour le r�sultat secret des d�marches faites par le prince d'Orange : une coalition contre la France, dont un des buts �tait de d�fendre l'int�grit� de la Bretagne. Outre Maximilien, la ligue comprenait l'Angleterre et la Castille : Anne signa l'alliance le 27 octobre (Choix de documents In�dits..., loc. cit., p. 327). Enfin et pour ne pas, laisser place � l'�quivoque, Anne �pousait Maximilien par procuration � Rennes le 19 d�cembre 1490 [Note : Voir sur cette date : de la Bigne-Villeneuve ; Une date historique retrouv�e, dans M�moires de la Soci�t� arch�ologique d'Ille-et-Vilaine, II, 1861 p. 220. Sur le mariage : Arch. de la Loire-Inf�rieure, E. 14 ; Godefroy : Histoire de Charles VIII, Pi�ces, p. 604]. Le prince d'Orange pouvait �tre fier de son oeuvre.

Son succ�s ne devait pas �tre de bien longue dur�e. La nouvelle du mariage provoque de vives r�clamations en France ; on cria, avec apparence de raison, que le trait� du Verger avait �t� viol�, et la r�gente se pr�para imm�diatement � la lutte. Le d�pit du sire d'Albret, furieux de se voir d�finitivement �cart�, lui fournit une occasion inesp�r�e se faisant grassement payer, il profita d'une absence du mar�chal de Rieux pour livrer Nantes aux Fran�ais dans la nuit du 19 au 20 mars 1491. Le 4 avril, Charles VIII, faisait dans la ville une entr�e triomphale, mais peu glorieuse (De la Borderie : Histoire de Bretagne, IV, p. 575-576).

Et de nouveau, la Bretagne fut envahie par les troupes fran�aises. Jean de Chalon, capitaine de Rennes, se d�pensa pour mettre la ville en �tat de soutenir un si�ge qui ne pouvait tarder : il fit r�parer les points faibles des murailles, curer les foss�s, prit toutes les mesures n�cessaires pour assurer autant que possible l�approvisionnement en armes et en vivres (Arch. mun. de Rennes, liasse 159). D'autre part, il ne manquait pas d'employer toute son influence pour d�cider Maximilien � envoyer des secours pour renforcer ceux qui �taient arriv�s l'ann�e pr�c�dente. Au mois d'ao�t, au moment m�me o� l'arm�e bretonne se trouvait bloqu�e dans Rennes, Maximilien obtenait de La Di�te que 12.000 lansquenets fussent envoy�s en Bretagne (De la Borderie, Histoire de Bretagne, IV, p. 579). lls ne devaient jamais y arriver, ce qui ne manqua pas de faire na�tre, contre le roi des Romains, une irritation sans cesse grandissante.

Le prince d'Orange comprit vite que son neveu compromettait gravement sa cause et son prestige en n'accourant pas avec plus d'empressement au secours de la duchesse sa femme.
Il ne dut pas manquer de le lui faire savoir [Note : Les comptes du prince d'Orange conserv�s au ch�teau d'Arlay mentionnent l'envoi d'�missaire en Allemagne en 1491] ; et � Rennes il cherchait � gagner du temps. On le voit tenter des sorties, exhorter les uns et les autres � la patience. Mais en vain ; le blocus se resserrait ; La Tr�moille, commandant l'arm�e fran�aise �tait un adversaire redoutable. Puis peu � peu, la disette commen�a � se faire sentir ; le tr�sor ducal �tait presque vide, et Jean de Chalon avait bien du mal � emp�cher les Allemands du mar�chal de Polham et du comte de Lornay de se r�volter : Lornay dut m�me avancer de l'argent � la duchesse (Choix de documents in�dits, loc. cit. p. 327).

Toutes ces difficult�s disposaient les esprits � un accommodement, auquel Charles VIII lui-m�me inclinait. Le roi venait, par un petit coup d'�tat, de se d�barrasser de la tutelle de Mme de Beaujeu, en d�livrant le duc d'Orl�ans, prisonnier depuis Saint-Aubin-de-Cormier (28 juin 1491, Arch. Nat. K-74 n� 26). Le prisonnier repentant obtint m�me d'�tre charg� d'une mission particuli�rement d�licate en Bretagne.

Charles VIII d'ailleurs se consid�rait comme ma�tre de la province ; il avait nomm� Rohan son lieutenant-g�n�ral en Basse-Bretagne, et le 27 octobre 1491, il convoqua les Etats � Vannes (Dom Morice, Preuves, III, 704-705). Anne et son entourage �taient de plus en plus dispos�s � faire la paix ; c'est alors que le roi lui fit demander si elle consentirait � l'�pouser.

Anne se cabra. Le prince d'Orange fut, a-t-on dit (De la Borderie, Histoire de Bretagne, IV, p. 579), assez facilement converti � ce nouveau projet par son ancien compagnon d'armes le duc d'Orl�ans ; on peut s'en �tonner, car il avait �t� le principal agent du mariage avec Maximilien. Certes, il n'en �tait pas � une volte-face pr�s, et il savait que Maximilien s'�tait attir� toutes les rancunes de la Bretagne. Mais ce ne nous semble pas une raison suffisante pour expliquer un revirement aussi subit. Nous croyons plus volontiers que pendant toutes ces premi�res n�gociations, il encouragea la duchesse dans sa r�sistance ; et cette r�sistance, in�branlable, se comprend mieux si l'on imagine la jeune princesse entretenue dans cette r�solution par son plus proche parent.

