William Shakespeare s'est fait une r�putation avec la formule � to be or not to be �.
Ernest Hemingway a eu l'id�e d'une petite d�clinaison avec � to have and have not � qui fut rendue en fran�ais sous la forme �
En avoir ou pas �.
En avoir ou pas, certes, mais de quoi ? du cran ? des " cojones " (comme il l'�crit plusieurs fois) ? du pognon ? du bol ?� Ou bien est-ce de l'exp�rience ? de la morale ? de la suite dans les id�es ? de l'alcool dans le corps ?�
En avoir ou pas, est-ce tout simplement une femme ? des amis ? un bateau ? une arme � feu ? Ou m�me un bras ?�
Quel �trange titre et pourtant si bien trouv� pour chapeauter ce qui n'�tait au d�part que trois nouvelles s�par�es et que l'auteur a eu l'id�e d'agglom�rer en un seul ensemble pour en faire un roman. (On dit " fix-up ", para�t-il, en pareil cas, bien que je r�pugne � utiliser ce mot : " Assemblage " sonne mieux � mes oreilles et rappelle l'op�ration vinicole qui consiste � produire un vin standard et acceptable � partir de c�pages pas tous exceptionnels.)
J'ai trouv� l'�criture particuli�rement int�ressante, � la fois tr�s �pur�e et tr�s soign�e, notamment d'un point de vue narratif. L'auteur, mine de rien, alterne les points de vue narratifs et c'est vraiment tr�s bien fait.
Les deux premi�res parties (qui sont aussi les plus courtes) sont, de mon point de vue, absolument " al dente ".
Hemingway y trouve les proportions exactes de myst�re, de suspense et d'authenticit�. Les dialogues sont impeccables et annoncent d�j� par leur vigueur � rappelons que l'ouvrage est publi� en 1937, c'est notable � ce qui fera, stylistiquement parlant, le coeur ardent de la litt�rature polici�re de la seconde moiti� du XX�me si�cle et du d�but du suivant.
J'ai vraiment ador� ce livre tant qu'il se focalisait sur le personnage de Harry Morgan. Il est central dans les deux premi�res parties. Or, dans la troisi�me partie, sans pour autant abandonner le r�cit des aventures de Harry Morgan, de fa�on assez incompr�hensible pour moi, l'auteur s'�panche pendant des chapitres entiers sur d'autres personnages, qui n'ont rien � voir avec Harry Morgan, ni de pr�s, ni de loin, sauf peut-�tre � habiter le m�me patelin, et l�, j'ai un peu perdu le fil�
Ainsi, au chapitre XI de la troisi�me partie appara�t un certain Richard Gordon, dont on n'a, finalement, rien � faire. Ensuite on revient � Harry Morgan au chapitre XII et, pour ainsi dire, l'histoire serait finie. Mais non,
Hemingway nous embarque, sans trop y croire, lors des chapitres XIII et XIV avec ces personnages fantomatiques, Richard Gordon et consort. Puis il revient bri�vement � Harry Morgan au chapitre XV, l'abandonne � nouveau au chapitre XVI. Pour finalement conclure au chapitre XVII. le chapitre XVIII, sans �tre compl�tement hors sujet comme l'�taient les chapitres XI, XIII, XIV et XVI, n'apporte strictement rien.
Et c'est dommage, franchement dommage, car elle �tait forte et prenante cette histoire de Harry Morgan : un fier briscard qui gagne sa vie en louant son bateau et ses services � des plaisanciers am�ricains venus go�ter aux joies de la p�che au marlin (une esp�ce d'espadon) entre la Floride et Cuba. Bien �videmment, l'activit� ne nourrit pas toujours son homme, si bien que Harry fut parfois tent� par l'import/export de marchandises illicites�
Il n'est pas faux de penser que l'arr�t de la prohibition de l'alcool aux �tats-Unis en 1933 n'a pas compl�tement arrang� ses affaires. Mais les ferments de la r�volution cubaine pourraient bien ouvrir la porte � un nouveau type de business, allez savoir�
Pendant plus des deux tiers du roman, je trouvais ce personnage tr�s int�ressant, tr�s cr�dible, � la fois fouill� et myst�rieux et puis, tout � coup,
Hemingway lui-m�me ne semble plus trop savoir o� il veut nous emmener. Alors, il essaie un coup � la
Dos Passos avec son
Manhattan Transfer, il essaie � maladroitement d'apr�s moi � de nous dresser un portrait sociologique des habitants des Keys, ces �lots qui terminent la p�ninsule de Floride. Et l�, �a devient mou, poussif, inint�ressant. le fil tendu avec Harry Morgan se d�tend et on patauge des quatre fers dans le Gulf Stream en se disant : � Mais que voulait-il nous dire, finalement ? �
Bref, un roman qui avait vraiment tout pour �tre r�ussi et captivant mais qui, selon moi, a �t� un peu b�cl� sur la fin d'o� une impression terminale plus mitig�e. Bien entendu, comme � chaque fois, ceci ne repr�sente que mon avis � et on peut
en avoir ou pas � donc, pas grand-chose.
P. S. : si j'ai pris le temps de vous ennuyer avec le d�tail des chapitres dans la troisi�me partie, c'est justement, peut-�tre, pour vous �viter la petite d�ception que je viens d'�voquer. Si vous voulez me faire confiance, sautez sans h�sitation les chapitres XI, XIII, XIV, XVI et XVIII qui sont assez copieux et qui n'apportent (je le rappelle, d'apr�s mon seul jugement) rien. Et l�, vous aurez peut-�tre ce que je n'ai pas eu, un vrai bon roman, tonique et plaisant de bout en bout, si le coeur vous en dit