Dave, soirée de gala

Le chanteur Dave en avril 2024. © AFP/Joël Saget

Sans nouveau matériel discographique, mais avec un appétit scénique qui continue de le transcender, le plus français des Néerlandais s’offre ce mardi 21 mai un quatre-vingtième anniversaire sur la scène du Grand Rex à Paris. Et on peut évidemment compter sur lui pour emballer le public à sa façon. Rencontre avec Dave.

RFI Musique : Est-ce symbolique pour vous de fêter le passage d’une nouvelle dizaine sur une belle scène parisienne ?
Dave :
J’ai fait l’Olympia pour mes soixante-dix ans. Mon manager doit penser que c’est un bon plan promo. Depuis ma chute chez moi dans les escaliers [plusieurs jours de coma début 2022, NDLR], j’ai beaucoup moins travaillé, pour ne pas dire que je n'ai quasiment pas chanté l’année dernière. Là, ça redémarre vraiment bien avec des concerts à Bruxelles et Amsterdam dans la foulée et dans la même formule que le Grand Rex, puis d’autres pendant l’été. Est-ce vraiment une bonne idée de fêter mes quatre-vingts ans ? C’est une autre histoire, ça. En tout cas, c’est un fait de les avoir, on ne peut pas le nier.

Avez-vous gardé des séquelles de cette chute ?
C’est insupportable pour quelqu’un comme moi qui me considère épicurien. J’aime manger, boire du bon vin, renifler la lavande autour de ma maison dans le Sud. Et là, je ne sens rien du tout, ni goût ni odorat. Les neurologues n’ont pas d’espoir. Tout ce qu’on peut dire de positif, c’est ce que j’ai maigri et que je dépense moins d’argent. Pas la peine d’aller au restaurant dans ces cas-là.

Est-ce qu’on peut s’attendre à ce que vous regardiez dans le rétroviseur dans le choix des chansons ?
Ce sera déjà plus long que Patrick Hernandez* ! (rires) J’ai décidé de faire un tour de chant – je préfère ce terme, car je suis de l’époque de Juliette Gréco ou pas loin – qui sera globalement basé sur les chansons qui m’ont fait connaître, majoritairement celles des années soixante-dix. Mon chef d’orchestre a ajouté pour l’occasion deux instruments à cordes. J’ai cinq tubes parmi mon répertoire, ce qui est déjà pas mal. Mais je suis ravi de chanter aussi Hurlevent, Pour que tu me comprennes, Tant qu’il y aura. Ou Doux tam-tam, ne serait-ce qu'en hommage à Marcel Amont qui avait fait une adaptation de cette chanson américaine (Come Softly to me, NDLR).

Vous avez beaucoup joué pour la fête du 14 juillet, les podiums en bord de mer ou sur les places des villes. Était-ce parfois une contrainte ?
J’adore ça, les concerts populaires. Cela existe moins désormais. Ou peut-être que les organisateurs sont passés à des chanteurs plus jeunes que moi. Dans les années 70, quand je croisais Georges Guétary ou Jean Sablon dans une émission, je me disais : "Qu’est-ce qu’il fait là le vieux ?". À mon avis, on doit aussi penser cela de moi aujourd’hui. Je pourrais être le grand-père de Vianney, M Pokora ou Kendji Girac. Tous ces gens-là, je les ai connus quand je présentais Du côté de chez Dave (diffusée de 2014 à 2016 sur France 3, NDLR) et je continue à interviewer les artistes pour Télé Melody. Je sais ce qu’ils vivent contrairement à certains animateurs télé.

D’ailleurs, qu’est-ce que vous renvoie le paysage musical français actuel ?
Il y a des perles au milieu de déchets. De toute façon, peu importe les époques, ça a toujours été le cas.  Les succès des années 60, ce n’étaient pas des grands textes. Le son importait davantage que le sens. La décennie suivante, les mots étaient plus littéraires, plus travaillés. Évidemment, on ne peut pas dire ça de Mon cœur est malade. En revanche, Du côté de chez Swann, Hurlevent, c’est d’assez belle tenue. Aujourd’hui, les textes sont moins profonds, ce ne qui n’empêche qu’il y a de bons chanteurs.