Charles VIII pourtant voulait la paix ; les Bretons �galement. Les pl�nipotentiaires du roi, Georges d'Amboise et le sire du Bouchage, firent de nouvelles propositions qui aboutirent au trait� sign� dans les faubourgs de Rennes le 15 novembre 1491 (Dom Morice, Preuves, III, 707-711) Abandonnant l'id�e du mariage, tout au moins en parole, la duchesse aurait la facult� de traverser la France pour rejoindre Maximilien ; le roi lui verserait 120.000 livres et paierait ses auxiliaires �trangers ; il s'engageait en outre � respecter les libert�s et franchises de la Bretagne. La ville de Rennes, mise en neutralit� jusqu'� ce qu'il ait �t� d�finitivement tranch� des droits du roi sur le duch�, serait gouvern�e par le prince d'Orange, nomm� par le roi son lieutenant-g�n�ral en Bretagne.

On le voit, Charles VIII ne gardait pas rancune � Jean de Chalon de tout ce qu'il avait ourdi contre lui depuis trois ans. Cette bienveillance exceptionnelle ne s'explique-t-elle mieux, si l'on admet qu'en agissant ainsi le roi voulait se concilier, pour un projet qui lui tenait au coeur, un adversaire jusqu'alors assez r�solu ? Le prince d'Orange devint d�s lors, on n'en peut douter, partisan du mariage de la duchesse et du roi. C'�tait d'ailleurs l'avis de tous, m�me des Bretons les plus fid�les comme Philippe de Montauban [Note : Cf. J. Tr�vedy, Quel r�sultat aurait eu pour la Bretagne le mariage de la duchesse Anne avec un seigneur breton, dans Revue de Bretagne ; t. XXXIV, p 430] ; Anne r�sista encore ; elle avait des scrupules de conscience que des th�ologiens apais�rent. Le prince d'Orange, br�lant ses vaisseaux et abandonnant d�cid�ment son neveu, ne songeant plus qu'au bien de la Bretagne pour laquelle il avait jusqu'alors combattu, d�cida sa cousine. Il pensait sans doute que cette intervention d�cisive lui concilierait la faveur royale �, mais il pouvait se donner toutes les apparences de jouer le beau r�le. On peut �tre s�r qu'il n'y manqua pas. Le 18 novembre les fian�ailles d'Anne, duchesse de Bretagne, et de Charles VIII, roi de France, �taient c�l�br�es sans apparat dans la chapelle de Bonne-Nouvelle, en dehors des murs de Rennes, en pr�sence du duc d'Orl�ans et de Mme de Beaujeu, du prince d'Orange, du comte de Dunois et de Philippe de Montauban [Note : Le mar�chal de Polham, repr�sentant Maximilien, dont on avait d'ailleurs annonc� la mort, �tait r�duit � un r�le assez ridicule. Sur ce sujet, cf. M�moires d'Olivier de la Marche, t. III, p. 259, et Chroniques de Molinet, t. IV, p. 170].

Le mariage devant �tre c�l�br� au ch�teau de Langeais le 6 d�cembre, Anna quitta Rennes le 23 novembre avec ses fid�les. Jean de Chalon qui devait avec elle signer et garantir le contrat de mariage l'accompagnait naturellement et tenait la premi�re place.

En route, il eut le loisir de m�diter sure la situation. Pour le moment, la reconnaissance du couple royal lui �tait assur�e, mais qu'allait penser son neveu Maximilien ? Il l'avait doublement trahi : d'un m�me coup, il contribuait, de tout le poids de son autorit� et de ses talents diplomatiques, � lui arracher sa femme et son gendre, car depuis neuf ans Charles VIII �tait officiellement fianc� � Marguerite d'Autriche, fille de Maximilien, qui �tait �lev�e � la cour de France et consid�r�e comme la future reine [Note : Marguerite d'Autriche ne fut renvoy�e � son p�re que le 12 juin 1493. Les dispenses n�cessaires furent accord�es apr�s le mariage seulement par le Pape Innocent VIII, Dom Morice, Preuves, III, col. 718]. Qu'arriverait-il si par un retour de fortune, toujours possible, Maximilien redevenait un jour ma�tre de cette Franche-Comt� qui lui tenait tant au coeur ? Comment son oncle oserait-il se pr�senter devant lui, comme premier vassal du pays, apr�s s'�tre si compl�tement compromis ? Jean de Chalon r�solut de parer � tout hasard � cette �ventualit�. Le matin du 6 d�cembre, avant la c�r�monie nuptiale, � Langeais m�me, il s'en fut trouver le notaire Jean Louvel et fit dresser un acte, dans lequel, apr�s avoir relat� � sa fa�on les �v�nements qui pr�c�dent, il faisait certifier que lui, prince d'Orange, n'avait donn� son consentement au mariage de sa cousine avec le roi que parce qu'il y avait �t� contraint par force, par ruse, et par fraude, et que ce consentement, contraire � sa volont�, n'avait aucune valeur [Note : L'original de cet acte est conserv� aux archives du ch�teau d'Arlay. Une analyse d�taill�e en existe aux Archives du Doubs dans l'Inventaire des titres de la maison de Charon].

