Bunk Johnson : légend du jazz sur le Bayou Tèche
le Jeudi 28 mars 2024
le Vendredi 1 Décembre 2023 8:43 | mis à jour le 1 Décembre 2023 13:27 Musique

Bunk Johnson : légend du jazz sur le Bayou Tèche

Bunk Johnson, légende du jazz de la Nouvelle-Ibérie.  — Photo de la Collection Bunk Johnson à la Bibliothèque de la Paroisse de la Nouvelle Ibérie
Bunk Johnson, légende du jazz de la Nouvelle-Ibérie.
Photo de la Collection Bunk Johnson à la Bibliothèque de la Paroisse de la Nouvelle Ibérie
Des villages à côté du Bayou Tèche ont connu un passé court mais vibrant dans l’histoire du jazz en Louisiane.

NOUVELLE-IBÉRIE — Sur les rives du Bayou Tèche, les résidents perpétuent une tradition de jazz remontant à plus d’un siècle. Ici, dans le cœur de la région francophone et créolophone de Louisiane, une légende du jazz a passé la majorité de sa vie, et son impact continue à se faire sentir.

Dès que le jazz est né au début du 20e siècle, il s’est rapidement répandu dans tout le sud de la Louisiane avec la naissance de nouvelles salles de danse et groupes pour satisfaire cette demande croissante pour le jazz. La plus célèbre des personnes dans cette histoire a commencé sa vie à la Nouvelle-Orléans. Willie Geary « Bunk » Johnson faisait partie du groupe mené par Buddy Bolden, un des innovateurs du genre, dans la première décennie du 20e siècle. Avec ce groupe, Bunk a eu un impact crucial sur la prochaine génération de musiciens. Bunk a même aidé Sidney Bechet à trouver son premier concert payé. Et aux performances du groupe, un jeune Louis Armstrong était persistant dans sa quête d’avoir Bunk lui apprendre comment jouer du cornet.

Bunk est parti de la Nouvelle-Orléans en tournée en 1914, et vers 1920 il s’est installé à la Nouvelle-Ibérie, ville qu’il réclame comme sa ville d’origine plus tard dans sa vie. Mais même si la Nouvelle-Orléans a donné vie au genre, la richesse de la tradition sur le Bayou Tèche ne devrait pas être sous-estimée.

Selon Sam Irwin, écrivain et musicien qui a récemment sorti son livre « Hidden History of Louisiana’s Jazz Age », Bunk s’est trouvé dans un milieu déjà établi de musiciens dans le sud-ouest de Louisiane avec son arrivée à la Nouvelle-Ibérie. « Ce qui se passait à la Nouvelle-Orléans, se passait dans les communautés les plus petites », a déclaré Irwin. 

Chaque communauté avait ses vedettes locales, et la liste est longue : à la Nouvelle-Ibérie, Bunk et le Banner Band, le Martel Family Band aux Opelousas, et un peu plus loin, un groupe mené par Evan Thomas à Rayne, le Black Eagle Band. La région attirait régulièrement des talents de proche et de loin, tels que Joe Darensbourg et Mose « Toots » Johnson. Que ce soit des matchs de baseball, ou des bals, ou des salles de danse, ces groupes jouaient à tous types d’occasions sociales.

« Ce qui se passait à la Nouvelle-Orléans, se passait dans les communautés les plus petites. »

— Sam Irwin, auteur qui a récemment sorti son livre « Hidden History of Louisiana’s Jazz Age ».

Dans ce livre, Irwin raconte des anecdotes des vies de ces musiciens, parfois insolites et parfois tragiques. Le moment le plus sombre est en 1932, pendant une performance de Bunk et le Black Eagle Band, où il a été témoin d’une attaque meurtrière sur Evan Thomas. Les événements de cette nuit ont causé Bunk d’abandonner la performance pendant plusieurs années. Durant l’ère difficile de la Grande Dépression, il travaillait comme prof de musique à des écoles de la paroisse puis comme ouvrier, loin du succès de son passé.

Les salles de danse

Pour mieux comprendre Bunk et ses contemporaines, il faut comprendre l’importance de ces salles de danse dans la vie ici. À cette époque, comme aujourd’hui, les salles faisaient partie de la fabrique sociale du sud-ouest de la Louisiane. Les salles de jazz étaient un lieu de rassemblement pour la communauté noire pendant l’ère de Jim Crow. Il y avait des musiciens noirs aussi bien que blancs, mais les musiciens noirs devaient souvent poursuivre le jazz comme carrière grâce à la favorisation des blancs dans la répartition des emplois.

