André Tardieu, La paix | André Tardieu, Le souverain captif. La révolution à refaire | Maxime Tandonnet, André Tardieu. L’incompris
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2020

André Tardieu, La paix | André Tardieu, Le souverain captif. La révolution à refaire | Maxime Tandonnet, André Tardieu. L’incompris

Relire Tardieu et le comprendre
Alain Chatriot
Bibliographical reference

André Tardieu, La paix, Paris, Perrin, 2019, préface de Georges Clemenceau, présentation de Georges-Henri Soutou, 455 p.

André Tardieu, Le souverain captif. La révolution à refaire, Paris, Perrin, 2019, présentation de Maxime Tandonnet, 296 p.

Maxime Tandonnet, André Tardieu. L’incompris, Paris, Perrin, 2019, 352 p.

Full text

1Major au concours de l’École normale supérieure – mais où il choisit de ne pas entrer –, major au concours du Quai d’Orsay, conférencier à l’université de Harvard en 1908, ce n’est cependant pas l’image d’un intellectuel qu’a retenue la mémoire collective – qui l’a sans doute assez oublié… – et historienne de l’homme politique André Tardieu (1876-1945). Plusieurs publications en 2019 peuvent nous aider à mieux cerner une figure assez atypique de la France de la IIIe République, qui a déjà intéressé les historiens grâce à l’imposant fonds déposé aux Archives nationales sous la cote 324 AP (1 à 136) et dont le livre de François Monnet, Refaire la République. André Tardieu : une dérive réactionnaire (1876-1945) (Fayard, 1993), montrait l’intérêt d’étudier finement l’ensemble de sa trajectoire politique.

2Le premier volume à être réédité s’inscrit dans les commémorations de la Première Guerre mondiale et du traité de Versailles : c’est un livre intitulé sobrement La paix, publié pour la première fois en 1921 et préfacé alors par Georges Clemenceau avec un assez long texte écrit en septembre 1920. Il ne s’agit hélas pas d’une édition critique mais plutôt d’un reprint heureusement accompagné d’une précieuse présentation de l’historien Georges-Henri Soutou, l’un des meilleurs connaisseurs des différents aspects de l’histoire diplomatique de cette guerre et de ses suites. Dans ce texte, l’historien explicite clairement la nature du plaidoyer de Tardieu qui fut un proche collaborateur de Clemenceau pendant les négociations de paix en soulignant ce que le texte illustre mais aussi ce qu’il oublie volontairement. Le volume de Tardieu est d’abord une justification du contenu du traité de Versailles et son plan en témoigne par treize chapitres dont le premier est intitulé « L’agression » et le dernier « Le lendemain de la paix » et aborde l’ensemble des questions les plus débattues : le désarmement, la rive gauche du Rhin, l’Alsace et la Lorraine, la Sarre, la créance alliée et les paiements allemands. De parti pris, Tardieu livre indéniablement un récit détaillé et bien informé des négociations qu’il illustre régulièrement d’extraits de documents ou de correspondance.

  • 1 En particulier celles de Keynes qui avait été un des participants britanniques de la conférence et (...)

3Le texte daté en sa fin du 13 février 1921 témoigne vraiment des critiques auxquelles Tardieu veut alors répondre1. Il le fait d’ailleurs avec éloquence comme dans ce paragraphe : « Traité abusif, traité injuste ? C’était la thèse de l’Allemagne au mois de mai 1919. Ce fut ensuite celle de M. Keynes. C’est celle encore d’un grand nombre d’Anglo-Saxons et de la minorité de Français qui emprunte à Moscou sa définition de la justice. Injuste, une paix dictée à des agresseurs par les victimes de leur agression ; une paix qui affirme et qui poursuit la responsabilité des coupables ; une paix qui libère des peuples séculairement opprimés ; une paix qui ne place sous la souveraineté française pas un seul être humain qui ne fût depuis longtemps français de cœur et de volonté ; une paix qui ne réclame aux auteurs des ruines que le montant de leur réparation ; une paix qui laisse à la charge des vainqueurs toutes les dépenses de la guerre, c’est-à-dire 66 % des sommes que l’Allemagne en équité aurait dû rembourser ; une paix qui, répondant à la plus formidable entreprise du militarisme allemand, démontre que ce militarisme ne paie pas et s’inspire des solutions du droit en excluant le vieux système des dépouilles, – injuste, cette paix-là ? À qui le fera-t-on croire ? » (p. 393).

  • 2 Un contrat avait été prévu pour cinq volumes, les suivants devant s’intituler : Le sabotage des int (...)