Et Vanina, un grand texte ?
Ça fait partie des adaptations que j’ai faites. Et je suis assez fier de Patrick Loiseau, même si probablement, je ne suis pas très objectif puisque c’est mon compagnon depuis cinquante-trois ans. Il sait respecter les sons d’une chanson anglo-saxonne. Je vais citer un exemple de chanson qui n’a pas marché, mais qui participe à cette démarche. Quand j’avais entendu le morceau The Great Pretender des Platters, chantée par Dolly Parton, Patrick a fait, à ma demande, Mon regret le plus tendre. Il y a une analogie dans le son. C’est une approche enrichissante.

Avez-vous été déçu par le peu de résonance de Souviens-toi d’aimer, votre dernier album de chansons originales sorti en 2019 ?
J’aurais été plutôt surpris dans l’autre sens. C’est très rare que des chanteurs de ma génération réussissent encore à faire un gros coup. Mon exemple, c’est Henri Salvador qui a eu un immense succès inattendu à l’âge de quatre-vingt-quatre ans avec Jardin d’hiver. Je suis un peu jeune, il faut attendre encore quatre ans. La scène, c’est de toute manière ce que j’aime par-dessus tout. Contrairement au studio, tu es responsable à 100% de ce qui se passe. Ce travail, je l’ai beaucoup appris en faisant la comédie musicale Godspell avec Daniel Auteuil et Armande Altaï.  

Ce disque-là a été produit par Renaud. Un lien fort entre vous ?
Un collègue avec un vrai mutuel. Comme je fais partie de ses bons copains, il m’a invité à son mariage. Comme Hugues Aufray, d’ailleurs. En ce moment, je marie les vieux (rires). C’est formidable parce que Renaud a retrouvé, non pas sa voix, mais le sourire. Il doit être moins mélancolique, j’ose imaginer.

"Il n’y a pas honte à être heureux", chantiez-vous en 1975. Quelle est votre idée du bonheur ?
Le bonheur, ce n’est pas de la félicité en continu. Des petits moments, des petites choses. Monter sur scène, si possible devant une salle pleine. Et me glisser dans les draps avec mon bien-aimé. Ce sont les deux instants de bonheur que j’ai décidé de retenir il n’y a pas si longtemps.

Que reste-t-il du Dave qui a quitté les Pays-Bas par les canaux en 1965 ?
Les cellules foutent le camp, on n’est plus tout à fait pareil. Je garde une forme de causticité, d’humour, d’autodérision. Ça ne plaît pas toujours d’ailleurs. Je me fâche avec des gens alors que ce n’était vraiment pas mon intention. Moi-même, j’ai parfois honte après coup. "Tu as encore fait le mariole", me dit souvent Patrick quand je rentre d’une télévision. Je reconnais que ce n’est pas toujours utile et nécessaire.

Est-ce que ce rôle d’amuseur public n’a-t-il pas fait de l’ombre à votre carrière de chanteur ?
Pas pour les gens qui viennent me voir en concert. Là je fais ce que j’appelle mon EFGH : Émotion, Folie, Générosité, Humour.  Lorsque j’annonce Dernier regard, chanson écrite par Patrick au sujet du départ de ma mère par euthanasie, on ne rigole pas beaucoup. Dans la vie, on joue des rôles en fonction de la personne en face. Mais sur scène, on se met à poil, on donne tout. Les gens sont voyeurs et les chanteurs exhibitionnistes.  J’interprète des chansons d’une grande tristesse, d’autres extrêmement gaies et entre-deux, je dis des conneries.  Ils n’ont pas payé pour rien !

Que vous reste-t-il à accomplir ?
Refaire un succès à la manière d’Henri Salvador, avoir la forme physique d’Hugues Aufray et être sur scène le plus longtemps possible. Je pense souvent à Annie Cordy avec qui j’ai fait une tournée peu de temps avant qu’elle décède. Elle boitait toute la journée et une fois sur scène, elle dansait sur La bonne du curé comme une petite fille de quinze ans. C’est ça le miracle de la scène, une sorte de nirvana. Un public et un chanteur, cela ressemble à un couple avec ses hauts et ses bas. Ne plus le vivre, ça serait un chagrin pour moi.

*Auteur du seul tube Born to be alive (1979)

En concert au Grand Rex à Paris le 21 mai
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