John « Pudd » Sharp, folkloriste à l’Université de Louisiane à Lafayette, est bien familier avec l’importance des salles de danse dans la vie sociale. « Il était parfois fait  mention des salles dans des livres, et je pensais qu’un registre serait un outil utile et intéressant, a-t-il déclaré. Il n’en existait pas, donc j’ai décidé de le créer sous la forme du site web qui s’appelle Louisiana dance halls. » 

Le 20e siècle a vu fleurir des salles de plusieurs types de musique, mais les salles de jazz étaient en minorité. Le plus souvent, le jazz se jouait à côté d’autres types de musique. Mais les salles qui jouaient le jazz ont vu des moments importants et parfois sérieux, et leur empreinte est évidente sur tous les autres genres qui ont évolué pendant ce temps, y compris le blues, le rock’n’roll, et le zydeco.

« Plusieurs salles étaient centres d’entreprises florissantes qui grandissaient à inclure affaires supplémentaires, affaires comme terrains de baseball, salles de cinéma, pistes de roller, circuits, coiffures, restaurants, et—bien sûr—le pari et la vente de liqueur », a déclaré Sharp. 

Les salles étaient nombreuses, ainsi que les faits notables. À Cécilia, la salle Shooktah’s a accueilli les performances de Fats Domino et Jimmie Newman. Duke Ellington, Ray Charles, et James Brown sont parmi les hôtes de la salle White Eagle Club aux Opélousas.

Festival jazz Bunk Johnson

Depuis 1999, des citoyens de la Nouvelle-Ibérie ont célébré la vie de Bunk avec le festival jazz Bunk Johnson, en mai ou juin. Historiquement, le festival a eu des groupes musicaux qui jouaient du jazz ou des genres avec son influence, comme le zydeco. Son aboutissement : une messe et procession de l’église au tombeau de Johnson dans le cimetière Saint Edward suivi par un retour avec un « second line ». « Beaucoup de genres sont liés au jazz, que ce soit le gospel ou le zydeco, tout ça découle du jazz », a déclaré Gilbert « Doc » Thomas, un des organisateurs du festival.

A cause du confinement et des problèmes financiers, le festival a réduit ses activités ces dernières années. Thomas anticipe un festival plus normal en 2024.

« Beaucoup de genres sont liés au jazz, que ce soit le gospel ou le zydeco, tout ça découle du jazz. »

— Gilbert « Doc » Thomas, un des organisateurs du festival Bunk Johnson.

Pendant plusieurs années, le festival a dépendu de musiciens d’autres villes pour ses performances. Mais en 2010, le groupe Bunk Johnson Brazz Band est né Dwalyn Jackson, éducateur et ancien chef d’orchestre dans les écoles publiques de la paroisse, a rassemblé d’anciens  étudiants avec pour mission de rétablir le jazz à la Nouvelle-Ibérie. Le répertoire du groupe inclut les chansons de son homonyme, et tous parcourent la région entre le Texas et la Nouvelle-Orléans pour se produire.

« En faisant attention aux vedettes d’ailleurs, les vedettes de chez toi finissent par passer inaperçu . On n’apprécie pas leur excellence,  a déclaré Jackson. C’est une bonne idée de continuer la tradition de Bunk Johnson. Par le passé, la Nouvelle-Ibérie était un lieu de prédilection pour beaucoup de musiciens. C’était un refuge pour beaucoup d’entre eux, nous essayons de raviver ce sentiment. »

Jackson ne se contente pas d’un seul groupe pour continuer l’héritage de jazz. Son nouveau projet est une académie pour apprendre à jouer le jazz aux étudiants de la ville. Actuellement il y a une dizaine d’étudiants participants dans ce programme hebdomadaire. « Notre but est d’encourager les étudiants à développer encore leur appréciation pour la musique, a-t-il déclaré. Autrefois la musique avait une telle influence dans cette région. » Jackson est optimiste de le voir s’élargir.

Jackson est réaliste sur la situation du jazz aujourd’hui. La popularité du jazz a toujours fluctué, et les fortunes de Bunk étaient un exemple. Dans les années quarante, le jazz rimait encore avec la fin de la Grande Dépression. Un groupe d’admirateurs s’est rendu à la Nouvelle-Ibérie pour investiguer et trouver cet homme qui a eu un tel impact sur le genre. Avec le soutien d’anciens familiers comme Louis Armstrong et Sidney Bechet, Bunk Johnson est redécouvert et connaît le plus grand succès de sa vie sur les scènes de New York et de Californie. Peut-être que le jazz ici, comme la carrière de Bunk, peut avoir sa renaissance.