Puis, le parchemin dans sa poche, il s'en alla, le front serein tenir son r�le de plus proche parent de la reine, � la c�r�monie qui se d�roula dans la grande salle du ch�teau de Langeais avec une grande solennit� (De la Borderie, Histoire de Bretagne, IV, p. 582).

D�s le lendemain de la c�r�monie de Langeais, Jean de Chalon re�ut la r�compense de ses bons services. Le 7 d�cembre 1491 il �tait en effet confirm� clans l'office de lieutenant-g�n�ral du roi en Bretagne, au d�triment du vicomte de Rohan, ancien serviteur de la cause royale en Bretagne que Charles VIII avait nomm� � la charge au mois de septembre pr�c�dent [Note : Et non au mois d'octobre, comme l'a dit la Borderie ; cf. dom Morice, Preuves, III, col. 704, les lettres du roi dat�es de La Fl�che le premier septembre. D�s le 28 octobre, le roi reconnaissait les services du prince d'Orange en lui donnant Succinio, ibidem, col. 706]. Le mariage de la duchesse n'avait pas �t� sans d�cevoir bien des ambitions ; les tra�tres � la cause bretonne, ceux qui avaient mis tous leurs espoirs dans le triomphe du roi contre la duchesse, se trouvaient jou�s, Anne devenant reine de France, et ce n'est pas sans d�pit qu'ils virent les deux charges les plus importantes du duch� confi�es par ce m�me roi qu'ils avaient servi contre leur patrie � ses deux plus acharn�s adversaires, partisans toujours d�vou�s de celle qui �tait devenue reine, le prince d'Orange et le chancelier Philippe de Montauban [Note : La charge de chancelier avait pris de plus en plus d'importance, puisque d�sormais cet officier devait exercer dans la province le pouvoir du roi dans l'ordre civil]. La disgr�ce de Rohan ne pouvait laisser de doute sur les intentions du couple royal : les v�ritables vainqueurs �taient Jean de Chalon et les partisans de la cause bretonne.

Le mariage de la duchesse avait provoqu� une grande joie dans tout le duch�. � Devant cette joie, qu'ils n'osaient pas contredire, les Bretons-Fran�ais [Note : Entendez Rohan et les anciens adversaires de la duchesse], �crit de la Borderie [Note : De la Borderie, Le complot breton en 1492, Introduction, p. IV], sentaient redoubler leurs alarmes. En nombre ils �taient peu, mais plusieurs avaient de grandes fortunes, de hautes situations f�odales, des ambitions insatiables ; beaucoup devaient � leur trahison des commandements importants, des postes de confiance, des places lucratives : faudrait-il l�cher tout cela ? Depuis la disgr�ce de Rohan tous se sentaient menac�s. Rapproch�s, unis par une m�me crainte, bient�t ils form�rent, en face de l'all�gresse g�n�rale, le camp des m�contents. Camp agit� de sourdes col�res, ensuite de pens�es de vengeance. Par ambition ils avaient vendu la Bretagne � la France ; la trahison �tant mal pay�e, on la reprendrait � la France et on la revendrait � l'Angleterre ? Rien de plus logique. De cette logique naquit le Complot breton �. Ce complot allait permettre � Jean de Chalon de monter encore dans la faveur de sa cousine. C'est d'ailleurs gr�ce aux papiers personnels du prince d'Orange conserv�s aux Archives du Doubs [Note : Arch. du Doubs, 1.300. Cette liasse contient la copie faite par les soins du prince d'Orange de la correspondance de Le Pennec, saisie par lui au moment de la d�couverte du complot. C'est cette correspondance qui forme la premi�re partie des documents publi�s par la Borderie dans son Complot breton] que la Borderie a pu retracer l'histoire de ce complot.

D�s la fin de d�cembre 1491, un certain Pierre Le Pennec, conseiller et ma�tre des requ�tes du duc � l'extraordinaire, habitant du pays de Morlaix, instrument de ce complot dont on ignore quel fut le v�ritable instigateur [Note : Il semble bien que ce fut le vicomte de Rohan ; cf. La Borderie, op. cit., Introduction, p. XX-XXII], avait fait savoir au roi d'Angleterre Henri VII qu'il �tait pr�t � combattre le nouveau r�gime politique �tabli en Bretagne (La Borderie, op. cit., p. 3-6). Le mois suivant, il �tait en correspondance suivie avec la cour d'Angleterre et �laborait de concert avec elle un plan. d'attaque que ne manquait pas de chances de r�ussite (La Borderie, op. cit., passim.). Le Pennec s'�tait assur� la complicit� du capitaine de Brest, un nomm� Carreau, qui devait livrer la place aux Anglais (La Borderie, op. cit. Introduction, p. IX) ; Le Pennec fit encore deux recrues plus importantes, le capitaine des gardes Maurice du Men�, et Louis de Rohan, sire de Gu�men� (La Borderie, op. cit. Introduction, p. X-XI). D�s avril 1492 le complot pouvait donc passer pour assez s�rieux.