4Tardieu poursuit une carrière politique qui le voit devenir président du Conseil à trois reprises entre 1929 et 1932 mais il se distancie du fonctionnement des institutions de la IIIe République et publie en 1934 deux livres intitulés significativement La Réforme de l’État et L’heure de la décision. Retiré sur les hauteurs de Menton, il publie des articles dans Gringoire et, en 1936 et 1937, deux volumes sous le titre La Révolution à refaire2, le premier intitulé Le souverain captif et le second La profession parlementaire. Le premier de ces livres est réédité en 2019 avec une présentation du haut fonctionnaire et essayiste Maxime Tandonnet, ce dernier ayant également ajouté des notes informatives sur les noms de personnes cités dans le texte de Tardieu. La présentation du volume se veut un clair éloge des écrits de l’homme politique pour ce qui semble nettement une volonté de réhabilitation. Celle-ci peut être un choix d’essayiste mais elle est assez irritante lorsqu’elle autorise à parler d’« interprétations partiales » (p. 20) pour le livre de François Monnet, issu d’une thèse de doctorat d’histoire. Lire Le souverain captif aujourd’hui laisse en tout cas une curieuse impression. Tardieu y fait preuve d’une ambition théorique réelle tout en employant le ton du pamphlet qui assène plus qu’il n’explique. Le long avant-propos (pp. 27-89) est un retour sur sa carrière politique avec une logique de justification permanente et de réponse aux attaques politiques subies. La démonstration de Tardieu veut ensuite montrer que les principes de 1789 sont en fait niés dans la pratique politique du régime, ses chapitres étant clairement intitulés : « La liberté en échec » ; « L’égalité violée », « La souveraineté escamotée » et « La volonté générale annulée ». Le texte abonde en références au XIXe siècle mais le propos est plus politique qu’historique. De manière significative, les références aux expériences étrangères sont rares (sauf des allusions régulières à l’histoire des États-Unis d’Amérique). L’attaque contre la représentation parlementaire devient vite systématique et s’accompagne d’une dénonciation du « règne de l’argent ». Le texte sombre alors dans un discours de dénonciation des oligarchies qui explique peut-être la volonté des personnes qui ont souhaité le rééditer mais laisse vraiment perplexe par son caractère confus.

5Avant de publier cette édition « critique », Maxime Tandonnet a consacré une biographie à Tardieu. Le récit classiquement chronologique y est fluide, repose certes sur une consultation abondante des archives (en particulier des éléments de correspondance), mais aussi sur une lecture idéologique – des passages de la conclusion sont assez surprenants. Le sous-titre est déjà un programme – L’incompris – et on retrouve l’antienne consistant à faire de Tardieu le père caché des institutions de la Ve République – les références aux écrits de Louise Weiss et à des propos du général de Gaulle rapportés par Alain Peyrefitte ne suffisent pas à faire démonstration et négligent beaucoup d’autres éléments. L’un des problèmes de cette biographie, au-delà de la forme de fascination de l’auteur pour son sujet, réside dans la méconnaissance des travaux historiques des vingt dernières années sur ces questions (ni Olivier Dard, ni Étienne Paquin, ni Gilles Richard ne sont par exemple cités, de même qu’aucune recherche sur les ligues).

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Notes

1 En particulier celles de Keynes qui avait été un des participants britanniques de la conférence et venait de publier un réquisitoire contre le traité : John Maynard Keynes, Jacques Bainville, Les conséquences économiques de la paix. Les conséquences politiques de la paix, Paris, Gallimard, « Tel », 2002 [1919], [1920]. Clemenceau dans sa préface au livre de Tardieu commente aussi cet ouvrage. Sur ce livre, cf. la réponse écrite par Étienne Mantoux, La paix calomniée ou les conséquences économiques de M. Keynes, Paris, L’Harmattan, 2002 [1946].

2 Un contrat avait été prévu pour cinq volumes, les suivants devant s’intituler : Le sabotage des intérêts généraux, Le règne du matérialisme et Les issues possibles. Un accident vasculaire cérébral en 1939 au lendemain de l’envoi du tome 3 à son éditeur en empêche l’aboutissement.

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References

Electronic reference

Alain Chatriot, “André Tardieu, La paix | André Tardieu, Le souverain captif. La révolution à refaire | Maxime Tandonnet, André Tardieu. L’incomprisHistoire Politique [Online], Books reviews, Online since 02 June 2020, connection on 15 April 2024. URL: http://journals.openedition.org/histoirepolitique/792; DOI: https://doi.org/10.4000/histoirepolitique.792

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