Les all�es et venues des conspirateurs n'avaient pas �t� sans jeter une certaine alarme dans les esprits, et d�s le 20 avril les habitants de Guingamp informaient Philippe de Montauban d'une descente possible des Anglais. Le chancelier les rassura de son mieux, tout en leur recommandant, de se mettre en �tat de d�fense (La Borderie, op. cit. Introduction, p. XVII). En m�me temps il pr�venait le prince d'Orange qui se trouvait � Morlaix : mais ce dernier n'avait ni arm�e, ni artillerie (La Borderie, op. cit., n� XXXVI).

Le prince d'Orange et Philippe de Montauban se r�unirent � Vannes le 7 mai. Ils tomb�rent d'accord que le danger �tait, s�rieux et ils d�p�ch�rent le s�n�chal de Quercy au roi pour demander du secours (La Borderie, op. cit.,  n� XXXV). Cependant les Anglais venaient croiser sur les c�tes et m�me faisaient quelques descentes rapides comme au Port-Blanc pr�s de Tr�guier � la mi-mai (La Borderie, op. cit., n� XXXVIII). Ce dernier coup de force impressionna vivement l'opinion et le roi, peu confiant en ses seules forces, s'adressa aux villes et aux principaux seigneurs pour les prier de s'armer (La Borderie, op. cit., n� XXXVII). Ceux-ci r�pondirent en g�n�ral sans montrer trop de z�le ; quant au vicomte de Rohan sa lettre est un chef d'oeuvre d'insolence : on y sent sa rancune s'exprimer � chaque ligne ; puisqu'il vous a plu, dit-il en substance au roi, de me d�pouiller de mon commandement pour le donner au prince d'Orange, sortez comme, vous pourrez avec l'aide de votre prince de ce mauvais pas [Note : � Je croy que vous avez si bien pourveu de M. le Prince a la garde du pays, qui le saura mieulx faire que moy, qu'il ne vous en aviendra point de inconvenient, si Dieu plaist �]. Malgr� ce que pouvait penser le vicomte de Rohan, Jean de Chalon �tait homme � se sortir de ce gu�pier.

Comment s'y prit-il ? On ne sait trop. Henri VII avait promis aux conjur�s d'effectuer un d�barquement le 8 juin. Le 8 juin passa et les Anglais ne vinrent pas : la flotte anglaise s'attarda devant Barfleur (le 16 juin 1492) ; elle n'�tait pas suffisante, et Henri VII voulait attendre. Il attendit trop longtemps ; un mois apr�s l'inutile manifestation de Barfleur, le 18 juillet, il �tait trop tard. Le prince d'Orange s'�tait d�finitivement mis en travers du projet (La Borderie op. cit. Introduction, p. XXIV).

Apr�s Barfleur, les conjur�s s'�taient aper�u que la flotte anglaise ne continuerait pas, pour le moment du moins, sa route vers la Bretagne. Le Pennec passa en Angleterre et il y apprit que le d�part du corps de d�barquement �tait ajourn� sine die, Il en informa Carreau ; ce dernier qui � avait la vocation irr�sistible d'�tre capitaine de Brest et de ne l�cher cette place qu'avec la vie � (La Borderie, op. cit.,  p. XXV), n'h�sita pas, pour la conserver, � trahir ses amis ; il fit un march� avec le prince d'Orange : il lui livrait les conjur�s et toutes les lettres compromettantes qu'il avait entre les mains, moyennant quoi il recevait l'assurance de conserver la capitainerie de Brest, au nom du roi Charles VIII. Et c'est ainsi que nous voyons Carreau �crire le 18 juillet � Jean de Chalon pour lui demander de l'argent destin� � fortifier la ville de Brest, contre les Anglais (La Borderie, op. cit., n� XLI). Le complot �tait � l'eau ; le prince d'Orange et Philippe de Montauban se content�rent de faire arr�ter deux complices, que re�urent d'ailleurs avant la fin de l'ann�e des lettres de r�mission (La Borderie, op. cit., n� XLV et XLVI). En m�me temps d'ailleurs que les coupables recevaient leur gr�ce, le principal agent de l'�chec du complot, le prince d'Orange, recevait sa r�compense ; le 2 novembre 1492, le roi Charles VIII nommait Jean de Chalon gouverneur de Bretagne 5Arch. du Doubs, E 1212).

Ainsi cet �tranger, qui semble avoir toujours soutenu la cause bretonne avec clairvoyance, se voyait confier la plus importante charge d'une province o� il �tait arriv�, bien des ann�es auparavant, en proscrit, et dont il partait charg� d'honneurs, apr�s bien des vicissitudes. Car il est � remarquer que du jour de son �l�vation au rang du gouverneur, le r�le actif du prince d'Orange en Bretagne cesse brusquement. Il est vrai que la province �tait d�finitivement pacifi�e et qu'en tout �tat de cause, il. n'aurait pas eu grand chose � faire pour y maintenir l'ordre ; mais d'autres soucis l'appelaient ailleurs.

***

Nous avons dit, en commen�ant cette �tude, que l'ambition de toute la vie du prince d'Orange semble avoir �t� avant tout le gouvernement de la Franche-Comt�, le pays de la gloire de la maison de Chalon. Le mariage de Langeais lui avait valu, on le con�oit, la reconnaissance de Charles VIII, qui l'en avait r�compens�, en Bretagne d'abord, mais aussi et surtout dans l'Est : Jean de Chalon avait re�u �galement le gouvernement des deux Bourgognes (Ed. Clerc : Discours Jean de Chalon, loc. cit. q. 12. Archives du Doubs E 1.230). Dire qu'il fut bien accueilli � son retour dans une province, qu'il avait abandonn�e depuis tant d'ann�es et o� il rentrait en ma�tre par la gr�ce du fils de ce m�me roi de France qui avait accumul� les ruines dans le pays et fait ha�r pour longtemps au del� de la Sa�ne le seul nom de Fran�ais, ce serait une contre-v�rit�. Mais le prince d'Orange se souciait peu des haines, il rentrait dans ses biens, il relevait ses ruines, il �tait le ma�tre, il �tait satisfait.

Pourtant, en 1493, il dut avoir une chaude alerte. Charles VIII obs�d� par ses r�ves italiens, pour avoir la voie libre, voulait � tout prix conclure une paix d�finitive avec Maximilien. Pour cela, il �tait pr�t, et Jean de Chalon n'en ignorait rien, � abandonner l'Artois et la Franche-Comt�. Or nous avons montr� � quel point le prince d'Orange s'�tait compromis aux yeux de son neveu. Une supr�me habilet� le sauva ; il se fit charger par le roi des n�gociations qui aboutirent au trait� de Senlis [Note : Le trait� fut sign� le 23 mai 1493. La noblesse comtoise, ralli�e � Jean de Chalon avait bravement tenu � l'empereur pendant sa campagne, et c'est surtout � sa qualit� de gouverneur de la Franche-Comt� que le prince d'Orange dut de devoir jouer un r�le pr�pond�rant dans les n�gociations]. Porteur de propositions fort avantageuses pour Maximilien, il n'eut sans doute pas grand mal � le persuader qu'il �tait l'artisan de cette compensation, et sans doute fit-il �tat de la contre-lettre qu'il avait pris la pr�caution de faire r�diger par le notaire Louvel. Cette paix inesp�r�e ne ramena pas tout de suite le calme en Franche-Comt�. Maximilien avait cru qu'il lui suffirait de repara�tre en armes pour que tout le pays se soulev�t en sa faveur. Il n'en fut rien ; la haute noblesse en r�volte depuis six mois, continua � r�sister. Etait-elle pouss�e dans la coulisse par le prince d'Orange qui se tenait prudemment � la cour de France ? Etant donn� l'homme, la chose est fort possible, mais sa r�serve fut telle que les documents ne nous ont laiss� aucune trace de son activit� apr�s le trait� de Senlis. Apr�s avoir essay� quelque temps d'un r�gime de rigueur qui ne servit qu'� aggraver la situation, apr�s un an d'efforts inutiles, Maximilien se d�cida � composer [Note : Par la c�l�bre ordonnance publi�e le 8 novembre 1494, mais dont le texte �tait connu d�s le 8 octobre]. Il promit de donner au pays un gouverneur pris dans le sein de la haute noblesse comtoise, et l'on ne fut pas peu surpris d'apprendre, le 6 novembre 1494, que le choix de l'Empereur s'�tait port� sur son tr�s cher oncle, Jean de Chalon, prince d'Orange. Celui-ci recevait le prix du trait� de Senlis, mais on assistait � ce spectacle paradoxal de voir le m�me homme �tre � la fois gouverneur de Bretagne pour le roi de France et gouverneur de la Franche-Comt� pour l'Empereur.

Qu'allait faire le prince ? Il �tait li� avec Charles VIII, mais celui-ci venait de commencer sa campagne d'Italie � le 9 septembre il �tait entr� � Asti � et Maximilien ne voyait pas sans alarmes s'amorcer cette conqu�te. Or si l'Empereur devait intervenir un jour, il ferait sans aucun doute appel aux Comtois. La situation s'aggrava apr�s les premi�res d�faites du roi : en juin les troupes imp�riales se port�rent sur la Sa�ne et prirent Louhans, en Bourgogne [Note : Cette ville fut d'ailleurs reprise peu apr�s par les troupes fran�aise]. Pourtant la nouvelle de la bataille de Fornoue (6 juillet 1495) arr�ta cette invasion ; mais le 10 ao�t les Etats se r�unirent � Besan�on et vot�rent � l'Empereur un subside � pro defensione patri� �. A ces Etats legouverneur n'assista pas, et pour cause : changeant une fois de parti, il �tait all� rejoindre Charles VIII, en Italie [Note : Sur ces Etats, cf. Ed, Cler, Histoire des Etats-g�n�raux et des libert�s publiques en Franche-Comt�, dans M�moires de la Soci�t� d'Emulation du Jura 1876, p. 226].

Au d�but de septembre 1495 il arrivait � Novarre aupr�s du roi, au moment o� tous les chefs militaires de l'arm�e royale cherchaient � faire une paix honorable. Peu apr�s son arriv�e, le roi qui lui faisait grand cr�dit lui confia la principale charge de l'arm�e. Le 12 septembre, il �tait � Verceil et fut d�sign� avec le duc d'Orl�ans pour entamer les n�gociations de paix. Commines nous a racont� les disputes de Jean de Chalon avec son ancien alli� de Saint-Aubin du Cormier, et toute la part qu'il eut dans la fin honorable de cette campagne assez malheureuse [Note : Sur ces �v�nements, Commines, M�moires, ed. Calmette III p. 231 et sv. ].

Mais Jean de Chalon vieillissait. Il rentra en France, et en Franche-Comt�, ou on lui reprochait d'�tre trop fran�ais ; on ne se g�nait pas pour dire dans les auberges que M. de Chalon porterait toujours le collier de Saint-Michel et jamais celui de La Toison d'Or (E. Clerc : Discours sur Jean de Chalon, loc. cit. p. 14). Il se d�cida � la retraite, ou presque. Sa femme Jeanne de Bourbon �tait morte en 1493 sans lui avoir donn� d'h�ritier. D�s 1495 il se remaria avec Philiberte de Luxembourg (Archives du Doubs : E 1230), une maitresse femme, qui calma les derni�res vell�it�s de son �poux, et s'effor�a de remettre de l'ordre dans une situation financi�re tr�s ob�r�e.

Le prince, pendant les derni�res ann�es de sa vie, s�journa tant�t en Franche-Comt�, � Arlay, � Nozeroy, � Lons-le-Saunier, tant�t en Bretagne, � Succinio, o� il fit faire de grandes r�parations : c'est � lui que l'on doit en effet la fa�ade sur la cour int�rieure (R. Grand. M�langes d'arch�ologie bretonne, Succinio, passim.), administrant plut�t mal que bien, car ce diplomate ne fut pas un bon administrateur, ses riches domaines. En Bretagne il poss�dait, outre Succinio et Toffou, le riche comt� de Penthi�vre et des droits sur le trafic de toute la c�te de l'embouchure du Couesnon � celle de l'Arguenon ; pour compl�ter cette derni�re donation, Anne de Bretagne en 1498 le nomma capitaine de Saint-Malo (Dom Morice, Preuves, III, 881). Il avait abandonn� d�j� depuis quelques ann�es la capitainerie de Rennes.

Quelques mois plus tard, apr�s la mort de Charles VIII, il assistait au mariage de sa cousine avec le duc d'Orl�ans, son ami de toujours, devenu le roi Louis XII. Ce dernier lui donna, supr�me honneur, la charge d'amiral de Bretagne.

Le prince d'Orange, us� par une vie d'aventures, n'occupa jamais effectivement cette derni�re fonction. Apr�s le mariage de Louis XII, il abandonna m�me d�finitivement la cour de France, et vint vivre au ch�teau de Lons-le-Saunier. Il n'avait pas soixante ans. Ses derni�res ann�es furent attrist�es par les difficult�s financi�res dans lequelles il se d�battait; au mois d'avril 1502, il mourait � Lons-le-Saunier laissant � un enfant de six mois la charge de porter avec �clat le nom et les armes de Chalon. Cet enfant, Philibert de Chalop, fut le dernier prince de cette maison : pass� au service de l'Espagne � ce qui lui valut en 1525 de voir ses biens en Bretagne confisqu�s par Fran�ois Ier. � il fut tu� � 29 ans au passage de la Giovannina, alors qu'il �tait vice-roi de Naples. Le p�re et le fils, qui ne s'�taient pas connu se retrouv�rent c�te � c�te dans le caveau de la famille de Chalon, � Lons-le-Saunier, o� leurs pierres tombales sont encore.

Telle fut, bien r�sum�e, la vie du prince d'Orange, � Ce prince, a �crit le pr�sident Clerc, l'un des plus remarquables du XV�me si�cle� eut sur les destin�es de son pays une grande influence.... Il s'allia � tous les partis sans s'attacher s�rieusement � aucun : malgr� ses talents militaires et politiques, il n'acquit pas la v�ritable gloire : il traversa la vie sans �tre estim�, les grandeurs sans �tre heureux. Pour prix de tant d'agitations... il recueillit justement le soup�on et la d�fiance, de grands embarras financiers et laissa en mourant... � plus de cinq millions de dettes, valeur actuelle (E. Clerc. Discours sur Jean de Chalon, loc. cit. p. 14). � Sa vie est une preuve de plus que dans le pr�sent comme aux yeux de la prost�rit�, la voie droite est la plus s�re des politiques �. Pour s'en �tre trop souvent �cart�, Jean de Chalon ne laissa que le souvenir d'avoir �t� un homme habile, trop habile pour avoir �t� grand.

(G.-B. DUHEM).

En r�sum� : Neveu du duc Fran�ois II de Bretagne, Jean IV de Chalon-Arlay [Note : Il est prince d'Orange et seigneur d'Arlay, de Ch�telguyon, de Lons-le-Saunier, de Mirebel, de Pymont, de Rougemont, de Nozeroy (1475-1502), de Rochefort, de Montaigu et de Ch�telbelin (1493-1502). Mari� d'abord � Jeanne de Bourbon (fille de Charles Ier de Bourbon, duc de Bourbon, et d'Agn�s de Bourgogne) puis � Philiberte de Luxembourg, fille d'Antoine de Luxembourg, comte de Brienne, de Ligny, de Roucy, et d'Antoinette de Baufremont, comtesse de Charny)] est envoy� au duch� de Bretagne par Maximilien en 1481. Il y participera � la conjuration manqu�e contre le tr�sorier g�n�ral Landais le 7 avril 1484, � la suite de quoi, en rupture de ban comme les autres conjur�s, il signera le trait� de Montargis avec la r�gente de France Anne de Beaujeu. Cette nouvelle trahison lui vaudra la confiscation de ses biens en Bretagne, qui lui seront rendus apr�s la deuxi�me conjuration contre Pierre Landais et son ex�cution, par un Fran�ois II affaibli. Il prend alors la direction effective des affaires du duch� avec le mar�chal de Rieux et le comte de Comminges. La main de la princesse Anne �tant alors le principal argument politique en Bretagne, chacun a son candidat. Jean IV de Chalon-Arlay milite logiquement pour une union avec Maximilien d'Autriche. En d�tresse militaire et politique, Fran�ois II lui offre, afin de garantir sa fid�lit�, les ch�tellenies de Lamballe, Moncontour, Rhuys et Lespine-Gaudin. A la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier le 28 juillet 1488, apr�s avoir combattu avec acharnement, il tente de se faire passer pour mort mais est fait prisonnier avec le duc d'Orl�ans par les Fran�ais vainqueurs. Il restera en r�sidence surveill�e � Riom jusqu'en f�vrier 1489. Il rentre � cette date � Rennes, envoy� par Charles VIII de France pour emp�cher le mariage d'Anne avec Alain d'Albret et n�gocier avec elle de la situation des troupes fran�aises dans le duch�. A l'av�nement de la duchesse Anne de Bretagne en 1488, il devient l'h�ritier pr�somptif de sa cousine, en concurrence avec le vicomte Jean II de Rohan, jusqu'� la naissance des dauphins Charles-Orland, Charles, puis de Claude de France. Comme tel, il participe au conseil ducal et intervient dans les choix politiques et matrimoniaux de la duchesse. Elle le nomme capitaine de Rennes et lieutenant g�n�ral. Principal ministre avec le chancelier Montauban et Dunois entre 1490 et 1491, il lui conseille le mariage avec le roi des Romains Maximilien d�Autriche. Pi�g� par le si�ge de Rennes par les troupes fran�aises, il n�gocie d�s septembre 1491 une union avec le roi Charles VIII de France. T�moin de la duchesse Anne � son mariage le 6 d�cembre 1491, il renonce par ce contrat de mariage � ses droits sur la Bretagne pour la somme de 100.000 livres et la lieutenance g�n�rale de Bretagne, qui lui sera confirm�e par Anne, veuve en 1499 et qu'il conservera jusqu'� sa mort en 1502. Il n�gocie avec quelques autres les termes de troisi�me contrat de mariage de la reine Anne, cette fois avec Louis XII. Jean IV de Chalon-Arlay d�c�de le 8 avril 1502 � l'�ge de 59 ans.

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PI�CES JUSTIFICATIVES.

1470, 17 septembre. � Hesdin.
Mandement de Charles-le-T�m�raire � Guillaume d'Orange pour l'informer de la trahison du sire d'Arguel.

(Orig. : Arch. du Doubs, E 1335).

De par le duc de Bourgongne, de Brabant, de Lembourg, et de Luxembourc, conte de Flandres, d'Artois, de Bourgongne, de Hellande, de Zellande et de Namur.

Tres chier et feal cousin, apres plusieurs grandes offenses, injures et obprobres faiz et profferez par le sire d'Arguel, vostre filz, a la charge de nous et de nostre justice, a tort et contre raison, et que celement et cauteleusement, sans noz congi� et licence, il s'est absent� et rendu fugitif de nostre hostel et de tous noz pais et seigneuries, ainsy que viendra bien a vostre coignoissance, Nous, apres ample remonstrance par nous faicte en presence d'aulcuns de nostre sang, des ambassadeurs de nostre frere de Bretagne lors estans devers nous et de tous ceulx de nostre hostel desd injures, obprobres et offenses, avons icelluy seigneur d'Arguel, vostre filz, pour ces causes declair� rebelle et desobeissant envers nous et luy avons interdit et deffendu l'entr�e, demourance et conversacion de nostred pais, desquelz il s'est de luy mesmes et par son fait absent� et banni ; et pour ce tres chier et feal cousin, que, sans avoir regart auxd offenses de vostred filz, vous estant et d�mourant leal et ob�issant envers nous comme bon et leal subgiet doit et est tenu d'estre envers son seigneur et prince, et ainsi que vos predecesseurs ont toujours est� envers les nostres, n'entendons a ceste cause avoir ne porter a l'encontre de vous aulcun regret, rancune ou desplaisance, ains en ce cas vous traictier aussi favorablement et benignernent que faire pourons. Nous escripvons par devers vous et vous signiffions nostre volont� et intencion, tel que dit est, et neantmoins voulons et vous mandons que incontinent cestes veues vous ven�s et retourn�s demour�s en noz pais de Bourgongne ou devers nous ou ailleurs en noz aultres pais que bon vous semblera, pour y resider et nous servir noz guerres et arm�es et aultres noz affaires, se besoing fait, et ainsi que vous ordonnerons, sans, y faire faulte, car nostre plaisir est tel. Et ce que faires en vouldr�s, nous signiffiez par ce porteur que pour ceste cause envoyons devers vous. Tres chier et feal cousin, Nostre Seigneur soit garde de vous. Escript en nostre chastel de Hesdin le XVII jour de septembre l'an LXX. CHARLES.
Au dos : A nostre tres chier et feal cousin le prince d'Orenges.

 

1487, 3 novembre. � Nantes.
Accord entre Jean de Chalon, prince d'Orange, Fran�oise de Laval, le mar�chal de Rieux, Odet d'Aydie, comte de Comminges et Pierre du Chaffault, �v�que de Nantes, pour la d�fense du duch� de Bretagne.
(Orig. Arch. du Doubs, E 1212).

Comme ainsy soit que en tous royaulmes et principaultez division soit cause de ruyne et desolacion, et union, amicti� et confederacion soit fortificacion et cause de perp�tuit� de pais, et soit ainsi que en ce pays et duchi� de Bretaigne se soient trouvez aucuns differens et innimitiez, et plus grans se pourroient ensuyr si par bonne discrecion et prudence n'y estoit obvi� et pourveu a bonne amictiez, aliances et reconciliacions faire et procurer, nous, Jehan de Chalon, prince d'Oranges, conte de Tonnerre et seigneur d'Arlay, lieutenant general du duc, Fran�oise, contesse de Laval, dame de Chateaubriand et de Montfort, Jehan, sire de Rieux, de Rochefort et d'Ancenis, conte d'Aumalle, lieutenant g�n�ral du duc et mareschal de Bretaigne, Odet d'Edye, conte de Comminges et seigneur de Lescun, et Pierre du Chaffault, evesque de Nantes, desirans subvenir au bien de la chose publicque de cedit pays et duchi�, saichans et acertenans l'un de nous du vouloir de l'autre, qui est de bien et loyaulment servir le duc, l'entretenir avec sesdits pays et subgectz en son auctorit� enti�re, sans souffrir ne tollerer aucune chose lui entre faicte en diminucion d'icelle, a nous ensemble fait et octroi�, promis et accord� bonne et loyalle amicti�, consideracion et aliance, sans y pancer ne commectre fraulde ne dolozit�, promectons et avons promis l'un de nous a l'autre respectivement estre bon et loyal amy, le conseiller, favorizer et aider en bien et loyaulment, servent le duc envers et contre tous ceulx que peuvent vivre et mourir, ne faire ne souffrir estre fait aucun dommaige, trouble ou empeschement en corps ou en biens, aunzois y obviera et resistera chacun de nous en son endroit a son povoir ; aussi maintiendrons et procurerons estre maintenu l'un de nous a l'autre es estatz, honneurs, offices, dignitez et prerogatives que chacun de nous avoit paravant ses heures, et s'aucun de nous a congnoissance de quelque chose faicte ou machin�e ou prejudice de l'autre, oultre y resister, il la revellera a celui a qui elle touche et ne croira ne ne mectra a effect l'un de nous mauvais rapport fait de l'autre que tout premier revelacion n'en soit faicte, et la v�rit� en soit meurement sceue, et ainsi l'avons promis et jur� par noz seremens sur les sainctz Euvangilles corporellement touchez l'un de nous a l'autre respectivement. Et en tesmoing et en plus grande corroboracion de ce, avons sign� ces pr�sentes de nos seings manuelz et fait seeller des seaulx de nos armes dont avons acoustum� a user en telz et pareilz cas. Donn� � Nantes, le troisi�me jour de novembre, l'an mil CCCC quatre vingtz et sept. Et a tout ce que dessus a est� present Jehan, viconte de Coetmen et de Troncquadec, qui de point en autre a promis et jur� tenir le contenu car dedans quel par les dessusditz y a est� receu.
J. de CHALON, Fran�oyse de DINAN, Jehan de R., COETMEN
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�pitaphes de Jean de Chalon, de ses �pouses et de ses enfants en l'�glise des Cordeliers � Lons-le-Saunier (Ces inscriptions sont en caract�res gothiques).

1�) Cy git / Messire / Jehan de Chalon / prince d'Oranges mary / premierement de madame / Jehanne de Bourbon et secon -/- dement de madame Phileberte / de Luxambourg, pere de mes -/- sire Phrt de Chalon prince / d'Oranges lequel trespassa le / XXVe d'avril XVc II. Dieu luy / face mercy.

2�) Cy g�t dame / Jehanne de Bourbon prin -/- cesse d'Oranges premiers / femme de messire Jehan / de Chalon prince d'Oran -/- ges laquelle trespassa / le Xe jour de julet M / IIIIc IIIIxx XIII.

3�) Cy git / dame Phrte / de Luxambourg princesse / d'Oranges contesse de Charny / seconde femme de messire / Jehan de Chalon prince d'Oran -/- ges mere de messier Phrt / de Chalon prince d'Oranges / laquelle deceda le [Note : Philiberte de Luxembourg qui avait tout pr�par� pour reposer aupr�s de son mari et de ses enfants mourut au Mont-Saint-Jean en 1539 et fut enterr�e � Glamont aupr�s de sa m�re].

4�) Cy git Claude de Chalon / seigneur d'Arguel filz de / messire Jehan de Chalon / et dame Phrte de Luxam -/- bourg que trepassa ou / mois de novembre mil / cinq cens. Dieu luy face / mercy.

5�) Cy git messgnr / Phrt de Chalon / duc de Gravine / prince d'Orages conte / de Tonnerre et de Pointh -/- ieuvre viceroy de Naples / lieutenat gerl de l'apereur / en Ytalie gouverneur / de Bourgongne qui / morut le tier jour d'aoust / XVc XXX. Dieu luy face paix.

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